Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Commission des affaires étrangères

Séance du 9 novembre 2011 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • ASA
  • adhésion
  • balkans
  • kosovo
  • serbe
  • serbie
  • stabilisation

La séance

Source

Serbie : ratification de l'accord de stabilisation et d'association avec la Communauté européenne et ses Etats membres (n° 3659)

La séance est ouverte à neuf heures trente.

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Pierre Dufau, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Serbie, d'autre part (n° 3659).

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

La perspective d'adhésion à l'Union européenne des pays des Balkans occidentaux a été affirmée dès juin 1999 par le Conseil européen de Cologne, puis rappelée à échéance régulière, notamment par le Conseil européen de Thessalonique de juin 2003. Cette perspective a alors été définie sous la forme d'un « processus de stabilisation et d'association », cadre institutionnel et politique qui se matérialise notamment par la signature avec chaque pays d'accords de stabilisation et d'association, les ASA. A ce jour, tous les pays de la région à l'exception du Kosovo ont signé un tel accord avec la Communauté européenne.

Le projet de loi qui nous est soumis tend à autoriser la ratification de l'ASA avec la Serbie, après que notre Assemblée a déjà approuvé ceux avec l'Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), la Croatie, l'Albanie, le Monténégro et la Bosnie Herzégovine. Le Sénat a déjà approuvé cette ratification.

La décennie des années 2000 se caractérise par un virage politique en Serbie et un rapprochement continu avec l'Union européenne. Le Président serbe Boris Tadić, que nous avons reçu en avril dernier, a fait de l'ancrage européen de son pays un marqueur de sa politique et a démontré son attachement indéfectible à la poursuite de cet objectif.

La coopération entre l'Union européenne et la Serbie se développe largement au moyen de l'instrument d'aide à la pré-adhésion. La Serbie en est le premier bénéficiaire dans les Balkans avec 1,395 milliard d'euros sur la période 2007-2013. Cet instrument cible ses projets dans le cadre des priorités politiques définies par l'UE. Ainsi la programmation 2011 se concentre-t-elle sur les secteurs de la Justice et des Affaires intérieures, de la réforme de l'administration publique, du développement social, du secteur privé, des transports, de l'environnement et de l'énergie.

Par ailleurs, la Serbie bénéficie, depuis le 19 décembre 2009, comme le Monténégro et la Macédoine, d'une levée de l'obligation de visas de court séjour.

Enfin, dans le domaine de la Politique de sécurité et de défense commune, la Serbie a signé avec l'UE, le 8 juin 2011, un accord établissant un cadre pour la participation de la Serbie aux opérations de gestion de crises. Le pays avait au préalable signé avec l'UE, le 26 mai 2011, un accord sur les procédures de sécurité pour l'échange d'informations classifiées et leur protection.

Le 22 décembre 2009, la Serbie a déposé sa demande de candidature à l'adhésion à l'Union européenne. Retardée par des débats sur la question du Kosovo, la transmission de la demande par le Conseil à la Commission européenne a été faite le 25 octobre 2010. La Commission européenne a recommandé le 12 octobre dernier l'octroi à la Serbie du statut de « pays candidat », tout en posant des conditions à l'ouverture des négociations : plusieurs domaines clés doivent préalablement faire état de progrès significatifs, notamment la normalisation des relations avec le Kosovo, une coopération active avec la mission EULEX, le respect des principes de la coopération régionale et la poursuite de la mise en oeuvre « de bonne foi » de tous les accords finalisés. Concernant l'intégration de l'acquis communautaire l'avis de la Commission est positif sur la politique de défense, de sécurité et d'affaires étrangères et sur les relations extérieures. Il estime en revanche insuffisants les efforts effectués en matière de droits fondamentaux et judiciaires, et de justice et affaires intérieures.

Concernant les relations de voisinage, sur lesquelles cet avis insiste, elles se sont grandement améliorées et l'ASA leur permettront de se développer. La normalisation des relations avec la Croatie et la Bosnie-Herzégovine mérite d'être signalée : déplacement du président serbe Tadić dans la ville de Vukovar le 4 novembre 2010, établissement d'un agenda pour normaliser la situation des réfugiés croates en Serbie, plein soutien aux accords de Dayton-Paris et à l'intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine, déclaration du Parlement serbe de mars 2010 condamnant le massacre commis à Srebrenica et participation de Boris Tadic à sa 15ème commémoration. Ce sont des faits qui ont eu un impact important dans les Balkans. La Serbie participe au Programme de coopération de l'Europe du Sud-Est (SEECP), elle est membre du Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est, devenu en 2008 le Conseil Régional de Coopération, et de l'Accord de libre-échange d'Europe centrale et orientale. La situation est évidemment plus compliquée avec le Kosovo.

Mais c'est la question de la coopération avec le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie qui a bloqué le processus de ratification de l'ASA. Il a été signé à Luxembourg le 29 avril 2008, après quelques retards et il a fallu attendre le rapport du Procureur général du TPIY au Conseil de sécurité de juin 2010, pour que les Pays-Bas lèvent enfin leur veto à la ratification. Le 14 juin 2010, le Conseil Affaires étrangères décidait le lancement du processus. Le 19 janvier 2011, le Parlement européen donnait son accord à l'approbation de l'ASA.

Les deux derniers fugitifs suspectés de crimes de guerre ont été arrêtés et transférés au TPIY cette année : Ratko Mladić le 26 mai 2011 et Goran Hadžić le 20 juillet 2011. Ces arrestations démontrent, s'il était encore besoin, la fidélité des autorités serbes à leurs engagements et le bien fondé du lancement du processus de ratification. La France se doit désormais de remplir ses obligations, comme l'ont déjà fait 20 autres Etats membres de l'Union européenne.

Les dispositions de l'ASA avec la Serbie sont pour la plupart identiques ou analogues à celles contenues dans les accords signés avec les autres pays des Balkans. La principale différence réside dans le calendrier d'entrée en vigueur de certaines dispositions. L'accord prépare les conditions d'adhésion de l'Etat, sans se traduire par la mise en oeuvre de l'intégralité de l'acquis communautaire. Il est à la fois asymétrique, c'est-à-dire avantageant la Serbie dans le rythme et l'étendue des concessions tarifaires, et progressif dans le temps. L'accord a pour objet de créer, au terme d'une période de transition de six ans, une association entre l'Union européenne et la Serbie. Cette association repose sur sept piliers :

– l'établissement d'un dialogue politique avec la Serbie ;

– le renforcement de la coopération régionale, notamment par l'établissement de zones de libre-échange entre les pays de la région ;

– l'établissement d'une zone de libre-échange entre l'UE et la Serbie ;

– les garanties relatives à la libre circulation des travailleurs, à la liberté d'établissement, à la prestation de services, à la circulation des capitaux ;

– l'alignement de la législation serbe sur celle de l'UE, notamment dans les domaines essentiels du marché intérieur ;

– la coopération avec la Serbie dans un large éventail de domaines, notamment la justice, la liberté et la sécurité ;

– la création d'un conseil de stabilisation et d'association chargé de superviser la mise en oeuvre de l'accord, d'un comité de stabilisation et d'association et d'une commission parlementaire de stabilisation et d'association.

Les conséquences attendues de l'accord sont donc politiques mais aussi bien évidemment économiques. La Serbie constitue la deuxième économie de la région de l'ex-Yougoslavie malgré ses faiblesses, avec un PIB de 5750 dollars américains par habitant. Elle a été très durement touchée par la crise. 85 % de l'investissement direct étranger en Serbie, dont elle est dépendante pour équilibrer sa balance des paiements, provient de l'UE. L'UE est également le premier partenaire commercial de la Serbie, qui réalise avec elle 80 % de ses exportations avec une balance commerciale largement déficitaire.

Plusieurs mesures de libéralisation des échanges entre la Serbie et l'UE pré-existent à l'accord de stabilisation et d'association :

– le règlement de septembre 2000 entré en vigueur en 2006 qui accorde un accès illimité en franchise de droits au marché de l'Union, pour la quasi-totalité des produits originaires des Balkans occidentaux à l'exception de certains produits agricoles (« baby beef », sucre, vins et certains produits de la pêche). Ces mesures commerciales autonomes continueront à s'appliquer lorsqu'elles sont plus favorables que l'ASA ;

– ensuite, l'UE et la Serbie ont signé un accord sur les produits textiles, entré en vigueur en juillet 2005. La libéralisation complète du marché a été achevée en janvier 2008.

La partie commerciale de l'ASA, reprise dans l'accord intérimaire signé le même jour et entré en vigueur le 1er février 2010, a été mis en oeuvre de façon unilatérale par la Serbie dès le 31 janvier 2009. Les concessions tarifaires sur les importations de produits communautaires sont donc déjà effectives depuis deux ans et demi. En revanche, l'ASA conduira la Serbie, au terme de six ans, à éliminer tous ses droits à l'importation de produits industriels communautaires et de produits agricoles transformés, outre les produits cités précédemment. La liberté d'installation, d'acquisition des biens immobiliers et la libre circulation des capitaux seront également garanties.

Il convient de souligner que, malgré un calendrier progressif, la Serbie devra, pour absorber l'ouverture, renforcer sa capacité exportatrice, particulièrement en améliorant sa compétitivité dans les secteurs de l'agriculture, de l'automobile et de l'électronique, et investir dans les infrastructures essentielles. A cet égard, il existe un intérêt mutuel à ce que la France renforce son implantation en Serbie, d'autant que, comme vous le savez, des liens historiques forts et amicaux existent entre nos deux pays.

L'entrée en vigueur de l'accord de stabilisation et d'association permettrait d'enclencher véritablement la marche vers l'adhésion à l'Union européenne de la Serbie. La Serbie a encore des progrès à accomplir et l'ASA entend précisément structurer les avancées nécessaires pour approfondir l'intégration de la Serbie à l'Union européenne et au sein des Balkans occidentaux.

Pour la France, cette ratification s'inscrit logiquement dans le soutien constant affiché à la Serbie quant à son adhésion à l'Union européenne et dans le développement de nos relations bilatérales, aussi anciennes que denses, comme le traduit la signature d'un accord de partenariat stratégique le 8 avril 2011, à l'occasion de la visite en France du Président Boris Tadić. Je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi.

Le président Axel Poniatowski. Je vous rappelle que nous auditionnons le ministre serbe des Affaires étrangères, M. Vuk Jeremić, le 15 novembre à 17h30, et que l'accord de stabilisation et d'association passera en séance publique le 24 novembre.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Je partage l'avis du Rapporteur sur le lien très fort qui existe entre la Serbie et la France. J'ai l'impression qu'il ne s'est rien passé ces trois dernières années. On passe des accords d'entrée dans l'Union européenne, comme si l'Union européenne allait bien, comme il y a dix ans. Or nous sommes dans une crise de l'Union européenne. On pourrait penser que l'entrée de nouveaux pays dans l'Union se ferait selon de nouveaux critères, mais je suis assez surpris de constater que rien n'a changé. Je connais la motivation de ces pays pour rentrer dans l'Union, ils font beaucoup d'efforts. Mais l'Union européenne a-t-elle intérêt à poursuivre dans la voie de l'élargissement ? Je n'ai pas la réponse mais c'est une vraie question politique.

PermalienPhoto de Dominique Souchet

Ma première question porte sur le Monténégro. Le Rapporteur nous a rappelé qu'un accord de stabilisation et d'association avait été signé avec le Monténégro. Où en est la procédure d'adhésion ? Le Monténégro a obtenu l'année dernière le statut de candidat et la Commission européenne a fait une proposition d'ouverture des négociations. Le Conseil prévoit-il pour le Monténégro un calendrier disjoint de ce qui est prévu pour la Serbie. Ma seconde question porte sur les propos de la chancelière Angela Merkel lors de sa visite à Belgrade en août. Elle avait exigé notamment le démantèlement complet des institutions serbes au Kosovo : écoles, hôpitaux, etc. Ces déclarations correspondent-elles à des exigences de l'Union européenne ou sont-elles propres à Mme Merkel ?

PermalienPhoto de Jean-Louis Christ

La lutte contre la corruption et le crime organisé a été un des points essentiels de la normalisation avec ce pays. Où en est-on aujourd'hui ? Par ailleurs, la reconnaissance du Kosovo par la Serbie est-elle une condition de son adhésion à l'Union européenne ?

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

M. Lecoq pose la question de la politique d'intégration des futurs Etats à l'Union européenne, notamment ceux des Balkans, dans un contexte de crise. Sa réflexion est juste et pertinente. La difficulté réside dans le fait qu'un certain nombre de pays qui ont entamé des négociations ne souhaitent pas être victimes de cette situation. Le train est parti et continue d'avancer, mais il faut aussi réfléchir dans le même temps à remettre l'ouvrage sur le métier pour mener une réflexion sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Pour répondre à M. Souchet, je rappelle que la Serbie a été amputée du Monténégro suite au référendum de 2006, puis du Kosovo suite à sa déclaration d'indépendance. Cela fait beaucoup sur une période très courte. Concernant les calendriers des négociations d'adhésion, ceux de la Serbie et du Monténégro sont disjoints. Je souligne également qu'il faut bien distinguer l'accord de stabilisation et d'association des négociations d'adhésion ; ce sont deux moments différents. L'entrée en vigueur de l'accord de stabilisation et d'association ne vaut pas accord à l'intégration de la Serbie.

Quant aux déclarations de Mme Merkel, elle n'est pas la seule à insister sur la question du Kosovo. On ne peut pas dire expressément que c'est une condition à l'adhésion mais il y a de fortes présomptions que ce le soit en pratique, même si les pays européens n'ont pas tous reconnu le Kosovo. Ne l'ont ainsi pas reconnu la Roumanie, l'Espagne, la Grèce, la Slovaquie et Chypre. Tant que la situation n'est pas normalisée, ce sera un obstacle.

Je rappelle qu'avec mon collègue Jean-Michel Ferrand, nous avions fait en tout début de législature un rapport sur la situation au Kosovo, dans lequel ces questions étaient déjà posées. C'est dans le cadre du dialogue entre Belgrade et Pristina, sous l'égide de l'Union européenne, qu'elles sont traitées. Ce dialogue est parfois difficile, comme toute négociation.

Concernant les infrastructures serbes au Kosovo, il y a effectivement des problèmes concernant notamment les écoles et églises orthodoxes, surtout au nord du Kosovo. Nous avions proposé que ces structures, en particulier celles appartenant au clergé orthodoxe, soient classées patrimoine mondial de l'humanité. La question des églises et des mosquées brûlées suscite toujours une émotion vive.

Le crime organisé et les questions de justice en général sont un des volets pour lesquels le partenariat sera renforcé par l'accord de stabilisation et d'association. En la matière, des progrès considérables restent à accomplir en Serbie, mais aussi au Kosovo.

PermalienPhoto de Michel Terrot

Ma première question portait sur le Monténégro, elle a été posée et vous y avez répondu. Je souhaiterais également avoir des précisions sur la situation de la minorité serbe au Kosovo. Des exactions très graves ont été commises à son encontre en représailles. On nous dit qu'il ne faut pas mettre en avant ces évènements si l'on souhaite avancer dans la normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo, mais on ne peut occulter des actions de destruction de ce qui a été le coeur de la civilisation serbe. Ces exactions se sont-elles arrêtées ? La situation s'est-elle stabilisée ? Avez-vous le sentiment d'une amélioration ?

PermalienPhoto de Jean-Michel Ferrand

Je souhaiterais revenir sur l'attitude des Pays-Bas. Ils voulaient se blanchir de leur attitude lors des massacres de Srebrenica et n'ont manifestement pas eu une attitude normale à l'égard des Serbes. Par ailleurs, où en est l'enquête sur la disparition présumée de Serbes au Kosovo pour un trafic d'organes, dont l'existence, si elle était avérée, serait particulièrement grave ? Il est essentiel d'avoir une réponse là-dessus. Enfin, comme vous le savez, je suis favorable au rapprochement avec la Serbie.

PermalienPhoto de Nicole Ameline

Je voudrais féliciter le Rapporteur et naturellement approuver cet accord. Il faut l'utiliser me semble-t-il pour faire pression afin que le dialogue politique, notamment avec le Kosovo, avance. Il y a encore de nombreux incidents sur le terrain et il est temps que la politique se substitue aux conflits. D'autre part, il faut insister sur la coopération avec la justice internationale et le progrès de l'Etat de droit. S'agissant des populations déplacées, beaucoup de problèmes persistent sur le terrain qui doivent être réglés. Enfin je voudrais insister sur la question des trafics. Les trafics d'êtres humains sont considérables et la question de ce nouvel esclavage impose une telle coopération régionale qu'il faut pouvoir revenir sur ce sujet à tous les niveaux et dans tous les accords.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

En ce qui concerne les minorités serbes au Kosovo, il y a deux millions d'habitants dans ce pays, dont moins de 100 000 Serbes. Il y a donc déjà eu de nombreux départs. Dans le sud du Kosovo, la population serbe est plus réduite et vieillissante et mieux assimilée à la population. Les troubles sont faibles. Il y a davantage de problèmes à la frontière entre la Serbie et le Kosovo dans le Nord, où la population est plus jeune et où les échanges sont plus fréquents avec la Serbie, engendrant des tensions récurrentes.

Il y a eu des déplacements de population et des atrocités dans tous les camps. Ce n'est donc pas facile de parvenir à une réconciliation. C'est le sens du dialogue politique qui est lancé. Les questions évoquées par Mme Ameline, qu'il s'agisse de la coopération avec la justice, des populations déplacées ou des trafics, dépassent la Serbie et le Kosovo et concernent plus largement toute la région. La coopération régionale est précisément un axe fort de l'accord de stabilité et d'association. Pour faire face à ces problèmes, il n'y a que deux voies : soit l'on fait de leur règlement et de la normalisation une condition sine qua non, soit l'on inclut tous les pays dans un processus qui favorise la coopération régionale pour les régler. Je ne pense pas qu'on traitera mieux ces questions là en excluant les pays concernés ou en ayant une approche bilatérale.

Concernant les Pays-Bas, s'ils ont été si durs envers la Serbie, c'est sans doute parce qu'ils étaient chargés de surveiller le secteur de Srebrenica lorsque ont eu lieu les massacres et qu'ils ont souhaité partager cette responsabilité.

Concernant les trafics d'organes, une enquête a été ouverte. Les Serbes se révèlent d'excellents diplomates en refusant de mêler ces questions à celles traitées dans le cadre du dialogue avec le Kosovo. Ils ont toujours fait preuve d'habileté en dissociant les dossiers et en ayant recours à l'expertise ou la justice internationales. Ainsi, lors de l'indépendance du Kosovo, ils ont pris acte de la déclaration unilatérale et ont saisi la justice internationale qui les a déboutés.

Je souhaite rappeler que lors de la dernière campagne présidentielle serbe, le président Tadić était donné battu. C'est en continuant de parler de l'Union européenne contre vents et marées qu'il a renversé l'opinion publique en transformant l'élection en un choix entre le rapprochement avec l'Union européenne et une aventure incertaine. Il a alors fait preuve d'un courage politique remarquable.

PermalienPhoto de Serge Janquin

Je vous remercie, M. le Rapporteur, d'avoir rappelé l'ancienneté et l'intensité des relations franco-serbes. Il me semble néanmoins que l'on ne peut pas envisager de conduire le processus d'entrée de la Serbie dans l'Union européenne sans traiter en parallèle ses relations avec le Kosovo. Naturellement, les Serbes souhaitent que ces deux questions soient découplées. Mais il faut bien voir que, bien plus que le règlement dans les moindres détails des relations commerciales, qui figure dans l'accord, l'important reste la pacification des Balkans sur le long terme. Je n'étais favorable ni à l'indépendance du Kosovo, ni à sa reconnaissance, mais c'est chose faite et il faut s'en accommoder. Un ambassadeur de Russie me disait que le règlement du problème kosovar prendrait au moins autant de temps que celui de la partition de Chypre ! Pour éviter cela, il faut s'appuyer sur le processus de rapprochement entre la Serbie et l'Union européenne pour exercer une forte pression en faveur de la normalisation des relations serbo-kosovares.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Soyons réalistes ! Alors que l'Union s'apprête à faire de la Croatie l'un de ses membres, elle ne peut refuser de traiter la Serbie de la même manière ! Il ne faut pas oublier que l'adhésion de la première relève d'une stratégie d'influence allemande, qu'il faut contrebalancer par l'adhésion de la Serbie.

Mais cette perspective d'adhésion doit aussi nous conduire à regarder en face l'Union européenne telle qu'elle existe aujourd'hui. Le Président Giscard-d'Estaing a toujours dit que l'élargissement de l'Union devait s'accompagner d'autre chose : cet « autre chose » n'est jamais venu ! Nous allons bientôt avoir une Union à trente membres ! Il est urgent de remettre à plat ses modalités de fonctionnement pour éviter sa totale paralysie.

PermalienPhoto de Jean-Claude Guibal

Je trouve moi aussi curieux que nous examinions de nouveaux accords d'association avec l'Union européenne dans la situation actuelle d'incertitude sur l'avenir de celle-ci. Nous continuons à nouer des relations institutionnelles dont le bien-fondé appartient à un monde en train de disparaître. Est-ce vraiment le moment, alors que la logique même de la construction européenne est en question, alors que nous mesurons les conséquences de l'adhésion à l'Union d'Etats présentant des niveaux de développement trop hétérogènes ? En ratifiant cet accord d'association, ne donnons-nous pas de faux espoirs à la Serbie ? N'est-ce pas déloyal de notre part ?

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

Je partage un grand nombre des réflexions qui viennent d'être faites. Il est évident que l'amélioration des rapports entre la Serbie et le Kosovo sera un élément clé pour l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne. Sans des relations clairement établies entre eux, il n'y aura pas de développement serein de cette région.

Derrière cet accord d'association apparaissent des problèmes d'ordre politique qui ne peuvent être résolus par des réponses économiques. Mais il me semble essentiel de mettre en place des structures de coopération régionale afin de déclencher un mouvement général. Le dialogue, la participation sont toujours préférables au déni : mieux vaut pousser les Etats et les peuples à discuter des problèmes qu'ignorer ces derniers.

Les jeux d'influence dans cette région sont évidents : n'est-ce pas l'Allemagne qui a poussé à la reconnaissance de la Croatie, dès après la chute du mur de Berlin ?

Il y a évidemment des choses plus urgentes à faire dans l'Union que la mise en oeuvre de cet accord. Mais je ne pense que pas que celui-ci traduise une attitude déloyale de l'Union vis-à-vis de la Serbie dans la mesure où il est clair qu'il ne constitue qu'un pas, que l'adhésion ne peut s'envisager qu'à long terme et que la question du Kosovo doit être réglée au préalable. Il faut tout de même garder à l'esprit que la Serbie compte 7 millions d'habitants, ce qui est beaucoup au regard de la population des Balkans, et que les Serbes sont 12 à 13 millions si on compte la diaspora.

PermalienPhoto de Hervé de Charette

La Serbie est, de tous les Balkans, le pays le plus important et celui qui a les relations les plus fortes avec la France. Sur un monument situé près de l'ambassade de France à Belgrade, on peut lire cette formule : « Aimons la France comme elle nous a aimés » : on ne voit cela nulle part ailleurs dans le monde ! Il faut absolument que nous renouions un lien de cette intensité et que la Serbie redevienne notre premier partenaire régional.

L'Union européenne et la France ont contribué à la désagrégation progressive de la Yougoslavie et l'intégration à l'Union des six Etats qui en sont issus apparaît inexorable. Les pays d'Europe centrale et orientale en entrant dans l'Union sans en comprendre l'esprit en ont compliqué le fonctionnement. L'adhésion de ces Etats qui ont entre eux des relations exécrables rendra inopérants les instruments sur lesquels le fonctionnement de l'Union repose. Les grands pays européens ont fait preuve de faiblesse à l'égard des peuples des Balkans et l'indépendance du Kosovo n'a fait que compliquer encore la situation. Nous n'assumons pas nos responsabilités mais préparons la destruction de l'Union. La Croatie et la Serbie sont les seuls Etats dont le peuplement est homogène alors que la survie de la Macédoine et de la Bosnie-Herzégovine reste incertaine. Mais même ces deux relativement grands Etats sont dépourvus d'une véritable vision européenne. C'est pourquoi je peux difficilement voter cet accord.

PermalienPhoto de Rudy Salles

Je crois que nous sommes d'accord sur le fait qu'il faut à la fois reconnaître les liens historiques entre la Serbie et l'Union européenne et éviter de faire miroiter à la première la perspective d'une adhésion rapide. Le processus de rapprochement peut néanmoins, comme en Turquie, conduire la Serbie à réaliser des progrès, même si la perspective d'adhésion est lointaine.

PermalienPhoto de François Loncle

Vous connaissez mes réticences anciennes sur la politique française à l'égard du Kosovo, notamment celle conduite par M. Bernard Kouchner. La géographie fait l'histoire, mais cette dernière aime prendre son temps. Les Etats de l'ancienne Yougoslavie ont vocation à rejoindre l'Union européenne un jour. Mais avant cela, il faut surmonter les difficultés nées des conflits des années 1990. La Bulgarie, la Roumanie, la Slovénie sont membres de l'Union ; la Croatie les rejoindra très prochainement : l'entrée de la Serbie ne posera pas plus de problèmes. Pour les autres Etats, comme la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo, il faut attendre que la géographie achève de faire l'histoire.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

Je constate que, en partant de la Serbie, nous avons surtout parlé de l'Union européenne ! La Serbie a joué le rôle de révélateur : au fond, ce n'est pas elle qui suscite le malaise qui vient d'être exprimé. Le problème vient bien plus de l'Union elle-même que des Etats balkaniques. L'Union telle qu'elle existe aujourd'hui a fait son temps : il faut désormais repartir sur de nouvelles bases. Cela relève d'un processus irréversible, mais, pour paraphraser Jean Cocteau, puisque ces événements « nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs ». La géographie fait l'histoire, mais cela prend du temps. « L'éternité, c'est long. Surtout vers la fin » disait Woody Allen. Pour conclure, j'inverserai la formule du monument à l'amitié franco-serbe de Belgrade pour nous appeler, nous Français, à aimer la Serbie comme elle nous a aimés !

Le président Axel Poniatowski. Je ferais à mon tour trois remarques. D'abord, contrairement à la Turquie, les Balkans font incontestablement partie de l'Europe. Ensuite, il est tout aussi évident que ces Etats ne sont pas prêts à devenir membres de l'Union et nous mesurons désormais les dégâts causés par l'intégration d'Etats insuffisamment préparés. L'objet de cet accord est justement de contribuer à cette préparation : la situation politique, économique et même philosophique doit être améliorée, ce qui ne peut se faire en un jour. Nous ne devons accepter l'adhésion de ces pays que lorsqu'ils seront prêts.

Enfin, je suis persuadé que nous allons vers une Europe à deux vitesses : une Europe de la zone euro d'une part, et une Europe des autres Etats d'autre part, dont les rythmes d'intégration et d'approfondissement seront différents.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 3659).

La séance est levée à dix heures trente.