– Présentation du rapport de MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut, députés, sur « l'innovation à l'épreuve des peurs et des risques »
Depuis un an, nous avons cherché des réponses aux questions que nous avions posées dès notre étude de faisabilité : quelles sont les conditions nécessaires pour que l'innovation ait un rôle moteur dans la société moderne ? Comment peut-on tirer les leçons des expériences réussies mais aussi des échecs, en tenant compte de la spécificité du système français de recherche et de stimulation de l'innovation ? Faut-il mettre en place une stratégie nouvelle permettant de rendre notre pays plus innovant ? Quelles sont les politiques et quels sont les outils qui permettraient de faciliter l'acceptabilité du risque et de rendre l'innovation plus dynamique ?
Pour se faire, nous avons effectué un véritable travail de fond sur le thème de l'innovation à l'épreuve des peurs et des risques.
Nous avons rencontré plus de mille personnes. Nous avons effectué de nombreux déplacements.
Nous sommes allés sur le terrain, en Lorraine et en Haute Savoie, nos deux circonscriptions, pour prendre la mesure des recherches innovantes qui y sont menées, et constater le travail mené par les entreprises, les universités, les organismes de recherche, mais aussi par les pôles de compétitivité.
Ces deux missions ont également été l'occasion de rencontres originales avec des lycéens de première, autour d'un questionnaire portant sur l'approche intergénérationnelle de l'innovation, des peurs et des risques. Les enseignements qui en ont été tirés ont été largement débattus en audition publique.
Nous avons fait plusieurs missions à l'étranger, tant dans des pays industrialisés que dans des pays émergents. Nous sommes ainsi allés aux Etats-Unis, en Allemagne, en Suède, en Belgique, en Suisse, en Inde, en Chine et en Afrique du Sud.
Ces missions à l'étranger avaient quatre objectifs. Premièrement, vérifier que la France restait au niveau le plus élevé de la recherche au plan mondial. Deuxièmement, s'assurer de la pertinence de nos priorités nationales de recherche. Troisièmement, identifier les bonnes pratiques les plus intéressantes dont la France pourrait s'inspirer, d'une part au niveau organisationnel, par exemple la structuration de la valorisation de la recherche, et d'autre part au niveau sociétal, avec l'organisation de l'interface entre la science et les citoyens. Et enfin, prendre la mesure du débat sur des questions qui font l'objet de controverses particulières dans notre pays, qu'il s'agisse des OGM ou des nanotechnologies.
Parallèlement, nous avons organisé cinq auditions publiques. La première le 14 avril 2011, sur l'apport du dialogue intergénérationnel. La seconde le 26 mai, sur les innovations pour la société de demain. La troisième, le 12 octobre, sur les outils pour une société innovante. La quatrième, le 27 octobre sur l'avenir du plateau de Saclay. La cinquième, le 24 novembre, sur les comparaisons internationales.
Nous avons aussi engagé une réflexion approfondie sur le statut des docteurs et leurs possibilités de carrière, à partir d'un deuxième questionnaire qui a reçu un accueil très chaleureux, puisque 1 300 docteurs y ont répondu. L'ensemble des données sera mis à votre disposition, et à disposition des chercheurs, sur un DVD Rom et sur le site de l'OPECST.
Qu'avons-nous appris grâce à ce travail de fond ? Quelles hypothèses avons-nous confirmées ? Quelles nouvelles idées avons-nous trouvées ?
L'innovation a de nombreuses facettes : elle peut être technologique (de produit et de procédé), organisationnelle, sociale, concerner le marketing,… Par exemple quand Nespresso vend à la fois la machine à café et la seule capsule qui va avec, c'est une innovation marketing, que l'on soit pour ou contre. Elle est nécessaire, et il faut lever les freins qui la ralentissent.
Il est clair que tout commence à l'école. La peur de l'échec, que l'on inculque à nos enfants dès le plus jeune âge, ne va pas dans le sens de la créativité, du goût de la prise de risque, de l'esprit entrepreneurial.
Notre première série de recommandations place donc l'innovation au coeur de la rénovation de l'enseignement primaire et secondaire
Elle a pour objectif de mettre l'accent sur la nécessité de susciter dès l'école l'envie de connaître et de comprendre. Nous avons en effet été très frappés par l'impact des actions entreprises par des associations telles que La Main à la Pâte, dont les membres vont dans les écoles pour développer l'intérêt pour la science et les technologies, à partir d'une pédagogie vivante de l'expérimentation et de la réflexion.
Le goût d'innover qui peut être développé très tôt chez l'enfant, dépend aussi de la manière dont il est stimulé aux différents niveaux de l'enseignement. Il faut donc des enseignants mieux sensibilisés aux enjeux de l'université et aux innovations pédagogiques. Il faut plus de Travaux Pratiques Encadrés (TPE) à l'école, dans plus de classes, et plus en lien avec le bassin local d'entreprises. Pourquoi ne pas développer le TPE sous un format proche de celui de l'alternance, qui permet à aux élèves de découvrir le vivier économique et social de sa région quelques heures par semaine, en menant un projet pluridisciplinaire en groupe ?
L'enseignement supérieur fait l'objet de notre deuxième recommandation. L'autonomie des universités est une chance à saisir pour stimuler l'innovation.
Quelques universités ont utilisé les possibilités qu'elles avaient pour se rapprocher. C'est notamment le cas en Haute Savoie et en Lorraine. Ces efforts de rapprochement doivent être encouragés. Il faut par ailleurs renforcer les capacités de gestion des universités. La gouvernance doit être plus dynamique et plus démocratique par l'élection du président sur un mode de scrutin de type régional avec prime majoritaire. Nous préconisons la « collégialité » et cela ne signifie pas un retour à un processus de décision à 40, mais un président légitime qui s'entoure de vice-présidents en charge des différentes missions de l'université.
Pour ce qui est du doctorat, notre troisième recommandation, il doit être reconnu comme une expérience professionnelle. Comme l'a dit Claude Birraux, nous avons eu, tout au cours de l'année, beaucoup de contacts avec des doctorants, des docteurs, et des associations de docteurs.
Il faut améliorer la visibilité de leurs travaux. Il faut qu'ils aient l'occasion de présenter leurs thèmes de recherche devant des entreprises : l'université doit se placer au coeur du processus de recherche et d'innovation en mettant en avant les talents qui la composent. Il faut favoriser l'interdisciplinarité et décloisonner.
Les concours de la fonction publique doivent offrir des options scientifiques ; il faut que les administrations s'ouvrent aux sciences et aux scientifiques.
L'ouverture, l'interdisciplinarité, une meilleure organisation de la carrière des docteurs, voilà des moyens privilégiés pour dynamiser la recherche et permettre de changer les mentalités, pour ne plus opposer entreprises et universités, public et privé.
Les étudiants et doctorants sont plus enclins à être créatifs s'ils sont encouragés dans cette voie, s'ils en tirent des avantages en termes de perspectives de carrière, si l'organisation même de l'université leur offre les moyens d'avoir des contacts avec les entreprises et, éventuellement, de créer leur propre entreprise.
Dans le même esprit, notre quatrième recommandation porte sur l'élargissement des critères d'évaluation de la recherche, pour ne pas défavoriser les équipes interdisciplinaires. Les critères doivent être clairs, lisibles, et à terme harmonisés au niveau européen.
Il faut prendre en compte toutes les activités du chercheur, de la recherche pure à l'expertise, en passant par la valorisation et la diffusion de la connaissance. Tout cet édifice est nécessaire pour, à terme, une valorisation des résultats de la recherche bien plus efficace.
La valorisation de la recherche constitue notre cinquième axe de recommandations.
Notre questionnaire aux docteurs que vous trouverez en annexe du rapport le montre clairement : si la France dispose d'un réel potentiel, il est mal utilisé, et l'innovation et le transfert de technologies y sont moins dynamiques qu'à l'étranger.
Les structures mises en place depuis quelques années pour valoriser la recherche doivent évoluer en s'inspirant des modèles qui ont réussi à l'étranger.
Nos universités doivent s'approprier une fonction nouvelle de la valorisation qui doit être vue comme un service à la société. Ce concept peut sembler être un changement mineur, mais en réalité il constitue un changement de paradigme. En effet, l'université, et plus précisément sa fonction de valorisation de la recherche, ne sont plus uniquement vues sous l'angle de leur impact économique, mais par leur rôle vis-à-vis de leur environnement et des citoyens. Si la recherche doit générer de la valeur, cette valeur doit également être une réponse aux besoins exprimés par la société, et l'université doit s'assurer que le citoyen trouve sa place dans le processus d'innovation.
La valorisation de la recherche doit devenir un chantier prioritaire, d'autant plus que les moyens à mettre en oeuvre sont connus. Nous les décrivons dans notre rapport, en nous appuyant sur les exemples de Louvain la Neuve, de Leuven, de Twente, et d'Heidelberg. Ces universités ont réussi à adapter en Europe l'expérience des Etats-Unis, celles d'Harvard, du MIT, du Triangle de la recherche en Géorgie et en Caroline du Nord. Ces exemples européens ont abouti à des résultats remarquables.
Les solutions qui y sont mises en oeuvre sont très proches : elles reposent largement sur la mise en place dans les universités d'offices de transfert de technologie composés de professionnels de la valorisation : juristes pour les brevets, industriels pour la faisabilité, économistes et financiers pour le business plan.
Prenons conscience que les fonctions qu'ils peuvent remplir n'ont pas été identifiées en France. Dans nos universités, seules une ou deux personnes sont en général chargées de la valorisation de la recherche. Or ces fonctions sont essentielles pour identifier, dans les laboratoires mêmes, des brevets qui pourraient être déposés, pour aider les chercheurs dans le processus de création et de gestion d'une start-up, pour créer des liens entre chercheurs, managers, financiers, juristes et économistes.
, car le risque ne doit pas être synonyme d'incertitude. Innover, c'est changer, changer c'est risqué.
Il faut mettre en place une programmation pluriannuelle des crédits ainsi que des dispositifs fiscaux et des mesures tendant à promouvoir l'innovation, afin de créer un contexte fiscal, juridique, et social stable pour les entreprises innovantes et les investisseurs.
Nous proposons de créer un statut de l'Entreprise d'innovation et de croissance (EIC) afin d'assurer une continuité dans le processus d'innovation, et de ne pas discriminer les jeunes entreprises innovantes de celles qui existent depuis plusieurs années.
Nous devons mobiliser l'épargne des Français par des outils fiscaux plus adaptés pour l'investissement dans les Fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) et les Fonds d'investissement de proximité (FIP). Dans le même esprit, il faut maintenir en place les outils fiscaux à destination des business angels et faciliter la mise en place de fonds d'amorçage à capitaux privés à destination des entreprises innovantes
Sur la question des brevets, il faut créer un véritable espace européen de l'innovation avec un véritable brevet européen dont le prix doit être proche du prix du brevet américain. Plusieurs entretiens nous ont amenés à nous interroger sur le bien fondé de certaines catégories de brevets, par exemple dans les domaines du vivant, des technologies de l'information et de la communication, ou sur certaines innovations relevant du domaine de la santé.
60 % des 1300 docteurs que nous avons interrogés pensent que les peurs constituent un frein à l'innovation. Nous avons approfondi cette question pour les OGM. Nous pensons que l'expertise scientifique doit primer et qu'il faut mieux organiser le débat avec la société.
Rob Adam, ancien militant blanc de l'ANC, nous a expliqué pourquoi l'Afrique du Sud abordait différemment la culture des OGM. Son témoignage est repris dans notre rapport.
La septième recommandation plaide pour la mise en place d'outils de financement équilibrés.
La question du financement de l'innovation est essentielle, surtout dans le millefeuille institutionnel qui caractérise notre système.
Les modes de financement doivent permettre de le simplifier en incitant aux regroupements, tout en respectant un certain nombre d'équilibres : entre appels à projets et financements récurrents ; entre investisseurs publics et privés.
Sur le financement de la recherche, nous souhaitons que le rapport d'activité et les orientations stratégiques de l'ANR soient présentés et discutés annuellement devant l'OPECST, en amont de la discussion budgétaire.
Nous nous prononçons pour un accompagnement des start-up et des PME dans leur développement, afin qu'elles puissent passer la « vallée de la mort », dont vous trouverez une illustration en page 118 du tome 1 du rapport, ce moment très particulier de leur développement où elles n'arrivent pas à trouver de nouveaux financements.
Notre objectif est d'éviter que ces petites structures, qui ont su faire preuve de dynamisme et de sens du risque de manière beaucoup plus importante que les grands groupes, ne soient rachetées très rapidement par des groupes étrangers, comme c'est trop souvent le cas. Plusieurs exemples de start-up rachetées par des capitaux étrangers nous ont été relatées, par exemple par Mathias Fink dans l'audition publique du 26 mai 2011.
Pour accompagner la prise de risque à l'amorçage, nous pensons qu'il faut augmenter le nombre d'entreprises bénéficiant du système des avances remboursables à taux zéro et du fonds de garantie d'OSEO, et élargir le système de subventions et de garanties des fonds régionaux d'innovation constitués à parité par OSEO et les régions.
Toutefois, les financements publics ne sont pas la réponse à tout, et ne peuvent pas se substituer au venture capital outre mesure.
Nous proposons un système complémentaire simple, où l'avance remboursable ne constituerait que la base du financement public. Nous souhaitons que pour chaque euro investi par des moyens privés, OSEO fournisse un financement complémentaire d'un ou deux euros, dans une limite globale fixée au préalable. Ce dispositif permettrait ainsi d'inciter des co-financements public-privé.
Cela suppose également de compléter le crédit impôt recherche en le transformant en crédit impôt recherche innovation, pour le rendre plus efficace en accompagnant l'innovation jusqu'au marché, et pour réduire les effets d'aubaine. Il faut enfin simplifier les démarches administratives, mettre en place un véritable Small Business Act au plan européen, et développer le rôle d'OSEO, ses relations avec les régions à travers un guichet unique des outils de financement.
Le lien entre innovation et région doit être revu. S'il faut un Etat stratège, les outils administratifs et fiscaux de l'innovation doivent être décentralisés, car c'est au plus proche du terrain que se fait l'innovation.
Notre huitième recommandation prévoit de revoir le lien entre innovation et région. Nous plaidons pour un troisième acte de la décentralisation : en déclinant localement les actions du Fonds stratégique d'investissement (FSI) ; en unifiant les outils publics de financement au sein d'une banque publique de soutien à l'innovation dans chaque région ; en régionalisant les outils de défiscalisation ; en aidant les structures de petite taille qui ont décidé de se fédérer à répondre aux appels d'offre ; en réservant une part plus importante de la taxe d'apprentissage aux pôles universitaires ayant mutualisé leurs moyens.
Il faut promouvoir les relations entre PME et grands groupes au sein de l'écosystème créé par les pôles de compétitivité, et encourager la création de filières entre PMEPMI et grandes entreprises. Il faut mettre en réseau les pôles de compétitivité, les Instituts de recherche technologiques (IRT) et les instituts Carnot pour créer une quinzaine de grands écosystèmes d'innovation. Il faut simplifier les dispositions réglementaires et fiscales pour les industriels partenaires de ces structures, car elles sont pour l'instant très obscures. Ces industriels envisagent tous de les quitter si les conditions de leur participation ne sont pas clarifiées.
A propos d'écosystème, nous avons réalisé une audition sur l'avenir du Plateau de Saclay : la création de l'Université Paris Saclay suppose une accélération de la mutualisation des moyens, un projet d'urbanisation doté de transports modèles du point de vue de la sobriété énergétique, et un projet scientifique articulé autour de thématiques porteuses d'avenir en renforçant la composante innovation créatrice d'emplois. Il faut donc le faire piloter par une structure de gouvernance claire avec un Etat stratège, des collectivités respectées, et des organismes et universités ouverts sur l'écosystème local et international.
, en prévoyant tout d'abord de faire préciser par la loi les domaines d'application du principe de précaution, qui pour l'instant n'a de valeur constitutionnelle que pour l'environnement, et en faire un principe d'action.
Nous devons par ailleurs nous inspirer des exemples de débat public mis en place à l'étranger avec notamment un usage massif des nouvelles technologies, par la création de sites Internet thématiques participatifs, mis à jour régulièrement et effectuant un suivi des actualités scientifiques.
Il faut développer des cellules de veille des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, blogs,…) afin de prendre le pouls de la société et de pouvoir répondre aux interrogations dès qu'elles apparaissent ; un tel projet se trouve déjà, du reste, financé par les Investissements d'avenir.
Il faut créer une chaîne de télévision destinée à promouvoir la science et la culture scientifique, par exemple par la présentation des grands enjeux scientifiques d'aujourd'hui, dans un langage clair et accessible et dans un format interactif.
Il faut proposer plus largement des double cursus et des formations continues pour les journalistes, la haute administration et les juges, dans le domaine de l'épistémologie, et ce afin de diffuser au plus grand nombre les méthodes scientifiques et l'articulation des raisonnements scientifiques, de même que les concepts fondamentaux de la découverte scientifique.
Nous proposons de créer, au sein des universités et des organismes de recherche, des équipes de liaison avec les associations, afin d'organiser des services d'expertise et de conseil sur les thématiques sociétales. Il faut enfin que les universités aient également pour mission le service à la société.
Je me permets de rajouter deux points, puisque l'on parle des juges. Afin d'améliorer la qualité de l'expertise, il faut développer un système d'évaluation et de labellisation européen de l'expertise, afin de mettre un frein à la publicité donnée aux études d'experts autoproclamés. Il faut coordonner mieux les expertises nationales et européennes. Ces expertises doivent être collégiales, publiques et contradictoires.
Nous proposons de jeter les bases d'un Observatoire qui travaillera sur la cartographie des risques et de la perception des risques, afin d'établir une échelle des risques qui aurait vocation à devenir consensuelle.
Il faudrait aussi créer, auprès des cours administratives d'appel, des tribunaux de l'environnement, sur le modèle suédois, où travaillent ensemble magistrats et scientifiques.
La dernière série de recommandations porte sur le contexte international. Une approche européenne de ces problématiques est indispensable. Elle ne saurait toutefois se limiter à quelques domaines.
Il faut faire preuve d'un plus grand dynamisme et surtout d'imagination : il ne suffit pas de prévoir des programmes communautaires. Il faut passer à une autre dimension si l'on veut créer l'espace européen de la recherche. La politique européenne de recherche doit être repensée. On ne peut pas se contenter de grandes stratégies. Le temps des affirmations et des grandes déclarations est révolu.
Il faut enfin définir une vraie politique d'innovation européenne. La politique européenne a laissé trop de pouvoir au Commissaire à la concurrence, qui encourage une compétition sans limite entre les entreprises européennes ; ceci les affaiblit face aux sociétés étrangères pour lesquelles les exigences sont moins strictes et les moyens de coercition quasi-nuls.
Il nous faut sortir de la naïveté et de l'innocence.
Cette politique passera par le développement de relations bilatérales et multilatérales entre laboratoires de recherche ; la création de clusters européens qui seront des leaders mondiaux dans leur domaine ; la mise en place de coopérations transfrontalières et de zones franches transfrontalières ; la réalisation d'études thématiques européennes. Leur impact financier supplémentaire est faible, mais leurs effets peuvent être très importants, si l'on parvient à insuffler aux laboratoires et aux chercheurs l'envie de travailler ensemble aux niveaux de l'Europe et du monde.
Nous proposons de transformer le Conseil de recherche européen (ERC) en une véritable agence européenne de recherche co-finançant les projets de recherche prioritaires avec les Etats membres.
Il nous faut ainsi mettre en place un programme beaucoup plus ambitieux de recherches thématiques et d'études au niveau européen, et des procédures claires, simplifiées et moins bureaucratiques, notamment au niveau des appels d'offre. Il faut également favoriser les doctorats en co-tutelle, et simplifier les dispositifs d'accueil des étudiants étrangers.
Nous devons également renforcer les coopérations avec les pays du Sud, notamment autour de projets thématiques tels que l'agriculture, l'énergie, l'eau, et la santé. Enfin, nous proposons de lancer un grand projet européen de financement de l'innovation, adossé à la Banque Européenne d'Investissement, soutenant le venture capital et le capital développement tout en favorisant la mise en réseaux d'entreprises innovantes européennes, à nouveau dans cet esprit d'écosystème favorable.
A propos de notre questionnaire, qui a porté sur un panel de plus de 1 000 docteurs et doctorants, nous noterons notamment les points suivants :
- le doctorat sensibilise de mieux en mieux aux questions de propriété intellectuelle et à la création d'entreprise. En effet, près de 70% de ceux l'ayant soutenu avant 2000 nous ont dit ne pas avoir entendu parler de ces questions, contre 50% pour les promotions les plus récentes ;
- quelle que soit l'année de soutenance, 50% environ des sondés nous ont indiqué que l'établissement de préparation ne disposait d'aucune structure de valorisation, d'aide à la création d'entreprise, ou d'aide à la réponse aux appels d'offre. Cette stagnation, au regard des exemples internationaux qu'il nous a été donné de voir, est dramatique et notre rapport doit contribuer à faire évoluer ce pourcentage à la hausse ;
- plus de 80% des doctorants et docteurs interrogés pensent que de nouveaux mécanismes doivent être mis en place pour favoriser l'innovation, et plus de 75% des répondants qui étaient ou sont encore à l'étranger pensent que l'innovation y est plus dynamique qu'en France ;
- si les partenariats public-privé sont relativement bien développés, la mise en place de cellules de détection des résultats valorisables est balbutiante, ce qui s'accorde bien avec l'absence de structure professionnelle de valorisation de la recherche indiquée précédemment ;
- près de 60% des sondés pensent que les peurs constituent un frein important à l'innovation en France ;
- plus de 85% des sondés considèrent que la France ne fait rien pour favoriser l'innovation de rupture ; pourtant, plus de 80% pensent que la France dispose d'un fort potentiel d'innovation ;
Font défaut les structures qui doivent permettre de passer d'une recherche considérée unanimement comme l'une des meilleures du monde à une innovation exploitable.
Si la France dispose d'un fort potentiel, l'innovation y est considérée comme moins dynamique que dans les autres pays.
Notre questionnaire sur le dialogue intergénérationnel sur l'innovation, les peurs et les risques, a porté sur environ 250 jeunes lycéens, étudiants de Sciences-Po, et spécialistes des risques.
Ce questionnaire a montré que les jeunes considèrent que les innovations des prochaines années concerneraient les énergies vertes et les transports, que le risque zéro n'existe pas, que la société actuelle est plus risquée qu'auparavant.
Les adultes interrogés ne partagent pas ce dernier point de vue, et pensent que la différence principale est que l'on communique davantage sur le risque.
Les lycéens estiment que la créativité et la spontanéité ne sont pas assez développées à l'école. Ils craignent la robotique, les innovations trop rapides en matière médicale. Ils sont très sensibilisés à la question du réchauffement climatique.
Les adultes spécialistes de la maîtrise des risques évoquent notamment les questions éthiques comme les plus problématiques.
Déjà avant Fukushima, les lycéens considéraient le risque nucléaire comme majeur, contrairement aux adultes et aux étudiants de Sciences-Po. Par contre, les lycéens ne sont pas sensibles aux risques liés aux OGM, aux nanotechnologies et aux ondes électromagnétiques.
Je suis impressionné par le travail accompli. Comment imaginez-vous la concrétisation de ces propositions ? Proposerez-vous des textes réglementaires ou législatifs ? Envisagez-vous des concertations ?
Ce rapport sera largement diffusé, par le biais d'un DVD Rom à tous les pôles de Compétitivité, aux IRT, aux universités. Il faudrait en effet que l'OPECST en assure le suivi lors de la prochaine législature.
Quelles suites allez-vous donner à vos propositions dans l'enseignement ?
Sans le dire explicitement, nous jetons les bases d'une transformation totale du système de transmission du savoir.
Il faut lire les contributions de MM. Etienne Klein, Cédric Villani, François Taddéi dans le tome 2 du rapport. Nous pensons qu'il faut les entendre, et changer la manière de transmettre la connaissance. J'ai peur qu'au lieu d'être rentrée de plein pied dans le XXIème siècle, la transmission du savoir soit restée bloquée à l'époque de Jules Ferry.
Remarquons que l'enseignement des langues est plus dynamique, plus vivant et plus innovant à l'école primaire qu'au collège.
A Grenoble, nous menons une expérience « nano@school » pour toucher toutes les classes de seconde et de première du département de l'Isère, à partir d'expérimentations faites par des volontaires.
Il faut avoir conscience que les « Key enabling technologies » européennes permettent de travailler sur l'élargissement de la recherche à l'horizon 2020, en intégrant l'innovation. Jean Therme en est responsable.
J'ai également été très intéressée par votre présentation. Pourquoi n'avez-vous pas posé plus explicitement la question de la fusion des universités et des grandes écoles, qui vous aurait permis d'aller au bout de votre logique et de votre raisonnement décapant ?
Il faut prendre au mot l'Europe quand elle parle de la formation tout au long de la vie et de l'e-learning. Il faut que les sciences dures et les SHS marchent de pair. Les sciences dures n'évitent malheureusement pas l'aveuglement et les erreurs, comme le montre la présence de médecins et d'ingénieurs dans les sectes.
Nous préférons parler de rapprochement, de soutien à la fusion des organismes d'enseignement. En effet, c'est bien cela qui est au bout de la logique que nous proposons.
Nous souhaitons promouvoir les SHS, et c'est ce que fait l'OPECST en intégrant toujours des représentants de SHS dans les comités de pilotage de ses études. Nous venons d'apprendre que Sciences-Po envisage une étude quantitative et qualitative sur les modalités de fonctionnement des réseaux sociaux.
Nous avons abordé des risques très différents. Il faut traiter le risque perçu, et être plus consensuels sur les risques. La précaution, c'est plus de recherche quand on est dans le domaine du « risque du risque ». On va parfois trop vite entre le temps de la recherche et le temps de l'application. Nous allons reprendre votre suggestion concernant l'e-learning et la formation tout au long de la vie, c'est en effet un point important.
Votre travail est ambitieux, peut-être trop ambitieux ? Comment peut-on le traduire concrètement, notamment en ce qui concerne l'Europe, les régions et les débats avec la société ? Ne faudrait-il pas indiquer quelles recommandations pourraient être mises en place à court terme, et celles qui relèvent du moyen et du long terme ? Par ailleurs, certaines peurs de la société correspondent-elles à une auto-censure ?
L'audition de l'OPECST sur les investissements d'avenir du 17 janvier 2012 a montré ce qui pouvait être fait pour inciter les structures à se regrouper. L'interface entre recherche fondamentale et applications, entre recherche et société existe dans de nombreux pays. Il existe un système qui permet de mieux l'organiser, et nous pouvons le mettre en place rapidement.
Faire un bilan de la politique de l'innovation implique d'être ambitieux. Aujourd'hui, on a perdu en France de nombreux emplois industriels, et l'on a gagné peu d'emplois dans les nouvelles technologies, comme les technologies vertes, ou les tablettes, contrairement à des pays comme la Corée ou l'Allemagne.
Il est possible d'appliquer certaines de nos propositions dès maintenant, mais il faudra plus de temps pour d'autres, comme celles portant sur une nouvelle approche de la transmission du savoir.
Il faut aussi ne pas se baser uniquement sur des considérations financières ; la plupart des recommandations peuvent être faites à budget constant, en changeant les mentalités et en redéployant les fonds utilisés inefficacement.
A la suite de ce débat, l'OPECST a adopté à l'unanimité les recommandations du rapport dont il a également autorisé la publication.