La séance est ouverte à 17 heures 30.
Présidence de M. Armand Jung, président.
La mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Monsieur le ministre, cette mission a été créée au mois de juin à la suite des problèmes posés par la réforme du permis à points, votée dans le cadre de la LOPPSI 2 (loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure), et par les nouvelles mesures concernant les radars.
Tout au long de nos travaux, qui comptent plus de soixante heures d'auditions, notre souci premier a été d'affirmer qu'il n'y a pas de seuil incompressible de morts sur les routes.
Nous espérons que vous tiendrez compte de nos propositions, qui vous seront remises dès la semaine prochaine.
Monsieur le ministre, la Délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) est désormais rattachée au ministère de l'intérieur. Quelle gouvernance proposez-vous pour la politique de sécurité routière ?
Les causes principales des accidents sont incontestablement la vitesse et l'alcool. Quelle est votre appréciation en la matière ?
Pouvez-vous nous parler de l'acceptabilité sociale, thème dont nous discutons depuis plusieurs mois ?
Que proposez-vous face à l'augmentation des accidents et des morts chez les deux-roues, motorisés ou non ?
Enfin, que suggérez-vous s'agissant du téléphone mobile ?
Permettez-moi d'abord de vous remercier de votre invitation. La sécurité routière est un sujet très important. Vos travaux témoignent d'une réflexion intense, et l'accent mis sur les priorités permet de rétablir un certain nombre de vérités.
Beaucoup de chemin a été parcouru. En effet, en 2002, nous déplorions environ 8 000 tués – à comparer aux 18 000 morts en 1972 – et, en 2010, nous avons franchi, pour la première fois depuis plus d'un demi-siècle, le seuil des 4 000 tués sur les routes. Au total, depuis 2002, 23 000 vies ont été épargnées et 300 000 hospitalisations évitées.
Cependant, la tendance des premiers mois de l'année a montré que le nombre de tués augmenterait d'environ 500 à 600 en fin d'année. Cette perspective inacceptable a conduit à la réunion, sous la présidence du Premier ministre, du comité interministériel de la sécurité routière (CISR) au mois de mai. Les débats qui ont eu lieu à cette occasion ont permis de sensibiliser de nouveau nos compatriotes, et l'on assiste depuis l'été à un véritable ressaisissement. Aujourd'hui, les chiffres sont pratiquement au même niveau que ceux de l'an dernier – avec douze tués de plus fin septembre. Nous pouvons donc raisonnablement espérer être à nouveau sous la barre des 4 000 morts cette année.
Ces résultats sont dus aux bonnes décisions qui ont été prises par les gouvernements, mais aussi au changement de comportement de nos concitoyens dont la vitesse moyenne sur les routes s'est réduite de 10 kilomètres par heure. Comme vous le soulignez, monsieur le président, il est encore possible d'obtenir de meilleurs résultats.
S'agissant de la gouvernance, j'ai tendance à penser que l'organisation actuelle n'est pas mauvaise. Le Premier ministre, auquel vous proposez de confier la sécurité routière, ne peut tout faire. La sécurité routière a été confiée au ministre de l'intérieur en vue d'avoir, en un même lieu, une gestion de la conception et une gestion des forces de l'ordre.
Le premier point de mon intervention portera sur le respect des règles.
Comme votre mission l'a montré, la première cause de mortalité sur les routes est l'alcool, avec 1 200 personnes tuées chaque année. Il nous faut donc travailler sur plusieurs axes afin de renforcer la lutte contre ce fléau.
Le premier axe est celui de la réglementation et du contrôle.
Nous avons beaucoup insisté, avec les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie, pour que les contrôles soient renforcés, particulièrement aux moments les plus sensibles que sont les nuits des fins de semaine.
J'ai également demandé aux préfets que les véhicules des personnes ayant commis, en état de récidive, un accident sous l'empire de l'alcool soient immédiatement immobilisés, conformément aux dispositions de la LOPPSI.
Je rappelle que ce texte prévoit la confiscation obligatoire par le juge du véhicule des auteurs de ce délit, le magistrat ne pouvant y déroger que par une décision spécialement motivée.
Enfin, le CISR du 11 mai dernier est venu renforcer ce dispositif : tout conducteur qui dépassera le taux de 0,8 gramme d'alcool par litre de sang se verra retirer huit points, au lieu de six actuellement.
Le second axe retenu par le Gouvernement est celui de la prévention en matière d'alcoolémie.
Je citerai en premier lieu l'obligation d'équipement et d'utilisation des éthylotests anti-démarrage dans les cars de transport d'enfants depuis le 1er janvier 2010, et l'équipement complet du parc des autocars d'ici à 2015.
Le Gouvernement est favorable à la généralisation de ces éthylotests anti-démarrage à l'ensemble des véhicules. Mais cette mesure doit être prise au niveau communautaire, et encore faut-il que ces tests soient utilisables facilement et que les constructeurs, actuellement très réservés sur le sujet, puissent maîtriser les coûts.
Je citerai ensuite l'interdiction de la vente d'alcool dans les stations-service de dix-huit heures à huit heures, ainsi que l'obligation, à compter du 1er décembre prochain, pour les établissements de nuit de mettre à disposition de leur clientèle des éthylotests chimiques ou électroniques.
Le deuxième point de mon intervention concerne l'accidentologie des conducteurs de deux-roues motorisés, qui demeure préoccupante. Ces derniers représentent en effet 2 % du trafic, mais 24 % des victimes tuées, parmi lesquelles un très grand nombre de jeunes gens. Nous envisageons plusieurs mesures.
La première vise à identifier les conducteurs de deux-roues qui commettent une infraction grâce à une meilleure lisibilité des plaques d'immatriculation. Le modèle de plaques dit « allemand », que les motocyclistes eux-mêmes nous ont demandé, nous convient parfaitement et est même un peu plus lisible que ce que nous avions nous-même envisagé.
La deuxième concerne la visibilité des motocyclistes. Il faut, bien sûr, renforcer la formation des automobilistes, mais aussi améliorer les équipements des motards grâce à des bandes ou des points réfléchissants sur les blousons. Je précise qu'il n'a jamais été question d'affubler les motards d'un gilet jaune, comme ceux que l'on trouve dans le coffre de nos voitures…
La circulation en inter-file, revendiquée par le monde des motards, avec lequel nous avons désormais une relation apaisée, mérite d'être étudiée, car force est de constater que beaucoup d'entre eux circulent de cette façon et bénéficient le plus souvent d'une assez grande tolérance de la part des forces de l'ordre. Il faut admettre que circuler en inter-file est une particularité de la conduite à moto, en particulier en région parisienne. En Belgique, par exemple, ce type de conduite ne semble pas entraîner une hausse de la mortalité et de l'accidentalité. Pour ce qui nous concerne nous pourrions aller en ce sens.
Le troisième point de mon intervention portera sur le respect des limitations de vitesse.
Comme vous le savez, la vitesse a causé la mort de 760 personnes l'an dernier, soit 20 % de l'ensemble des tués sur les routes. À la différence de l'alcoolémie, elle est facilement mesurable compte tenu des moyens automatiques dont nous disposons, ce qui a d'ailleurs parfois donné le sentiment qu'elle était davantage réprimée que la consommation d'alcool.
En la matière, nous continuons la mise en place des radars pédagogiques : 304 sont actuellement en service, notre objectif étant d'arriver à 4 000 à la fin de l'année 2012. À compter du mois prochain, 250 radars seront installés tous les mois. En outre, j'ai donné aux préfets des directives pour l'organisation, préalablement au retrait des panneaux des radars fixes, de réunions de concertation avec l'ensemble des acteurs locaux de la sécurité routière, afin que les radars soient installés aux meilleurs endroits.
Par ailleurs, nous avons signé avec l'association qui représente les fournisseurs des technologies d'aide à la conduire un protocole d'accord aux termes duquel les avertisseurs de radars n'annonceront plus la présence des radars fixes, mais tous les secteurs dangereux – dans lesquels se trouvent d'ailleurs systématiquement les radars fixes. J'ajoute que les fournisseurs de ces avertisseurs communautaires vont proposer des fonctionnalités nouvelles, comme celle destinée à lutter contre l'hypovigilance. La situation est donc désormais très apaisée avec la profession.
L'équité européenne est une question importante car, comme le savent les élus des départements frontaliers, nos voisins allemands, luxembourgeois, suisses ou encore néerlandais se livrent à des excès condamnables. À cet égard, une directive a été adoptée par le Conseil de l'Union, à la fin du mois de septembre, avec une limite de transposition fixée à deux ans. Ainsi, en 2013, tous les pays de l'Union devront coopérer pour que les infractions commises par un de leurs ressortissants dans un État voisin soient sanctionnées. Entre-temps, nous pouvons poursuivre la coopération bilatérale engagée avec certains États, ou l'organiser avec des pays qui ne sont pas actuellement coopérants, comme l'Espagne. Je précise néanmoins que la retenue du véhicule d'un étranger en infraction est d'ores et déjà possible.
Sur le sujet des petits excès de vitesse sur autoroute, je ne peux conclure aujourd'hui pour plusieurs raisons. La première tient à l'acceptabilité de la mesure : l'autoroute est en effet un axe sur lequel les dépassements sont assez faciles dès lors que le limiteur de vitesse n'est pas utilisé. La deuxième raison, en revanche, est que les décrets d'application de la LOPPSI, qui seront bientôt arrêtés, permettront des restitutions de points plus rapides qu'auparavant. Il ne faut donc pas trop charger la barque, la sécurité routière étant aussi une affaire de perception psychologique par nos concitoyens. Cela étant dit, la mesure proposée par votre Mission est de bon sens, mais, plutôt qu'une amende, peuvent être envisagés un système de sursis de retraits de points, ainsi que la mise en place sur les autoroutes de radars tronçons qui enregistrent la vitesse sur une plus grande distance. Ce sujet mérite discussion.
Le dernier point de mon intervention concerne l'éducation et la formation, la sécurité routière ne pouvant se limiter au seul contrôle et à la sanction des infractions.
En matière d'éducation à l'école, des progrès importants ont été réalisés. En effet, à l'école primaire, les élèves passent désormais le permis piéton : à ce jour, 2,5 millions de permis piétons ont été passés dans toute la France. Au collège, est menée une sensibilisation aux risques sur la voie publique, notamment pour les cyclistes. Au lycée, des actions de sensibilisation sont également conduites, en particulier pour l'utilisation du deux-roues motorisé, actions que le Gouvernement a décidé d'étendre à 50 % des lycées d'ici à la prochaine rentrée.
En outre, la réforme du permis de conduire se poursuivra dans le cadre de la troisième directive européenne sur le permis de conduire. La transposition de ce texte permettra d'établir une meilleure progressivité dans l'accès à la puissance des conducteurs de motos. Ainsi, l'accès aux plus grosses cylindrées sera repoussé à vingt-quatre ans.
Pour finir, je réponds à votre question sur le téléphone mobile, monsieur le président. L'utilisation manuelle du téléphone pendant la conduite est condamnable et doit être proscrite. En revanche, l'utilisation du Bluetooth, ou encore d'un système de commande vocale installé par les constructeurs et permettant de parler sans manipuler un appareil, ne me semble pas plus grave que parler à son voisin ou chanter dans sa voiture.
Les kits mains libres ne seront donc plus autorisés, car qui dit oreillettes, dit manipulation.
Cette question se situe à la frontière de la sécurité routière et de l'acceptabilité. Mais dès lors que tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut éviter la manipulation manuelle, les techniciens définiront les technologies nécessaires.
Monsieur le ministre, tout signe incitant à augmenter la vitesse sur les autoroutes et les voies rapides sans risque de sanction est un problème qui nous divise.
Il est rassurant de constater qu'il y a une grande identité de vues entre le Gouvernement et notre mission.
Le président l'a dit : il n'y a pas de seuil incompressible du nombre de tués sur nos routes. Néanmoins, le palier auquel nous sommes arrivés depuis 2006 – environ 4 000 morts par an – est plus difficile à faire baisser. Il faut donc non seulement maintenir les règles dont l'efficacité a été prouvée, mais aussi trouver d'autres pistes. Quelles sont les grandes idées en la matière ? Même si le nombre de contrôles d'alcoolémie aux points sensibles est important – 11 millions par an, ce dont je félicite les forces de l'ordre –, le conducteur lambda n'y est pas souvent soumis. Ces contrôles peuvent-ils être renforcés, sachant que l'alcoolémie est la première cause d'accident ?
S'agissant du contrôle automatisé, n'est-on pas arrivé à la limite de l'exercice, sachant que la moitié des infractions constatées ne sont pas sanctionnées ? En particulier, dans la mesure où les trois quarts des radars flashent les véhicules de dos, un certain nombre de clichés concernant les automobilistes sont inexploitables. Comment rééquilibrer les choses ?
Au regard du souci d'acceptabilité sociale, et afin de lutter plus durement contre les grands excès de vitesse et l'alcoolémie, n'y a-t-il pas lieu de tenir compte des comportements les moins graves ? Je pense aux petits excès de vitesse sur autoroutes et voies rapides qui pourraient entraîner, comme la mission le propose, une amende la première fois, puis la perte de points la deuxième fois. Vous évoquez un sursis. C'est une piste à laquelle il faut réfléchir.
Une autre piste évoquée par notre mission est l'octroi d'un bonus par les compagnies d'assurance aux bons conducteurs par le biais d'une réduction de la prime.
Par ailleurs, la mesure autorisant les vélos à rouler à contresens vous paraît-elle devoir être maintenue au regard de l'effet de surprise que cette pratique entraîne chez les automobilistes et les piétons ?
Enfin, quelles mesures devraient être prises pour rendre la route plus lisible, sachant qu'un grand nombre de tronçons présente des changements de vitesse inexpliqués ?
Il est effectivement nécessaire de lutter plus sévèrement contre les grands excès – alcoolémie et grandes vitesses –, car ils sont manifestement délibérés. Rouler à 190 kilomètres à l'heure sur autoroute ou avec un taux de 0,8 gramme d'alcool par litre de sang n'est pas le fait du hasard !
L'idée du bonus accordé par les compagnies d'assurance est très intéressante. On pourrait même imaginer que ces dernières tiennent compte de la qualité de la conduite.
L'équipement systématique des véhicules d'un éthylotest me semble être une mesure de bon sens, car elle ne coûterait pas cher – un euro – et permettrait de responsabiliser les automobilistes.
Depuis que les cyclistes sont autorisés à rouler à contresens, très peu d'accidents ont été recensés – seulement huit en trois ans. Mais cette question mérite d'être évaluée.
Enfin, l'amélioration de la lisibilité de la route nécessite de confier aux commissions départementales de sécurité routière un travail de terrain. En effet, les changements de vitesse sur certains tronçons rendent difficile le respect des limitations de vitesse, même pour les conducteurs attentifs, mais aussi l'utilisation du limiteur de vitesse.
Cette mission a atteint ses objectifs, ce dont il faut féliciter le président et le rapporteur. À l'origine de sa création, figurent un certain nombre d'annonces, justifiées par l'augmentation du nombre de morts, mais reçues par l'opinion comme une douche froide dans la mesure où, en plaçant la vitesse comme première raison de la sanction, elles ont donné l'impression à un grand nombre d'automobilistes que l'on passait au tout répressif.
Le travail entrepris a abouti à des solutions. En particulier, monsieur le ministre, la notion de radar pédagogique permet de passer du répressif au pédagogique. Ainsi, le texte sur lequel nous devrions déboucher devrait mettre l'accent sur l'accompagnement des conducteurs plutôt que sur la répression.
Pour assurer une meilleure visibilité de la route à l'intention des automobilistes, il faut supprimer toutes ces annonces de vitesses différentes que l'on peut voir sur certains tronçons du réseau routier. Mais il faut aussi assurer la lisibilité de la circulation en ville et, à cet égard, je tiens à dire que les cyclistes qui roulent sur les trottoirs mettent en danger les piétons, notamment les personnes âgées ! Ce faisant, ils font preuve d'une totale méconnaissance des règles de l'utilisation du deux-roues en ville ! Les gens doivent savoir ce qu'ils ont le droit de faire et de ne pas faire !
En outre, certaines mesures doivent viser à sécuriser les conducteurs, à les protéger, y compris contre eux-mêmes. À cet égard, il est nécessaire de mettre davantage l'accent sur toutes les mesures très concrètes qui permettent aux usagers d'éviter l'accident ; je pense en particulier au système LAVIA – limiteur s'adaptant à la vitesse autorisée – pour lequel vous avez montré beaucoup d'intérêt, monsieur le président.
Les utilisateurs de deux-roues doivent être visibles, mais également protégés en cas de choc. C'est pourquoi les tenues airbag devraient devenir obligatoires à terme.
Le problème de l'endormissement – cause de 30 % des morts sur autoroute – impose un gros effort de recherche et de publicité sur les équipements dans l'automobile ; il milite aussi pour la pose de bandes rugueuses bruyantes le long des différents réseaux.
Enfin, un contrôle médical de l'aptitude à la conduite, par exemple tous les cinq ans, me semble important. Si cette mesure est mal reçue par nos concitoyens, elle existe dans plusieurs pays, comme l'Espagne et les Pays-Bas, où elles ne concernent pas uniquement les personnes âgées.
Même si le parc automobile français est bon état, il faut renforcer son contrôle car certains accidents mortels ou graves sont attribués à la fois à l'alcool et à des ruptures mécaniques.
Les directives européennes sont insuffisamment exploitées, notamment en ce qui concerne les STI, les systèmes de transport intelligents. En effet, l'adoption de normes via ces directives permettrait de renforcer la sécurité active ; je pense en particulier au système anti-endormissement.
Les dispositions prises avec divers pays de l'Union européenne ne régleront pas le problème des sanctions à l'encontre des étrangers qui ne respectent pas les limitations de vitesse en France. Sans interception après le contrôle radar, ces personnes rentrent chez elles.
« Le nouveau Coyote : plus de sécurité pour la communauté », peut-on lire sur le site de cet assistant d'aide à la conduite, qui a suscité beaucoup de polémiques. Je pense qu'une réflexion doit être menée sur cet engin.
Enfin, je ne suis pas d'accord avec Christian Vanneste : la réglementation permet aux cyclistes de circuler sur les trottoirs, à condition que ces derniers comportent une matérialisation de la mixité piétons-cyclistes.
Je pratique la moto régulièrement – j'ai été à l'origine de la création de la Fédération française des motards en colère (FFMC) –, je suis cycliste à Paris, et automobiliste comme vous tous.
S'il est parfois nécessaire de prendre des mesures de rupture – comme l'ont été l'obligation du port de la ceinture de sécurité et l'instauration des limitations de vitesse – pour faire progresser la sécurité sur les routes, il convient aussi de pas revoir systématiquement toutes les mesures de la politique de sécurité routière à l'aune exclusive du nombre des morts dans les accidents de la circulation. Autrement dit, il ne faut pas se focaliser sur les mauvais chiffres car, nous l'avons constaté, ils évoluent.
La confiscation immédiate des véhicules des auteurs de délit est impossible à mettre en oeuvre s'il s'agit de véhicules de société. Comment remédier à ce problème ?
Certes, les motards représentent 2 % du trafic et 24 % des tués, mais ce sont des hommes jeunes pour la plupart. Il convient donc de ne pas stigmatiser cette population, les chiffres pouvant être affinés.
La visibilité des motocyclistes peut, bien sûr, être améliorée – les casques comportent d'ores et déjà des dispositifs réfléchissants –, mais il ne faut pas se focaliser sur cet aspect. Récemment, un gendarme à moto, dont les feux étaient allumés, a été tué à un carrefour par un automobiliste lui ayant refusé la priorité à un stop. Quand bien même il aurait été habillé en jaune, cela n'aurait rien changé...
Tous les motards ne pratiquent pas la conduite en inter-file de la même façon. La conduite sur le périphérique à 120 kmh au lieu de 80 kmh, ou à 80 kmh entre tous les véhicules à l'arrêt, est extrêmement dangereuse et doit être sanctionnée. Elle n'a rien à voir avec les dépassements lents.
L'autorisation de conduire une grosse cylindrée à vingt-quatre ans est intéressante, mais rouler sur une 350 cm3 à 170 kmh est bien plus dangereux – compte tenu de la légèreté de l'engin – qu'avec une machine de 1 200 cm3.
La vitesse autorisée de 45 kmh pour les cyclomoteurs est-elle réellement adaptée à la circulation en zone urbaine, sachant qu'ils y sont continuellement dépassés, à leur droite et à leur gauche, par des voitures qui roulent à 50 kmh ? Il me semble moins dangereux de rouler à la même vitesse que le flot des véhicules.
Enfin, le préfet de Charente, Jacques Millon, délivre lui-même les permis de conduire à l'occasion d'une cérémonie solennelle qu'il organise une fois par mois et au cours de laquelle il tient un discours sur la sécurité routière. Que pensez-vous de cette initiative, monsieur le ministre ?
D'abord, il faut lutter contre le débridage et le démontage des silencieux sur les deux-roues, ne serait-ce qu'au regard de l'effet anxiogène qu'ils provoquent.
Ensuite, un recensement systématique des points noirs me semble indispensable. Il peut être initié par les services de l'État et par les forces de l'ordre qui connaissent parfaitement le réseau.
Enfin, il est nécessaire de développer la production et la commercialisation des technologies nouvelles, en particulier les techniques d'assistance à la conduite, afin de les démocratiser. Je pense aux détecteurs d'obstacles et de signalisations horizontales, aux régulateurs et limiteurs de vitesse, et même aux « boîtes noires » dont sont équipées un grand nombre de flottes de poids lourds et de véhicules d'entreprises de livraison, pour lesquels les assurances acceptent une baisse de la prime.
Je tiens à rendre hommage au président et au rapporteur pour la qualité du travail accompli par cette mission, dont le rapport traduit un vrai consensus.
Monsieur le ministre, j'ai apprécié le caractère apaisé de vos propos. Aujourd'hui, l'important est que l'arsenal visant à garantir la sécurité routière soit utilisé de manière efficace et avec discernement.
À cet égard, la pédagogie est un élément essentiel, et j'espère que le Délégué à la sécurité routière y sera attaché. En tant qu'inspecteur général de l'éducation nationale, j'ai travaillé à la mise en place du brevet de sécurité routière dans les collèges. Je pense qu'une telle formation devrait être mise en place dans les lycées, mais aussi être en accès libre sur Internet pour sensibiliser le grand public. La sécurité routière renvoie en effet à l'éducation, au respect, et doit amener chacun d'entre nous à se sentir responsable quand nous montons dans notre voiture.
Il est très difficile de supprimer les points noirs sur les routes nationales. On nous répond souvent qu'il n'y a pas assez de morts ! Que faut-il prendre en compte : les accidents légers, les accidents avec blessés graves, avec morts ? Certes, la mise en oeuvre du schéma national des infrastructures a permis de travailler beaucoup sur ce sujet, mais il me semble nécessaire de prendre des mesures rapides, sachant que beaucoup d'accidents sont dus, non pas aux conducteurs, mais au mauvais état des routes ou à des signalisations inadaptées.
Par ailleurs, les tests de dépistage du cannabis devraient être plus précis. En effet, des personnes peuvent être dépistées positives, alors qu'elles n'ont fumé du cannabis que trois semaines auparavant. Dans ces cas-là, la consommation de drogue n'est pas en cause dans l'accident.
Il y a quelques mois, j'avais le sentiment que la répression de la vitesse, grâce aux radars automatiques, avait atteint ses limites. Or, si notre pays a connu une hausse de 10 % des tués sur ses routes au premier trimestre, la RFA a enregistré une hausse de 13 %, la Finlande de 17 % et la Suède de 25 %. C'est bien la preuve que ce n'est pas l'assouplissement du permis à points qui a donné un mauvais signal ; il s'est passé quelque chose que nous ne savons pas encore analyser.
Notre mission a parfaitement démontré que les causes des accidents sont multiples : la vitesse tue, mais beaucoup plus lorsqu'elle est associée à la consommation d'alcool et de cannabis.
Les cyclistes font preuve d'une indiscipline croissante dont se plaignent très fréquemment les piétons. Comme Christian Vanneste, je suis persuadé de la nécessité de rappeler les règles.
Par ailleurs, quid de la position du Gouvernement sur le bridage des véhicules ?
Enfin, la sécurité routière étant une cause nationale, elle implique des campagnes nationales renouvelées. Quelle sera la prochaine campagne, monsieur le ministre ?
La technologie LAVIA, que notre mission a expérimentée, est tout à fait maîtrisée et ne coûte pas très cher. Son installation pourrait constituer une peine complémentaire obligatoire, en cas de sanction liée à un délit concernant la vitesse. Quant à la boîte noire - technique également maîtrisée - elle indique la plupart des causes des accidents.
La sécurité routière est en effet une grande cause nationale. Il est donc important qu'une mission de l'Assemblée nationale ait pu travailler sur cette question pendant plusieurs mois et faire des propositions. J'ai noté avec satisfaction que l'ambition partagée est de continuer à progresser, et ce dans un état d'esprit dépassionné et constructif. À cet égard, je retiens le terme utilisé par Mme Hostalier de nécessaire « discernement », la mission des forces de l'ordre étant de faire respecter la règle, et non de piéger les conducteurs. Ce terme figure d'ailleurs dans l'instruction que j'ai adressée aux forces de police et de gendarmerie pour leur demander de renforcer leur vigilance.
Les technologies nouvelles sont très intéressantes. Les progrès qu'elles ne vont pas manquer d'accomplir nous permettront d'améliorer encore la sécurité routière. N'oublions pas que nos véhicules sont devenus plus sûrs et que la mortalité a diminué parce que les véhicules encaissent mieux les chocs et disposent de dispositifs de freinage plus performants. Le système LAVIA est une assistance très intelligente à la conduite et permettra aux utilisateurs d'être sûrs de ne plus dépasser les limitations de vitesse, ce qui constitue un progrès considérable.
Les dispositifs de dépistage du cannabis doivent être améliorés. Sans doute pouvons-nous espérer des progrès en ce domaine, sachant qu'actuellement, seul un contrôle médical apporte la certitude scientifique.
S'agissant des équipements de sécurité des motocyclistes, des systèmes d'airbag auraient l'immense avantage de protéger les vertèbres cervicales. Néanmoins, ils sont chers – à peu près 500 euros – et ne sont pas totalement satisfaisants d'un point de vue technologique. Cela étant, j'ai bon espoir qu'une fois mis au point, ils seront diffusés, puisque la Fédération des motards en colère, qui assure la plupart des motocyclistes, accordera sans aucun doute les bonus nécessaires permettant leur acquisition.
Les avertisseurs communautaires, comme le « Coyote », présentent de nouvelles fonctionnalités, par exemple la lutte contre l'endormissement. Il s'agit là, également, d'une amélioration considérable.
L'état d'esprit du Gouvernement n'est absolument pas de stigmatiser les motards, d'autant qu'ils paient un plus lourd tribut que la moyenne des usagers aux accidents de la route, et ne sont pas responsables des sinistres dans la moitié des cas. Notre objectif est de sauver des vies, sachant que beaucoup de jeunes gens figurent parmi les victimes.
Comme je l'ai dit, la progressivité dans l'accès à la puissance pour les conducteurs de motos est prévue par une directive européenne. Nous devrons transposer cette disposition.
Si la coopération européenne est insuffisante dans le domaine des poursuites transfrontières, elle fonctionnera parfaitement après la transposition de la directive les concernant. Pour en avoir fait l'expérience personnelle, je puis vous dire que la coopération entre la France et l'Italie, s'agissant des contraventions de stationnement, est une réalité !
Il faut bien sûr mettre un terme au débridage des deux-roues. C'est un problème de sécurité routière, mais aussi de tranquillité publique, le bruit engendré par ces engins, a fortiori la nuit, étant insupportable.
L'impossibilité de procéder à une confiscation immédiate des véhicules de société est une injustice. Je vais demander l'étude de ce point précis.
Pour le traitement des points noirs, les commissions départementales de sécurité routière font des suggestions pertinentes, et des lignes budgétaires spécifiques sont prévues à cet effet, au moins pour les voiries nationales. Quant à l'information sur les points noirs, nous procédons actuellement, sous l'égide du Délégué à la sécurité routière, à leur recensement systématique sur l'ensemble du territoire, afin qu'ils puissent être signalés aux utilisateurs d'avertisseurs communautaires, ces derniers présentant, comme je l'ai dit, de nouvelles modalités de fonctionnement.
Le bridage des véhicules serait raisonnable, mais ne peut relever que d'une décision européenne. En effet, le bridage de nos véhicules à 130 kmh entraînerait une baisse de leurs ventes en Allemagne !
Les campagnes de sensibilisation sont très importantes, car elles ont un impact réel sur nos concitoyens si elles sont de bonne qualité. Le film « Insoutenable », déjà diffusé sur Internet et qui a eu un retentissement fort sur les jeunes, sera diffusé, dans une version plus courte, sur toutes les chaînes de télévision, avant les vacances de la Toussaint.
Toujours en matière de communication, nous devrons porter notre effort sur les réseaux sociaux, comme Twitter, les publics fragiles que sont les jeunes étant très consommateurs d'informations par ce biais.
L'initiative du préfet de Charente est intéressante, mais ne me semble pas devoir être généralisée. En effet, 740 000 nouveaux permis de conduire sont délivrés chaque année en France. Par ailleurs, nous nous sommes fixés comme objectif de délivrer les nouveaux permis beaucoup plus rapidement.
Pour finir, une campagne de sensibilisation contre l'alcool sera lancée en décembre.
Dans le cadre de nos débats, une personne a proposé l'instauration d'une opération qui pourrait s'intituler « week-end de la Toussaint – zéro mort », ce week-end étant le plus meurtrier, au cours de l'année, sur nos routes. Nous a également été suggérée la mise en oeuvre d'un système inspiré du dispositif « Alerte enlèvement », avec le déclenchement d'une alerte en cas de dépassement d'un niveau moyen d'accidents, niveau moyen fixé grâce à un calcul sur l'année ou par week-end.
Ce sont les hommes qui, pour les trois quarts, causent les accidents. Je pense qu'une communication devrait être prévue en la matière.
Notre mission rendra ses conclusions mercredi prochain. Si des réformes peuvent être conduites en intervenant dans le domaine réglementaire, une grande partie des mesures revient à la loi. Nous pouvons nous mettre d'accord pour déterminer ce qui dépend de tel ou tel ministère et du Parlement. Nous souhaitons réellement que notre rapport soit suivi d'effets.
Comme vous, le Gouvernement souhaite voir reculer l'accidentalité et la mortalité sur nos routes. Nous sommes parvenus à un corps de doctrine assez commun sur ce qu'il convient de faire. Des mesures pourront être mises en route rapidement. Pour la partie parlementaire, les créneaux sont désormais limités, à moins d'une vraie unanimité, auquel cas les choses pourraient aller très vite.
Quoi qu'il en soit, nos travaux s'inscrivent dans la durée.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie beaucoup pour la qualité, la franchise et la transparence de nos débats. J'espère que notre rapport contribuera à faire diminuer le nombre des personnes tuées sur les routes.
La séance est levée à 19 heures.