Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia
M. Éric Doligé, sénateur, président du Centre européen de prévention du risque d'inondation (CEPRI), est retenu à Matignon mais devrait nous rejoindre sous peu. Dans cette attente, nous accueillons M. Nicolas-Gérard Camphuis, directeur du CEPRI.
Le Centre européen de prévention du risque d'inondation est un pôle de compétence sur la prévention du risque d'inondation, à vocation nationale et européenne et à destination prioritaire des collectivités territoriales. Il propose à des collectivités de les accompagner pour concevoir des démarches et des pratiques innovantes afin d'améliorer la prévention des inondations. Je propose, monsieur le directeur, que vous commenciez par nous en présenter les missions et les ambitions.
Le Centre européen de prévention du risque d'inondation est une association de collectivités territoriales, loi de 1901, créée en décembre 2006 à l'initiative d'Éric Doligé, sénateur du Loiret, en collaboration avec plusieurs collectivités territoriales de la Loire qui avaient travaillé pendant dix ans à l'amélioration de leur protection contre les inondations, et en lien étroit avec le ministère de l'écologie, l'association des maires de France (AMF), l'assemblée des départements de France (ADF) et l'association française des établissements publics territoriaux de bassin.
Aujourd'hui, le CEPRI compte trente membres : aux membres fondateurs se sont ajoutés un certain nombre de conseils généraux, de communautés d'agglomération et de syndicats intercommunaux, souvent à vocation d'aménagement de cours d'eau ou d'aménagement du territoire.
Le Centre a deux missions principales : au niveau national, il intervient, au titre des collectivités territoriales, dans la mise en oeuvre de plusieurs politiques françaises ; au niveau local, il accompagne des collectivités territoriales dans la mise en place de sites pilotes destinés à trouver des démarches et des pratiques innovantes pour mieux se protéger contre les inondations et leurs conséquences négatives.
Le premier grand dossier que le CEPRI a eu à traiter au niveau national a été celui de la directive communautaire relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation en discussion lors de la création du Centre et finalement adoptée par la Commission et le Parlement en octobre 2007. Dès le début 2007, le CEPRI s'est mis en ordre de marche pour anticiper sa transposition dans le droit français, en insistant sur les trois nouveautés qu'elle introduisait : réflexion menée à partir des territoires et de leurs capacités économiques et sociales à supporter les conséquences négatives des inondations, prise en compte des submersions marines, accent mis sur la concertation, avec les élus et avec la société civile, en vue d'établir des plans de gestion.
Le CEPRI a réussi à mobiliser les associations nationales sur ce gros dossier et à les convaincre de la nécessité d'une stratégie nationale de gestion des risques d'inondation, qui, bien que la directive n'en fasse pas une obligation, a été inscrite dans la loi Grenelle 2. Au plan local, le Centre accompagne plusieurs collectivités territoriales dans leur réflexion sur la notion de « territoire à risque important » et dans l'élaboration de plans de gestion des risques d'inondation imposée par la directive d'ici à 2015.
Le deuxième gros dossier qu'Éric Doligé a pris à bras-le-corps a été, en mars 2007, celui des digues après qu'il eut pris la mesure des conséquences pour les collectivités territoriales de la loi de décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques. Aux termes de la nouvelle réglementation, une digue doit avoir un responsable, investi de trois missions : il doit se charger de l'entretien courant, procéder de façon régulière à des travaux de confortement importants, assurer la surveillance en crue. Considérée comme un ouvrage de danger, la digue doit, comme les risques technologiques, faire l'objet d'une étude de danger et de recommandations sur la manière de maîtriser ce danger. Or, l'état d'entretien du parc des digues et la difficulté parfois à identifier les propriétaires et les gestionnaires mettent les collectivités territoriales dans une situation intenable vis-à-vis de cette nouvelle réglementation, ne serait-ce que parce que, si elles ont concouru, à un titre ou à un autre, à l'entretien d'une digue sans propriétaire, elles risquent d'être désignées comme responsables de l'ouvrage, donc comme financeurs des travaux nécessaires.
M. Éric Doligé a lancé une réflexion, avec des opérateurs de terrain – syndicats de communes, collectivités, communautés d'agglomération – chargés de la gestion de digues, en étroit partenariat avec l'État, sur la mise en oeuvre de cette nouvelle réglementation et sur la façon de faire évoluer à la fois le statut des digues et l'organisation générale autour de celles-ci. Ce travail a pris pratiquement trois ans et ses conclusions ont été publiées en mars dernier : elles mettent en évidence la nécessité que des parlementaires se penchent sur la question. Il a donc été proposé aux associations nationales d'élus et aux acteurs de terrain qui ont une expérience de la gestion des digues de demander à des parlementaires de constituer un groupe de réflexion sur les possibilités d'améliorer la gouvernance des digues et son financement.
Oui. Certains d'entre vous devraient être « désignés » par des associations ou des acteurs de terrain.
Au niveau national, nous traitons encore la question de la réforme du régime des catastrophes naturelles, dit Cat-Nat, qui est un serpent de mer dont on parle depuis plusieurs années. Les propositions faites en 2007, notamment l'introduction d'une modulation de la prime en fonction des actions entreprises, ne nous semblent pas compatibles avec l'économie générale de ce régime.
Le dernier dossier sur lequel nous réfléchissons au niveau national a trait à la capacité des territoires à « redémarrer ». Nous avons souhaité aller plus loin que les dispositions prévues dans les plans communaux de sauvegarde et les réserves communales de sécurité civile : ainsi nous sommes en train de mettre au point, avec des collectivités territoriales, des plans de continuité d'activité et nous menons depuis trois ans une réflexion, inspirée des constatations faites à la Nouvelle-Orléans, sur la manière d'adapter les territoires à l'inondation, comme il est prévu de les adapter aux changements climatiques.
Une des convictions profondes du CEPRI est que l'inondation est, avec le séisme, un des rares risques naturels dont on est certain qu'il surviendra. Il est même plus certain que le changement climatique et il est impossible de l'empêcher.
Or des événements comme Xynthia ou celui de la Nouvelle-Orléans montrent que des territoires et des aménagements ne sont pas en adéquation avec les risques d'inondation et ne sont pas adaptés pour faire face à leurs conséquences négatives. Un défi à relever par notre société est d'en faire le constat et d'utiliser les outils d'aménagement du territoire pour faire évoluer les choses, comme il est prévu de le faire pour prendre en compte le changement climatique.
Une telle démarche s'inscrit totalement dans l'esprit de la directive communautaire qui a été prise à la suite des dommages irréversibles causés par les crues de l'Oder et de la Vistule en Pologne en 1997 et de l'Elbe en 2002, ou par les inondations qu'ont connues les Pays-Bas en 1953 – une autre alerte a été déclenchée dans ce pays en 1999 mais il n'y a pas eu, heureusement, d'inondation – ou celles survenues en Angleterre en 2000 et 2007. Dans un rapport indépendant réalisé à la demande du gouvernement anglais, ces inondations, qui ont été responsables de la destruction de 55 000 biens privés, de la mort de treize personnes et de l'arrêt du fonctionnement de 4 000 entreprises dans une grande partie du territoire, sont décrites comme la plus grave crise qu'ait connue ce pays depuis la Seconde Guerre mondiale.
Dans des pays comme l'Angleterre et les Pays-Bas où il n'existe pas de régime de catastrophes naturelles, l'inondation est considérée comme l'ennemie numéro un de l'aménagement du territoire et du développement économique. Les zones portuaires et les zones de développement économiques situées dans des estuaires y font l'objet, ainsi qu'en Allemagne, d'une protection cinq fois supérieure à celle dont elles bénéficient en France.
Le CEPRI a constaté que les territoires français ne sont pas suffisamment conscients des dommages que risquent de causer des inondations graves pourtant prévisibles et inévitables et qu'ils ne prennent aucune disposition en prévision.
C'est pourquoi, au plan local, le Centre accompagne des collectivités dans la recherche de nouvelles démarches pour prévenir les inondations ou pour y faire face. La réglementation française est riche, avec les plans de prévention du risque d'inondation (PPRI), les plans communaux de sauvegarde, les réserves communales de sécurité civile, le régime Cat-Nat, mais elle manque parfois de cohérence et ne prend pas suffisamment en compte certains aspects.
Ainsi, les plans de prévention des risques permettent de savoir où l'on a le droit ou non de construire mais pas de prévoir l'aménagement d'un territoire dans les vingt ans qui viennent, comme le souhaiteraient certaines collectivités territoriales. Nous travaillons pour ce faire à partir des schémas de cohérence territoriale (SCOT), afin que les élus puissent avoir une vision à plus long terme que celle fournie par les PPR, mais la démarche est encore balbutiante.
Parmi les aspects non pris en compte par la réglementation, je citerai l'élimination des déchets post-catastrophe qui, pour beaucoup de collectivités territoriales, est une petite bombe à retardement. Une directive communautaire est à l'étude et pourrait être adoptée à la fin de l'année. Nous travaillons actuellement avec une collectivité qui vient de découvrir qu'à la suite d'une inondation qui n'a duré qu'une semaine, elle doit traiter l'équivalent de trois années de collecte de déchets qui n'entrent pas dans le cadre habituel de ses filières de traitement et pour lesquels elle n'a pas le premier sou.
Le CEPRI étudie le moyen d'anticiper de telles situations pour, d'une part, réduire les déchets à la source, d'autre part, s'organiser pour être capable de les gérer.
Les plans de continuité d'activité sur lesquels nous travaillons ont pour but de permettre aux collectivités territoriales de continuer à assurer leurs missions en cas d'inondation. Lorsqu' Éric Doligé, en sa qualité de président du conseil général du Loiret, a lancé, il y a quatre ans, une étude à ce sujet, il a découvert que 80 biens du conseil général se trouvaient en zone inondable ou exposés à d'autres risques – car l'étude concernait tous les risques –, dont trois maisons de retraite et cinq collègues, sans parler des routes. Ce que l'État est obligé de faire après la tempête Xynthia, nous essayons, depuis trois ans, de l'anticiper avec les collectivités territoriales. En effet, on attend d'elles qu'elles assurent leurs missions. Si une inondation les en empêche, elles ne pourront que s'en prendre à elles-mêmes si elles n'ont pas été capables de l'anticiper.
Je vous prie d'excuser mon retard : j'étais reçu à Matignon pour parler des départements, mais uniquement sous l'angle financier.
Après le propos liminaire de M. Nicolas-Gérard Camphuis, je vous propose de répondre directement à vos questions.
Vous insistez sur l'importance d'anticiper les risques. Comment est-il possible de faire de l'aménagement du territoire en zone inondable et d'établir une gouvernance des digues ?
Le CEPRI a-t-il une compétence en matière de submersion marine ou seulement d'inondation fluviale ?
De par notre localisation géographique, nous avons commencé par étudier les inondations fluviales. Mais notre réflexion au sein du CEPRI s'est étendue, grâce aux expériences accumulées par ses membres et aux échanges que nous avons eus avec les organismes nationaux et internationaux qui travaillent sur le sujet, à l'ensemble des problématiques liées aux inondations : submersion marine, remontée de nappe, inondation fluviale, ruissellement.
Notre principe est de ne jamais reculer. Mais son application est délicate. Deux aspects sont à considérer : l'existant et les dispositions prises pour limiter au maximum le risque.
Nous partons toujours de l'existant, c'est-à-dire du territoire tel qu'il est aménagé et des risques auxquels il est soumis. En tenant compte de tous ces facteurs, nous prônons, dans certains secteurs, de reculer. Dans le lit de la Loire avant Blois, l'État et les collectivités font actuellement un effort financier considérable pour racheter des maisons qui ont été construites, il y a une trentaine d'années, dans une zone d'expansion de crue.
Mais nous essayons également de prendre toutes les dispositions nécessaires pour limiter au maximum le risque. Cela passe par la réalisation de travaux, par de l'information, à la fois auprès des collectivités territoriales et des entreprises afin qu'elles limitent au maximum l'impact qu'aurait une inondation, et par l'instauration de bonnes pratiques : nous avons publié des documents sur les risques d'inondation à destination des maires et des entreprises et sur la gestion des digues.
Les digues sont pour nous un sujet majeur, sur lequel nous travaillons depuis des années et dont le fait que la situation ne soit toujours pas revenue à la normale en Nouvelle-Orléans, loin s'en faut, confirme l'importance.
M. Camphuis et moi-même avons pris notre bâton de pèlerin afin de sensibiliser les collectivités territoriales et les services de l'État aux risques que représentent les digues, dont la protection n'est pas définitive, et aux mesures à prévoir en conséquence. Nous avons rencontré six ministres successifs. Mais l'inondation n'est pas le premier souci des autorités, qu'il s'agisse de l'État, des collectivités ou des maires, qui pensent souvent que cela n'arrivera qu'aux autres.
Nous essayons de développer la culture du risque mais force est de constater que nous sommes peu écoutés, même par les gens directement concernés sur le terrain. Le travail est considérable mais nous le poursuivons inlassablement.
Depuis quinze ou vingt ans que je suis ce dossier – ce qui n'est pas très glorieux au vu des résultats… –, je me suis aperçu que les hauts fonctionnaires nommés dans un territoire, tels les directeurs départementaux de l'équipement, n'osent pas prendre d'initiatives de peur d'être critiqués ou d'être rendus responsables si les travaux qu'ils avaient commandés venaient à lâcher. Ils laissent donc le problème à leurs successeurs.
Un colloque organisé en 2007 sur la problématique des digues n'a pas rencontré beaucoup d'écho. Le problème tient moins au manque d'écoute de la part des services de l'État qu'au nombre des services et des responsables concernés au sein des ministères de l'intérieur, de l'environnement ou de l'écologie, de l'équipement, du logement, etc. Tous se disent très concernés mais ils sont si nombreux que personne ne suit véritablement le dossier.
Le problème des digues est tellement important pour nous que nous avons proposé, en accord avec l'État, qu'un groupe de parlementaires travaille sur le sujet.
Sur les 8 000 kilomètres de digues existant, 3 000 sont sans propriétaire. Les autres appartiennent soit à des particuliers, soit à des collectivités, soit à l'État et sont plus ou moins bien entretenues. La première question est donc de savoir qui doit gérer les digues. Nous proposons trois pistes de réflexion : soit on ne change rien et les choses continuent comme maintenant ; soit un niveau de collectivité reprend la main pour l'ensemble ; soit l'on crée un organisme spécialisé, sur le modèle de Voies navigables de France (VNF), et l'on essaie ensuite de trouver des financements mixtes.
Il faut que l'on en discute car le sujet est très compliqué et lourd d'enjeux humains et économiques. Ce n'est qu'en échangeant nos expériences et nos connaissances que nous trouverons une solution.
La doctrine sera celle qui sera acceptée par les partenaires. Études, entretien ou réfection : les montants en jeu sont très importants. Il faut que certains acceptent de prendre des risques et d'investir de l'argent.
Les trois propositions que nous faisons résultent des trois années d'étude avec les acteurs de terrain et les collectivités territoriales. Si nous n'avons pas de solution miracle, c'est parce que les situations sont très diverses.
La difficulté principale tient à ce que la moitié des digues appartiennent à des particuliers. Le propriétaire reste le premier responsable mais une collectivité territoriale qui lui a donné un coup de main, d'une manière ou d'une autre, peut être citée en responsabilité en cas de dommage. C'est pour éviter des ennuis aux collectivités, comme ceux qu'elles peuvent connaître avec le Syndicat mixte interrégional d'aménagement des digues du delta du Rhône et de la mer, le SYMADREM, qu'Éric Doligé a décidé d'engager une réflexion.
Cela étant, le système actuel ne fonctionne pas trop mal et confier tout ou partie de la gestion des digues à une collectivité donnée ou à un établissement public national pourrait être source de complications.
Traiter la question de la propriété ne sera pas simple. Il faudra déjà retrouver les propriétaires, ce prendra quelques années, comme pour les chemins ruraux.
Autre difficulté, les digues nécessitent trois métiers différents : l'entretien ; la surveillance en crue, donc une présence la nuit quand la marée monte ; la programmation des travaux à réaliser à intervalles réguliers, qui suppose de lancer des appels d'offres, de trouver des bureaux d'études compétents et de conduire les travaux. En Isère, l'entretien courant est réalisé par une union départementale d'associations syndicales autorisées (ASA), la surveillance en crue est assurée par les maires par l'intermédiaire des réserves communales de sécurité civile et quelques personnels des ASA, et les gros travaux sont supervisés par un syndicat mixte appuyé par le conseil général. Outre que ces trois métiers ne sont pas exercés partout, on peut envisager une mutualisation des compétences techniques. Ainsi, chaque petit syndicat intercommunal n'est pas tenu de payer à plein-temps son propre bureau d'études pour assurer la programmation des travaux. On le voit, les solutions sont très diverses.
La troisième difficulté tient au coût des interventions sur une digue. Si tant est que l'on dispose d'une équipe pour les réaliser, l'entretien courant coûte entre 3 000 et 5 000 euros par kilomètre et par an et le renforcement revient à un million du kilomètre. Réparer les 3 000 ou 4 000 kilomètres de digues qui ont besoin de l'être nécessiterait ainsi à peu près 5 milliards d'euros tandis qu'entre 25 et 50 millions d'euros sont nécessaires chaque année à l'entretien. Les collectivités territoriales, qui ne disposent pas de ces sommes, ne sont ainsi guère incitées à intervenir.
Vous avez travaillé trois ans pour établir un diagnostic et élaborer des propositions. Or, un plan « digues » devrait nous être soumis au mois de juillet, soit dans trois mois. Est-il raisonnable de penser l'établir dans un délai si court ?
Au cours de ces trois années, nous avons rencontré de nombreux interlocuteurs, y compris dans les services de l'État, qui disposent de beaucoup d'éléments sur le sujet et qui pourraient ainsi en trois mois, si ce n'est proposer un plan définitif, au moins fixer des grandes orientations.
Je me réjouis que nos interlocuteurs, au niveau de l'État comme au niveau local, se spécialisent sur le sujet, ce qui laisse espérer des avancées.
Depuis quelques années, nous avons la chance de rencontrer les mêmes interlocuteurs au sein du ministère chargé de l'écologie, de l'énergie et du développement durable. Ils connaissent maintenant le sujet et, du coup, les choses progressent.
Il a fallu beaucoup de temps pour que quelqu'un veuille bien se saisir du dossier. Je me suis souvent heurté à ce problème. J'ai présidé à l'Assemblée nationale une mission sur les inondations dans la Somme. Tous les rapports rédigés à ce titre sont restés lettre morte faute de trouver des interlocuteurs au sein de ministères qui changeaient sans cesse de périmètre. Même dans ce cas, il faut que nous ayons en face de nous des structures reconnues.
Notre démarche semble commencer à porter ses fruits, d'une part, parce que nos interlocuteurs commencent à voir les enjeux, d'autre part, parce qu'ils réalisent que la responsabilité de l'État ou des collectivités peut être mise en cause.
Certaines des actions pilotes menées par certaines collectivités vous paraissent-elles mériter d'être soulignées ?
J'apprécie le fait que vous ne prôniez pas une solution nationale unique. L'administration centrale est-elle prête à accepter l'idée d'une réponse différente selon les territoires ?
Pour moi, les réponses doivent être adaptées aux spécificités des territoires, dont une partie du territoire peut être en bord de mer ou bien traversée par un torrent, une rivière ou un fleuve. L'implication des élus est particulièrement importante.
Parmi les actions menées par les collectivités locales, je citerai celle qui est menée avec l'aide du CEPRI dans le département du Loiret où nous étudions, depuis 2005, différentes possibilités d'organisation en cas de crue décennale de la Loire.
Le réflexe des administratifs est généralement de se dire qu'en cas d'inondation, ils resteront chez eux et n'iront pas travailler. Or, nous leur faisons comprendre que dans une collectivité comme la nôtre qui s'occupe du social, des transports scolaires et des écoles, leur présence au travail sera plus que jamais nécessaire. Nous avons recensé les 2 600 personnes qui travaillent au conseil général, leurs adresses et leurs secteurs d'activité. Nous avons repéré celles qui, en cas d'inondation, pourront venir travailler et celles qui ne le pourront pas et nous leur avons attribué de nouvelles missions. Nous imaginons le basculement possible de l'informatique et toutes les dispositions à prendre au fur et à mesure des travaux de reconstruction nécessités par la crue.
C'est un travail très lourd mais nous avons l'aide non seulement du CEPRI mais également de la ville d'Orléans et de la communauté d'agglomération. En cas d'inondation, si la Loire ne peut plus être traversée sur 250 kilomètres pendant plus d'une semaine, la France sera quasiment coupée en deux.
Nous travaillons en continu sur plusieurs plans, ce qui mobilise du personnel du conseil général. Nous espérons élaborer une méthodologie qui pourra être reproduite ailleurs.
L'humilité d'Éric Doligé l'empêche de rappeler trois interventions du CEPRI qui ont permis de faire bouger les services de l'État.
La loi de décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques et le décret de décembre 2007 relatif à la sécurité des ouvrages hydrauliques faisaient craindre une véritable usine à gaz. Éric Doligé est allé voir les services de l'État et leur a demandé de travailler de concert à une mise en oeuvre intelligente de la réglementation sur les digues. Il a été entendu et la circulaire sur le contrôle de la sécurité des ouvrages hydrauliques n'a été publiée qu'un an et demi plus tard, après qu'elle a été rédigée en collaboration avec les collectivités territoriales. Le guide de lecture utilisé par l'État a été relu par des collectivités qui auront des travaux à réaliser, qui ont pu donner leur avis.
L'introduction dans le Grenelle 2 d'une stratégie nationale de gestion des risques d'inondation, à la suite de la réflexion menée sur la transposition de la directive communautaire, est également un acquis à mettre au crédit du CEPRI. Cette disposition ne figure pas dans le texte européen. C'est une ambition supplémentaire que la France se donne.
Enfin, Éric Doligé a plusieurs fois insisté sur la nécessité de travailler de façon concertée à l'élaboration d'un plan « digues ». Or j'ai appris, la semaine dernière, que l'État n'avait pas l'intention de proposer un plan définitif à la mi-juillet mais simplement d'annoncer son élaboration. Dans la mesure où l'État ne sera que maître d'ouvrage et n'apportera que la moitié des financements, l'équipe qui travaille avec Laurent Michel sur les risques naturels et hydrauliques s'est bien rendu compte de la nécessité d'une collaboration en amont avec les collectivités territoriales, par le biais du CEPRI, de l'association des maires de France, de l'assemblée des départements de France et d'autres associations nationales. L'évolution des mentalités est le fruit du travail mené par Éric Doligé.
Je suis très heureux que vous soyez entendus car nous n'avons pas l'impression de l'être, pour notre part, dans le cas de Xynthia.
En matière de digues, notamment maritimes, n'avez-vous pas le sentiment qu'il y a eu ces dernières années une certaine dérive qui a fait qu'on a donné plus d'importance à la protection de l'environnement qu'à celle des populations ?
Autant le Centre d'études techniques maritimes et fluviales, le CETMEF, nous donne l'impression d'avoir une véritable expertise et une capacité à travailler, autant les responsables de l'hydraulique à la direction générale de la prévention des risques (DGPR) nous semblent, dans le cas de Xynthia, participer à la précipitation et avoir une vision totalement archaïque de la protection.
La réalisation d'ouvrages sur les cours d'eau s'est heurtée, pendant un certain temps, à l'opposition des environnementalistes qui faisaient bloc contre les élus. En tant que président de l'Établissement public Loire, j'ai eu droit aux arguments du type : « Surtout, ne faites rien ! », « N'empêchez pas le fleuve de déborder ! », « Vous verrez comme c'est agréable ! », « C'est bon pour la biodiversité ! »
À l'époque de la construction des grands barrages, nos relations avec les environnementalistes étaient un peu heurtées et difficiles. Il me semble qu'elles se sont apaisées depuis et que chaque bloc a fait quelques pas en direction de l'autre.
Il reste cependant des résistances sur le terrain. Un certain nombre de grands ouvrages ne seront jamais réalisés pour des raisons environnementales.
Ayant la volonté de réaliser des ponts sur la Loire, j'ai personnellement appris à connaître la commission des pétitions au Parlement européen, qui n'est pas mal non plus dans son genre…
La directive constitue une avancée dans ce domaine car elle demande que soient prises en compte les conséquences négatives à la fois sur la santé humaine, la vie économique, le milieu naturel et le patrimoine architectural, aucun aspect ne devant être privilégié.
La notion de conséquences négatives est nouvelle en France. Dans les PPR, l'État définit les risques encourus par les territoires mais il n'envisage ni leurs conséquences négatives ni la manière d'y faire face. Nous allons être amenés à considérer les choses différemment, ce qui rétablira peut-être un équilibre entre approche environnementaliste et écologique et protection de la population. Dans certains endroits, on ne peut pas toucher à des digues parce qu'elles sont classées Natura 2000 et vont être inscrites dans la trame verte et bleue.
Vos propos sont un peu contradictoires. Vous faites état d'améliorations dans vos relations avec les environnementalistes mais vous citez des blocages qui perdurent. Faut-il qu'un drame survienne pour que les choses évoluent ?
C'est souvent ainsi, malheureusement, que les choses bougent. Une grande catastrophe oblige à prendre des décisions qui étaient pourtant réclamées de longue date. Mais la directive devrait nous aider dans ce domaine. Les environnementalistes ne sont pas les seuls à demander que l'on protège un animal, un végétal ou un pan de paysage. Mme Genevoix a protégé le cône de vue de son mari après sa mort au motif que, s'il y avait eu un pont devant lui de son vivant, il n'aurait jamais écrit ses livres… Or un ouvrage ne détruit pas forcément le paysage ou la nature.
Le CETMEF est « aux ordres » du Gouvernement car il s'agit d'un service technique. Mais je ne peux répondre plus en détail à votre question car j'ignore en l'espèce dans quel contexte il intervient.
Je peux en revanche vous dire que nos interlocuteurs au sein des services de l'État, qu'il s'agisse, à la direction générale de la prévention des risques, du service des risques naturels et hydrauliques dirigé par Anne-Marie Levraut, ou du service technique de l'énergie électrique, des grands barrages et de l'hydraulique dirigé par Jean-Marc Kahan, ont beaucoup évolué et admettent aujourd'hui qu'ils ne peuvent agir seuls. Mais c'est un travail de longue haleine et nous espérons qu'ils seront encore en place dans les prochaines années.
Vous avez évoqué une modulation des primes de catastrophes naturelles. Pouvez-vous nous en dire plus ?
On ne parle plus beaucoup aujourd'hui de la réforme du régime des catastrophes naturelles. Mais les assureurs continuent à proposer de jouer sur la prime d'assurance pour pousser à la réalisation de travaux permettant de diminuer les dommages en cas de catastrophe. Le CEPRI conteste l'efficacité d'une telle mesure car la modulation d'une prime d'assurance ne joue que sur dix ou quinze euros par an, tandis que l'adaptation d'un logement coûte souvent plusieurs dizaines de milliers d'euros.
Cette modulation est en revanche un outil efficace auprès des industriels car une entreprise change tous les quatre ou six ans, si bien qu'un chef d'entreprise peut, en quelques années, diviser par deux les dommages sur son outil de production et accélérer ainsi le retour à la normale. L'initiative prise par M. Éric Doligé lorsqu'il était président de l'Établissement public Loire en matière d'accompagnement des entreprises pour réduire leurs dommages montre qu'il y a là un véritable potentiel.
L'une de vos pistes de réflexion consiste à transférer la gouvernance des digues à une collectivité territoriale. Quel niveau de collectivité envisagez-vous ? Avez-vous examiné les différents cas de figure possibles – communauté de communes, département, région – et évalué les avantages et les inconvénients de chacun ? Avez-vous également des pistes en matière de financement ?
Nous n'avons pas déterminé un niveau de collectivité particulier. C'est une des pistes de réflexion que nous proposons, laquelle n'exclut pas la recherche d'une solution mixte.
Les différents partenaires doivent maintenant se mettre autour de la table afin de déterminer quel peut être le meilleur niveau – le département occupe une place particulière en matière d'aménagement du territoire mais il doit travailler avec les communes riveraines et les syndicats de communes – ou quelles peuvent être les meilleures solutions pour rassembler plusieurs collectivités : on peut, par exemple, envisager la création d'un syndicat local.
Par ailleurs la situation financière des collectivités rend difficile la désignation de l'une d'entre elles. Nous devons voir laquelle est la plus motivée et la plus apte financièrement à investir.
Selon moi – je l'ai toujours dit –, le financement n'est pas le premier problème. Nous l'avons vu pour la Loire, quand les enjeux sont définis clairement et que les travaux ont été planifiés, on finit toujours par trouver des moyens de financement.
La vraie difficulté est de trouver des interlocuteurs et des acteurs de terrain.
Je vous remercie d'évoquer ce point, ce qui nous permettra peut-être de trouver des ressources extérieures.
Un bref rappel historique permettra de saisir la situation financière du CEPRI. Le plan Loire a réuni autour de Nicolas-Gérard Camphuis une équipe pluridisciplinaire de six ou sept personnes expertes dans le domaine des fleuves et des rivières, qui a mené des travaux de recherche et de modélisation pour un montant de 50 millions de francs. À la fin de ce plan, nous nous sommes dit qu'il ne fallait pas perdre tout le savoir accumulé et nous avons eu l'idée de créer le CEPRI.
Comme je présidais à l'époque l'Établissement public Loire, il a été décidé, au sein du conseil général, de financer le CEPRI en collaboration avec d'autres partenaires. Le conseil général lui a attribué une subvention d'aide au démarrage de 150 000 euros, laquelle est reconduite chaque année. Quelques collectivités partenaires concourent à son financement pour des montants plus modestes. Par ailleurs, les collectivités qui souhaitent bénéficier de nos services versent une participation fixe de l'ordre de 1 000 ou 1 500 euros selon leur taille. Enfin, nous travaillons sur des opérations ponctuelles pour le ministère, dont nous recevons en retour 150 000 euros, et pour la direction de la sécurité civile qui nous donne 20 000 euros. Notre budget global s'élève à quelque 600 000 euros, dont 30 000 euros de cotisations et 570 000 euros de subventions d'activité.
Si quelqu'un veut reprendre le CEPRI, il n'y a donc aucun problème. Il a été créé par une équipe de passionnés qui le considèrent comme un outil indispensable, mis à la disposition des collectivités, pour un coût restreint, mais il n'est pas une chasse gardée. Il ne faudrait pas qu'il disparaisse en même temps que son fondateur. Mais je pense que la relève se prépare.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia
Réunion du mardi 1er juin 2010 à 18 h 15
Présents. - Mme Véronique Besse, M. Dominique Caillaud, Mme Claude Darciaux, M. Louis Guédon, M. Christian Kert, M. Jean-Paul Lecoq, M. Jean-Louis Léonard, Mme Jeanny Marc, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Dominique Souchet
Excusée. - Mme Marguerite Lamour