Avis sur les crédits de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2012
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission des affaires étrangères examine pour avis, sur le rapport de M. Jean-Michel Boucheron, les crédits de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2012.
Le budget pour 2012, d'environ 30 milliards d'euros, permet de financer une quinzaine de milliards d'euros d'investissements, dont 5 milliards environ pour notre outil de dissuasion nucléaire. Ce budget est, selon le ministre de la défense, dans la ligne de la loi de programmation militaire 2009 – 2014, en vérité en dessous des objectifs de dépenses, mais la différence est moindre que pour d'autres lois de programmation.
Toutefois, il existe un risque lié au financement, à hauteur d'un milliard d'euros, par des recettes exceptionnelles, qu'il faudra réaliser sous la forme de cessions de fréquences et de ventes immobilières. Ce budget sera donc, comme tous les précédents, difficile à tenir en exécution : il n'y a là rien de très nouveau.
Le ministère de la défense participe activement à la réforme de l'Etat et à la régulation de la dépense publique, sans faire de vagues ce qui est tout à son honneur, en réduisant ses effectifs de 7 500 postes par an. La défense finalisera également dans les prochaines années une autre réforme d'envergure, en regroupant la majeure partie de l'administration centrale et des états-majors sur un site unique à Balard, libérant l'importante emprise du ministère de l'îlot Saint-Germain.
Les difficultés budgétaires ne concernent pas que la France. Seule la Chine augmente encore considérablement son effort de défense. Les Etats-Unis baissent, pour la première fois en 30 ans, leur budget militaire. Toutefois, soucieux de maintenir le gap technologique avec les autres puissances, ils augmentent leurs dépenses d'investissement et de recherche. En Europe, le Royaume-Uni a annoncé une baisse de 15 % d'ici 2014, et l'Allemagne une réduction de 14 % sur la même période. Le budget militaire allemand sera alors en deçà d'1 % du PIB.
Dans ce contexte budgétaire tendu, quelles sont les victimes ? J'en vois trois, l'une d'entre elles devant particulièrement attirer notre attention. D'abord, le programme de simulation nucléaire sera un peu retardé, du fait de l'étalement de l'achèvement du laser mégajoule. Toutefois, ce délai supplémentaire n'est pas spécialement inquiétant : le projet d'ensemble reste très coûteux, et la France conserve son rang de numéro un mondial, au même niveau que les Américains, dans le domaine. Nous sommes très en avance sur les autres pays, et il faut bien noter que, la modernisation de nos têtes étant achevée, la simulation portera surtout sur les conséquences du vieillissement de nos équipements.
Par ailleurs, le programme de rénovation de certains modèles de Mirage 2000 sera affecté, mais l'accélération du renouvellement de notre flotte par l'accroissement de la cible de commandes de Rafale en raison de contrats exports pour le moment inférieurs aux objectifs réduit les effets négatifs de cette annulation.
Le troisième poste affecté par les étalements de programme est le projet d'interceptions et d'écoutes depuis l'espace CERES. Associé à Hélios et à ses successeurs, ce programme devait assurer nos capacités de renseignement par imagerie et écoute depuis l'espace, et son retard pose un problème. En effet, le renseignement d'origine électromagnétique est complémentaire de l'imagerie satellite : celle-ci permet de confirmer et d'observer des éléments sur lesquels l'interception a permis d'attirer notre attention. En l'absence de cette composante, les images ne sont pas assez précises et donc plus longues à traiter.
Or, s'il y a des leçons à tirer des dernières années, c'est que les deux critères fondamentaux d'une puissance à vocation mondiale sont, certes, la dissuasion nucléaire, mais aussi le renseignement : il y a ceux qui savent et ceux qui dépendent de ceux qui savent. L'achèvement de CERES doit donc être notre première priorité après la dissuasion.
S'agissant de nos exportations militaires, l'année 2010 enregistre une baisse de 30 % du montant des commandes. Toutefois, dans ce domaine, des fluctuations très importantes peuvent être causées par des grosses prises de commandes pour des matériels particuliers. De plus, nous avons des espérances sérieuses dans certains domaines : une reprise est donc à attendre en 2012 et en 2013.
Pour le Rafale, les commandes nationales évoluent partiellement en fonction du niveau des exportations pour maintenir les lignes de production à un rythme de 11 ou 12 appareils par an. Nous pouvons être raisonnablement optimistes pour le contrat aux Emirats arabes unis, et la perspective d'exportation en Inde apparaît très sérieuse après le rejet des offres impliquant des appareils américains, laissant le seul Eurofighter, qui n'est pas multimissions, face à l'avion de combat français.
Il est plus difficile de se prononcer pour le contrat brésilien. Notons en tout cas que le Brésil a fait savoir qu'il souhaite développer sa force aéronavale, et que le seul avion de combat multimissions opérable depuis un porte-avions et disponible à l'exportation est le Rafale.
L'A400M est également un programme pour lequel les exportations ont une influence directe sur notre budget. En effet, une partie de la participation des Etats au programme doit donner lieu à un remboursement de la part d'EADS à proportion des ventes de l'appareil à l'export.
L'A400M, quand il sera utilisé dans les opérations, se vendra très bien à l'étranger car il est, dans la ligne des exigences militaires françaises, un appareil multimissions, à la fois stratégique et tactique, ce qui est un argument essentiel pour de nombreux pays. L'achat de l'A400M évite ainsi d'avoir à entretenir deux flottes d'aéronefs de transport, l'une pour les déplacements entre théâtres, l'autre pour les liaisons sur le théâtre.
Enfin, la confirmation de la vente de quatre bâtiments de projection et de commandement à la Russie, deux exemplaires étant construits en France et les deux autres en Russie, renforce l'idée qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir sur nos exportations.
Concernant la répartition de nos forces dans le monde, le contingent français en Afghanistan reste autour de 4 000 hommes, et on ne peut que souhaiter que les décisions de retrait soient accélérées.
L'opération en Libye permet de tirer un retour d'expérience très intéressant. Nos armées ont parfaitement rempli leurs objectifs dans de nombreux domaines : l'efficacité de nos armes, le nombre impressionnant de missions réalisées, l'absence de perte parmi nos troupes y compris dans notre flotte d'hélicoptères, l'intelligence de nos frappes et l'absence de dégâts collatéraux. Il faut saluer l'action de nos forces dans tous ses aspects.
Cependant, la Libye a souligné notre dépendance par rapport aux Etats-Unis pour le ravitaillement en vol des avions de combat, 90 % des ravitaillements ayant été réalisés par les appareils américains. Ce constat est d'autant plus gênant que même l'achèvement du programme franco-britannique d'avions ravitailleurs MRTT ne permettra de couvrir que 30 % des besoins exprimés en Libye.
L'autre apport américain a consisté en l'utilisation de missiles anti radars antiaériens, équipement que seule l'armée des Etats-Unis peut mettre en oeuvre. Cela a facilité les frappes aériennes, même s'il faut souligner que nos forces ont pu mener des actions avant que les capacités américaines n'entrent en action.
Pour les autres opérations extérieures, le contingent français reste à peu près inchangé, avec 415 hommes au Kosovo, 1500 au Liban, dont on peut espérer que des négociations permettront un retrait partiel, une réduction à 650 personnes en Côte d'Ivoire et le maintien à 914 personnels du dispositif Epervier au Tchad, particulièrement utile.
L'opération en Libye va générer des troubles dans la zone sahélienne, au Mali, en Mauritanie et au Niger, du fait du pillage des dépôts d'armes par plusieurs groupes, au premier rang desquels les anciens mercenaires de Kadhafi, qui sont rentrés dans leurs pays d'origine équipés d'armes en grand nombre, notamment des mitrailleuses et des véhicules de transport. Des troubles liés aux communautés touaregs sont donc à attendre dans la région ainsi qu'une reprise des trafics d'armes en Afrique, générant une hausse de l'activité des bandes criminelles, laquelle inquiète beaucoup l'Algérie et a suscité un regain d'intérêt américain pour la zone.
Pour ce qui est de nos forces prépositionnées, la base de Dakar disparaît, notre grande base en Afrique occidentale étant désormais celle du Gabon, qui montera progressivement à 1000 hommes. Notre deuxième grande base africaine reste Djibouti, dotée à terme de 1 900 hommes contre 2 500 aujourd'hui, laquelle est utile également en soutien de nos opérations contre la piraterie. La baisse des effectifs à Djibouti permet d'assurer la montée en puissance de notre implantation à Abou Dabi, définitivement opérationnelle à partir de 2012.
Les effectifs français insérés dans les structures de commandement de l'OTAN seront finalement de 925 au lieu de 1 200 prévus initialement, du fait d'une réforme des états-majors otaniens. Cette évolution est positive. Le retour d'expérience politique de l'opération en Libye a souligné que l'OTAN devenait une boîte à outils militaire mais ne jouait plus de rôle politique.
Notre intervention a également souligné que l'Europe de la défense était aujourd'hui en échec.
Sur le plan de notre outil de renseignement, il faut saluer la réforme de structure conduite jusqu'à présent. La coordination entre les services marche bien. Il faut insister sur l'importance essentielle du couple CERES – MUSIS pour le maintien de nos capacités image et interceptions depuis l'espace.
En matière de drones, le gouvernement a choisi de confier à Dassault la réalisation d'un système intérimaire opérationnel jusqu'en 2020, en coopération avec l'industrie israélienne. Nos capacités par la suite seront assurées par le drone franco-britannique Télémos, qui sera l'équivalent du Predator et aura comme son homologue américain une capacité d'emport d'armements, principe obtenu après de longues négociations.
Certains problèmes d'équipement demeurent inchangés, notamment les retards concernant l'avion de transport A400M, les hélicoptères de transport terrestre NH90 TTH et le modèle d'hélicoptère d'attaque maritime NH90 NFH, matériel pourtant très utile pour la lutte anti-sous-marine.
Sur le plan industriel, l'Europe communautaire est en panne. L'agence européenne de défense est morte, et la coopération structurée permanente n'est pas née, du fait de l'impasse des négociations actuelles où chacun dispose de fait d'un droit de veto. Seuls les programmes bilatéraux fonctionnent, et l'accord franco-britannique est, à ce titre, un franc succès. Il faut également saluer, dans ce registre, la volonté exprimée par les industriels français et britannique Dassault et BAe systems de se rapprocher.
En France, un projet a été avancé de renforcer la participation de Dassault-Thalès dans la société DCNS afin de constituer un groupe aéronautique, électronique et maritime très important. Certains font remarquer que Dassault recevrait alors 50 % du budget de la défense, ce qui est juste mais pas forcément inquiétant.
Le budget pour 2012 offre en revanche un point négatif, avec la baisse des crédits de recherche développement, mais la tenue à l'équilibre de tout budget reste un exercice difficile.
Dernier point significatif du budget 2012, la hausse des moyens en matière de défense cybernétique, menée en France par l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information. Celle-ci sera dotée en 2013 de 357 personnels. Il s'agit là d'un domaine stratégique primordial, qui permet de détruire des systèmes vitaux sans que la victime ne connaisse exactement les dégâts, ni l'auteur de l'attaque. L'effort en matière de cyberdéfense est essentiel : avec la défense des objets spatiaux et le nucléaire, le domaine cybernétique fait partie des espaces stratégiques du futur.
En guise de conclusion, je voudrais souligner combien la comparaison avec les autres pays montre que le rapport coûtefficacité de notre outil de défense est bon. Nous avons des capacités de renseignement, de projection et d'action à un niveau très avancé, y compris par rapport à des puissances que l'on pouvait juger au même plan que nous jusque récemment.
Je rappelle que nous auditionnons tout à l'heure le ministre des affaires étrangères afghan et que vous pourrez l'interroger. Nous sommes plusieurs à avoir souhaité le retrait de nos troupes. Les premiers soldats sont rentrés, il y en aura 1000 de moins en 2012 et la totalité aura été rapatriée en 2014.
On sait que le futur drone intérimaire est en réalité à 90 % israélien. La thèse que vous avez présentée n'est pas partagée, notamment par EADS, où l'on estime que l'on a été forcé de travailler vite avec les Britanniques pour finalement voir le marché emporté par les Israéliens.
Je vois beaucoup de contradictions dans ce qui a été dit. Si la cybernétique est autant au point, pourquoi a-t-on eu besoin d'envoyer des militaires sur le terrain en Libye et ne les a-t-on pas neutralisés à distance ? Pourquoi avoir envoyé des armes ? Si nos renseignements sont aussi performants, on a donc été renseignés de l'intérieur sur les composantes du CNT. La question est alors la suivante : a-t-on fait la guerre pour une force islamiste, en le sachant, et quel est alors le sens du combat que l'on a mené ? J'étais en Tunisie ce week-end pour l'observation des élections. J'ai été interpellé par la population sur le fait que France 24 a été la seule chaîne de télévision à avoir donné autant de place à Ennahda. Les Tunisiens ont été choqués par le positionnement de la France. Le rapporteur a donné des explications sur la cybernétique, mais la dernière fois, il nous expliquait qu'il fallait absolument en passer par les Etats-Unis car ils étaient seuls à pouvoir centraliser toutes les informations. Nos systèmes sont-ils en accord avec ceux des Américains ?
Je voudrais connaître le nombre de nos militaires en OPEX et ce qu'il en est du programme Félin à l'export. Quant à l'Afghanistan, si la situation est déplorable et si rien n'a changé, nous allons donc abandonner ces gens à leur sort et cela pose la question de notre départ dans ces conditions.
Nous avons calé notre retrait d'Afghanistan sur le rythme de celui des Américains et il serait souhaitable qu'on les incite à accélérer le mouvement. A la fin du mois de mai prochain, il y a aura un sommet des chefs d'Etats de l'OTAN sur l'Afghanistan, ce sera au Président de la République nouvellement élu de faire connaître sa politique.
Le drone intérimaire de Dassault est d'inspiration fortement israélienne quant à l'intégration des systèmes. Pour le reste, la voilure est celle de Dassault, les systèmes sont ceux de Thalès. Ce n'est que l'intégration que l'on prend chez les Israéliens. Cela étant, notre collaboration avec le Royaume-Uni sur le drone lourd sera ouverte à d'autres. La Turquie, entre autres, est intéressée, et d'autres entreprises, EADS notamment.
Les massacres de Benghazi ne pouvaient être stoppés avec une attaque cybernétique. Il fallait une intervention armée. Quant au CNT, il ne faut pas oublier que la Libye est un pays musulman, d'une culture différente de la nôtre. Il nous a fallu près d'un siècle pour installer la république après 1789. Si en 15 ans la Libye le fait, ce ne sera pas mal ! Le point fondamental est que le vote ait été reconnu comme base de désignation des dirigeants.
Concernant la cyberdéfense, les Etats-Unis ont un monopole de l'attribution des adresses Internet, cela permet d'aller plus vite mais ne résout pas toutes les questions posées par les attaques cybernétiques.
Nous avons actuellement 11000 hommes en OPEX et 4000 dans nos bases à l'étranger, en Afrique notamment. Soit 15000 hommes en tout hors de nos frontières.
4000 systèmes FELIN, équipements intégraux des fantassins intégrant les systèmes électroniques, seront livrés à nos armées en 2012. De très nombreux pays se sont déclarés intéressés par ce programme.
Je partage l'appréciation positive du rapporteur sur le très bon rapport coût-efficacité de nos armées, ainsi que l'idée que la France doit absolument disposer d'yeux et d'oreilles. Si notre pays décide d'investir massivement dans certains domaines pour relancer l'économie, il serait bien inspiré de le faire dans le domaine militaire où nous disposons d'une avance importante en termes de recherche et développement.
Je regrette en revanche que les effectifs des armées françaises diminuent encore de 7 500 personnes en 2012. Quelle que soit la qualité de nos équipements et de nos efforts de coordination des moyens, il faut garder des effectifs en nombre suffisant. Je crains que nous regrettions rapidement la baisse du nombre de nos militaires alors qu'on peut s'attendre à de nombreux troubles sur le continent africain et en zone méditerranéenne, notamment.
Il me semble que le traité franco-britannique est déjà un succès. Nous en tirons des avantages militaires, politiques et économiques dans la mesure où il contribue à l'agrégation d'initiatives privées, grâce à la dynamique qu'il a enclenchée. A-t-on évalué les gains financiers et budgétaires que l'on pouvait en attendre, à moyen et long terme ? Il devrait en effet se traduire par des économies, mais aussi conduire à des investissements créateurs de richesses et d'emplois.
Il faut améliorer notre défense dans le domaine cybernétique, c'est évident. Le niveau européen n'est-il pas à privilégier en la matière ? Comme nous avons construit une Europe de l'espace et une Europe de la connaissance, ne faudrait-il pas en construire une de la cybernétique ?
Je n'ai toujours pas compris pourquoi il y avait encore des troupes françaises en Afghanistan. Nous avons l'intention de nous retirer en suivant le rythme du retrait américain : c'est bien le moins que l'on puisse faire ! Mais, ce faisant, nous ne sommes pas maîtres de nos décisions. La situation est pourtant très mauvaise : la présence des forces alliées s'avère contraire aux buts poursuivis ; ses résultats sont négatifs. Notre pays doit le dire et prendre lui-même la décision de quitter l'Afghanistan.
Pourriez-vous nous indiquer, M. le Rapporteur, le coût de la composante aérienne de notre dissuasion nucléaire ? Elle me semble dépourvue de justification, contrairement à la composante navale, dont l'efficacité est incontestable. J'ai le sentiment que, en matière nucléaire, l'avion est un peu comme la flèche du XVIIème siècle en plein XXIème siècle.
Je suis, comme M. Myard, inquiet de la diminution des effectifs de nos armées. Pour ce qui est des bases françaises en Afrique, j'ai bien compris ce que vous avez dit sur la montée en puissance de la base de Libreville, sur la reconfiguration entre Djibouti et Abou Dabi, le repli de la force Licorne et le désengagement du Sénégal. Qu'en est-il de la base de N'Djamena ? Sera-t-elle maintenue ? Etant donné les problèmes géostratégiques qui se jouent dans la bande sahélienne, cela se justifierait pleinement, mais la force Epervier approche de la fin d'après ce que je sais. Je suis persuadé qu'il ne faut pas baisser la garde dans cette zone dangereuse et qu'il vaudrait bien mieux retirer nos hommes d'Afghanistan pour renforcer notre présence au Tchad.
M. le Rapporteur, pourriez-vous nous indiquer si vous avez l'intention de voter les crédits de la mission ?
A l'occasion d'une mission à Washington, j'ai appris que la CIA finançait des programmes de recherche sur la sécurité informatique et biologique. Ce type de pratiques a-t-il cours en France ?
La réduction des effectifs de nos armées pose effectivement problème, mais l'ensemble des agents de l'Etat est touché par ce phénomène et la Défense ne peut y échapper.
Pour ce qui est du traité franco-britannique, il y a des aspects qui fonctionnent très bien. Certains secteurs soulèvent plus de difficultés du fait de différences culturelles. Les Britanniques restent ainsi convaincus, malgré la participation pleine et entière de leurs industriels au projet de drone MALE lourd, que l'équipement de leurs armées dans le futur passe par un appel d'offres international dans ce domaine. Les Français partent du principe que le développement et la construction d'un matériel par nos industriels en fait un candidat naturel pour l'équipement de nos forces.
Pour ce qui est de l'idée d'une Europe de la cybernétique, il n'y a pas de projet capacitaire en cours. La difficulté dans ce domaine est d'identifier l'agresseur, qui n'est pas toujours notre adversaire.
Les programmes de modernisation de notre outil de dissuasion ont coûté, pour la composante aérienne, environ 2,5 milliards d'euros, contre 30 milliards d'euros pour la composante navale. La dissuasion océanique est évidemment la plus massive, mais la composante aérienne offre une réactivité et une flexibilité d'emploi qui la rendent parfaitement complémentaire des sous-marins nucléaires lanceurs d'engin.
Notre dispositif au Tchad n'est pas une base permanente. Il s'agit d'une opération extérieure qui dure depuis longtemps, notamment à cause de la crise au Darfour et des tentatives de déstabilisation contre le gouvernement tchadien. Je pense que cette présence va se prolonger, d'une part car les armes libyennes ont transité vers le Darfour, où elles risquent d'être utilisées dans une nouvelle guerre civile opposant cette fois le Nord à Khartoum, d'autre part car les tensions au Sahel et les risques de prise d'otages français rendent nécessaire la présence de forces françaises à faible distance de cette zone.
Les services de renseignement américains financent effectivement des programmes de recherche universitaires. Il est utile de développer les liens entre le monde universitaire et la communauté du renseignement, un axe de travail important pour nos propres services qui n'en ont pas toujours les moyens.
Pour ce qui est du vote des crédits de la mission, je serai le fidèle rapporteur de l'avis de la commission.
Le président Axel Poniatowski. Sur les 15 milliards d'euros annuels d'investissements militaires, environ 5 milliards d'euros vont au CEA : quelle part de cette somme est destinée à la composante aérienne de notre dissuasion nucléaire ?
Dans la recherche sur le nucléaire militaire, la distinction se fait entre ce qui porte sur la tête et ce qui porte sur le lanceur, quelle que soit la composante. On peut estimer qu'environ 10 % de nos investissements dans la recherche sont consacrés à la composante aérienne. L'essentiel va à la composante navale. La France est très en avance pour ce qui est des sous-marins de nouvelle génération, qui sont les plus silencieux du monde.
A mon avis, le seul intérêt de conserver cette composante est la perspective d'un nouveau traité de non-prolifération : les pays nucléaires devront faire des concessions ; la France pourrait alors renoncer à cette composante.
Le rapporteur s'en remettant à la sagesse de la commission, celle-ci émet alors un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense pour 2012.
Avis sur les crédits de la mission Economie (commerce extérieur) du projet de loi de finances pour 2012
La commission des affaires étrangères examine pour avis, sur le rapport de M. Jean-Paul Bacquet, les crédits de la mission Economie (commerce extérieur) du projet de loi de finances pour 2012.
Je commencerais ma présentation par deux remarques. D'abord, le commerce extérieur n'est pas un sujet qui autorise la polémique politicienne. On a trop longtemps estimé que le commerce extérieur était un phénomène conjoncturel, invoquant le prix du pétrole et le cours de l'euro, alors qu'il est structurel, donc au-delà des débats politiciens.
En second lieu, je tiens à souligner que les précédents ministres en charge du commerce extérieur n'ont pas eu l'efficacité de celui qui occupe ce poste aujourd'hui. Même si les éléments conjoncturels, prix de l'énergie et taux de change, ne vont pas forcément dans le bon sens, le ministre actuel a eu une action structurelle utile, pas seulement à l'international mais également dans notre pays.
Le déficit commercial français s'est encore creusé en 2010, atteignant 55,4 milliards d'euros. Les prévisions pour 2011 établiraient un nouveau record de 75 milliards d'euros, au vu des premiers chiffres disponibles. La France est ainsi l'un des rares pays européens à ne pas avoir retrouvé son niveau d'exportations de 2008 au 1er juillet 2011. Hors énergie, notre déficit se creuse continuellement : -4, -6 et -15 milliards d'euros en 2009, 2010 et 2011.
Il ne faut pas se tromper sur les causes de notre déficit. Le coût du travail français est comparable au coût allemand, la seule différence étant dans le poids des charges sociales. La principale différence entre les entreprises françaises et allemandes tient dans le montant de la recherche qu'elles financent. La France accuse un retard de 31 milliards d'euros en recherche privée, avec une part de l'effort de recherche assumée par le public de 57 % en France, contre 67 % de la R&D financée par le privé en Allemagne.
Les entreprises allemandes ne gagnent pas de parts de marché en étant moins chères, mais en étant les leaders de marchés pointus, ce qui leur permet de fixer leurs propres prix. C'est le cas, par exemple, pour les voitures de luxe.
La compétitivité prix française s'est pourtant améliorée en 2010 grâce à l'évolution de l'euro. Pourtant, notre déficit s'est encore creusé, preuve nouvelle que ce n'est pas par les coûts que nous résoudrons les difficultés de notre commerce extérieur.
Les entreprises françaises restent insuffisamment tournées vers l'international. La hausse du nombre d'exportateurs enregistrée en 2010 est trop faible pour compenser un mouvement de baisse entamé en 2002. 3 % des entreprises françaises exportaient en 2010 contre 4,4 % en 2001. On comptait 94 800 exportateurs français en 2010 soit 13 500 de moins qu'en 2001. A titre de comparaison, 396 000 entreprises allemandes et 250 000 entreprises italiennes exportent.
Le déficit 2010 et 2011 est d'autant plus inquiétant que notre commerce extérieur se resserre sur quelques produits phares à risque. L'aéronautique est notre premier poste à l'exportation mais subit de plein fouet les évolutions du change. Bien que nos carnets de commande garantissent un niveau d'exportations important pendant encore 6 ou 7 ans, l'arrivée de sérieux concurrents sur ces marchés et les échanges de technologies auxquels nous procédons soulignent que nous ne saurions faire dépendre notre commerce extérieur de ce seul poste.
L'agroalimentaire reste le secteur le plus fiable de nos exportations, avec un excédent de 5,4 milliards d'euros, et 8 milliards pour les seules boissons, signe de l'importance de la production viticole française. En revanche, les produits pharmaceutiques enregistrent pour la première fois une baisse des ventes en 2011.
Certains secteurs font payer à notre balance commerciale leurs choix de localisation, ou, devrais-je dire, de délocalisation de la production. C'est notamment le cas du secteur automobile, passé entre 2002 et 2010 d'un excédent de 11,8 milliards d'euros à un déficit de 3,9 milliards. Ces chiffres sont plus qu'inquiétants : lors d'une récente audition, les responsables du conseil des constructeurs français d'automobiles laissaient entendre que plus une seule voiture ne serait fabriquée dans notre pays. Rappelons que Renault construisait, sur le territoire national, deux millions de véhicules par an dans les années 1970, et n'en fabrique plus que 600 000 aujourd'hui.
Enfin, nos exportations restent trop tournées sur la zone euro, qui se trouve dans une situation économique dramatique. Nos exportations vers l'Espagne accusent ainsi une diminution de 19 %, 22 % en Irlande, 28 % au Portugal et 32 % en Grèce.
Les acteurs publics du soutien aux exportations ont amorcé une prise de conscience certaine de ces enjeux.
Ubifrance entame la deuxième phase de sa réforme et voit sa dotation augmenter de 77,9 à 79,4 millions d'euros. 2012 marque également l'achèvement de la réforme du réseau extérieur, Ubifrance étant alors dotée de 56 implantations.
La première convention d'objectifs et de moyens pour 2009–2011 a été quasiment respectée, avec un nombre d'entreprises accompagnée supérieur à 20 000, un nombre de nouveaux exportateurs identifiés proche de 10 000. Le nombre de volontariats internationaux en entreprise, en revanche, est légèrement inférieur à la cible (environ 7 000 pour une cible à 10 000), mais cela doit être mis en rapport avec l'inégalité du soutien apporté par les régions à ce dispositif.
Le contrat d'objectifs et de performances pour 2012-2014 marque une évolution vers un accompagnement plus qualitatif. Les nouveaux objectifs reprennent quelques éléments de la précédente COM (20 000 accompagnements par an, +5 000 VIE par an) mais innovent en imposant à Ubifrance la réussite d'un nouvel accompagnement sur trois. Cette obligation de réussite est une vraie nouveauté, largement due à l'action de l'équipe dirigeante, dont le président d'Ubifrance, Alain Cousin, et son directeur, Christophe Lecourtier.
Deux établissements assurent par ailleurs le soutien financier aux entreprises pour l'export : Oséo et la Coface. Celle-ci est traditionnellement la cible de nombreuses critiques, se voyant reprocher l'abandon de son activité publique au profit de son activité privée. Le changement d'équipe à la tête de la Coface semble avoir créé un nouvel état d'esprit et l'assurance prospection, l'outil le plus utile pour les PME, a augmenté de 50 % en 2010 par rapport à 2006.
Oséo poursuit de son côté le renforcement de son activité à l'export. Son instrument le plus utile pour les PME, le PPE (prêt pour l'export) a vu son plafond rehaussé de 75 000 à 150 000 euros et les délais d'obtention diminuer, malgré une forte lourdeur bureaucratique qui a retardé la réforme de près d'un an. Résultat : le nombre de PPE a augmenté de 260 % en un an. Les autres instruments (contrat de développement participatif, contrat de développement international, garantie de projets à l'international - exFasep) augmentent également.
A terme, Oséo envisagerait, dans le cadre d'un grand plan national pour l'export, de développer son activité de garantie en ouvrant la possibilité aux entreprises dont le prêt aurait été refusé par une banque de couvrir 70 % du risque pris par la banque. Une telle réforme serait particulièrement utile alors que nos PME manquent cruellement de fonds de roulement pour envisager sereinement le développement à l'international. Cette mesure devrait toutefois s'accompagner d'une sensibilisation des banques qui doivent mieux intégrer le rôle majeur qu'elles peuvent jouer pour la distribution des outils publics de soutien aux exportations.
Localement, les chambres de commerce et d'industrie ont résolu de mieux coordonner leurs efforts en créant en décembre 2010 le label « CCI International », attribué seulement aux chambres remplissant certains critères. CCI International poursuit ainsi son développement sur trois objectifs : renforcer la visibilité à l'international du réseau des chambres de commerce et des chambres de commerce françaises à l'étranger, développer les bonnes pratiques en homogénéisant les méthodes des conseillers, faire jouer l'effet réseau entre les acteurs. CCI International gagne également du terrain et en visibilité. Treize CCI de Région déclinent désormais cette appellation. Enfin, la complémentarité progresse, par exemple en Normandie où les équipes de CCI international de Haute et Basse-Normandie ont intégré une même structure et ont proposé d'y associer les deux conseils régionaux et les chambres d'agriculture en poussant pour une fusion, à terme, entre les CRCI de Haute- et Basse-Normandie.
Mais dans l'ensemble, la coordination entre les CCI et les conseils régionaux reste très insuffisante. Une charte nationale de l'exportation a été signée le 12 juillet 2011 avec l'ensemble des acteurs impliqués : CCI, chambres à l'étranger, association des régions de France, Ubifrance, Coface, Oséo, conseillers du commerce extérieur. Ce document vise à mieux répartir les rôles et à favoriser la complémentarité. Il fixe pour la première fois des objectifs précis aux CCI, invitées à sensibiliser 20 000 entreprises par an.
Toutefois, la pure régionalisation soulève le risque de l'inégalité des moyens. Il faut donc privilégier une colocalisation, comme dans le Nord-Pas-de-Calais, plutôt qu'une délégation pure et simple de l'Etat au local.
Concernant les relations entre les grands groupes et les PME, nos principaux concurrents allemands et italiens ont développé des modèles d'accompagnement à l'export des PME par les grands groupes. Les relations dans ces pays sont marquées par la cotraitance plutôt que la sous-traitance.
La France reste à la traîne en la matière. Malgré des groupes internationaux très performants, nos PME manquent de moyens pour internationaliser leur activité. La charte du portage signée le 5 mai 2011 par l'Etat et douze grands groupes est une proposition intéressante mais il faut aller plus loin, par exemple en faisant dépendre de la réalité du portage l'accès par les groupes à certaines aides publiques.
Dans le cadre des travaux préparatoires à ce rapport, j'ai pu me rendre à Rome pour observer le modèle exportateur italien. Bien qu'en déficit, l'Italie dispose d'un excédent commercial hors énergie. Son outil public de soutien aux exports, en pleine transformation, n'est pas l'explication principale de sa meilleure performance à l'international par rapport à la France. De manière générale, les soutiens italiens et allemands ne sont pas meilleurs que l'outil français. Seuls les réseaux locaux allemands peuvent être considérés comme supérieurs aux nôtres.
Les entreprises italiennes sont en moyenne aussi petites que les PME françaises, ce qui pose des problèmes de long terme (productivité et recherche). Mais cela ne les empêche pas de chasser en meute à l'exportation grâce à leur capacité au regroupement dans le cadre, notamment, de districts industriels.
Enfin, l'Italie peut compter sur une diaspora très active, aux Etats-Unis (15 millions de personnes) et au Brésil (30 millions).
Vous avez évoqué le rôle d'Oséo en matière de garantie auprès des banques françaises. Mais il me semble que l'exigence de garanties est plus le fait de banques étrangères. Il faudrait donc plutôt travailler dans leur direction.
Vous savez que c'est un constructeur japonais, en l'occurrence Toyota, qui fait de la publicité presque nationaliste en vantant son modèle « Yaris » comme une voiture produite en France alors que les constructeurs français sont incapables de défendre la production de qualité française. C'est quand même étonnant !
Contrairement à la loi de 1928 en vertu de laquelle tous les produits pétroliers consommés en France doivent être produits en France, la philosophie actuelle privilégie le recours à l'importation de produits finis ce qui menace les raffineries installées sur le sol français.
Les donneurs d'ordre français contribuent aux délocalisations et donc à l'aggravation du déficit. A titre d'exemple, Airbus exige de ses sous-traitants l'existence de deux sources d'approvisionnement afin de se prémunir contre les risques – sociaux, incendie, etc – de pénurie. Cette aberration appelle des choix politiques.
Enfin, je remercie le rapporteur d'avoir salué le travail de la Haute-Normandie. Dans notre région, nous savons unir nos forces pour les grandes causes.
Je partage votre opinion sur l'efficacité renforcée d'Ubifrance et d'Oséo ainsi que sur notre ministre en charge du commerce extérieur. J'ai eu l'occasion de voyager avec lui et j'ai pu constater en matière d'exportation de vin son engagement et son efficacité.
J'adresse mes félicitations au rapporteur et je le remercie pour son appréciation sur notre excellent et très actif ministre.
Je me félicite que la réforme d'Ubifrance donne de bons résultats. Si la création d'Ubifrance a pu susciter des craintes sur ses conséquences et des doutes sur son caractère opérationnel, l'expérience montre que le fonctionnement est satisfaisant. La coopération entre Ubifrance et les services économiques des ambassades est bonne.
Concernant CCI International, la réforme dont l'initiative revient aux chambres de commerce et non à l'Etat, fait ses premiers pas mais elle est pleine de promesses. La régionalisation de la politique du commerce extérieur comme la création du dispositif de CCI International sont de bonnes choses.
J'ai tiré une leçon des nombreuses auditions menées par la mission d'information de notre commission sur les faiblesses et défis du commerce extérieur français : pour exporter, il faut produire. Or, depuis dix ans, nous assistons en France à la casse de l'outil de production. La tâche est donc immense pour notre ministre. Je salue également l'action d'Alain Cousin à Ubifrance. Je souhaite terminer en disant que la relocalisation est possible comme en témoigne le retour à Montceau-les-Mines d'une entreprise spécialisée dans les tablettes numériques qui avait été délocalisée en Asie.
J'adhère à la majorité de vos propos, M. Bacquet mais je considère que vous n'êtes pas allé au bout de votre réflexion. Il me semble que les entreprises françaises souffrent d'abord d'un formidable problème de compétitivité. Nos entreprises ne gagnent pas assez pour faire de la recherche, affronter la concurrence et pouvoir grossir. Le nombre d'entreprises intermédiaires est dramatiquement insuffisant. Nous avons beaucoup de PME mais pas d'entreprises intermédiaires. Les entreprises françaises ne grossissent pas ou ne peuvent pas grossir et atteindre cette taille entre 500 et 5000 salariés. Cela constitue un énorme problème. La France compte quatre fois moins d'entreprises exportatrices que l'Allemagne. Nous aurons l'occasion de présenter prochainement, avec le rapport de la mission d'information que je préside, des propositions qui vont, me semble t-il, plus loin que les vôtres car elles portent sur les aspects structurels. La compétitivité est un sujet douloureux mais crucial.
Concernant le relais qu'offre Oséo, nous sommes victimes de l'insuffisante présence du réseau bancaire français çà l'étranger, comme l'Italie. La banque reste l'interlocuteur privilégié de l'entrepreneur.
Je redis que M. Lellouche fait preuve d'une plus grande efficacité que certains des ministres qui l'ont précédé.
Ubifrance a mené une révolution incontestable. Le dispositif CCI International est intéressant dès lors qu'il utilisé dans le cadre d'une action concertée avec le conseil régional. Là réside la difficulté car nous savons tous que certaines régions sont plus performantes que d'autres.
Le manque de compétitivité des entreprises françaises est évident. Les marges bénéficiaires sont insuffisantes. Toutefois, la dépréciation de l'euro entre 2010 et 2011 n'a pas permis d'augmenter le nombre de PME à l'étranger, ce qui montre que notre problème de compétitivité n'est pas un problème lié au prix ou au coût. Les Allemands réussissent car ils proposent des produits de qualité inégalable, les Italiens parce qu'ils sont les plus innovants.
Conformément à l'avis du rapporteur pour avis, la commission émet alors un avis favorable à l'adoption des crédits Economie (commerce extérieur) de la mission pour 2012.
La séance est levée à onze heures quinze.