Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia
Merci Messieurs d'avoir bien voulu revenir devant la mission d'information afin d'approfondir nos premiers échanges.
L'ensemble de la mission a pu apprécier la qualité des travaux de Météo France comme la précision des avis qu'elle diffuse. Cependant, il est apparu que leurs destinataires ainsi que la population ne perçoivent pas toujours la gravité des événements que ces avis prévoient. Aussi nous demandons-nous, avec le recul du temps et après consultation des acteurs locaux, quelles voies de réflexion s'offrent à vous pour améliorer vos dispositifs d'alerte.
Il faut répéter que la question posée est celle de la lisibilité de nos avis au regard des risques considérés et de leurs conséquences prévisibles. Instruits par l'épisode Xynthia, nous développons un projet d'alerte vigilance vaguessubmersion. Nous avons revu notre plan de travail. L'enjeu étant la précision pour relier l'aléa à un risque et ses conséquences éventuelles. Quant à la partie relative aux conseils de comportement des populations, nous avons pleinement conscience qu'il est éminemment perfectible. À travers nos bulletins d'alerte, on constate que, si la nature du risque et clairement identifiée, cela n'est pas le cas pour sa gravité. Le principal enseignement tiré de la récente catastrophe est qu'un avis fondé sur le risque encouru appelle une connaissance précise de la vulnérabilité de telle ou telle zone, littorale en l'occurrence ; c'est un exercice difficile. Une des questions ainsi posées à Météo France est celle du dimensionnement local de l'avis : une vigilance qui demeure de dimension départementale tout en devant répondre à des situations très locales. Nous ne pouvons atteindre ce degré avec les seuls outils dévolus à Météo France. Il s'agit, par exemple, de conjuguer une hauteur d'eau avec un risque correspondant à une situation locale.
L'évolution prévue de vos méthodes vous ouvrent-elles des perspectives de prises en compte de vos données dans l'élaboration des plans de prévention des risques (PPR) et des plans communaux de sauvegarde (PCS), quelle est la part de votre participation à ces documents aujourd'hui ?
Météo France n'est pas consultée dans ces exercices, ce sont des bureaux d'ingénierie qui conduisent les simulations, ils sont mandatés par la Direction générale de prévention des risques (DGPR). En quelque sorte, pour réaliser de telles prévisions, Météo France aurait besoin de savoir ce qui se passe de l'autre côté de la digue ; nous ne sommes pas en position d'attendre que les mesures très fines soient produites. Dans ces conditions, nous avons adressé à nos correspondants locaux, en liaison avec le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), un questionnaire dans le but de recueillir le plus de données de terrain disponibles. On commence à avoir des retours. Il s'agit d'apporter une réponse pragmatique en établissant des fiches de synthèse à l'échelon départemental. La difficulté de déterminer localement des seuils de dangerosité comme de vulnérabilité demeure cependant. Cette difficulté est augmentée par le caractère parfois aléatoire des durées sur lesquelles portent les données de retour d'expérience et d'observation. Nous utilisons les renseignements fournis par les marégraphes du SHOM afin d'affiner notre approche dans l'appréciation des données relatives à la vulnérabilité des zones concernées et de la fréquence des événements.
Il a été dit à la mission que certains marégraphes fonctionnaient de façon erratique, cela ne constitue-t-il pas un handicap pour Météo France ?
Force est de reconnaître que certaines séries temporelles sont parfois incomplètes, c'est le cas de Boulogne-sur-Mer, par exemple, où un marégraphe n'a été installé qu'au début de la présente décennie. On ne fait pas de prévision en temps réel avec des relevés des marégraphes. À travers ces mesures et données, l'enjeu est celui de la qualification statistique des événements dans la perspective de détermination fine de l'aléa. On ne part pas d'un système parfait, nous établissons une solide coordination avec nos partenaires, ainsi nous devons faire le point avec la direction générale de la prévention des risques, le 24 juin prochain.
La mission interministérielle de retour d'expérience, d'évaluation et de proposition d'action à la suite de la tempête Xynthia propose une formulation plus accessible aux élus : au lieu de parler de la « coïncidence d'une marée de fort coefficient avec une surcote de l'ordre d'un mètre », il vaudrait mieux indiquer que « la mer va atteindre la cote de 4,50 mètres sur telle portion du littoral », la cote étant établie sur la base du nivellement général de la France (NGF) de l'IGN. Que pensez-vous de cette formulation ?
Cette question pose le problème du référentiel : notre référence est la marée basse de 120. Or, on ne sait pas quelle référence mettre à la disposition des élus pour qu'elle soit parlante. Il existe en outre un problème transversal : il faut disposer d'une référence qui convienne pour la mer, le fonds, le sol, ce qui est l'objet du programme Litto 3 D, avec lequel on sera mieux armés.
Le Président Maxime Bono : cette question est importante car elle peut entraîner la décision de l'évacuation ; or les avis de Météo-France concluaient pour la tempête Xynthia à la nécessité du confinement.
Les conseils sur la conduite à suivre en cas de submersion restent à écrire. L'évacuation est un problème complexe, surtout en pleine tempête.
En fait, il ne s'agirait pas réellement d'une évacuation, mais d'un déplacement à une échelle très limitée.
Cette mise en sécurité dépend en fait des délais : pour Xynthia, on aurait disposé de 6 à 8 heures.
Dès le samedi, les alertes étaient exploitables.
Le Président Maxime Bono. Vos prévisions sont précises, mais il est difficile pour les élus d'en tirer les conséquences.
L'avis n'a inquiété personne. Ne faudrait-il pas revoir l'alerte orange et moins l'utiliser : comme il y en avait eu plusieurs depuis le début de l'année, les élus ne s'en inquiètent plus. De ce fait, le passage en rouge a été peu remarqué.
Il n'y a pas de vigilance en place pour le phénomène « vague-submersion ». De façon générale, en l'état de l'art, l'alerte orange est valable à l'échelle départementale, en non à l'échelle de la commune. Météo-France réalise un contrôle des systèmes de vigilance orange, ce qui est inédit en Europe. La vigilance orange a été déclarée dans le département du Var, mais, dans certaines zones, il n'y a pas eu d'inondation. On peut mieux prévoir le phénomène « vague-submersion » qui est à grande échelle. Nous avons étudié la façon dont on a visualisé la vigilance, en distinguant une bande le long du littoral et en ne mettant pas une couleur identique partout. Il faudrait que le bulletin de suivi soit différent pour les communes du littoral.
Je suis d'accord avec mon collègue : depuis la tempête de 1999, les alertes en Gironde sont systématiques et parfois exagérées, on crie au loup pour rien, peut-être en application du principe de précaution. Il faudrait une gradation entre le orange et le rouge.
Lorsqu'il y a une alerte orange, le département est touché dans 75% des cas, mais on ne peut pas prévoir finement selon les endroits. Je vous communiquerai les bilans de la vigilance annuelle. Quant aux couleurs, nous en avons un nombre pair (vert, jaune, orange, rouge), pour rendre nos personnels responsables de ce qu'ils vont proposer.
Le fait de constater que les vigilances « orange » se seraient multipliées depuis 1999, relève-t-il de la fausse impression ?
Il importe, en tout état de cause, de faire disparaître le sentiment selon lequel les mises en vigilance « orange » ne serviraient pas à grand-chose !
Il faut distinguer deux choses. D'abord, les bulletins météo et leur rédaction et ensuite la capacité, voire la formation des gens et, plus particulièrement des élus, à les comprendre et à les utiliser. Il y a différents types de prévisions, celles destinées à des professions particulières, les informations que vous adressez directement aux préfets, à charge pour eux de les relayer, et vos prévisions à destination du grand public. Quel est votre avis sur ce qui est fourni par vos soins aux préfectures et ce qu'elles relaient ?
Je peux vous dire, qu'Outre-mer, il y a une doctrine qui fonctionne plutôt bien en ce domaine.
Le bulletin de vigilance destiné aux préfectures est un document normalisé. Alors que pour les professionnels, on est dans le « spécifique ». Chaque profession concernée a une sensibilité particulière à l'événement : pour les grues de chantiers, la limite au vent de 60 kmh signifie quelque chose. Nous les informons de l'événement afin que les entreprises qui gèrent ces matériels prennent leur disposition. Il y a, par ailleurs, des bulletins ciblés, c'est le cas des prévisions de la météo marine et de ce que l'on appelle couramment encore la « météo paysanne ».
Je reviens à la question des répondeurs téléphoniques et du numéro 32 50 que j'avais déjà évoquée au cours de la première audition. Il y a des problèmes car nous sommes là dans le champ concurrentiel avec des offres différentes. Il y a eu des contestations qui sont remontées jusqu'au Conseil de la concurrence, car des préfets renvoient systématiquement sur notre « 32 50 ». On a étudié des solutions, celles notamment de numéro Azur voire d'un numéro Vert qui d'ailleurs nous coûterait cher ! Faut-il un numéro spécifique « sécurité civile » ? Tout cela est en question, on en parle… Ce qui est derrière le dispositif de vigilance en France relève juridiquement de la simple circulaire, c'est-à-dire d'un niveau qui en droit pur a une faible valeur. Dans certains pays, le fondement juridique relève de texte d'une valeur incontestablement plus élevée. C'est un vrai problème pour un dispositif d'État, je ne crois pas qu'on puisse en rester là.
L'alerte météo est plutôt bien perçue. Ce qui ne l'est pas c'est le risque de submersion. La mission l'a bien vu lorsqu'elle s'est rendue au SDIS de La Roche-sur-Yon. Avec la tempête, c'étaient des vents violents qui étaient attendus, les maires ont fait le nécessaire pour avertir les gens contre les effets possible de ce risque.
Dans nos avis de très fortes vagues (ATFV) il y a des lignes rajoutées entre crochets sur la submersion dans la partie « vent ». Mais nous travaillons toujours sur ce point et une modification de notre site Internet a d'ailleurs été décidée en ce sens pour, je l'espère, le mois de juillet prochain avec plus d'informations, mieux lisibles sur ce risque, comme ce que nous faisons sur le risque « avalanches ».
En revanche, la surcote a été un peu banalisée dans les bulletins. On lit 0,60 cm, 0,80 puis près d'1 m…
Sur les alertes « rouge » ou « orange », je pense que les données ne sont pas mauvaises. Le vrai problème est celui de leur utilisation en cas d'alerte. Lorsqu'un fax tombe en mairie un samedi soir, que se passe-t-il ? Dans ma commune, 65 entreprises ont été touchées. Depuis 10 à 15 ans, on a incontestablement progressé pour la qualité des prévisions. Mais pour l'alerte ? Il faut se poser les bonnes questions pour savoir comment apporter des améliorations en la matière pour l'avenir.
M. le directeur, pouvez-vous nous indiquer sur une échelle les degrés de difficulté par grandes catégories d'événements ?
D'abord, j'insiste sur le point qu'il ne faut pas confondre la capacité à prévoir avec des éléments de dimensionnement en conséquence directe des fondements propres aux données climatologiques.
Par type de phénomènes, je dirai que pour la prévision du vent, nous sommes plutôt bons, de même que nous prévoyons assez bien la neige et le verglas. Nous avons beaucoup progressé sur les vagues de froid et les canicules. En revanche, cela reste plus difficile pour les orages et les systèmes orageux. Quant à la grêle, la difficulté reste réelle car il s'agit de phénomènes sur des petites échelles. Je suis obligé de dire qu'une tornade comme celle qui a touché la commune d' Hautmont, on ne sait pas faire.
Nos axes de progrès concernent à la fois l'observation et la modélisation, sans jamais oublier l'expertise humaine qui s'oriente de plus en plus sur la validation des modèles. Le réseau des radars qui n'est pas tout à fait complet en France reste essentiel de même que les satellites pour la connaissance des océans et des vents. La question des satellites est cruciale, elle demande des moyens et soulève des questions essentielles entre l'articulation des moyens publics et privés et dépend aussi de l'accord donné par des pays partenaires à certains projets.
Dans la gestion des systèmes côtiers, on dispose de bonnes prévisions sur les conditions d'arrivée des polluants par exemple. En tout état de cause, il faut savoir qu'un grand nombre de chercheurs travaillent pour Météo France. Toutes ces affaires sont coûteuses et le renouvellement et l'entretien des matériels pèsent lourdement.
Comment progresse la recherche à Météo-France ? En tant qu'élue, je reçois des alertes et une procédure est mise en place par la préfecture.
Météo-France emploie 250 chercheurs qui se répartissent entre les travaux d'observation et de modélisation.
Je m'interroge au sujet de vos relations avec le BRGM : il semble que vous conduisez des travaux de concert mais que, d'un autre côté, vous leur fournissez des données à titre onéreux.
Nous vendons nos données pour toutes activités commerciales, y compris celles du BRGM ; pour la recherche, nous les fournissons à titre gracieux.
Je ne sais pas répondre à cette question qui sort de mon domaine, il existe des programmes de prévention du risque tsunami très précis dans les Antilles notamment. Le CEA et le SHOM sont experts dans ces domaines, aussi pour le centre Méditerranée ; la question est alors de la diffusion très rapide de l'alerte par Météo-France.
Le Var vient d'être victime de graves inondations avec des précipitations allant jusqu'à 350 millimètres par heure, cela était-il prévu ?
Nous avions lancé une alerte orange avec un risque maximum de 400 millimètres pendant 48 heures. Ces phénomènes sont très localisés, les Arcs notamment ont subi de très fortes précipitations avec des pointes à 400 millimètres par heure. Il s'agit d'un bassin versant qui fonctionne comme un entonnoir, ce qui accroît le phénomène. Il est donc malaisé de le prédire dans toute son intensité.
Il s'agit donc d'une zone de grande vulnérabilité : pourquoi ne pas avoir déclanché une alerte rouge ?
L'alerte rouge est réservée au prévisions de précipitations d'un volume de 600 millimètres par heures, voire 400 lorsqu'il est possible d'établir une prévision très localisée ce qui n'est presque jamais le cas. La question est celle de l'appréciation du volume de précipitation à attendre, cela relève de l'hydrologie. Météo-France prévoit d'étendre le champ de ses travaux dans ce domaine en correspondance avec le Storm prevision center (SPC) notamment.
Existe-t-il une explication du phénomène de la grêle ? Pourquoi certaines communes en reçoivent-elles beaucoup et d'autres – proches- peu ? Comment se battre contre la grêle ?
On connaît les conditions de formation de la grêle, mais celle-ci survient à une échelle très fine, ce qui nous pose problème. Il faut en premier lieu la détecter, grâce à des radars, une expérimentation va être réalisée cette année, puis on peut modéliser. L'autre outil de travail est le modèle Arôme. On sait prévoir le risque de grêle.
Les compagnies d'assurance ont une carte de la grêle par village pour fixer des surprimes.
Qu'en est-il du « service national d'océanographie côtière » (SNOCO) qui permettrait d'améliorer et de compléter la vigilance « vague-submersion ». Où en est-on de ce projet ?
Ce n'est pas simple. Ce service est sera mis en place par le SHOM. Nous disposons d'un système pour modéliser les océans : Mercator ; IFREMER et le SHOM font des efforts pour réaliser un modèle côtier. L'idée est de disposer d'une plate-forme publique pour obtenir en aval des éléments plus fins. La question est : quel service ? Est-ce que ce sera un service standard ? Quels enjeux ? Quels marchés ? La gestion des systèmes côtiers est fondamentale. Autre question : quel en sera le financement ? Il faut, en outre, mesurer les coûts de renouvellement des outils
Vous êtes fournisseurs de données. La coordination est-elle suffisante entre les différents organismes ? Un seul organisme est-il souhaitable ? Qui assure la coordination entre les travaux ?
Ce n'est pas une question facile. La coordination est réalisée par un comité des directeurs des organismes de l'océanographie et du changement climatique. Chaque organisme a ses finalités propres. L'IFREMER est spécialisé dans la recherche et la surveillance des aspects côtiers et biologiques, mais il n'intervient pas dans le champ opérationnel, le SHOM a une compétence côtière ; ils travaillent ensemble. Météo-France fournit les données atmosphériques et peut faire tourner des modèles. Le SHOM a également une vocation militaire et hydrographique. L'Angleterre a adopté un modèle semblable, mais pas les États-Unis. En France, il existe une coordination sur les projets et des objectifs clairs : par exemple, Météo-France va signer une convention avec le SHOM sur la vigilance. L'adoption d'une autre organisation serait une question très complexe, la revoir imposerait de mesurer soigneusement les questions qui se poseraient. Météo-France travaille à H 24, avec le SHOM et le SCHAPI : les experts de la « pluie qui tombe » et ceux de la « pluie qui coule » doivent travailler ensemble. Je peux vous assurer que les différents organismes ne se « marchent pas sur les pieds ».
On a pourtant l'impression que chacun travaille pour lui : un laboratoire nous a expliqué qu'il se fournit en données aux Etats-Unis car elles sont moins chères.
Cette question n'est pas anodine : il s'agit de distinguer ce qui est commercial de ce qui est public. Aux États-Unis, les données ne sont pas toujours à jour, la qualité n'en est pas aussi homogène qu'à l'IGN. Tout dépend de ce dont on a besoin.
Je vous remercie pour la grande qualité et la clarté de vos réponses. J'ai le sentiment que les travaux de Météo-France témoignent d'une amélioration exponentielle.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia
Réunion du mercredi 16 juin 2010 à 16 h 30
Présents. - M. Jean-Claude Beaulieu, M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Dominique Caillaud, M. Jean-Louis Léonard, Mme Jeanny Marc, M. Philippe Plisson, M. Didier Quentin, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud
Excusés. - Mme Véronique Besse, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Françoise Branget, M. Jean-Marie Morisset, M. Dominique Souchet