M. Louis Giscard d'Estaing, suppléant M. Didier Migaud, Président de la Commission des finances, qui nous rejoindra tout à l'heure, et moi-même avons le plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Jacques de Larosière.
Le Président de la Commission européenne vous a confié, Monsieur de Larosière, la présidence d'un groupe de personnalités chargé de réfléchir à l'avenir de la régulation et de la supervision financière en Europe, et de formuler des propositions en vue du Conseil européen des 19 et 20 mars 2009.
Le groupe a présenté son rapport le 25 février 2009. Ce texte comporte une analyse des causes de la crise financière et des lacunes du système actuel de régulation et de supervision, et contient des recommandations sur ce qui devrait être fait à l'échelle de l'Union européenne et à l'échelle internationale.
Dans sa communication du 4 mars 2009, la Commission européenne a salué le travail accompli et s'en est très directement inspirée pour proposer un ambitieux programme de réformes.
Le rapport recommande une réforme profonde de la supervision et de la régulation en Europe en deux phases : 2009-2010 et 2011-2012. Ne serait-il pas possible, ou en tout cas souhaitable, d'aller plus vite ?
D'autre part, s'agissant de la régulation, vous recommandez d'adopter une définition européenne harmonisée des fonds propres des établissements financiers et, de manière générale, de remédier à l'absence d'un corps de règles véritablement harmonisées dans l'Union. Quelles règles devraient plus précisément faire l'objet d'une harmonisation ?
Monsieur de Larosière, je vous prie d'excuser l'absence du président Didier Migaud, momentanément empêché et qui nous rejoindra sous peu.
Je vous remercie, Monsieur de Larosière, d'avoir accepté de rencontrer les députés français pour discuter des conclusions et des propositions du groupe de travail que M. José Manuel Barroso vous a demandé de présider.
Votre rapport, à ce jour publié uniquement en anglais, propose une analyse des origines de la crise et formule des recommandations concernant la régulation et la supervision au niveau européen. Il préconise aussi une modification de la représentation de l'Union européenne dans les instances financières internationales.
Je rappellerai les travaux du Parlement français à ce sujet.
La Commission des finances s'est saisie des questions liées à la crise financière dès octobre 2007, après l'alerte qu'a constituée la quasi-faillite de la banque britannique Northern Rock. Elle a procédé à de nombreuses auditions, dont celle de M. Alexandre Lamfalussy, et élaboré un rapport d'information en novembre 2008. Une mission d'information est en cours sur les paradis fiscaux. D'autre part, l'Assemblée nationale et le Sénat ont constitué un groupe de travail mixte, qui a rendu ses premières conclusions en novembre dernier ; elles ont été remises au Président de la République dans la perspective de la réunion du G20 à Washington. Ce groupe travaille maintenant à des propositions concernant les paradis fiscaux et la régulation des marchés financiers, qui seront rendues à la fin du mois.
Le rapport du groupe de travail que vous avez présidé contient des propositions tendant à définir une nouvelle architecture de la supervision à l'échelle européenne. Plutôt que l'option supranationale, vous privilégiez l'approfondissement du processus Lamfalussy, et donc l'option intergouvernementale. Est-ce suffisant ? Ne risque-t-on pas un manque de réactivité en cas de crise ? Pourquoi ne pas avoir envisagé une plus grande intégration des mécanismes de surveillance et de supervision ?
Par ailleurs, comment fonctionnerait le système européen de supervision financière, étant entendu que chacun des trois métiers – banques, assurances, marchés financiers – serait doté d'une autorité de supervision distincte et que les superviseurs nationaux resteraient chargés de leurs fonctions actuelles ? Comment, enfin, seraient supervisés les établissements financiers transfrontaliers ?
C'est un grand honneur pour moi de m'adresser à vos deux commissions.
Je répondrai pour commencer aux questions de M. Pierre Lequiller. Pourquoi, m'a-t-il demandé, prévoir la mise en oeuvre des réformes proposées en deux phases ? J'en suis d'accord, il serait préférable d'aller plus vite et nous n'y verrions que des avantages. Toutefois, l'expérience de la chose européenne montre que le calendrier prévu est le plus réaliste. Nous sommes déjà en mars 2009 et il y aura beaucoup à faire, en matière législative et réglementaire, en 2010 – tellement, même, qu'il serait remarquable de parvenir à tout faire. En outre, le système européen de supervision financière serait mis en place en 2011 et 2012.
Nous avons par ailleurs proposé la mise au point d'une définition harmonisée des fonds propres des établissements financiers, dont il existe aujourd'hui vingt-sept définitions différentes ; il faut en finir au plus vite avec la grande fragmentation des législations et des règlements nationaux. De nombreuses directives établissent des principes généraux, mais elles comportent aussi des clauses d'exemption nationales, et il n'est pas rare qu'une directive soit interprétée de cent manières. Aussi avons-nous proposé d'inventorier ce qui est important et qui fait l'objet de différences substantielles d'interprétation ou d'application nationale, puis d'éliminer les incongruités, autrement dit les manques d'harmonisation. Pour l'avenir, nous recommandons que les interprétations nationales soient réduites à leur plus simple expression, afin de parvenir à un corps de règles européennes véritablement harmonisées.
À M. Louis Giscard d'Estaing, qui m'a demandé pourquoi nous avons privilégié un processus intergouvernemental et non l'intégration de la supervision financière, je répondrai que nous avons estimé plus réaliste et peut-être plus efficace de procéder de la sorte. Nous avons donc recommandé de laisser aux autorités nationales la supervision quotidienne et de porter au niveau supérieur, c'est-à-dire au niveau européen, les points de divergence ou les éléments qui ne peuvent être réglés au niveau national.
Quand des collèges de superviseurs nationaux s'occupent des banques transfrontalières, de profondes divergences peuvent exister dans la manière de conduire la supervision entre le pays dans lequel est situé le siège d'un établissement financier et les pays où sont situées les filiales. Nous proposons que, si l'accord ne se fait pas, la question soit portée devant une autorité supranationale indépendante, mandatée pour trancher. Deuxième élément de supranationalité : nous proposons aussi de confier au comité Lamfalussy de niveau 3 renforcé compétent d'accorder les licences aux agences de notation de crédit autorisées à exercer au sein de l'Union européenne, et d'évaluer la qualité des travaux accomplis. Enfin, lorsque directives et règlements font l'objet d'interprétations nationales différentes, la nouvelle autorité trancherait.
On nous reproche très fréquemment de ne pas avoir franchi un pas de plus. Je me suis entendu dire il y a quatre jours encore, à Amsterdam, que nous avions « raté une occasion historique d'intégration ». Or les huit membres qui constituaient notre groupe de travail ont considéré que la création d'un organe de supervision supranational unique ne serait pas une très bonne idée. Mais pourquoi donc ?
D'abord, il faudrait mettre au point un système à deux étages. L'Union européenne compte quelque 8 000 banques, dont une quarantaine seulement constituent des groupes transfrontaliers. Ce sont les seuls pour lesquels la supervision paneuropéenne s'exercerait, les établissements locaux et régionaux continuant d'être supervisés par des autorités nationales. Ce système duel serait lourd, coûteux, et surtout facteur de conflits et de divergences.
L'autre argument, décisif, est d'ordre politique. À supposer qu'une crise survienne dans un groupe transfrontalier – ce qui se produira –, crise si grave qu'elle conduise à devoir injecter de l'argent public dans cet établissement pour le renflouer, le gouvernement concerné, à qui l'on demandera peut-être des sommes considérables, se trouvera dans la difficile position d'expliquer aux contribuables qu'il faut dispenser de l'argent public à des banques qui n'ont pas été contrôlées par un superviseur national. C'est pourquoi nous proposons un système de délégation assorti d'une coordination plus étroite au niveau supérieur.
M. Louis Giscard d'Estaing m'a demandé si l'on peut attendre du système européen de supervision financière proposé qu'il fonctionne efficacement alors qu'il met en jeu trois organismes différents face à des conglomérats qui, souvent, regroupent plusieurs activités financières au sein d'une seule instance. Nous avons cherché à être pragmatiques. Cela nous a conduits à proposer de conserver, pour le moment, les trois instances de supervision, l'une consacrée aux banques, l'autre aux assurances, la dernière aux titres. Ces institutions fonctionnent bien alors même qu'elles n'ont pas les pouvoirs que nous recommandons de leur donner, elles ont fait un bon travail, et ce serait les bousculer que de les fondre tout de suite en une entité unique. Pour autant, il faudra, à terme, regrouper l'instance de supervision des banques et celle des assurances, et en créer une autre chargée de la surveillance des marchés et de la protection des consommateurs et des investisseurs, selon le modèle de double régulation – twin peaks system – adopté en particulier par l'Espagne. C'est ce que nous recommandons.
Quelles sont vos propositions relatives à la représentation de l'Union européenne dans les institutions financières internationales ?
Nous considérons qu'une Union européenne financière véritablement intégrée et en tout cas les puissances financières de la zone euro doivent s'exprimer d'une seule voix dans les institutions financières internationales, en particulier au FMI et à la Banque mondiale. Cette idée d'avenir présente deux avantages, dont le premier serait de matérialiser l'unité de l'Europe face aux autres puissances. Au FMI, les Etats-Unis parlent d'une seule voix ; pourquoi les pays européens ne le pourraient-t-ils pas ?
Par ailleurs, en procédant ainsi, on libérerait des postes dans les conseils d'administration, notamment au FMI, ce qui permettrait à des pays dits émergents de bénéficier d'une représentation plus normale dans ces institutions. Leur sentiment d'appartenance en serait renforcé. Il n'est pas certain, tant s'en faut, que le système mis au point en 1945 soit toujours le plus efficace et le plus représentatif de notre époque. Cette proposition est assez impopulaire dans les pays qui devraient renoncer à leur siège au conseil d'administration des institutions concernées. Cela étant, on instituerait évidemment une rotation des pays siégeant à ces conseils.
Le Président Pierre Lequiller. Vous ne proposez donc qu'un siège pour toute l'Union européenne ?
Nous proposons un siège pour les pays membres de l'Eurogroupe et un autre pour la Grande-Bretagne, les pays scandinaves et les autres pays membres de l'Union européenne non membres de l'Eurogroupe. La rotation serait de règle pour ce groupe de pays également.
Nous avons apprécié, en grande partie, les conclusions de votre rapport, et en particulier l'idée que l'Union européenne se doive d'avancer sans attendre les décisions prises au sein du G20.
S'agissant de l'autorité de régulation et de supervision, nous nous sommes demandé si elle devait être envisagée à l'échelle de toute l'Union ou restreinte aux pays de la zone euro. Le choix de votre groupe de travail est, on l'a vu, de renforcer les comités Lamfalussy de niveau 3 – le Comité européen de régulation des valeurs mobilières, le Comité européen des superviseurs bancaires et le Comité européen des superviseurs des assurances et organismes de prévoyance. Mais ne serait-il pas souhaitable, tout en conservant le système à deux étages, national et supranational, que vous recommandez, de prévoir une autorité de régulation plus intégrée, au moins pour ce qui concerne les pays de la zone euro ?
On note par ailleurs votre critique en règle des accords Bâle II. Vous insistez notamment sur l'insuffisance des fonds propres des banques. Quelles propositions formulez-vous visant à refondre ce système prudentiel ou à en construire un nouveau ?
Le groupe de travail a-t-il abordé la question des paradis fiscaux et la refonte de la directive « Épargne » ?
Enfin, quelles propositions concrètes l'Union européenne pourra-t-elle présenter à la prochaine réunion du G20 ?
Le renforcement du rôle des organes de régulation et de supervision à l'échelle de la zone euro ne nous a pas semblé être une bonne idée. Je vous l'ai dit, une de nos difficultés principales tient à la fragmentation des régulations nationales et à l'utilisation, à mon avis abusive, des possibilités d'exemption nationale. Si l'on décide de se centrer sur les seuls pays de la zone euro, on laisse à l'écart la Grande-Bretagne et les pays scandinaves. Or tout l'intérêt du système que l'on cherche à construire n'est-il pas de mettre au point une règle commune, de manière qu'un établissement ne puisse pas choisir un régulateur plutôt qu'un autre parce qu'il est plus bienveillant, ce qui entraîne des mouvements de capitaux dommageables ? Tous les pays membres doivent être couverts par un système de régulation identique, comme c'est le cas avec la procédure Lamfalussy. Il nous a donc paru plus légitime de centrer l'effort d'harmonisation au niveau européen général plutôt qu'au seul niveau de la zone euro.
Sans doute y a-t-il dans la question de M. Daniel Garrigue une autre question, implicite. On sait que la Banque centrale européenne s'est proposée d'endosser le rôle de superviseur pour la zone euro, mais notre groupe de travail n'a pas retenu cette solution. La BCE a pour fonction d'assurer la stabilité monétaire de l'Union européenne ; elle n'est pas équipée pour faire la microsupervision, établissement par établissement, des quelque 8 000 banques européennes, dont presque toutes sont des établissements locaux ou régionaux de petite ou de moyenne taille. D'ailleurs, elle ne le souhaite pas. Si les banques « domestiques » étaient supervisées à l'échelon national et les quarante groupes transfrontaliers par la BCE pour la zone euro, l'ensemble donnerait lieu à des divergences d'interprétation.
D'autre part, le traité de Maastricht interdit à la BCE de superviser les compagnies d'assurance. Or nous avons observé qu'il serait intelligent de constituer, à terme, une entité unique englobant dans un même système de supervision banques et compagnies d'assurance. Si la BCE était le superviseur supranational, cette évolution serait impossible.
Au surplus – je reviens à l'argument politique –, en cas de crise, il serait plus difficile pour un gouvernement d'injecter une grande masse d'argent public dans un établissement bancaire en difficulté si l'autorité de supervision nationale n'avait aucun pouvoir dans le contrôle de la banque considérée.
Ce qui, de prime abord, semble une bonne idée présente donc beaucoup d'inconvénients quand on creuse un peu. D'ailleurs, une très faible minorité des huit membres qui constituaient le groupe de travail l'aurait acceptée.
Vous m'avez interrogé sur notre appréciation des accords de Bâle II. Nous sommes en effet assez critiques car le dispositif est trop procyclique : il aggrave la situation en cas de crise et il ne permet pas une vigilance suffisante dans les moments de prospérité. Nous avons donc avancé des propositions précises visant à la constitution de réserves à utiliser dans les périodes de récession. L'Union pourrait les reprendre à son compte et les présenter dans le cadre du G20.
Nous avons évoqué la question des paradis fiscaux dans le rapport, mais sous l'angle du mandat qui nous avait été donné – le renforcement de la stabilité financière – sans aborder la question de l'évasion fiscale ni celle du blanchiment. Dans ce cadre, nous soulignons que les paradis fiscaux ont une faible capacité de supervision des établissements qui viennent s'établir chez eux. Nous recommandons donc de n'autoriser les établissements financiers dont le siège est situé dans d'autres pays à ne travailler dans les centres financiers off shore que si les autorités de supervision des pays du siège sont satisfaites des transmissions d'informations reçues des superviseurs locaux.
La question n'est-elle pas plutôt de savoir s'il faut autoriser les établissements financiers d'autres pays à travailler dans des paradis fiscaux ?
Nous proposons d'interdire à un établissement financier régulé de réaliser des opérations dans des paradis fiscaux avec des organes qui ne le sont pas. Si, même dans un paradis fiscal, une banque réalise des transactions avec un établissement qui est lui-même soumis à régulation, la chose est moins grave, car il peut y avoir échange d'informations entre les régulateurs. Se concentrer sur la seule question de savoir si un paradis fiscal se montre ou non coopératif est trop restrictif, car il faut encore définir ce que l'on entend par « coopératif », sachant qu'un très petit nombre de centres off shore ne le sont pas.
M. Daniel Garrigue m'a aussi demandé quelles propositions l'Union européenne pourrait formuler.
Pour que l'Union parvienne à faire entendre sa voix, les pays membres doivent s'accorder sur les notions fondamentales. À ce jour, le vide est patent. Les propositions et recommandations du rapport du groupe des Trente présenté par M. Paul Volcker ne sont pas très éloignées des nôtres : il plaide en faveur de la moralisation de la gouvernance, de l'harmonisation des règles et du renforcement de la supervision, qui est très morcelée aux Etats-Unis. Les Américains veulent réformer le cadre financier mais ils ne savent pas très bien comment procéder, et ils nous demandent, à nous, Européens, de nous mettre d'accord et de proposer ce qui pourrait être le ferment d'une discussion fructueuse. Il y a là une occasion inestimable à saisir pour l'Union européenne, si elle parvient, comme elle le doit, à présenter un ensemble de propositions cohérentes agréant à chacun de ses membres. Pour l'heure, les Américains ne pensent l'Europe que divisée. Il serait bon que, sur ces questions, nous ayons un plan unanimement accepté.
Les arguments que vous avez avancés pour repousser la création d'une Agence européenne de supervision ne m'ont pas convaincu. Selon vous, le problème politique est le plus important car, si un groupe transfrontalier s'effondrait, des États devaient intervenir en s'appuyant sur une Agence européenne qui ne dépendrait pas d'eux. Et alors ? Dans le cas de Dexia, on a vu intervenir le Luxembourg, la Belgique et la France. Une Agence européenne de supervision ne se substituerait pas aux États !
Votre deuxième argument est qu'il existe au sein de l'Union 8 000 banques dont quarante groupes supranationaux, si bien qu'il faudrait un système à deux vitesses. Pourquoi pas ?
Vous évoquez ensuite le rapport coût-efficacité. À ce sujet, force est de constater que les organismes de supervision existants n'ont pas vu grand-chose. Ils se sont réveillés au moment où la catastrophe était déjà déclenchée, sans avoir rempli leur rôle de prévention.
On a, dites-vous, reproché à votre groupe de travail sa timidité. De fait, le seul aspect salutaire des crises aussi graves que celle que nous connaissons est qu'elles doivent conduire à des changements de comportement. À cet égard, je considère que vos propositions sont assez conservatrices.
J'en viens à l'organisation, au niveau national, des instances de supervision, actuellement au nombre de deux ou trois selon les pays, l'une se consacrant aux banques, l'autre aux compagnies d'assurance, la troisième au marché des valeurs mobilières. Cet éclatement pose le problème du contrôle de l'assurance vie selon que les contrats sont rédigés en unités de compte ou en euros. Autrement dit, cette séparation ne correspond pas à l'évolution des produits. Ne serait-il pas plus efficace d'aller vers un système de supervision unique, dans lequel coexisteraient plusieurs sections ?
S'agissant des réformes à mener à l'échelle mondiale, le groupe de travail recommande la mise en oeuvre d'un processus de veille, d'un mécanisme de soutien par le renforcement des possibilités d'intervention du FMI, et d'un système de coordination. Mais une réflexion plus systémique ne serait-elle pas nécessaire ?
M. de Courson et moi-même avons manifestement une appréciation différente de ce que pourrait être le rôle de la BCE. Je m'étonne cependant de constater qu'il est un ardent partisan du regroupement de la supervision des banques et des compagnies d'assurance, alors que, conformément aux dispositions du traité de Maastricht, la BCE ne peut superviser les secondes.
Monsieur de Courson, si je ne vous ai pas convaincu, vous ne m'avez pas convaincu non plus.
Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas d'accord sur ce point. En revanche, nous le sommes davantage s'agissant de l'organisation de la supervision, car il est exact que bien des activités des compagnies d'assurance s'apparentent à des activités bancaires ; il faudra donc les rapprocher. C'est ce que nous recommandons dans le rapport – pas dans l'immédiat, mais nous avons posé le principe.
Nous avons, Madame Montchamp, mis l'accent sur la prévention, car bien peu de superviseurs ont vu venir le désastre, M. de Courson l'a souligné. La plus grande défaillance tient à l'absence de vision globale : si chaque superviseur jugeait assez bien de ce qui relevait de ses compétences, personne n'a vu la tempête se lever à l'horizon. La surveillance macro-financière a donc été prise en défaut, et d'une manière qui dépasse l'entendement. L'abus de titrisation était patent, le déséquilibre des paiements mondiaux également. La balance des paiements des Etats-Unis accusait un déficit massif depuis quinze ans, ce qui a été source de liquidités colossales. Cela ne s'est pas traduit par de l'inflation, assez bien tenue par l'emploi d'une main-d'oeuvre, notamment chinoise, peu chère, mais par la constitution de « bulles » phénoménales, que les banquiers centraux, en premier lieu le chef de la Réserve fédérale américaine, n'ont pas voulu voir. Le tout était évidemment générateur d'une crise majeure. Autant dire que nos propositions relatives à la supervision macro-prudentielle sont d'une importance particulière. Nous recommandons à cette fin la création d'un Conseil européen du risque systémique, placé sous l'égide de la BCE et bénéficiant de son appui logistique. Ce Conseil, qui ne se réunirait pas très souvent, s'obligerait à analyser les évolutions macro-prudentielles, bénéficiant pour cela d'un flux obligatoire d'informations provenant des banques centrales et des régulateurs nationaux. Il devrait émettre des alertes rapides, le Conseil ECOFIN étant saisi si nécessaire.
Un tel système peut être internationalisé.
C'est donc ainsi qu'il faut agir.
Je souhaite revenir sur le rôle de régulation des banques centrales.
Alors qu'en France la Banque centrale était à la fois une banque de contrôle et un régulateur, on n'a pas développé le volet « régulation » de la BCE quand on l'a créée. Les banques centrales sont pourtant les institutions qui ont la connaissance la plus précise du marché monétaire. Ainsi, on ne peut faire complètement l'impasse sur l'articulation entre elles et la régulation.
Ma deuxième observation portera sur les innovations financières des deux dernières décennies. Ces innovations obligent à constater que les banques se sont de plus en plus éloignées de leur métier, qui est de prêter en étant attentif aux risques. Dans ces conditions, ne devrait-on pas réglementer beaucoup plus fortement l'effet de levier et la possibilité qu'ont les banques d'utiliser la titrisation pour se défausser des créances qui leur déplaisent ?
S'agissant des paradis fiscaux, le problème serait réglé si l'obligation était faite aux établissements financiers de ne réaliser des transactions qu'avec des organismes régulés.
Je suis parfaitement d'accord avec ce dernier point, et cette proposition figure dans le rapport que nous avons rendu. Les États membres de l'Union européenne doivent maintenant en accepter le principe.
De même, je partage sans réserve ce que vous avez dit du rôle régulateur des banques centrales. Comment en serait-il autrement, puisque j'ai moi-même défendu le rôle de surveillance de la Banque de France en 1993 ? Ce rôle a été conservé, et c'est bien ainsi. Si cela n'a pas été fait dans le cadre du traité de Maastricht, c'est, selon moi, par crainte d'une concentration excessive des pouvoirs, et aussi parce que certains pays membres ne confiaient plus ce rôle à leur banque centrale nationale. Mais le rapport innove, malgré tout, en mettant l'accent sur la surveillance macro-prudentielle. La surprise est venue de ce que l'accord unanime s'est fait pour confier ce rôle à la BCE, ce qui n'avait rien d'évident. On s'en félicitera, mais sans trop insister, car cette idée ne faisait pas, par exemple, l'unanimité à la Chambre des Lords où l'on m'a beaucoup interrogé à ce sujet hier – je pense avoir convaincu en soulignant que la Banque d'Angleterre fait partie du système européen de banques centrales (SEBC). Confier cette tâche à la BCE, c'est la rapprocher de la supervision. Soit, me dira-t-on, mais comment déceler les dangers potentiels ? Comme nous l'avons souligné, pour que la BCE puisse jouer un rôle efficace, elle doit être dûment informée – c'est ce qui est nouveau. J'ai même obtenu, plus difficilement, qu'elle puisse être invitée dans les collèges de superviseurs. Comme vous, Monsieur Muet, je pense que les banques centrales sont les mieux placées pour remplir ce rôle. Ainsi, à la Banque de France, nous avons évité un grand nombre de problèmes en les traitant assez tôt. Cela étant, je ne pense pas que l'on en reviendra au modèle ancien.
S'agissant des innovations financières, les banques ont effectivement trop souvent oublié qu'elles avaient des clients, et elles se sont mises à faire travailler leurs dépôts pour spéculer. Peut-on en revenir à un schéma tel qu'il y aurait, d'un côté, les banques de dépôt et, de l'autre, les banques d'investissement ? Je ne suis pas sûr qu'il faille procéder exactement ainsi car les clients des banques commerciales doivent pouvoir continuer d'accéder au marché des produits dérivés. Cela étant, quand une banque concentre son activité sur le « hors bilan » et sur la spéculation avec ses fonds propres, une vigilance accrue s'impose, et l'obligation doit lui être faite de renforcer son capital, ce qui aura un fort effet dissuasif. Cette proposition figure également dans notre rapport.
Selon vous, quel peut être le rôle de la Commission européenne dans l'élaboration d'une réglementation applicable aux fonds spéculatifs et aux produits dérivés ?
M. Barroso a constitué notre groupe de travail après avoir consulté les chefs d'Etat et de Gouvernement, et il a pris soin de le composer de manière suffisamment diversifiée pour refléter la diversité européenne. Il revient maintenant à la Commission européenne, qui a fait une déclaration soutenant notre rapport, de soumettre aux chefs d'Etat et de Gouvernement les propositions qu'elle juge nécessaires. J'ai bon espoir qu'après les élections européennes on puisse partir sur une bonne base.
Nous avons recommandé de réglementer les fonds spéculatifs, une idée qui n'allait pas de soi. Nous avons précisé que cette réglementation devrait consister à renforcer l'obligation faite à leurs gestionnaires de communiquer des renseignements sur leur stratégies et méthodes, et notamment sur leur effet de levier. Il s'agit donc d'un début de contrôle, mais nous ne sommes pas allés jusqu'à dire qu'il faudrait leur imposer des obligations prudentielles. Avant de formuler une telle proposition, il convient d'y réfléchir à deux fois, car, si les hedge funds étaient soumis à de telles obligations, ils seraient de facto considérés comme systémiquement importants, et donc comme devant être soutenus en cas de faillite. Sur ce point, nos conclusions divergent de celles du rapport Volcker. Nous considérons en effet que la meilleure politique consiste à enregistrer les fonds spéculatifs et à les soumettre à une obligation d'information. Pour la suite, on verra. Leur donner le confort de se dire membre de la famille des banquiers et que, de ce fait, la Réserve fédérale les aidera dans les moments difficiles nous a paru aller trop loin. Selon nous, on est en meilleure position si l'on indique aux fonds spéculatifs qu'ils ne sont pas des établissements bancaires, que si les choses tournent mal pour eux ils ne seront pas aidés, et qu'ils doivent en avertir leurs clients.
Au sujet des produits dérivés, nous avons soutenu la proposition de la Commission européenne selon laquelle toute banque titrisant des créances doit garder dans ses livres, jusqu'à leur échéance et sans les couvrir, une part significative des titres émis – en bref, elle doit prendre les mêmes risques que l'investisseur lambda. Si cette obligation concernait une proportion véritablement significative des titres émis, cela aurait sans aucun doute un effet dissuasif. La banque qui refuserait un tel système serait libre de déclarer : « Je titrise, mais je signale que je ne garde pas un centime de ces titres. » Nul doute que ce serait tout aussi dissuasif, mais je préférerais que l'on s'en tienne à la proposition de la Commission.
En conclusion, ce que dit en fait le groupe de travail, c'est que, pendant les périodes fastes, il faut mettre de l'argent de côté et ne pas en distribuer autant qu'on l'a fait. Cette vision des choses est assez impopulaire au sein des banques, mais elle l'est aussi chez les politiques, car cela revient à restreindre un peu le droit au crédit dans les périodes de prospérité. Aura-t-on la sagesse de suivre ces recommandations ? Je ne le sais, mais il le faudrait, et il est important de confier un rôle accru en ces matières aux banques centrales. Nous défendons donc une vision de long terme et non la vision de court terme qui a fait distribuer des bonus en fonction des gains réalisés dans l'année. Il faut mettre cet argent de côté, et voir ce qui se passe au cours des cinq années suivantes pour ne plus être victimes, comme nous le sommes actuellement, du « court-termisme » généralisé.
Voilà une bonne conclusion, et j'espère que nous aurons la sagesse d'édicter des règles de moyen et de long terme. Pour reprendre l'expression de M. Charles de Courson, une crise peut avoir quelque chose de salutaire si elle oblige à changer de comportement.
Comme M. Louis Giscard d'Estaing vous l'a dit, la Commission des finances s'est engagée dans ces travaux bien avant que la crise ne commence car des économistes nous avaient alertés longtemps avant les régulateurs. Nous avons, vous le savez, créé un groupe de travail mixte Assemblée nationale-Sénat, qui a remis un premier rapport au Président de la République. Nous lui en remettrons un second avant le 2 avril, qui traitera des paradis fiscaux, des marchés financiers et, peut-être, des normes comptables. Votre rapport est une contribution utile à notre réflexion et vos conclusions enrichiront nos propositions. Les sujets traités sont d'une importance extrême. Il est indispensable que les responsables politiques laissent moins faire les acteurs financiers, que l'on se départe de l'idée que tout finit par s'autoréguler, et que l'on se persuade qu'un peu d'intervention ne peut nuire. Il est important aussi que ces saines résolutions survivent à la crise.
Je souhaite que la Commission européenne reprenne vos propositions et que les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union choisissent des orientations fortes, mais l'on voit que ce n'est pas facile. Ainsi, s'agissant des paradis fiscaux, il y a parfois un fossé entre les déclarations des dirigeants et la réalité.
Monsieur de Larosière, je vous remercie.