Audition, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de M. Bruno Racine, membre du Groupe d'experts pour un nouveau concept stratégique de l'OTAN
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
Lors du Sommet de Bucarest, en avril 2008, les chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance atlantique ont estimé que son concept stratégique, défini en 1999, devait être renouvelé, afin de l'adapter aux évolutions des menaces pesant sur notre sécurité et de prendre en compte l'élargissement de seize à vingt-huit membres. À cet effet, le secrétaire général de l'OTAN a constitué un groupe d'experts, présidé par l'ancienne secrétaire d'État américaine Madeleine Albright. Après un rapport d'étape, rendu en novembre 2009, le groupe a publié son rapport final le 17 mai. Il sera soumis aux chefs d'États et de gouvernement des pays membres lors du Sommet de Lisbonne de novembre 2010. M. Racine va nous exposer le contenu de ce rapport d'experts, dont les principales conclusions nous ont été communiquées.
Au nom d'Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères, je vous poserai trois questions, monsieur Racine.
L'influence française en matière de doctrine est-elle sortie gagnante du retour de notre pays dans le commandement intégré de l'OTAN ? La nomination du général Abrial à la tête du Commandement allié Transformation (ACT), qui a sans doute joué un rôle important pour alimenter vos réflexions, a-t-elle modifié les équilibres internes à l'OTAN ?
Le rapport conclut-il à la nécessité de laisser la porte ouverte à de futurs élargissements de l'OTAN ? Jusqu'où est-il envisageable de l'ouvrir ? Jusqu'à la Russie ?
Le ministre de la défense, conformément à la position française, partagée notamment par les États-Unis et la Grande-Bretagne, a demandé que l'OTAN revoie ses structures afin de réduire son coût de fonctionnement. Quelles sont les pistes possibles pour atteindre cet objectif ?
Guy Teissier, président de la commission de la défense, retenu par ailleurs, m'a chargé de l'excuser.
Cette invitation me donne l'occasion de vous présenter une synthèse des travaux qui se sont déroulés depuis septembre dernier. Notre groupe, constitué au départ de douze personnes, sous la présidence de Mme Albright, a été réduit à onze membres après le départ de l'expert britannique, l'ancien ministre de la défense Geoff Hoon.
Ces travaux ont constitué une étape essentielle dans la préparation du concept stratégique qui sera approuvé au prochain sommet de l'OTAN. Plus de dix ans après l'adoption du précédent, tout le monde était conscient que les fondements de la sécurité transatlantique avaient profondément évolué. L'OTAN était passée entre-temps de seize à vingt-huit membres. La présence militaire américaine en Europe s'est fortement réduite, les États-Unis s'étant réorientés vers le Moyen-Orient et l'Asie. L'Union européenne s'est affirmée comme un acteur stratégique important sur la scène mondiale en menant des opérations sous son drapeau. La France a décidé de participer de nouveau pleinement aux structures militaires de l'Alliance. Celle-ci, depuis le 11 septembre, est essentiellement tournée vers les missions extérieures.
La structure de commandement a déjà connu une première réforme avec la création du Commandement allié Transformation, confié en 2009 à un général français. En outre, l'OTAN a été dotée d'une force de réaction rapide et de multiples partenariats ont été développés, à sa périphérie ou plus lointainement – elle compte aujourd'hui davantage de partenaires que de membres.
Au Sommet de Strasbourg-Kehl, les États membres et le secrétaire général ont souhaité lancer un processus sans équivalent dans l'histoire de l'Alliance atlantique, très ouvert et aussi transparent que possible, comparable à ce qui a été fait en France préalablement à l'adoption du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Aucun expert n'était officiellement mandaté par son Gouvernement ; nous étions réputés participer en tant qu'esprits indépendants. Le secrétaire général a veillé à ce que soit respecté un certain équilibre entre zones géographiques, grands et petits États, anciens et nouveaux membres. Une très grande partie de notre temps a été mobilisée par des rencontres dans presque tous les pays de l'Alliance.
Quatre grands séminaires, ouverts à plusieurs centaines de personnalités de tous horizons, se sont tenus à Luxembourg, en Slovénie, en Norvège et à Washington, respectivement sur les thèmes de l'environnement stratégique, des missions et des opérations, du partenariat – avec des experts du monde entier, par exemple algériens et du Golfe – et des capacités.
Nous nous sommes aussi répartis en petits groupes pour animer des concertations, organisées plutôt dans les pays qui ne disposaient pas d'un représentant dans le groupe d'experts. J'ai ainsi participé à des consultations, dans les universités, avec les assemblées parlementaires et auprès des exécutifs, en Roumanie, en Croatie et en Pologne.
Le groupe dans son entier s'est aussi déplacé à Moscou, afin de marquer combien la relation avec la Russie revêtait une importance centrale et méritait un traitement particulier.
Nous avons systématiquement rencontré les autorités militaires de l'Alliance pour recueillir leur sentiment, d'autant que notre groupe, constitué majoritairement de diplomates, ne comportait aucun militaire.
Le rapport final a été présenté le 17 mai dernier, après quoi notre groupe a été dissous. C'est maintenant au secrétaire général de l'OTAN d'exploiter au mieux les idées que Madeleine Albright lui a transmises, afin de tracer l'esquisse d'un concept stratégique qu'il soumettra aux États membres.
Au départ, l'on pouvait penser que des divergences assez importantes apparaîtraient, en particulier sur la question du nucléaire. Pour schématiser, les alliés d'Europe centrale et orientale, attachés à mettre l'accent sur la mission de protection des frontières afin de se prémunir contre une éventuelle agression russe, étaient assez réservés à l'idée même d'une révision des structures de l'OTAN. Notre exercice a consisté à essayer de trouver, sur tous les sujets, le point d'équilibre préfigurant la recherche d'un consensus entre les vingt-huit : équilibre entre la mission principale et originelle de défense collective du territoire et l'action extérieure ; équilibre entre la prise en compte des menaces traditionnelles et des nouvelles menaces ; équilibre entre une alliance militaire à vocation régionale, strictement euro-atlantique, et une alliance politique mondiale ; équilibre entre la dissuasion nucléaire et le désarmement ; équilibre entre l'Europe et l'Amérique du Nord ; équilibre entre les relations avec les partenaires et celles avec la Russie.
Sans doute le rapport aurait-il pu être amélioré par deux ou trois séances de réécriture, mais l'important est qu'y figurent les idées auxquelles la France tenait. En dépit des différences de sensibilité, le point d'équilibre trouvé n'est pas un compromis tiède.
D'abord, le rapport rappelle une évidence : tous les alliés doivent être assurés de leur sécurité. L'importance fondamentale de l'article 5 est solennellement réaffirmée : une attaque contre un est une attaque contre tous. Cependant, dans le monde d'aujourd'hui et de demain, la sécurité des pays membres de l'Alliance se joue et se jouera bien au-delà des frontières. Par ailleurs, les menaces évoluent très rapidement – voyez la « cybermenace », dont le degré de probabilité est très supérieur à celui de la menace traditionnelle d'invasion.
En ce qui concerne l'engagement d'opérations extérieures, je me suis efforcé de faire adopter l'idée déjà retenue dans le Livre blanc français : pour que l'OTAN ne devienne pas le gendarme du monde, susceptible d'intervenir à tout propos et en tout point, toute décision semblable à l'intervention en Afghanistan doit répondre à des critères clairs. Dans ces conditions, jamais l'OTAN n'aurait pu approuver l'opération en Irak ou y participer – ce qu'elle n'a d'ailleurs pas fait. Ces principes laissent place à une appréciation au cas par cas, mais il est important de les expliciter. Ils sont fondés sur le respect du droit international et du rôle de l'ONU. J'ignore ce qu'il en sera dans le concept stratégique final mais nous avons adopté cette suggestion, alors qu'elle apparaissait un peu, au départ, marquée par la culture légaliste française.
Autre évolution par rapport au concept de 1999, nous avons mis l'accent sur les partenariats, pratiquement érigés au même niveau que la défense collective, en particulier deux d'entre eux. L'ONU, institution qui confère la légitimité à certaines opérations, est aussi devenu un acteur de terrain important avec ses opérations de maintien de la paix. Quant à l'Union européenne, par le chevauchement des appartenances aux deux organisations, elle occupe une place spécifique et privilégiée. Notre rapport établit que l'OTAN est bien une institution régionale et non mondiale, même si elle peut intervenir hors de la zone euro-atlantique dès lors que des menaces contre les États membres y apparaissent. Cela signifie que des pays comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon ou la Corée du Sud n'ont aucunement vocation à devenir membres de l'Alliance.
Une troisième priorité, partagée par mon collègue britannique et nos interlocuteurs américains, consistait à initier une réforme en profondeur de la structure civile de l'Organisation et à poursuivre la réforme de sa structure militaire. C'est d'autant plus urgent que la situation économique des pays membres s'est dégradée et que l'OTAN elle-même, pour la première fois de son histoire, connaît une crise financière majeure, avec un déficit appelant des mesures correctrices significatives. Une accélération du processus de réforme est engagée et le secrétaire général a déjà mandat pour formuler des propositions ambitieuses dans ce sens. La réforme n'est pas une conséquence du futur concept stratégique mais sera l'une de ses composantes essentielles.
La Russie a été au centre des débats et aurait pu constituer un facteur de division entre États, comme les pays baltes, particulièrement sensibles au sujet – l'un d'eux a été la cible d'une « cyberattaque » dont l'origine ne semble pas étrangère à son puissant voisin – et d'autres, comme l'Allemagne ou l'Italie, pour lesquels il faut tourner rapidement la page de la guerre froide et de la dernière décennie, marquée par la déception – le conseil OTAN-Russie n'ayant pas fonctionné de façon satisfaisante et la Russie étant intervenue en Géorgie. Nous sommes néanmoins parvenus au consensus suivant : le concept stratégique doit affirmer la nécessité de construire avec la Russie un partenariat et un dialogue fondés sur la confiance. Cela va de pair avec la réassurance donnée à propos de l'article 5 : plus les pays ressentant une grande appréhension vis-à-vis de la Russie sont rassurés sur leur propre sécurité, plus ils sont prêts à se rallier à une position plus « décontractée ». Nos échanges avec la Russie ont du reste montré que ce pays est également traversé par des points de vue et des sensibilités différents.
Sur les questions nucléaires, dont j'étais le rapporteur devant le groupe, nous pouvions redouter des clivages qui ne se sont finalement pas exprimés. La composante nucléaire de la dissuasion est très clairement réaffirmée et tout changement dans la posture de l'Alliance devra être adopté de façon unanime et non par un groupe de pays. Certains trouvent cette position trop timide pour contribuer à libérer le monde de l'arme nucléaire, mais elle nous a paru plus conforme à la réalité de l'environnement, la prévalence du nucléaire risquant de se renforcer parmi des pays pas forcément amicaux, et la Russie conservant un arsenal considérable de têtes à courte portée. Nous ne sommes donc pas fermés par principe à la poursuite de la réduction des arsenaux nucléaires, en particulier de celui déployé en Europe par les États-Unis, mais en tenant compte de l'environnement et, si possible, dans le cadre d'un dialogue plus confiant avec la Russie.
Partant du constat que l'emploi de la force militaire s'avère insuffisant dans les opérations extérieures, certains pays préconisaient que l'OTAN se dote de moyens d'action civile et économique propres, en plus de ceux des Nations unies, de l'Union européenne et des États. Dans le jargon de l'OTAN, l'on parle de comprehensive approach, ou « approche globale ». Plutôt que de porter l'ambition d'une duplication de la structure militaire par une structure civile, qui aurait été irréaliste dans le contexte budgétaire actuel, nous avons souligné la nécessité d'interagir avec ceux qui détiennent la capacité civile, ce qui passe seulement par l'injection d'un minimum de compétences civiles dans les organes de planification. De ce point de vue aussi, les préoccupations françaises ont été entendues : dans ses relations avec l'OTAN, l'Union européenne doit rester un acteur prépondérant.
Les membres de votre groupe d'experts ont-ils pu vraiment s'exprimer en toute indépendance ? Le groupe a-t-il eu toute latitude pour conduire ses travaux ? Le rapport fait-il l'impasse sur certains sujets que vous avez traités ? Si oui, pourquoi ?
Êtes-vous personnellement d'accord avec toutes les orientations du rapport ? Émettez-vous des réserves à propos de certaines d'entre elles ? Auriez-vous aimé que d'autres y figurent ?
Avec l'élargissement de l'Alliance atlantique, nous nous rapprochons de plus en plus de la Russie et nous allons bientôt tomber sur une autre institution, qui n'a pas le même statut mais est la première organisation sous-régionale : l'OSCE, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Quelles relations entretiennent ces deux organisations ?
Madame la vice-présidente, je répondrai d'abord à vos questions initiales. La France intervient par plusieurs canaux. Ses préoccupations ont été clairement exprimées et ne me semblent pas avoir suscité de réticences chez Madeleine Albright ni chez mes collègues britannique, allemand ou polonais – je souligne le rôle très constructif joué par ce dernier, l'ancien ministre des affaires étrangères Adam Rotfeld.
L'ACT a été l'un de nos principaux fournisseurs de documents et sera, à n'en pas douter, l'une des chevilles ouvrières des réformes qui résulteront de l'adoption du nouveau concept stratégique. Le rapport recommande au demeurant que ce commandement soit conforté dans son rôle de réflexion et de proposition. Le choix d'un général français pour ce commandement précis a indiscutablement constitué un plus pour faire entendre les idées qui nous sont chères.
À propos de l'élargissement, la doctrine de l'OTAN est celle de la porte ouverte : tout État de la zone euro-atlantique désireux d'adhérer et répondant à certains critères, a la faculté de se porter candidat. L'important est évidemment la liste des critères : par exemple, l'Ukraine et la Géorgie n'y répondent pas mais des pays candidats, notamment dans les Balkans, y répondront probablement dans la décennie à venir. Le compromis diplomatique est donc conforme à la réalité politique : l'OTAN n'a pas la volonté de hâter l'adhésion de pays problématiques du point de vue de la Russie, ce qui nous donne, dans la décennie à venir, la possibilité de rebâtir une relation avec elle. Du reste, dans la mesure où elle fait naturellement partie de la zone euro-atlantique, son adhésion à l'OTAN ne serait pas exclue a priori si un jeu de circonstances imprévisibles aujourd'hui l'amenait à poser sa candidature – l'idée est parfois débattue à Moscou même.
Certains, parmi les nouveaux membres comme parmi les anciens, en particulier l'Allemagne et la Turquie, ont parfois tendance à redouter l'ampleur de la réforme. Nous sommes toutefois parvenus à un consensus ambitieux, y compris s'agissant de la réduction des agences et des coûts ou encore de l'adaptation des règles de décision au niveau inférieur ou technique, afin d'éviter que certaines questions ne soient bloquées par des préoccupations étrangères au sujet – je pense par exemple aux effets du différend gréco-turc. Toutefois, la difficulté commencera lorsqu'il faudra passer à l'acte.
Monsieur le vice-président, je me suis efforcé de rester indépendant, même si je me suis tenu en contact avec le ministère des affaires étrangères et le ministère de la défense. Ma présence dans ce groupe a permis de favoriser la maturation de la réflexion interne de la France.
L'OSCE est évidemment mentionnée parmi les organisations avec lesquelles un partenariat est possible et souhaitable mais sa vitalité est très largement conditionnée par la qualité des relations entre la Russie et l'Occident.
Le Président Sarkozy s'est déclaré favorable à la réunion d'un sommet des chefs d'État de l'OSCE.
Absolument. Je ne dis pas du tout que l'OSCE est inutile mais son efficacité ne pourra s'accroître que si un dialogue avec la Russie est rétabli sur des questions comme le développement des forces conventionnelles en Europe, qu'il s'agisse des plafonds comme des mesures de transparence et de confiance mutuelle.
L'OSCE ne possède pas de structure militaire.
Enfin, j'aurais pu rédiger autrement certains points du rapport mais je ne désapprouve aucun d'entre eux. Nous avons là un véritable document de consensus, qui n'omet aucun sujet important et démine utilement les problèmes en vue du Sommet. Mais je ne m'illusionne pas : la réforme de la structure militaire et la suppression éventuelle de certains commandements régionaux provoqueront des résistances.
Votre groupe a-t-il réfléchi à la question de l'alerte en temps réel, nécessaire pour assurer une défense collective ?
Le sujet a été abordé lorsqu'il a été question de la défense antimissile. Avec l'abandon des déploiements en Pologne et en République tchèque, une nouvelle phase est ouverte. La plupart des alliés, je crois, convergeront pour souhaiter que l'OTAN développe une mission de protection contre la menace balistique, qui, dans les dix ou quinze ans à venir, ira croissant. Ce système n'est viable que si la menace est détectée en temps réel. La difficulté ne porte pas sur le concept mais sur son financement. Ce système est-il prioritaire par rapport à d'autres investissements ? Les capacités françaises développées conformément à notre Livre blanc pourront-elles contribuer à un futur système collectif ? Comment les intérêts industriels seront-ils répartis ? Quoi qu'il en soit, il faut un système d'alerte dont les informations soient communiquées à tous les alliés.
Nous en avons aussi discuté à propos des « cyberattaques », qui, selon les autorités militaires, apparaissent comme la menace numéro un, plus encore que le terrorisme, assez bien maîtrisé en Europe. Certains États développent des capacités offensives dans ce domaine. L'épisode estonien ayant montré qu'il n'existait pas de système de détection en temps réel, notre rapport préconise d'en mettre un sur pied.
Dans le champ de la politique internationale, le concept stratégique de l'OTAN sera l'un des sujets les plus structurants des années à venir.
Sur plusieurs points, nous restons partagés. Avant d'approuver ce concept, un marqueur sera déterminant. L'OTAN ne doit être habilitée à intervenir militairement que dans deux situations soit quand l'un de ses membres est attaqué soit sous mandat de l'ONU. Le nouveau concept stratégique prévoit-il que des interventions soient possibles en dehors de ces deux cas de figure ? C'est la question fondamentale.
Le président Bush avait lancé l'opération de la défense antimissile en Europe sous la pression d'un lobby industriel extrêmement puissant. Or, un rapport récent adressé au Pentagone a démontré la totale inefficacité de ce système, surtout en cas de frappe saturante. Deuxièmement, il constitue la négation de la dissuasion. Troisièmement, si un pays arrosait l'Europe de missiles, dans les minutes suivantes, il serait complètement vitrifié par les dispositifs nucléaires français, britannique voire américain. Nous risquons donc de nous voir engagés dans des dépenses inutiles, détournant les flux financiers d'outils militaires dont nous avons besoin : les hélicoptères de combat, les avions de combat ou les drones. Le secrétaire général Rasmussen est particulièrement motivé par la défense antimissile. Le dossier continue-t-il d'évoluer dans le mauvais sens ?
La référence à l'ONU me semble effectivement fondamentale. Vous avez évoqué le concept d'approche globale. Si l'OTAN se dote de structures civiles en plus de ses structures militaires, peut-être se dotera-t-elle ensuite de structures politiques, ce qui lui permettra de régler tous les problèmes et éventuellement d'imposer sa conception de l'organisation de la société.
L'attitude de l'OTAN sur la question du Traité de non-prolifération, le TNP, est aussi cruciale.
Contrairement à ce qui est affiché, l'OTAN est bien une organisation à vocation mondiale.
S'agissant des partenariats, tout le monde regarde du côté de la Russie. Vous avez cité aussi des pays d'Afrique du Nord. Pouvez-vous en dire davantage à propos des intentions de l'OTAN dans ce domaine ?
Le concept stratégique met-il complètement de côté l'existence d'une défense européenne ?
Le concept stratégique sera adopté au Sommet. Nous n'avons proposé que des éléments de réflexion, qui ne préjugent en rien du texte final. C'est une étape dans un processus.
L'intervention de l'OTAN dans le cadre de l'article 5, en situation de légitime défense, est sa raison d'être, personne ne le conteste. Nous affirmons clairement le rôle de l'ONU et nous citons la conformité avec le droit international parmi les critères à respecter. L'OTAN, France incluse, est intervenue au Kosovo sans mandat du Conseil de sécurité. Était-ce conforme au droit international ?
Les juristes en discutent. En tout cas, dans notre rapport, nous ne disons pas que l'OTAN ne peut intervenir que sous mandat du Conseil de sécurité. Toutefois, la réaffirmation du rôle du Conseil de sécurité et du principe de respect du droit international tend à borner la capacité d'intervention de l'OTAN ; au demeurant, je le rappelle, celle-ci n'engage des forces que si l'unanimité de ses membres est réunie, ce qui s'avéra impossible à propos de l'Irak.
La défense antimissile est-elle antinomique avec la dissuasion ? Brandir un bouclier rend-il l'épée moins crédible ? Personnellement, je ne le pense pas, mais le débat pourrait nous occuper très longtemps. En réalité, ce n'est pas une urgence absolue. À l'horizon de quinze ans, toutefois, le territoire européen sera vulnérable face à des pays qui auront peut-être acquis une force de dissuasion nucléaire. Disposer d'une capacité d'interception limitée me paraît souhaitable et nullement antinomique avec la dissuasion. S'il est possible d'intercepter un petit nombre de missiles, nous devons nous doter de cette capacité. Il ne s'agit pas de parer à un millier de missiles, mais de contrer des acteurs qui posséderont peut-être à la fois une capacité de dissuasion et une capacité offensive. Loin de nous affaiblir, disposer d'une défense antiaérienne et blinder nos chars nous renforce. Il n'en demeure pas moins que la question primordiale sera industrielle et financière. Cet investissement n'est sans doute pas prioritaire, alors que les pays de l'Union européenne souffrent de lacunes criantes dans des secteurs comme le transport stratégique. En revanche, l'idée devra être intégrée à l'horizon de dix ou quinze ans. Nos compétences, nos savoir-faire et nos capacités industrielles nous permettront-ils d'être des contributeurs actifs et non de simples bénéficiaires passifs ? C'est souhaitable.
Il n'a pas été question du TNP en tant que tel, mais nous nous sommes appuyés sur les analyses concluant à l'accroissement du risque de prolifération. Dans ce contexte, la consolidation du TNP constitue un objectif diplomatique de premier ordre. Un certain nombre de pays subordonnent leur attitude à des progrès des puissances nucléaires en matière de désarmement. Il est nécessaire que l'OTAN dispose d'une composante de dissuasion nucléaire, même à un niveau réduit – elle affiche clairement la volonté de réduire les arsenaux. S'agissant des quelques armes américaines encore stationnées en Europe et susceptibles d'être mises en oeuvre par des États non nucléaires, le groupe recommande de ne pas se prononcer à leur sujet sans décision de l'Alliance tout entière.
Concernant des partenariats avec d'autres régions du globe, il existe déjà l'initiative de coopération d'Istanbul, à destination des États du Golfe, qui étaient représentés au séminaire organisé en Norvège. Pour ce qui concerne le dialogue méditerranéen, l'Algérie a fourni officiellement un document, ce qui constitue une première. Les objectifs des différents partenariats doivent être revus car ils ne donnent entière satisfaction ni d'un côté ni de l'autre. Il est impossible de répondre à l'attente de certains pays, comme les États du Golfe, qui espèrent de l'OTAN une protection contre l'Iran.
À propos de la défense antimissile balistique (DAMB), je partage plutôt votre avis que celui de Jean-Michel Boucheron. Le groupe recommande que ce ne soit plus une simple capacité de l'Alliance mais que cela devienne l'une de ses missions et le général Abrial a récemment affirmé que c'était « un sujet capital » pour l'OTAN. Mais une déclaration de M. Rasmussen m'inquiète : en substance, si l'Europe ne veut pas être un tigre de papier, il faudrait qu'elle rejoigne le bouclier antimissile américain. Dans le cadre de la comprehensive approach annoncée par le Président Obama, ne convient-il pas au contraire de se tourner du côté du deuxième pilier de l'OTAN, son pilier européen ? Sur tous les segments – l'alerte avancée, le contrôle commandement et l'effecteur neutralisant le missile –, nous pouvons apporter une valeur ajoutée. En matière de DAMB, l'optique du groupe Albright était-elle de cantonner l'Europe à la sous-traitance des options américaines ou de rechercher un apport de la part du pilier européen de l'OTAN ?
Compte tenu du champ des interventions militaires possibles – défense collective, sécurité de toute la région euro-atlantique, interventions extérieures –, votre groupe a appelé à un coup d'arrêt de la baisse des budgets de la défense, faisant observer que six États seulement sur les vingt-huit membres de l'OTAN y consacrent au moins 2 % de leur PIB. Avez-vous envisagé, dans vos réflexions, que les premiers pays contributeurs s'apprêtent pourtant à réduire de manière drastique leur effort de défense ?
Vous placez le curseur de la composante nucléaire au minimum requis de sécurité du moment. La France, qui ne participe pas à la négociation entre les États-Unis et la Russie, est déjà au strict minimum. La logique américaine de non-emploi en premier de l'arme nucléaire à l'encontre d'États non nucléaires m'inquiète davantage. Quel peut être l'impact de cette doctrine ?
Le succès d'une intervention civilo-militaire est conditionné à une analyse politique de la crise et à la définition d'objectifs de sortie de crise communs. L'évolution de la situation en Afghanistan, depuis 2001, montre que nous sommes loin du compte : même si les choses progressent peu à peu, le volet civil a pris du retard sur le volet militaire. La notion de planification civilo-militaire me semble importante. Mais l'Union européenne et l'ONU sont-elles présentes en la matière ? Où les choix sont-ils effectués, sachant que les moyens civils ne sont pas entre les mains de l'OTAN ? Si l'Union européenne et l'ONU sont appelées à jouer un rôle prépondérant dans l'action civilo-militaire, cela doit se traduire dans la place qu'elles occupent au sein des organes de décision.
S'agissant de la défense antimissile, l'enjeu majeur est effectivement que les pays européens ne soient pas de simples sous-traitants et qu'ils apportent une valeur ajoutée. Notre rapport n'entre pas dans cette discussion. Un consensus peut se faire autour de l'idée très générale selon laquelle, face à l'accroissement de la menace balistique à l'horizon de dix ou quinze ans, l'Alliance doit se doter d'une capacité de défense antimissile, mais la difficulté commence là. Dans le contexte économique, financier et même stratégique actuel, cela ne me semble pas la première urgence, même si le Livre blanc prévoyait des capacités d'alerte avancée. Il est vrai que les investissements requis pour la défense antimissile, répartis sur une dizaine d'années, ne sont pas considérables. Toutefois, dans un contexte où l'OTAN est en crise et où chaque pays européen compresse ses dépenses, ce fardeau sera très difficile à porter. Je pressens par conséquent une vraie difficulté : malgré leur accord de principe, ce que les Européens pourront faire risque d'être en décalage avec le niveau de l'investissement américain. Un conflit a donc des chances d'affleurer, mais pas pour des motifs conceptuels, hormis de la part de ceux qui contestent radicalement l'utilité du système.
La France a déjà réduit son arsenal nucléaire et notre document ne préconise nullement l'entrée rapide de la Grande-Bretagne et de la France dans le processus de désarmement.
Notre pays, une dizaine d'années avant les États-Unis, a adopté les « garanties négatives de sécurité », par lesquelles il s'engage juridiquement à ne pas employer l'arme nucléaire contre un État non nucléaire respectant ses engagements relatifs au TNP.
Un discours n'est pas un acte juridique et ce discours se gardait bien d'être trop précis sur la manière dont la France répondrait à une éventuelle agression chimique ou biologique.
Quand l'OTAN intervient quelque part, elle doit prévoir, dans sa planification, l'établissement d'une interface avec des organisations capables de couvrir les aspects civils et économiques. Il convient donc d'adjoindre à la structure militaire une petite structure chargée au moins d'exprimer les besoins civils. Mais l'idée de doter l'OTAN de capacités civiles allant au-delà ne fera pas consensus et est irréaliste. L'Union européenne a évidemment une carte à jouer dans ce domaine, étant entendu que nous avons exclu une division du travail qui consisterait à la charger du volet civil et à confier le volet militaire à la seule OTAN ; l'ambition de l'Union européenne est plus vaste, même si ses capacités d'action militaire restent assez limitées.
Je ne suis pas d'accord avec M. Lecoq : deux conflits majeurs, en Afghanistan et en Somalie, amènent à penser que l'OTAN doit accompagner les opérations civilo-militaires.
Il se dit que l'OTAN est presque en cessation de paiement, en tout cas en très grande difficulté financière. Cela impliquera-t-il un repositionnement vis-à-vis d'équipements prioritaires comme les drones ? Votre rapport contient-il une réflexion sur ces priorités ?
Enfin, s'intéresse-t-il aux questions éthiques, notamment à la convention d'interdiction des armes à sous-munitions, ratifiée par un certain nombre de pays mais dont l'application peut poser des problèmes ?
Lorsque la réintégration de la France dans le commandement de l'OTAN a été annoncée, elle a été présentée comme la clé pour que nos alliés américains et britanniques acceptent l'idée d'une défense européenne autonome. Avez-vous le sentiment que le consensus progresse ?
En matière d'élargissement, vous avez expliqué que la politique de la porte entrouverte succède à celle de la porte ouverte. Les élargissements ont été beaucoup trop rapides, notamment dans les Balkans ; certains généraux américains et français ont d'ailleurs émis des doutes sur l'apport militaire de pays comme l'Albanie ou la Macédoine. Si l'Allemagne et la France n'avaient pas bloqué l'adhésion de la Géorgie, nous nous serions retrouvés dans une situation très délicate, en contradiction avec l'article 5. Les adhésions devraient être subordonnées non seulement aux critères que vous avez évoqués mais aussi à la certitude qu'elles n'entraîneront pas l'Alliance dans des conflits ethniques ou nationaux extrêmement dangereux. Le rapport prend-il position clairement à ce sujet ?
Vous écrivez que le processus d'élaboration du nouveau concept stratégique ne devra exclure personne et vous évoquez même un grand « débat interactif avec le public ». Comment l'OTAN envisage-t-elle de l'organiser ?
M. Philippe Vitel, vice-président de la commission de la défense, remplace M. Michel Voisin comme co-président.
Pour ne pas avoir à rattraper le retard dans de mauvaises conditions, il convient de ne pas sous-estimer la dimension civile au départ, c'est l'une des leçons de l'intervention en Afghanistan. Si une opération du même type doit être envisagée dans l'avenir, il importera d'intégrer cette dimension dès l'amont, dès la préparation, en s'appuyant sur le partenariat avec l'Union européenne et les Nations unies.
L'ampleur de la crise financière est telle que l'OTAN sera contrainte à un programme d'économies assez drastique. Nous recommandons que celui-ci porte sur l'énorme structure civile, ces agences au fonctionnement tout à fait opaque – un audit a été conduit, auquel mon collègue Benoît d'Aboville a participé –, mais aussi sur la structure militaire, sachant que l'OTAN ne possède pas en propre de drones ou d'autres équipements.
Les questions éthiques, sous l'angle que vous évoquez, madame Hostalier, n'ont pas été abordées.
Le document revient à plusieurs reprises sur l'articulation entre la défense européenne et l'OTAN. Le différend entre la Turquie et la Grèce à propos de Chypre a empêché tout progrès dans l'amélioration des procédures ; le problème ne tient pas à la mauvaise volonté de la Grande-Bretagne ou de qui que ce soit d'autre.
La disparité entre l'effort militaire des États-Unis, qui restera considérable, même s'il ne connaît pas la priorité excessive des années Bush, et celui des pays européens, qui subira une nouvelle réduction, est un problème plus préoccupant. Ce rapport ouvre des pistes. Il est possible de dépenser mieux pour être efficient ; c'est ainsi que l'Allemagne, avec un peu de retard, s'oriente vers une armée professionnelle, ou que la Grèce et la Turquie ont fait des annonces. En tout cas, la reconnaissance de la légitimité de l'Union européenne ne rencontre plus d'obstacles, c'est encore plus vrai à Washington que dans certaines capitales européennes. L'évolution de la Pologne – qui dénote peut-être une certaine désillusion vis-à-vis des États-Unis – a été déterminante pour progresser dans ce sens. C'est intéressant du point de vue conceptuel mais tout reste à faire du point de vue capacitaire.
Les principes régissant l'élargissement, quoique généraux, sont relativement précis et exigeants, en particulier l'obligation de résoudre les problèmes territoriaux avec ses voisins. Chaque État membre de l'OTAN bénéficie de la garantie collective des alliés mais doit aussi être un contributeur de sécurité, non un facteur de risques.
Le débat sur le futur concept stratégique a été plus réel, plus vif, plus consistant dans les nouveaux pays membres de l'Alliance, qui se posent une question fondamentale : seraient-ils protégés par l'OTAN en cas de crise ? En Pologne, en Roumanie et en Croatie, où je faisais partie de la délégation du groupe, notre visite a constitué un événement, couvert par les médias. Nous n'avons pas retrouvé cet intérêt en Grande-Bretagne ou en Allemagne, ni même en France, mais la procédure n'a rien eu à voir avec celle de 1999.
En Afghanistan comme ailleurs, ce sont les États-Unis qui commandent. Le président Roosevelt avait coutume de dire : une voix pour, cinq voix contre ; la voix pour étant la mienne, elle l'emporte. C'est bien cela qui a conduit un illustre Président de la République, le général de Gaulle, à faire sortir la France du commandement intégré de l'OTAN.
Le concept stratégique de l'OTAN, élaboré en 1949, est révisé pour la deuxième fois. Mais, pour s'extraire de la pensée dominante, certains d'entre vous se sont-ils interrogés sur l'existence même de l'OTAN ? Le 2 juin 1966, le Président de la République déclarait : « il n'y a pas de raison qu'ils restent éternellement chez nous, comme en pays occupé. » Des pays européens se posent-ils ouvertement la même question que le Japon – qui n'appartient pas à l'OTAN – à propos des bases américaines ou que la France en 1965 et 1966 ?
Vous parlez de partenariat avec la Russie. Alors que le mur de Berlin est tombé et que le Pacte de Varsovie n'existe plus, lui est-il proposé de rejoindre l'Alliance, à supposer que celle-ci existe toujours ? La division entre le monde soviétique et le monde occidental, qui prévalait autrefois, n'est plus de mise. Les régimes politiques passent, les nations demeurent.
Au vu de la baisse de leurs budgets de défense, les pays européens ne risquent-ils pas de devenir des affidés, de simples sous-traitants des États-Unis, qui, eux, maintiennent leur effort, financé par le déficit budgétaire, c'est-à-dire par l'Europe ?
Le concept stratégique actuel reconnaît la place de l'Europe mais de façon extrêmement floue. Or, l'Union européenne est maintenant dotée du Traité de Lisbonne, qui contient des dispositions relatives à la défense, même si elles sont encore virtuelles. Par ailleurs, depuis une dizaine d'années, elle s'est progressivement affirmée au plan international, notamment avec l'opération Atalante, dans laquelle l'OTAN, pour la première fois, intervient en soutien de ses forces. L'expression du prochain concept stratégique, en cours d'élaboration, tiendra-t-elle compte de cette nouvelle réalité ?
Aucun État, à ma connaissance, ne réclame le départ du peu d'Américains qui restent stationnés en Europe, au contraire certains des nouveaux membres seraient plutôt désireux d'en accueillir !.
La politique de la porte ouverte s'adresse aussi à la Russie, qui fait partie des pays susceptibles d'adhérer s'ils le demandaient. Elle ne le désire pas pour le moment et ne le désirera probablement pas dans un avenir prévisible mais il ne faut préjuger de rien.
Le déséquilibre entre les efforts militaires accomplis des deux côtés de l'Atlantique est patent. Depuis trente ans que je suis ces affaires, jamais l'administration américaine n'a été plus désireuse de voir l'Europe jouer un rôle effectif, car elle prend conscience de la limitation de ses moyens face à l'essor de nouvelles puissances. Les réticences et les entraves qui existaient encore il y a dix ans ont été levées.
La défense collective s'applique pour les pays victimes d'une agression ayant souscrit au Traité de Washington, dont la France fait partie ; c'était déjà vrai du temps du général de Gaulle. Quoi qu'il en soit, si l'Europe n'est pas capable de se doter des moyens qui lui font défaut, par exemple en matière de transport stratégique, elle sera un partenaire mineur, voire dépourvu de crédibilité. L'opération Atalante est significative : sur un théâtre donné, face à un problème donné, l'Union européenne peut jouer un rôle de premier plan et l'OTAN un rôle accessoire. Toutefois, pour que cela se reproduise, encore faut-il que les Européens le veuillent ; or, dans le contexte actuel de crise économique et budgétaire, ce n'est sans doute pas leur priorité. Le paradoxe, c'est que la faiblesse des Européens suscite des inquiétudes surtout aux États-Unis.
Le groupe ne s'est évidemment pas interrogé sur l'opportunité de dissoudre l'OTAN car ce n'était pas son mandat qui était de lui trouver des missions utiles pour la décennie à venir. À vrai dire, il n'y a que deux pays où la question soit posée : la France et les États-Unis. Nos partenaires américains s'interrogent sur l'avenir de l'OTAN si les Européens sacrifient leur effort de défense.
Le dernier concept stratégique, à son 24e paragraphe, évoquait la sécurité des « approvisionnements en ressources vitales », c'est-à-dire des approvisionnements en énergie nécessaires à l'outil économique et à l'outil militaire. Or, parmi les vingt-huit pays de l'OTAN, certains, producteurs d'énergie, sont autosuffisants, tandis que la plupart sont totalement dépendants, en particulier de la Russie. Dans vos conclusions, vous préconisez le renforcement de la lutte contre les perturbations illicites des lignes d'approvisionnement. Ne convient-il pas d'aller plus loin et de s'interroger sur une stratégie énergétique durable pour l'Alliance, comme je souhaite le faire dans un rapport que je rédige à l'intention de son assemblée parlementaire ?
La question de la sécurité énergétique a été abordée, au point que certains voulaient en faire une mission de l'OTAN aussi importante que la défense antimissile. Au terme de nos échanges, nous avons été plus modestes car la sécurité énergétique va au-delà de la protection des approvisionnements ; elle englobe aussi la diversification des sources et la constitution de capacités de production, une partie seulement de la gamme de réponses ayant des implications militaires. La priorité, pour l'OTAN, est de protéger ses besoins propres, l'AIEA et l'Union européenne étant chargées de la politique d'ensemble.
Avez-vous envisagé le risque d'une guerre bactériologique, chimique ou biologique ?
Considérez-vous que la zone d'intervention de l'OTAN englobe aussi le Grand Nord et l'Arctique, qui intéressent évidemment la Russie ?
Avez-vous débattu des propositions de M. Medvedev relatives à la sécurité européenne ?
Ce qui me gêne, avec la défense antimissile, c'est que la dissuasion ne marche plus.
À propos des attaques cybernétiques, vous semblez avoir lu le rapport d'information sur les enjeux géostratégiques des proliférations que j'ai cosigné avec M. Boucheron, c'est très bien.
Dans vos propos, je décèle la contradiction fondamentale, permanente, entre la conception française et celle des États-Unis. Vous rappelez le principe de la légitime défense collective, dont acte. Mais vous prétendez que l'OTAN demeure une organisation régionale alors que nous allons vers une organisation politique pratiquement mondiale, toutes les informations que vous nous donnez le montrent : le développement des partenariats, les possibilités d'intervenir hors de son champ géographique, les perspectives d'élargissement. L'OTAN est et sera de plus en plus la première organisation politique européenne car l'Europe de la défense n'existe pas : d'après le Traité de Lisbonne, l'Alliance atlantique demeure le cadre de la défense des États membres de l'Union européenne qui lui appartiennent aussi. Pour ma part, je regrette que la France ait rejoint l'OTAN car, sur le plan diplomatique, je ne vois pas l'intérêt et, sur le plan militaire, j'ai des doutes.
Quel sera le calendrier ? Le Parlement sera-t-il saisi de cette question fondamentale ?
La réponse aux « cyberattaques » comme celle dont a été victime l'Estonie est me semble-t-il d'abord du ressort des États. Mais le rapport prévoit-il des capacités de rétorsion de l'OTAN face à cette nouvelle menace ?
Il est compréhensible que les incidents de Géorgie aient renforcé les craintes d'un certain nombre d'États concernant la Russie. Du point de vue de l'OTAN, quels sont les partenariats possibles avec ce pays ? De son côté, quel regard porte-t-il sur ces partenariats ?
Les attaques biologiques ou chimiques ont été envisagées mais plutôt dans le cadre du terrorisme. Les « cyberattaques » apparaissent comme la menace la plus probable.
Le changement climatique a aussi été mentionné eu égard à ses conséquences sur les questions de sécurité – accès aux routes de transit vers le Grand Nord, compétition dans l'exploitation des ressources sous-marines – mais il n'est pas perçu comme un problème de l'OTAN en tant que telle.
S'agissant des propositions de M. Medvedev, les Russes sont bien conscients qu'elles ont été un peu improvisées et qu'une démarche plus consensuelle devra être conduite, éventuellement sous les auspices de l'OSCE, dans le cadre du « processus de Corfou ». Nous ne sommes pas du tout entrés dans l'analyse de l'initiative diplomatique mais, plus concrètement, nous avons réfléchi aux champs de coopération avec la Russie. Le partenariat avec ce pays est régi par une charte et suivi par un organe spécial, le conseil OTAN-Russie ; celui-ci, toutefois, a encore moins joué son rôle en temps de crise qu'il ne le faisait auparavant, car ses réunions ont été suspendues après la crise en Géorgie. À Moscou, le langage a varié selon nos interlocuteurs : ceux de la vieille école considèrent toujours l'extension de l'OTAN comme une menace, tandis que d'autres estiment que les vraies menaces ne proviennent pas de cette région du monde.
Cela dit, même lorsqu'il nous était tenu, le discours rituel sur les manquements des Occidentaux aux engagements pris vis-à-vis de la Russie était toujours complété par une ouverture sans ambiguïté aux champs de coopération possibles : ont été mentionnés l'Afghanistan, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre le trafic de drogue, ainsi que la défense antimissile, même si les officiels se sont montrés plus prudents sur ce dernier point. En tout cas, de part et d'autre, la volonté de faire du conseil OTAN-Russie un outil utile, voire un organe de décision collective en vue d'actions conjointes, est clairement apparue.
Si je répondais à votre question relative à la saisine du Parlement, monsieur Myard, cela n'engagerait que moi.
La contradiction entre action régionale et action mondiale n'est qu'apparente car notre sécurité peut se jouer en tout point du globe, un pays de l'OTAN pouvant être la cible d'un missile parti d'une autre région du monde. Certains membres étaient partisans du concept de global NATO, l'OTAN mondiale. Notre document récuse cette position au profit de la suivante : l'OTAN acteur dans un monde global. Face à une dérive possible, cela constitue un recadrage, une réaffirmation du caractère régional de l'Alliance, qui n'est pas ouverte à des pays d'Asie ou d'Extrême-Orient.
Il aurait été intéressant que le rapport souligne le déficit de notoriété de l'OTAN, dont le périmètre des missions reste mal connu par nos concitoyens.
La séance est levée à dix-neuf heures quinze.