COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 26 mai 2010
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)
La Commission des affaires sociales entend M. Jean-François Lequoy, délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), sur la réforme des retraites.
Nous poursuivons notre cycle d'auditions consacrées à la réforme des retraites en recevant M. Jean-François Lequoy, délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA). Il est accompagné par MM. Patrice Bonin, vice-président de la commission plénière des assurances de personnes et Gilles Cossic, directeur des assurances de personnes.
Vous nous direz le constat que votre organisation porte sur la situation de notre système de retraite et quelles sont les propositions qu'elle avance dans le cadre de la concertation menée par le Gouvernement, notamment en ce qui concerne le développement de l'épargne-retraite.
Je suis heureux d'être parmi vous ce matin pour un éclairage sur le débat en cours concernant la réforme des retraites. Nous traiterons, pour notre part, essentiellement la question de l'épargne-retraite, sujet sur lequel nous avons développé une compétence, mené une réflexion et formulé des propositions. Après avoir rappelé quels sont aujourd'hui les produits de l'épargne-retraite, avoir retracé leurs principaux résultats et évoqué les raisons pouvant expliquer ceux-ci, nous présenterons quelques propositions qui tendent à déterminer quel parti peut être tiré de ces produits pour compléter le coeur du dispositif des retraites que reste le système par répartition.
Quelques chiffres pour commencer. Si, en effet, le débat sur les retraites se concentre aujourd'hui, dans une large mesure, sur la situation des régimes de base de la sécurité sociale, il est essentiel d'examiner également les régimes complémentaires ainsi que, pour ce qui nous concerne, les régimes supplémentaires.
Selon les données provisoires disponibles pour l'année 2009, le flux total de l'ensemble des dispositifs de retraite supplémentaire représente quelque 11 milliards d'euros de cotisations, auxquels il faut ajouter environ 800 millions d'euros au titre du plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO). Ce dernier dispositif n'est cependant pas un produit d'assurance, mais un dispositif d'épargne salariale. Au total, l'encours constaté s'élève à 130 milliards d'euros, dont plus de 125 milliards au titre de l'assurance et plus de 3 milliards au titre du PERCO. Je rappelle qu'il s'agit là des dispositifs ayant pour finalité exclusive la retraite, qui ne comprennent donc pas les contrats d'assurances-vie.
Il convient de distinguer trois grands types de bénéficiaires de ces dispositifs (compte non tenu de la fonction publique).
Premièrement, les particuliers. Ceux-ci ont longtemps bénéficié d'une retraite supplémentaire sous la seule forme d'un dispositif d'assurance-vie. Aujourd'hui encore, la souscription à une assurance-vie est majoritairement motivée par la volonté de constituer une épargne en vue de la retraite. En 2009, l'encours total de l'assurance-vie est de 1 300 milliards d'euros environ.
D'autres produits permettent la constitution d'une retraite supplémentaire, sans pour autant tendre exclusivement à cet objectif. Il en va ainsi notamment du plan d'épargne retraite populaire (PERP), institué par la loi Fillon du 21 août 2003. Ce plan a connu un développement assez cohérent ces dernières années au regard de la progression d'autres nouveaux produits, et concerne aujourd'hui 2 millions d'assurés. Produit d'épargne individuel, il permet la capitalisation des sommes versées jusqu'au moment de la retraite, où ces sommes font alors l'objet d'une conversion en rente, mode de sortie unique du dispositif.
J'insiste sur le fait que la sortie s'effectue sous la seule forme d'une rente. En outre, entre le moment de la souscription à ce produit et l'atteinte de l'âge de la retraite, les possibilités de sortie du dispositif sont extrêmement limitées.
À l'entrée du dispositif, les cotisations versées sont déductibles du revenu imposable à l'impôt sur le revenu, dans une limite annuelle fondée sur le plafond de la sécurité sociale. En revanche, à la sortie, les rentes sont imposées comme les salaires ou les pensions.
Deuxième ensemble de bénéficiaires des produits d'épargne retraite supplémentaires, les travailleurs non salariés et les professions agricoles. Ceux-ci ont la possibilité de souscrire à des contrats appelés « contrats Madelin » et contrats « exploitants agricoles ». Dans cette hypothèse, les bénéficiaires procèdent chaque année au versement d'une cotisation et les sommes capitalisées font l'objet, au moment de la liquidation de la retraite de l'intéressé, d'une conversion en rente. Ce produit a connu un réel développement. Aujourd'hui, pas moins de 60 % de la population susceptible d'être couverte l'est effectivement, ce qui représente 1,47 million de souscripteurs.
Ce dispositif bénéficie du régime fiscal prévu pour la plupart des produits comparables, y compris le PERP précité : une déduction fiscale sous plafond à l'entrée ; une imposition de la rente à la sortie, selon les modalités applicables aux salaires et pensions.
Ce dispositif fiscal figure à l'article 154 bis du code général des impôts. Je précise, pour en revenir d'un mot au PERP, que la loi Fillon a institué ce plan pour favoriser la couverture en assurance retraite supplémentaire des Français qui, jusque-là, ne bénéficiaient d'aucun dispositif.
À suivre cette présentation, il semble bien qu'une motivation importante de la souscription est le bénéfice d'une rente au moment de la retraite. Néanmoins, on peut se demander dans quelle mesure l'existence même de la déduction fiscale n'est pas décisive.
Il faut garder à l'esprit que le taux de remplacement du régime obligatoire des travailleurs non salariés est moindre que celui des salariés. De fait, il existe une double motivation : acquérir un complément de revenu au moment de la retraite tout en bénéficiant d'un accompagnement fiscal incitatif.
Par-delà les professions agricoles, les travailleurs non salariés recouvrent pour l'essentiel les professions libérales, les artisans et les commerçants.
Le détail du dispositif fiscal n'est pas, pour notre propos, l'essentiel. Je rappelle que l'objectif est d'avoir une vision globale des dispositifs existants en matière de retraite supplémentaire, de manière à pouvoir, pour l'avenir, prendre des décisions susceptibles de rendre ces dispositifs plus efficaces. Au total, les « contrats Madelin » fonctionnent plutôt bien.
Troisième ensemble de bénéficiaires des dispositifs de retraite supplémentaire, les salariés. Ceux-ci peuvent naturellement souscrire à un régime de retraite supplémentaire en tant que particuliers. Mais, ils peuvent aussi le faire par l'intermédiaire de leur entreprise. Or, il s'agit de dispositifs essentiels s'agissant de la question du financement des retraites. La réforme des retraites ne sera réussie, que si la réflexion porte sur les dispositifs de financement complémentaires fondés à la fois sur l'épargne individuelle et sur l'effort des entreprises.
Pour ce qui concerne le financement par l'intermédiaire des entreprises, historiquement, le produit de référence est le contrat de retraite d'entreprise souvent dénommé « article 83 », en référence à l'article du code général des impôts dont ils relèvent. Ce type de contrats a été institué il y a environ 40 ans, et ce sont eux qui, de loin, concernent le plus grand nombre de salariés. Au total, le montant des encours collectés pour couvrir, au titre d'un de ces contrats, les salariés du secteur privé s'élève à environ 34 milliards d'euros.
Par ailleurs, la loi Fillon du 21 août 2003 a institué deux nouveaux produits : d'une part, le plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO), dont il faut reconnaître qu'il ne répond pas tout à fait à l'objectif de constitution d'une retraite supplémentaire. À dire vrai, il est bien pratique pour les entreprises qui souhaitent se débarrasser de la question de la retraite à moindre frais. D'autre part, la loi de 2003 a créé le plan d'épargne retraite d'entreprise (PERE), outil que l'on peut qualifier d'instrument le plus intelligent qui existe, même s'il peine à se développer.
Le fonctionnement des contrats « article 83 » est le suivant : les cotisations peuvent être versées soit intégralement par l'employeur, soit à la fois par l'employeur et le salarié. En tout état de cause, une fois le régime institué, ces cotisations revêtent un caractère obligatoire. L'inconvénient du système est que le salarié n'a pas la possibilité de procéder à des versements supplémentaires sur son compte, au-delà des cotisations obligatoires.
C'est pour cette raison que la loi Fillon de 2003 a créé le PERE, dont le fonctionnement est similaire à celui des contrats « article 83 », à savoir un contrat établi pour une catégorie objectivement définie de salariés ou pour l'intégralité d'entre eux, prévoyant des cotisations intégralement ou partiellement versées par l'employeur, le principe retenu s'appliquant alors à l'ensemble des contrats de tous les salariés. Cependant, le dispositif du PERE ouvre aussi la possibilité à un salarié de procéder à une épargne complémentaire, à titre individuel.
Quant aux PERCO, ceux-ci sont venus compléter les dispositifs d'épargne salariale, tel le plan d'épargne d'entreprise (PEE). Il s'agit, en quelque sorte, d'un plan d'épargne d'entreprise de long terme : les sommes épargnées sont capitalisées jusqu'au moment de la retraite, avant d'être versées sous forme de capital ou sous forme de rente. Ce dispositif présente cependant l'inconvénient de n'engendrer aucune obligation de cotisation pour l'employeur : celui-ci n'abondera le plan que si le salarié a préalablement procédé à un versement. Il est possible de dire que le PERCO est très élitiste, contrairement à d'autres produits : ce sont essentiellement les cadres qui l'abondent. Dès lors, il n'est pas très étonnant que ce dispositif connaisse un important développement si l'on se réfère au nombre de plans créés, mais un développement moyen si l'on observe les volumes épargnés. Encore une fois, les employeurs se débarrassent ainsi du problème de la retraite, usant d'un instrument moins onéreux pour eux.
Je vais maintenant, pour conclure ce panorama, expliquer les raisons qui ont conduit au succès ou non de ces différents dispositifs.
La première chose à avoir en tête est que la retraite est une question compliquée. Ce n'est, en effet, pas un acte naturel de se couvrir contre un risque de diminution de ses revenus. Par conséquent, à l'inverse de l'assurances automobile voire même de l'assurance en matière de santé, il y a tout un effort de pédagogie à faire, d'autant plus que la retraite est un produit distribué par des conseillers, que ce soit par l'intermédiaire de guichets bancaires, de réseaux de compagnies d'assurance ou de cabinets de courtage. Tout ce qui complique leur compréhension, tant par le public que par le réseau des conseillers, est donc un handicap à la distribution et au développement de ces produits de retraite. Or, pour des raisons qui pouvaient s'expliquer initialement et qui ont conduit par exemple à la mise en place de règles prudentielles et à une volonté de transparence, on a complexifié les produits de retraite mis en place à la suite de la loi Fillon, qu'il s'agisse du PERP, caractérisé par un mécanisme de gouvernance lourde, ou du PERE. Idéalement, on avait demandé, s'agissant du PERE, de ne pas créer un nouveau produit, mais d'utiliser le contrat de l'article 83 qui, avec 34 milliards d'euros, est le produit le plus développé dans les entreprises. La bonne idée aurait été de donner une liberté de versement individuel. Or, on aboutit à une complexification avec un système de gouvernance très lourde. Dans les PERE, par exemple, il y a nécessité de créer un comité de surveillance interentreprises, alors que pour le PERCO, il n'y a seulement que des comités de surveillance internes paritaires plus adaptés au fait que la plupart des entreprises ne souhaitent pas se soumettre à une surveillance extérieure.
Un autre facteur qui a gêné le développement de certains produits résulte du fait que les assureurs ont dû créer des nouveaux actifs financiers spécifiques pour ces nouveaux produits, du fait notamment de l'existence de règles de cantonnement particulières. L'inconvénient majeur est qu'on ne bénéficie ainsi plus, du fait de ces conditions techniques, de l'effet volume des actifs sous gestion et qu'on mutualise donc mal les actifs financiers. La gestion financière selon les conditions de marché est dès lors un peu plus difficile pour pouvoir obtenir la performance financière régulière que les souscripteurs attendent.
Au total, s'il a été un peu long de décrire les dispositifs d'épargne retraite instaurés par les lois successives, on peut dire qu'il existe aujourd'hui beaucoup de produits avec une certaine dose de complexité, qui représentent au bout du compte, un faible volume. En 2009, par exemple, le montant des contributions versées à ces produits représentait 11 milliards d'euros, soit moins de 10 % du total de l'assurance-vie. Il s'agit donc d'un petit effort fléché vers la préparation de la retraite. C'est un monde microscopique par rapport au monde de la répartition et qui a d'ailleurs vocation à le rester. Le montant total des prestations de ces retraites supplémentaires versé en 2009 représentait ainsi 7 milliards d'euros, à comparer aux 250 milliards d'euros des retraites par répartition, c'est-à-dire moins de 3 % de cet ensemble.
Face à ce constat, la FFSA propose plusieurs préconisations pour rendre le système plus efficace. On sait que l'on a besoin de cette épargne retraite pour deux raisons. Elle peut, en premier lieu, contribuer à lutter contre l'érosion du taux de remplacement servi par les régimes par répartition. En second lieu, l'épargne retraite, qui est, par définition, une épargne longue, a pour vertu de jouer un rôle important dans le financement de l'économie par le biais d'achat d'actions et d'obligations.
La gamme des produits est déjà touffue, ce n'est pas la peine d'en rajouter. Il convient de s'appuyer sur l'existant et de proposer quelques modifications, pour donner le maximum de chances de succès à ces produits auprès de la population. Par exemple, sur les contrats dits Madelin et exploitants agricoles, qui ont bien marché et qui ont su séduire une large population, nous n'avons pas de proposition particulière. Le contrat de l'article 83, qui a généré 34 milliards d'euros d'épargne accumulée, comporte, en revanche, une limitation assez sotte qui résulte du fait qu'un salarié ne peut pas effectuer de versements libres supplémentaires. Pour ce faire, il faudrait que l'entreprise mette en place un PERE, mais c'est très complexe en pratique et les entreprises ne le font pas. Soyons donc pragmatiques et autorisons ainsi les salariés à faire des versements d'épargne complémentaires, sans remettre en cause un dispositif général qui fonctionne bien.
En ce qui concerne le PERP, le chiffre de 2 millions de contrats peut, certes, apparaître impressionnant. En réalité, les réseaux ont, dans la foulée de la loi Fillon, distribué beaucoup de PERP mais avec des sommes de départ faibles et ces contrats n'ont pas été abondés par la suite. En 2009, le montant des cotisations versées représentait ainsi seulement 1 milliard d'euros, ce qui est, en définitive, assez faible. Cela s'explique par le fait que le PERP se caractérise par un long effet tunnel angoissant. Entre une souscription à l'âge de 35 ans et le départ à la retraite, on ne peut, en effet, récupérer son argent que dans des cas exceptionnels : invalidité grave, décès ou chômage en fin de droits. Au moment de la retraite, la sortie est obligatoirement en rente, taxée comme les salaires. L'incitation fiscale est donc restreinte, sans compter qu'il s'agit d'un dispositif contraint d'un point de vue administratif, qui se caractérise par une grande complexité de gestion.
Nous proposons, en conséquence, d'élargir les possibilités de récupérer son épargne pendant la phase de constitution de capital en incluant, par exemple, dans les possibilités de sortie, l'achat d'un logement ou le décès du conjoint.
Il convient également de simplifier la gestion technique de ces produits très contraints à la fois pour le client et pour les sociétés de gestion.
Par ailleurs, si les contrats dits Madelin ont bien fonctionné, c'est en grande partie en raison de la possibilité de leur accoler des garanties qu'il s'agisse de prévoyance, d'invalidité ou d'incapacité. Il serait donc utile d'associer ce type de garanties aux PERP, y compris des garanties en matière de dépendance.
Parallèlement aux mesures préconisées sur les contrats de l'article 83 visant à permettre l'abondement par les salariés, il serait également opportun que les employeurs puissent abonder les PERP de leurs salariés dans certains cas. En effet, les contrats de l'article 83 ne concernent qu'un quart des entreprises et ont été peu mis en place dans les très petites entreprises. Ce serait une façon pour l'entreprise de mieux contribuer à l'épargne retraite de ses salariés.
Par ailleurs, le monde de l'épargne retraite se caractérise, aujourd'hui par des contributions déductibles du revenu imposable, et par une sortie en rente, qui est imposable. Il serait intéressant que ceux qui ont d'abord souscrit une assurance-vie aient la possibilité de la reflécher, au bout de huit ans, vers un objectif de retraite. La FFSA pense ainsi que ceux qui accepteraient, pour cette épargne ainsi accumulée, de limiter leur possibilité de sortie et de ne sortir qu'en rente, doivent y être fiscalement incités par l'exonération de la rente lors de son versement.
Enfin, on observe que le régime de fiscalisation des rentes servies par les produits d'épargne retraite, aligné sur le régime des salaires et pensions, est difficile à accepter pour nos concitoyens et la FFSA propose, en conséquence, de prévoir un abattement de 10 % ou 20 % de la rente, exonéré d'impôt sur le revenu.
Je vous rejoins sur la nécessité d'éviter l'effet « tunnel » des dispositifs d'épargne retraite. Cependant, je m'oppose catégoriquement à toutes nouvelles dépenses fiscales dans le contexte financier actuel.
Je suis également très réservé quant à l'instauration de nouvelles niches fiscales en matière de produits d'épargne retraite.
Je n'ai que quelques questions. Quelles mesures précises préconisez-vous afin de réorienter les sommes épargnées au titre de l'assurance-vie vers l'épargne retraite ? Par ailleurs, pourriez-vous nous expliquer en détail les mécanismes du régime Préfon-Retraite ? Enfin, quelles sont les conséquences des dispositions relatives aux retraites-chapeau inscrites dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 ?
Pour un montant total de 11 milliards d'euros de prestations versées au titre de l'épargne retraite, à combien s'élèvent les exonérations fiscales et sociales ?
Je souhaiterais connaître le flux annuel ainsi que le nombre de souscripteurs d'une assurance-vie en France. Par ailleurs, quel est l'âge à partir duquel il est possible de bénéficier du produit de son épargne retraite ? Quel serait l'impact du report de l'âge légal de départ en retraite pour les bénéficiaires d'un dispositif d'épargne retraite ? Enfin, quel intérêt pourrait avoir une entreprise, qui n'a pas mis en place de plan d'épargne collectif, à abonder les contrats individuels de ses salariés ?
Certes, nous avons des dispositifs qui couvrent selon vous l'ensemble de nos concitoyens. Cependant, est-il vrai que le ratio entre régimes de base et régimes supplémentaires est en France l'un des plus bas d'Europe ?
Un particulier qui rompt son contrat d'épargne retraite en perd-t-il le bénéfice ? Par ailleurs, quelles solutions préconisez-vous afin d'inciter les Français à souscrire un tel contrat ? Enfin, quelles sont les conséquences de la crise financières sur les sommes qui ont été placées de cette façon ?
Il est évident que tous ici, nous voulons sauver le système de retraite par répartition. Cependant, l'épargne retraite est un outil qui peut permettre de lutter contre l'érosion du niveau des pensions. Quelle pédagogie devons-nous adopter pour la rendre attractive ? Comment remédier à la complexité des dispositifs ?
Les deux conditions du développement des contrats d'épargne retraite sont d'une part la capacité contributive des particuliers, d'autre part la défiscalisation. Or, bon nombre de nos concitoyens ne réunissent malheureusement pas ces deux critères. À ce titre, disposez-vous d'une typologie des bénéficiaires actuels de l'épargne retraite ?
Vous avez souligné le faible nombre de contrats collectifs dans les très petites entreprises. Ne faudrait-il pas prévoir des accords de branche pour remédier à ce problème ? Vous avez également évoqué le développement d'un produit dépendance, ce qui me paraît tout à fait intéressant. Pourriez-vous préciser ce point ?
La possibilité, ouverte par la loi pour le pouvoir d'achat du 8 février 2008, d'un déblocage immédiat de tout ou partie du produit de la participation du salarié a-t-elle eu une incidence sur l'épargne retraite ?
Quels sont les avantages fiscaux auxquels ouvre droit un contrat d'épargne retraite ? Quelles sont les passerelles possibles entre les différents dispositifs ? Sont-ils transférables en cas de changement d'entreprise ?
Il est regrettable qu'un salarié ayant souscrit un contrat d'épargne retraite n'ait absolument aucune notion de ce que cette épargne pourra lui rapporter in fine. Il faut absolument améliorer la qualité de l'information qui est délivrée.
Le président Pierre Méhaignerie. Ajoutons de plus, que comme pour l'assurance-vie, le salarié peut gagner mais aussi perdre de l'argent !
Je le répète, le système est trop complexe et soumis à des contraintes administratives excessives. Il ne s'agit donc pas de créer de nouveaux véhicules, mais de simplifier les dispositifs existants pour une meilleure gestion de l'épargne et une meilleure compréhension du système par les Français.
Pour répondre à vos questions, le flux annuel de l'épargne au titre de l'assurance-vie s'élève en 2009 à 140 milliards d'euros. Par comparaison, les sommes versées au titre des véhicules d'épargne retraite atteignent seulement 11 milliards.
Par ailleurs, je précise que l'interruption d'un contrat d'épargne retraite n'entraîne aucune perte pour son bénéficiaire. C'est le départ à la retraite qui donne droit au déblocage des fonds, départ qui par définition ne peut intervenir avant l'âge légal.
Pour répondre à la question de M. Préel, en abondant des contrats individuels, une entreprise contribuerait à la préparation de la retraite de ses salariés, tout en évitant de financer un dispositif collectif qui lui coûterait plus cher.
Je souhaite également vous rassurer sur la nature des dispositifs d'épargne retraite. Il ne s'agit pas de fonds de pension, mais de contrats soumis à une réglementation protectrice fixée par le code des assurances.
Je voudrais revenir sur notre proposition de mieux mobiliser l'assurance-vie en la fléchant vers une sortie en rente, grâce à une « carotte » fiscale concernant cette rente. Une telle mesure serait parfaitement neutre du point de vue fiscal, puisqu'à l'entrée on ne bénéficie d'aucune déduction fiscale lorsqu'on place de l'argent sur une assurance-vie, à la différence des versements effectués sur un dispositif d'épargne retraite. Ce ne serait donc pas une vraie dépense fiscale et cela permettrait de développer la sortie des contrats en rente, que les Français, à la différence des autres européens, ont du mal à accepter, alors même que c'est un élément très intéressant de stabilisation de l'épargne et des revenus.
Je suis perplexe sur votre raisonnement fiscal ; il s'agirait donc de faire une économie sur une dépense qui aurait pu exister mais n'existera pas si on ne fait pas de cadeau fiscal ? Par ailleurs, vous parlez d'assouplir les dispositifs ; quelles différences subsisteraient alors entre eux ?
Actuellement, pour les particuliers, nous avons d'une part l'assurance-vie avec sa très grande souplesse d'utilisation, d'autre part le PERP, qui est très rigide : pas de possibilité de retrait en cours de plan sauf dans quelques cas dramatiques et une sortie obligatoire en rente. On pourrait donc envisager un produit intermédiaire, qui garderait les caractéristiques d'un produit retraite (sortie en rente), doté de possibilités de retrait certes toujours encadrées, plus larges qu'aujourd'hui, par exemple en cas d'achat d'un logement ou de décès du conjoint.
Le poids respectif des régimes supplémentaires et des régimes obligatoires (régimes de base et complémentaires) est, historiquement, caractérisé en France par une très forte prédominance de ces derniers.
S'agissant des accidents qui surviennent dans la vie des contrats d'assurance et entraînent une interruption des versements, la réglementation est protectrice : les droits acquis continuent à se capitaliser et l'alimentation du compte peut éventuellement être reprise. De même, pour ce qui est des changements d'emploi, des systèmes de passerelle existent déjà pour permettre aux personnes de conserver leurs droits en les basculant dans le système de capitalisation de leur nouvel employeur.
La question des produits mixtes retraitedépendance a également été posée. L'expérience montre que c'est au moment du départ à la retraite qu'il est le plus opportun de proposer une protection contre la dépendance ; on peut alors avoir des formules mixtes comportant par exemple une majoration de la rente retraite en cas de dépendance. En revanche, plus en amont, les actifs se préoccupent généralement peu du risque de dépendance et sont peu réceptifs aux offres dans ce domaine.
Pour ce qui est du développement des plans d'épargne retraite dans les petites entreprises, la formule des accords de branches me paraît effectivement tout à fait prometteuse.
Un effort de pédagogie est effectivement nécessaire sur les questions de retraite. Il est important de disposer de dispositifs simples, qui permettent à ceux qui les distribuent de les expliquer plus aisément, et à ceux qui les souscrivent de mieux les comprendre. Cela vaut d'ailleurs pour les régimes supplémentaires, mais aussi pour les régimes obligatoires, notamment les régimes complémentaires par points, pour lesquels on constate que peu d'assurés se donnent la peine de calculer régulièrement leurs droits en multipliant le nombre de points par leur valeur unitaire.
Il ne faut pas faire de contresens sur la notion de « retraite chapeau ». Il existe effectivement des contrats à prestations définies qui couvrent, il faut le savoir, toute la fonction publique et plus d'un million de salariés du secteur privé, dont plus de 55 % de non-cadres. Ces régimes ont un caractère collectif et profitent à l'ensemble d'une catégorie de salariés, leurs règles étant encadrées précisément par la législation. A contrario, les cas d'abus qui sont régulièrement mis en exergue correspondent à des décisions individuelles prises par des conseils d'administration au bénéfice de dirigeants en dehors de tout régime collectif. Il faut faire attention : une trop grande rigidification et fiscalisation des régimes chapeau collectifs pourrait conduire à une multiplication des mesures individuelles pour les cadres dirigeants, et donc à des abus potentiels.
Pour conclure, les propositions que nous allons vous transmettre sont dictées par un souci d'efficacité et de mobilisation pour les retraites de tous les financements disponibles, chez les entreprises comme chez les particuliers. L'avantage fiscal que nous demandons pour les sorties en rente de l'assurance-vie est justifié par l'intérêt intrinsèque de ce type de sortie des contrats : une rente, c'est un revenu régulier, qui prémunit ses bénéficiaires de tout risque de paupérisation entraînée par une mauvaise gestion du patrimoine.
Le directeur des assurances de personnes à la FFSA. La question de l'accès des hommes et des femmes à l'épargne retraite a été posée. Cet accès est maintenant presque égal, les femmes représentant 47 % des titulaires de PERP. Pour ce qui est des règles prudentielles, les engagements que nous prenons vis-à-vis des assurés sont régis par le code des assurances, avec toute une réglementation, issue de directives européennes, qui vise à protéger cette épargne sur le long terme. Cela n'a rien à voir avec les fonds de pension anglo-saxons qui, comme leur nom l'indique, sont d'abord des « fonds », c'est-à-dire l'équivalent de SICAV. Vous avez d'ailleurs observé qu'aucun assureur français n'a eu de difficultés suite à la crise financière ni n'a demandé le soutien des pouvoirs publics : c'est le résultat de nos règles prudentielles. Enfin, il faut être conscient que nos actifs sont investis à 53 % dans des entreprises, dont 60 % sont françaises ; notre activité concourt ainsi à l'investissement de long terme qui conditionne l'avenir de notre économie.
Un quart des entreprises ont passé des contrats collectifs pour leurs salariés et ce taux est évidemment très croissant avec la taille des entreprises. D'où l'intérêt de tout ce qui peut aller vers des systèmes plus souples permettant de mobiliser les petites entreprises et les versements volontaires des personnes.
Pour ce qui est des avantages fiscaux attachés aux versements effectués à ces dispositifs, la loi les plafonne. La mesure que nous souhaitons pour alléger la fiscalité des rentes versées en sortie des contrats d'assurance-vie ne constituerait pas une dépense fiscale supplémentaire, car en l'absence d'une telle mesure, il n'y aura aucune sortie en rente de cette nature. Mieux vaut donc prélever un impôt réduit sur une assiette existante que ne rien prélever sur une assiette inexistante.
Vous n'avez pas répondu à nos questions sur le montant des exonérations dont bénéficient les contrats d'épargne retraite !
Je n'en dispose pas à l'instant.
Ces questions doivent être abordées à travers un calcul économique, en mettant en relation le coût des exonérations à l'entrée dans les contrats et le rendement des prélèvements opérés à la sortie des contrats.
La Commission des affaires sociales entend ensuite M. Jean Lardin, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA), sur la réforme des retraites.
Nous souhaitons la bienvenue à M. Jean Lardin, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA), accompagné de M. Pierre Burban, secrétaire général, et de Mme Caroline Duc, chargée des relations avec le Parlement. Je rappelle que vous êtes entrepreneur dans le secteur du bâtiment en Aveyron et qu'avant l'UPA, vous avez présidé la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB). Nous attendons donc avec intérêt votre constat et vos propositions.
Sur ce sujet d'une actualité brûlante, je dois d'abord souligner que l'UPA est attachée à la retraite par répartition et à la solidarité entre les générations. Mais, la situation économique ne permet pas d'envisager une augmentation des cotisations : en effet, les entreprises artisanales sont des activités de main-d'oeuvre et les cotisations sont assises sur la main-d'oeuvre. Il ne faut donc pas alourdir les charges d'un secteur qui, en 2009, a préservé l'essentiel de ses effectifs salariés, remplissant ainsi une mission de « filet de sécurité » pour l'emploi. L'espérance de vie continuant d'augmenter régulièrement, il faudra donc travailler davantage et allonger la durée de cotisation, de façon sereine et progressive, afin d'éviter que certaines classes d'âge n'en subissent des conséquences brutales. L'allongement de la durée de cotisation se situe donc dans le domaine du possible et peut-être même du nécessaire.
Je rappelle incidemment que l'ancien régime des artisans – la Caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale (CANCAVA) – est intégré depuis quatre ans au sein du Régime social des indépendants (RSI). Nous avons ainsi procédé volontairement à une sorte de petite révision générale des politiques publiques ! Mais, le problème de la validation des trimestres dans notre régime reste entier. La condition posée pour valider un trimestre – avoir réalisé un résultat supérieur à 200 fois le SMIC horaire – apparaît trop sévère, car il suffit qu'un ou deux de ses clients les plus importants ne paient pas en temps et en heure pour qu'un artisan de trouve ainsi dans l'impossibilité de valider un trimestre. Au demeurant, dans le régime général, les périodes de chômage sont validées. Nous souhaitons donc que la validation d'un trimestre dans notre régime puisse se faire dès lors qu'il y a eu une activité au cours de ce trimestre, sans remettre en cause le calcul proprement dit des cotisations.
Reculer progressivement l'âge de la retraite, c'est toucher à des symboles. Une telle évolution est donc difficile à gérer et il faut requérir ici aussi des efforts sans brutalité. Mais si la durée de cotisation et l'âge légal de la retraite augmentent, il ne faudra pas oublier les salariés qui ont commencé à travailler très tôt : comme dans la loi de 2003, il sera donc indispensable de prendre en compte les carrières longues. Vous voyez, nous sommes réalistes, mais nous ne souhaitons pas pénaliser une population qui ne le mérite pas.
S'agissant du système de revalorisation des pensions, l'UPA est favorable au mécanisme d'indexation mis en place par la loi de 2003.
Par ailleurs, nous estimons que toutes les charges relevant de la solidarité nationale doivent être assurées par l'État, alors que ce sont les régimes de retraite qui en financent actuellement une partie.
Pour les artisans, vous savez que la retraite de base obligatoire a été instaurée en 1973, puis la retraite complémentaire obligatoire en 1978. Si l'on veut bâtir un troisième pilier de retraite, il faut permettre aux artisans de dégager une épargne supplémentaire. Comme l'activité économique ne permet pas d'envisager une augmentation des revenus à cette fin, il conviendra de rendre plus attrayants, fiscalement et socialement, et plus accessibles les systèmes par capitalisation.
Concernant l'harmonisation entre les secteurs, l'UPA considère qu'il ne faut pas opposer les régimes du secteur privé à ceux du secteur public. Il faut appliquer, selon les cas, les règles du privé au public, ou vice-versa. Toutes les familles comptent des personnes au statut différent. Il ne faudrait pas qu'elles se disputent autour de la table familiale ! L'objectif est d'essayer de vivre ensemble et de faire en sorte que le salarié du privé n'ait pas envie de « casser la gueule » à son ami cheminot.
Quatre retraités sur dix sont polypensionnés. La loi de 2003 laisse aux intéressés le soin de choisir les 25 années sur lesquelles le calcul de leur pension est effectué. Mais ce dispositif n'est pas satisfaisant, car il conviendrait de s'assurer que ce sont effectivement les 25 meilleures années, de manière à être fidèle à l'esprit de la loi de 2003.
Pour ce qui est d'améliorer l'emploi des seniors, l'artisanat ne se débarrasse pas de ses salariés âgés, car ce sont eux qui, le plus souvent, assurent la formation des apprentis, puisqu'ils connaissent bien l'entreprise, maîtrisent les techniques, possèdent le savoir-faire ainsi que le savoir-être. Il faut rappeler à cet égard que le secteur forme 80 % des apprentis. Nous n'avons donc pas peur de renforcer l'emploi des seniors, de même qu'avec le contrat d'apprentissage, nous contribuons grandement à l'emploi des jeunes. Ces défis, nous les relevons depuis longtemps.
Bien que je me suis consacré de plus en plus à mes fonctions de représentation du bâtiment et de l'artisanat au cours des vingt dernières années, les douleurs physiques liées à mon travail dans mon entreprise me réveillent tous les jours à la même heure, sans que j'ai besoin d'un réveil. Les métiers de l'artisanat sont certes difficiles, mais il ne faudrait pas remettre en cause les efforts accomplis depuis trente ans : amélioration des conditions de travail, prise en compte de la santé et de la sécurité, limitation des charges (les sacs de ciment ne pèsent plus 50 kilogrammes), ... Il serait injuste de jeter l'opprobre sur un secteur d'activité en le désignant comme « pénible » dans son ensemble, car il se trouverait dès lors confronté à de graves difficultés de recrutement. Comment, en effet, attirer les jeunes dans de telles conditions ? Surtout que si l'on procédait ainsi, on créerait des taxes supplémentaires pour réparer les dégâts. Ce qu'il faut c'est une mutualisation dans l'ensemble des secteurs pour couvrir le plus largement possible la charge de la réparation (assurance maladie, affections de longue durée, invalidité, accords avec l'UNEDIC).
Suite à votre intervention, je souhaiterais poser un certain nombre de questions précises. D'une part, êtes-vous favorable à la création d'un régime universel de retraite qui rassemblerait l'ensemble des Français, salariés, non salariés, ou encore fonctionnaires ? D'autre part, concernant la pénibilité, il n'est pas évident qu'il revienne aux régimes de retraite de traiter ce problème. La solution n'est-elle pas plutôt à chercher au moment de l'activité, par exemple en rémunérant mieux les métiers pénibles ? Enfin, les travaux du Conseil d'orientation des retraites ont montré que le report de l'âge légal et l'allongement de la durée de cotisations ne suffiront pas à couvrir l'ensemble des besoins financiers de notre système de retraite. Par ailleurs, vous avez indiqué votre opposition à toute hausse de cotisations. Dès lors, quelles nouvelles ressources vous semblent envisageables ?
M. Lardin ayant par anticipation répondu à l'essentiel de mes questions, je concentrerai mon propos sur la question de la pénibilité. Il convient de bien distinguer le stock et le flux. Pour le flux, il est indispensable de changer les carrières et de proposer aux personnes ne pouvant plus exercer leur métier une reconversion professionnelle. Il revient dès lors à chaque profession de déterminer quels pourraient être ces nouveaux métiers.
Même si je comprends la réticence de M. Lardin à qualifier les professions qu'il représente de pénibles, il y a néanmoins un consensus pour dire que certains de ces métiers se font dans des conditions particulièrement difficiles. Pouvez-vous dès lors nous indiquer le taux d'invalidité dans vos entreprises, ainsi que le taux d'employabilité des plus de 55 ans ?
Je souhaiterais également connaître le taux d'emploi des seniors dans l'artisanat. Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer le niveau moyen des pensions des artisans ? Enfin, concernant la pénibilité, même s'il ne s'agit pas de montrer du doigt telle ou telle branche, les négociations entre les partenaires sociaux ont tout de même abouti à l'élaboration d'un certain nombre de critères permettant de qualifier telle ou telle activité de pénible.
Ayant peu cotisé au cours de leur vie professionnelle, les artisans ne perçoivent souvent qu'une retraite très basse. Seriez-vous dès lors favorable à l'instauration d'une retraite plancher ?
Vous avez exprimé votre opposition à une hausse des cotisations, quelles autres sources de financement vous semblent souhaitables ? Par ailleurs, selon vous, l'emploi des seniors constitue-t-il un frein à l'embauche des jeunes et à leur formation, sachant que l'artisanat fait énormément en ce domaine ? D'ailleurs concernant le tutorat des jeunes, vous semble-t-il souhaitable de valoriser cette activité au moment du départ à la retraite ?
Je ne suis pas hostile par principe à l'instauration d'un régime universel. Je pense même que le refus en 1945 des artisans de rejoindre le régime général a été une erreur historique, qui a été partiellement corrigée en 1973 avec la loi Royer, puis avec la création d'un régime complémentaire obligatoire. Nous voyons bien aujourd'hui une tendance à réduire les différences existant entre les différents régimes. Si cela aboutit à un régime universel, pourquoi pas ?
Concernant la pénibilité, que l'on traite cette question au moment de la retraite ou au moment de l'activité, par des arrêts maladies, des pensions d'invalidité ou des licenciements, cela revient toujours à faire porter la charge sur une même assiette, c'est-à-dire les cotisations portant sur le travail, celles-ci finançant aussi bien l'assurance vieillesse que l'assurance maladie, ou encore l'assurance chômage. Or, on voit bien que cette assiette restreinte ne peut plus faire face à l'ensemble de ces charges. En 2009, pour la première fois de notre histoire, le nombre d'heures travaillées a baissé ! Il est donc indispensable d'élargir l'assiette de financement de la protection sociale.
Concernant les nouvelles recettes, lorsque le secteur bancaire français s'est retrouvé dans une situation particulièrement difficile, l'UPA ne s'est pas opposée à la décision de l'État de renflouer ce secteur, car nous connaissons son rôle essentiel pour le bon fonctionnement de l'économie. Aujourd'hui, compte tenu des très bons résultats affichés par les banques en 2009, il serait logique qu'il y ait un renvoi d'ascenseur. De même, les différences de taxation entre les revenus du travail et ceux du capital, qui occupent une part grandissante dans la richesse nationale, ne me semblent pas toujours justifiées. Un accroissement de la taxation des revenus du capital est donc souhaitable, sans pour autant porter préjudice à l'investissement.
Plus précisément, toujours sur la pénibilité : concernant le stock, nous sommes impuissants et il sera nécessaire de traiter chaque situation individuelle en confiant la prise de décision à une autorité médicale. Concernant le flux, il est indispensable d'insister sur la prévention. Or, pour les petites entreprises, le taux de cotisations relatif aux accidents du travail n'est pas individualisé, contrairement à ce qui se passe pour les grandes entreprises. Il n'y a donc pas de « récompense » à une politique visant à limiter les risques professionnels et la pénibilité des travaux. Il faut donc ouvrir la possibilité aux petites entreprises de contractualiser avec les caisses régionales d'assurance maladie, pour adopter des démarches de progrès permettant de réduire les facteurs de pénibilité et de risques. Cela permettra de réduire le flux. S'agissant du reclassement des employés pratiquant des activités pénibles, il faut être réaliste : il est très difficile pour une petite entreprise de gérer les fins de carrière et de proposer des reconversions professionnelles.
Dans la pratique, les entreprises artisanales ne licencient pas les salariés qui approchent l'âge de la retraite. Au contraire, le régime facultatif d'assurance licenciement actuellement géré par Pro-BTP, qui permet aux chefs d'entreprise de s'assurer contre le coût des licenciements, est très peu sollicité.
S'agissant du nombre d'artisans en invalidité, il s'élève à 22 000 selon les données du Régime social des indépendants (RSI). Pour connaître l'effectif des salariés de l'artisanat reconnus invalides, il faudrait se rapprocher du régime général.
S'agissant du niveau des pensions perçues par les artisans, il rejoint le niveau moyen des pensions du régime général pour les salariés, et il s'établit entre 1 100 et 1 200 euros pour les chefs d'entreprise, régime complémentaire inclus. Ce faible niveau s'explique par le fait que l'assurance vieillesse n'est obligatoire pour les artisans que depuis la loi d'orientation du commerce et de l'artisanat du 27 décembre 1973, dite loi Royer, et que le régime complémentaire n'a été généralisé qu'à partir de 1979. En outre, les personnes concernées ont fréquemment des carrières variées : certains ont ainsi commencé dans l'agriculture, avant de se réorienter vers l'artisanat.
Par ailleurs, il n'est pas exact d'affirmer qu'en 1946, les indépendants ont refusé le principe d'une assurance vieillesse obligatoire au motif qu'ils comptaient sur la revente de leur fonds de commerce pour leur assurer un revenu de substitution. Un tel raisonnement était plus répandu chez les commerçants que chez les artisans, qui, devant l'euphorie de la reconstruction, pensaient qu'ils gagneraient des revenus suffisants pour ne pas avoir à se soucier de leur retraite. Au fil des ans, ils ont évolué et un grand nombre d'entre eux a d'ailleurs souscrit des contrats de prévoyance individuelle. Toutefois, la faillite de deux mutuelles professionnelles a fragilisé ce système, et a motivé la création d'un régime de base et d'un régime complémentaire obligatoires.
Par ailleurs, si l'on veut occuper plus longtemps les seniors, ce ne sera pas au détriment de l'emploi des jeunes. D'ailleurs, même en 2009, quand le secteur de la construction a perdu 15 000 emplois, il a été confronté à une pénurie de main-d'oeuvre pour satisfaire les besoins croissants dans de nouveaux métiers, comme ceux liés aux techniques photovoltaïques, que le Grenelle de l'environnement tend à développer. Ce n'est pas demain que l'artisanat cessera de recruter des jeunes.
Si un dispositif spécifique aux carrières longues doit être maintenu, avec des départs précoces à la retraite, quel doit être selon vous le sort de la surcote ? Ne constituerait-elle pas un moyen d'accroître des pensions, dont vous avez souligné qu'elles étaient, en moyenne, relativement faibles ? Par ailleurs, quels sont les taux de cotisation applicables aux indépendants ? Enfin, s'agissant de la pénibilité, la revalorisation des métiers du bâtiment ne devra-t-elle pas passer par une hausse des salaires ?
Le taux de prélèvement est le même chez les indépendants que chez les salariés, mais dans le cas des indépendants, la totalité des cotisations est acquittée par la même personne alors que pour les salariés, une part des cotisations est supportée par l'employeur.
Quant aux salaires, les minima conventionnels ont augmenté de 20 % entre 1999 et 2005, entraînant à la hausse la rémunération de l'ensemble des catégories de personnels.
Il n'y a pas selon moi de contradiction entre l'existence d'un dispositif spécifique aux carrières longues et celle d'une surcote. En effet, à activité égale, deux travailleurs ne subiront pas les mêmes conséquences sur leur santé. La sucote peut inciter certains travailleurs à poursuivre leur activité, lorsque cela leur est possible.
Il faut saluer les entreprises qui conservent la volonté d'employer, alors même que la conjoncture est incertaine. Aussi, pourquoi l'État ne mettrait-il pas en place un régime d'assurance garantissant aux entrepreneurs le maintien de leurs revenus et l'acquisition de droits à la retraite en cas de cessation d'activité, comme le fait l'assurance chômage pour les salariés ? Une telle initiative serait d'autant plus justifiée que les artisans subissent la concurrence des auto-entrepreneurs, qui jouissent d'avantages très importants.
Avec la garantie sociale des chefs d'entreprise, il existe déjà une forme d'assurance chômage, dont il faut souligner l'utilité. Mais en tout état de cause, la prise de risque est le pain quotidien des entrepreneurs, qui mettent en jeu le capital de leur entreprise, c'est-à-dire, le plus souvent, le capital de leur famille. Il n'est donc pas certain que la création d'un nouveau dispositif de garantie sociale sous l'égide de l'État constitue une priorité, d'autant que l'état des finances publiques rendrait sa pérennité incertaine.
Dans l'hypothèse où l'on s'orienterait vers une hausse de la durée d'activité et le maintien d'un dispositif de départ précoce spécifique aux carrières longues, trouveriez-vous justifié que l'allongement de la durée d'activité soit également appliqué à ce dispositif ?
Cette proposition, qui à première vue semble de bon sens, mériterait un examen détaillé. Comme vous le savez, le diable se cache dans les détails.
Tous les travailleurs âgés ne pourront pas se reconvertir dans des activités de formation d'apprenti. Vous parait-il possible de demander à des gens qui ont commencé leur carrière à dix-sept ou dix-huit ans de continuer la même activité jusqu'à soixante-et-un ou soixante-deux ans ?
La génération née en 1953 est la dernière concernée par le dispositif prévu par la loi Fillon de 2003 pour les carrières longues. Tant que toutes les personnes concernées n'auront pas liquidé leurs pensions, il faudra que leur cas particulier soit pris en compte dans toutes les mesures prises. Après, le problème ne se posera plus.
Le nombre de 22 000 artisans en invalidité doit nous faire réfléchir à la prise en compte de la pénibilité de leur tâche dans leur régime d'assurance vieillesse. Cela ne concerne pas seulement le bâtiment, mais aussi d'autres secteurs, comme la coiffure. En effet, faute de possibilités de reclassement des artisans âgés, tout allongement de la durée d'activité requise pour la liquidation d'une pension risque de se traduire par des périodes supplémentaires de chômage, de maladie ou d'invalidité. La charge supplémentaire qui en résultera pour les régimes concernés rendra indispensable une hausse des cotisations.
Par ailleurs, qu'en est-il de la protection sociale des femmes d'entrepreneurs ?
Que les personnes hors d'état de travailler soient prises en charge par l'assurance vieillesse ou par d'autres régimes d'assurance sociale, leur financement reposera toujours sur les mêmes assiettes.
Quant aux conjoints d'artisans, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, il faut reconnaître que leur statut s'est considérablement amélioré, au gré de plusieurs mesures législatives successives. Chacun a bien conscience aujourd'hui du fait que le conjoint n'est pas un auxiliaire gratuit, mais une véritable valeur ajoutée pour l'entreprise.
Les régimes complémentaires obligatoires des artisans et des commerçants sont aujourd'hui distincts. Pourriez-vous nous décrire leurs situations financières respectives ? Par ailleurs, dans quelle mesure estimez-vous souhaitable de parvenir à un système unique ou, au moins, à deux systèmes de cotisations similaires ? Dans cette perspective, un alignement sur les régimes complémentaires des salariés est-il envisageable ?
Les commerçants ont petit à petit pris conscience de l'insuffisance du capital que constitue un fonds de commerce et de la nécessité de compter sur des systèmes spécifiques de retraite. Ils se sont peu à peu rangés aux thèses des artisans, sans pour autant établir un système de retraite complémentaire obligatoire équivalent à celui de ces derniers. Mais la prochaine fois que seront révisés les systèmes de retraite complémentaires, les commerçants n'y couperont pas : ils seront obligés de s'aligner.
Concernant le régime de retraite complémentaire des artisans, les conditions de son alignement progressif sur l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) ont déjà été fixées sur une période de cinq ans, qui arrive bientôt à échéance.
J'ajoute, en incidente, que l'UPA n'est toujours pas partie prenante à la gestion de l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), ce qui est scandaleux.
Par ailleurs, selon les gestionnaires du régime d'assurance complémentaire des artisans, la création du Régime social des indépendants (RSI) s'est accompagnée de pertes financières importantes pour les artisans, qui ont vu les réserves de leur régime ponctionnées. Mais, on ne peut trop insister sur les excédents financiers des régimes complémentaires obligatoires. En effet, nous avons par ailleurs, avec l'institution du Régime social des indépendants, bénéficié de la compensation pour le régime de base. Il faut accepter que la solidarité joue dans les deux sens. Or, ces deux piliers du système de retraite sont aujourd'hui obligatoires. Peut-être même pourra-t-on bientôt confondre les deux.
Encore une fois, si certains croyaient détenir une cagnotte, il faut garder à l'esprit que lorsqu'on intègre le RSI, on apporte un ensemble des biens, y compris les dettes : pour la retraite de base, les artisans ont bénéficié de la compensation ; quant à l'excédent du régime complémentaire qui a été mis à disposition, il correspond à une forme de solidarité.
(M. Rémi Delatte remplace M. le président Pierre Méhaignerie à la présidence de la séance)
Pourriez-vous revenir sur l'appréciation que vous portez sur le Régime social des indépendants, au sujet duquel les avis sont parfois partagés ? Par ailleurs, vous avez évoqué les disputes autour de la table familiale sur un certain nombre de sujets, mais pourriez-vous préciser votre position sur des thèmes essentiels comme la convergence des systèmes de retraite du secteur public et du secteur privé, du régime spécial de la SNCF, ou encore la question de la pénibilité ?
Je vous l'ai dit et je suis prêt à le répéter. L'harmonisation des régimes est une nécessité : il faut le faire, et rapidement, avec, naturellement, tout le tact et toute l'habileté nécessaires. N'y allez pas avec la tronçonneuse !
Sur la question du Régime social des indépendants, les responsables du commerce et de l'artisanat s'étaient en leur temps adressés au ministre de l'époque en charge de l'artisanat, M. Renaud Dutreil, pour évoquer l'avenir de leurs régimes d'assurance maladie et de retraite. Tout le monde ne faisait pas preuve du même enthousiasme à l'égard d'une fusion. Nous avions, pour notre part, compris que notre population était insuffisamment nombreuse pour assurer la survie de notre régime. Après de multiples tergiversations, un regroupement a finalement eu lieu, avec la bénédiction du Gouvernement, qui s'était engagé à fournir les moyens de gestion nécessaires.
Néanmoins, alors même que les systèmes informatiques de ces différentes institutions étaient tous à rénover, ceux-ci n'ont pas été unifiés, ce qui aurait été pourtant préférable pour gérer intelligemment une population plus vaste. L'État, en particulier le ministère de l'économie et des finances, qui seul détient la clef du problème, n'a pas attribué les moyens en personnels et financiers suffisants. Nous avons d'ailleurs demandé à M. Éric Woerth, devenu ministre du travail après son passage au budget, s'il n'allait pas desserrer la vis, observant de plus près le fonctionnement concret du nouveau régime…
Aujourd'hui, il est vrai que tout un public se trouve en déshérence, des dossiers ne sont pas traités. C'est terrible. L'UPA, qui a pris la responsabilité politique de s'engager sur l'intérêt de la fusion face à ses mandants, se trouve dès lors, en quelque sorte, entre le marteau et l'enclume, ce qui n'est pas, il faut l'admettre, l'endroit le plus confortable.
Vous avez évoqué un certain nombre de mesures destinées à diminuer le taux d'accidents du travail dans le secteur du bâtiment, en particulier dans les plus petites entreprises, par un travail de prévention mené en amont. Mais que proposez-vous plus précisément pour traiter la question des entreprises sous-traitantes, en cascade : on sait en effet combien une petite entreprise qui souhaite décrocher un marché se trouve démunie face à un donneur d'ordres, qui lui n'a que l'embarras du choix. Il s'agit d'une situation qui rend difficile toute action de prévention des accidents du travail dans ces entreprises.
Il est, en effet, essentiel d'améliorer les conditions de travail dans les petites entreprises de moins de dix salariés. Or aujourd'hui, la mutualisation fait que les entreprises qui font des efforts et obtiennent des résultats en termes de diminution du taux d'accidents du travail ne sont pas récompensées par une baisse de leurs cotisations. Il en va autrement dans les plus grandes entreprises, grâce à une politique de contractualisation mise en oeuvre avec les caisses régionales, voire la caisse nationale de l'assurance maladie, en vue, par exemple, de procéder à des changements de matériels.
C'est précisément pour cette raison que nous soutenons le projet de loi que le Gouvernement vient de déposer au Sénat, qui vise à promouvoir de nouvelles pratiques de dialogue social dans les très petites entreprises, tant il est vrai que nous sommes le « tiers-monde » du monde de l'entreprise.
Je suis également de ceux qui estiment indispensable de traiter la question de la sous-traitance, à savoir de se pencher sur la situation des entreprises qui réalisent le travail, en bout de chaîne : les sommes qui leur sont versées représentent quatre ou cinq fois moins que le prix demandé par le titulaire du marché. En outre, les conditions d'exécution du travail sont telles que ces entreprises – donc l'employeur comme ses salariés – y jouent leur survie chaque jour. Nous sommes face à l'existence d'une forme de réservoir de petites entreprises sous-traitantes mises à la disposition des plus grandes. Ce n'est pas l'avenir que nous souhaitons pour nos entreprises. Ce que nous voulons, ce sont des entreprises autonomes, responsables devant leurs clients. Celles qui veulent faire de la sous-traitance, cela les regarde. Mais, ne condamnons pas systématiquement les petites entreprises à travailler dans le cadre de la sous-traitance !
Quelles mesures préconisez-vous pour améliorer le niveau des retraites des commerçants et des artisans, par-delà les différents éléments d'explication qui ont déjà été avancés ? En outre, ne faut-il pas distinguer, au regard des droits à retraite, la situation d'un chef d'entreprise employeur d'une part, d'un chef d'entreprise sans salariés d'autre part, et des salariés eux-mêmes enfin ? Concernant tout particulièrement la situation des entrepreneurs individuels, qui peuvent connaître de mauvaises années, et ne bénéficient ni de certaines protections spécifiques accordées aux salariés, ni de la bonne connaissance du système que seule assure une certaine taille de l'entreprise, quelles solutions proposer ?
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, il me semble indispensable de garantir pour tout chef d'entreprise, que celui-ci soit ou non employeur, le bénéfice d'une validation de quatre trimestres au titre de ses droits à retraite dès lors qu'il y a effectivement une année d'activité.
Je rappelle aussi qu'il existe un dispositif trop peu connu, la garantie sociale des chefs d'entreprise, gérée par une structure associative, dispositif auquel sont parties prenantes les trois organisations patronales que sont le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l'UPA. S'il s'avère nécessaire de l'améliorer en prévoyant un dispositif public et obligatoire, nous pouvons y réfléchir. Ce sont les entreprises individuelles qui se trouvent dans la plus grande précarité. Il est vrai qu'à certain moment, l'idée d'une cotisation de ces entreprises à l'Unedic a été avancée. Mais, cette piste n'a pas été explorée longtemps car elle implique d'admettre qu'il puisse y avoir de mauvaises années. Or, on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu ! Nous sommes d'un naturel plutôt optimiste, prêt à croquer la vie à pleines dents.
La séance est levée à 12 heures 45.