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Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances

Séance du 9 avril 2009 à 14h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • RMN
  • louvre
  • musée
  • tutelle

La séance

Source

PermalienPhoto de Georges Tron

Nous sommes très heureux d'accueillir Mme Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication, pour cette ultime audition de la mission d'évaluation et de contrôle – la MEC – sur le musée du Louvre.

Madame la ministre, la MEC, émanation de la commission des Finances, réalise des travaux visant à concourir à la maîtrise des finances publiques. À ce titre, elle s'intéresse tout particulièrement à la façon dont les dépenses sont engagées. Sur chacun des sujets que nous abordons, des Rapporteurs issus des différents groupes politiques de l'Assemblée nationale sont désignés. Pour nos travaux relatifs au Louvre, ce sont MM. Nicolas Perruchot, Richard Dell'Agnola et Marcel Rogemont, MM. Perruchot et Dell'Agnola au titre de la commission des Finances et M. Rogemont au titre de la commission des Affaires culturelles.

Nos travaux bénéficient de la présence de membres de la Cour des comptes. Je suis heureux de saluer aujourd'hui M. Jean Picq, président de la troisième chambre, ainsi que MM. Emmanuel Giannesini et Emmanuel Marcovitch.

Dans le cadre de l'évaluation du musée du Louvre et, plus généralement, de la politique muséale, nous avons déjà auditionné à deux reprises le président-directeur du musée du Louvre, le secrétaire général du ministère de la Culture, la directrice des musées de France, aujourd'hui présente, les représentants de la Réunion des musées nationaux – RMN –, ainsi que ceux d'autres institutions muséales relevant de divers statuts. Ce matin même, nous avons auditionné la directrice du musée Picasso et le président du musée de Versailles, M. Aillagon, ancien ministre de la Culture. Par ailleurs, deux de nos Rapporteurs se sont rendus à Lille et à Lens pour constater l'état d'avancement du projet Louvre-Lens.

Votre audition, Madame la ministre, nous permettra de conclure des travaux lancés il y a plusieurs mois. Je vais tout de suite donner la parole aux Rapporteurs pour vous interroger.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Ma première question porte sur l'impact de la révision générale des politiques publiques sur l'organisation des musées et leur tutelle. Qu'attendez-vous de la RGPP de ce point de vue ?

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

La RGPP va se traduire de plusieurs façons.

Tout d'abord, l'administration centrale du ministère est réorganisée en trois directions générales, dont l'une dédiée aux patrimoines de France. Celle-ci comprendra en son sein un service des musées ; il sera dirigé par un directeur adjoint au directeur général, afin de clairement identifier cette responsabilité, la politique des musées faisant partie des grandes missions historiques du ministère. Ce service des musées comprendra une sous-direction des collections et une sous-direction de la politique des musées.

En deuxième lieu, nous allons créer de nouveaux établissements publics. C'est l'une des caractéristiques de ce ministère d'en compter un grand nombre – 78, dont 13 musées. Le mouvement a été lancé au début des années 1990, d'abord avec la BNF, puis en 1993 avec le Louvre et en 1995 avec le domaine de Versailles. L'étape suivante a été la suppression du reversement des droits d'entrée du Louvre et de Versailles à la RMN, ce qui a permis d'accroître l'autonomie de ces deux établissements. Ce modèle a ensuite été appliqué aux établissements publics d'Orsay et de Guimet. Toutes ces expériences ayant été très concluantes, en termes de ressources propres comme de rayonnement culturel, nous avons décidé de modifier le statut de quatre services à compétence nationale – SCN – : le château de Fontainebleau et le musée Picasso deviendront des établissements publics à part entière ; le musée de l'Orangerie sera rattaché au musée d'Orsay, selon un schéma déjà utilisé pour les musées Delacroix et Hébert, respectivement rattachés au Louvre et à Orsay ; enfin, le musée national de la Céramique va constituer un établissement public avec la Manufacture de Sèvres.

Le décret fixant le nouveau statut du château de Fontainebleau est paru au Journal officiel du 13 mars dernier, et l'établissement public verra le jour le 1er juillet 2009. Le rattachement de l'Orangerie au musée d'Orsay sera effectif au 1er janvier 2010. C'est également pour cette date qu'est prévu l'établissement public réunissant le musée et la manufacture de Sèvres. Enfin, la transformation du musée Picasso en établissement public se fera dans le courant de l'année 2010. Nous aurons alors franchi une étape très importante, ces quatre établissements représentant plus de 50 % de la fréquentation de l'ensemble des services à compétence nationale et 44 % des subventions qui leur sont allouées par la direction des Musées de France – la DMF. Pour l'instant nous n'envisageons pas d'aller plus loin car il faut atteindre une masse critique pour assumer l'autonomie résultant du statut d'établissement public.

En troisième lieu, nous voulons faire évoluer le triptyque formé par la DMF, la RMN et les SCN. Jusqu'à présent, la RMN reversait à chaque service à compétence nationale 4 % des recettes, mais avec un transit par la DMF. Nous nous orientons vers un système beaucoup plus simple et plus souple : le reversement aux SCN sera direct, et à partir d'un certain seuil de ressources la part qui leur reviendra sera portée à 50 %, afin de les intéresser davantage à leur propre développement et d'encourager leurs initiatives. Quant à la DMF, nous souhaitons qu'elle abandonne la tutelle quotidienne et parfois tatillonne sur toutes les décisions, pour exercer une tutelle stratégique sur les grandes politiques nationales – telles que, par exemple, la gratuité des musées pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans, entrée en application samedi dernier, ou la politique en direction des handicapés, ou encore les critères d'acquisition des oeuvres.

Nous avons écarté certaines évolutions majeures qui avaient été un temps envisagées dans le cadre des travaux autour de la RGPP, notamment la réunion du Centre des monuments nationaux et de la RMN. Notre seul but est d'aller vers plus de souplesse, plus d'autonomie, plus d'efficacité, et de faire jouer à l'administration centrale un rôle plus stratégique.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Cette évolution importante était attendue depuis longtemps par certains, et il faut sans doute se féliciter qu'elle ait enfin lieu.

On entend assez souvent dénoncer une déconnexion entre la DMF et les acteurs de terrain, chargés de relayer au quotidien dans les musées la politique décidée par le ministère. Le confirmez-vous, et pensez-vous que l'on parviendra à rapprocher les points de vue, qui paraissent parfois inconciliables – étant précisé qu'il y a sans doute des différences de perception selon la taille des musées ?

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Il y a en effet des différences selon les établissements. La DMF doit à la fois avoir une bonne connaissance du terrain et éviter un interventionnisme excessif : c'est un équilibre à trouver. Les contrats de performance sont déjà un outil pour cela. Pour avoir dirigé Versailles, je sais que l'on s'est souvent interrogé sur la nature de la tutelle s'exerçant sur les établissements publics ; je pense qu'elle a vocation à apporter du sens. Par exemple, sans remettre en cause l'autonomie très large dont jouissent les musées pour l'organisation des grandes expositions, il pourrait être judicieux que s'exerce une tutelle scientifique, visant tout simplement à assurer une cohérence sur le territoire et à éviter les doublons. Il serait également possible de fixer des objectifs en matière de récolement et d'inventaire des collections et de coordonner les actions internationales. On peut également envisager des interventions dans des domaines techniques lorsque l'enjeu dépasse le cadre de l'établissement : je pense par exemple à la question du « rafraîchissement » à Versailles et du choix des moyens pour parvenir à la température adéquate. De façon plus générale, la tutelle, qui est aussi un partenariat, peut porter sur les grandes politiques transversales – telle, aussi, celle qui concerne les personnes handicapées.

Je ne crois pas que l'administration centrale méconnaisse ce qui se passe sur le terrain. Elle doit apporter un accompagnement, opérer des choix stratégiques, tout en laissant l'autonomie la plus grande possible aux établissements. Après avoir traversé une phase d'affirmation vis-à-vis du ministère et de la RMN, les établissements publics arrivent à l'âge adulte, et leurs relations avec l'administration centrale devraient être désormais plus fécondes, plus claires et plus apaisées. C'est d'ailleurs l'un des buts de la RGPP.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Pour vous, donc, il revient au ministère de définir une stratégie à moyen et long terme, et aux établissements de gérer le quotidien.

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Il appartient au ministère de conduire diverses politiques transversales, mais les choses se présentent différemment selon la taille des établissements : les plus grands peuvent bien entendu avoir eux aussi des projets à moyen et long terme ; toutefois, l'impératif de mise en cohérence implique que le ministère dispose d'un pouvoir de validation.

PermalienJean Picq, Président de la troisième chambre de la Cour des comptes

La Cour des comptes, qui a récemment effectué un contrôle du musée du Louvre et qui est en train d'achever celui de la RMN, est frappée par le changement spectaculaire qui s'est produit en une décennie. Il y a dix ans, la DMF présidait la RMN, les établissements publics n'étaient pas réellement autonomes ; il y a cinq ans, les effectifs étaient encore gérés par le ministère. Le passage de la tutelle d'hier à l'« accompagnement stratégique » de demain ne se fera pas non plus en un jour : ce changement de culture administrative demandera un peu de temps.

La phase d'ajustement crée toujours des tensions. Vis-à-vis du Louvre, le ministère s'est parfois trouvé dans une situation inconfortable ; néanmoins le dispositif du contrat de performance triennal a donné beaucoup de fruits, en permettant une vision partagée des objectifs et de la trajectoire financière. Le passage d'un contrat à un autre peut certes imposer des arbitrages, comme cela fut le cas à propos du décroisement des financements. Le ministère est également appelé à arbitrer les inévitables conflits ; concernant les relations entre la RMN et le Louvre, son arbitrage aurait sans doute gagné à être plus rapide car il y a eu des guerres inutiles et coûteuses, notamment en matière d'activités éditoriales. Pour être en situation d'arbitrer les conflits sur des bases objectives, il faudrait qu'il dispose d'outils de comparaison dans tous les domaines – activités éditoriales, photographie, expositions – et à cet égard, il reste des progrès à faire.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Quelle plus-value attendez-vous de la nouvelle organisation qui se dessine, madame la ministre ?

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

C'est un fait établi que la création de nouveaux établissements publics est un mouvement vertueux. Il en résulte certes des coûts supplémentaires, mais on y gagne en rayonnement, en « puissance de feu » culturelle, en visibilité – et donc, aussi, en emplois et en attrait touristique. Je suis sûre, par exemple, que la transformation du château de Fontainebleau en établissement public va le dynamiser.

Je souhaite que la tutelle soit plus intelligente et moins tatillonne. La maturité à laquelle les établissements sont parvenus doit permettre qu'elle fonctionne à travers des relations partenariales, en fixant de grandes lignes directrices. La tutelle doit rester plus directe sur les SCN, auxquels il faut néanmoins laisser beaucoup d'autonomie, mais avec les grands établissements publics il faut qu'elle prenne surtout la forme d'une mise en cohérence. En ce qui concerne l'administration centrale, je crois qu'il faut allier l'affirmation des métiers et la mutualisation de fonctions de support, laquelle permettra de réaliser des économies et d'améliorer les performances.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Il ressort de nos précédentes auditions que les relations ne se sont pas apaisées entre la RMN et certains établissements, notamment le Louvre. Certains dénoncent un centralisme excessif de la RMN, avec laquelle les directeurs de musées livrent une véritable « guerre de tranchées » pour défendre la politique de leur établissement. Par ailleurs, les SCN sont écartés de toute concertation pour la rédaction des conventions qui les lient à la RMN, directement négociées entre celle-ci et l'État ; c'est du moins ce que la directrice du musée Picasso nous a laissé entendre. Sur ces questions, il paraît indispensable que le ministère exerce un arbitrage.

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Il y a effectivement eu des tensions entre la RMN et certains établissements, mais la situation est très variable. À Versailles, elle n'était pas du tout conflictuelle. Je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup de tensions non plus avec le musée d'Orsay. Il existe aussi des cas très particuliers, comme celui du quai Branly, pour lequel la RMN intervient parce qu'elle a remporté l'appel d'offres. C'est avec le Louvre qu'il y a eu le plus de difficultés.

Un certain nombre de sujets ont été tranchés par le ministère. Ainsi, la marque « Louvre » revient au musée. Il en va de même pour les compétences éditoriales ; il s'agit d'ailleurs souvent de coéditions avec des partenaires privés, ce qui me paraît une bonne chose. La RMN participe aux appels d'offres via ses filiales et nous souhaitons qu'elle puisse être retenue dans l'avenir. En matière de photographie, enfin, nous considérons que la RMN a vocation à conserver son rôle d'opérateur. Par ailleurs, certains conflits sont liés aux personnes et devraient s'apaiser dans l'avenir.

Quant aux relations entre la RMN et les SCN, je souhaite qu'elles soient directes. C'est le sens de l'histoire.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

À vous entendre, Madame la ministre, on a l'impression que, puisque tout fonctionne à peu près, vous admettez « de guerre lasse » la situation qui prévaut dans les établissements publics, notamment la dualité de commandement en matière de gestion du personnel. Mais celle-ci ne pose-t-elle pas réellement problème ? La RMN a des missions à remplir, certes, mais les questions de personnel sont-elles vraiment de sa compétence ? Elle n'a pas à exercer une deuxième tutelle sur les musées !

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Quant aux musées qui ne sont pas dotés de la personnalité morale, ils estiment être insuffisamment associés à la préparation des conventions qui organisent leurs relations avec la RMN et que celle-ci négocie directement avec l'État. C'est le cas du musée Picasso.

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Notre volonté est justement de passer d'une sorte de mutualisation unilatérale à une véritable contractualisation partenariale entre les différents musées et la RMN. Chaque directeur de SCN aura autorité sur les personnels de la RMN travaillant dans le musée. La RMN doit être considérée comme un prestataire de services en matière d'organisation d'expositions, de photothèque, de boutiques et de produits dérivés, la tutelle stratégique et scientifique revenant par ailleurs à la DMF. L'établissement de relations contractuelles plus égalitaires qu'elles ne le sont aujourd'hui entre la RMN et les établissements publics et SCN doit s'accompagner d'une mutualisation des services permettant d'en supporter plus facilement le coût.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Voilà plus de trois ans que je travaille sur le sujet, et je me suis souvent demandé combien de fois par semaine on dérangeait le ministre de la Culture pour régler ces problèmes de relations avec la RMN ! Sans doute sont-ils traités à un autre niveau, mais force est de constater ces tensions, qui ne peuvent s'expliquer simplement par des divergences concernant la stratégie ou des mésententes personnelles. C'est souvent, me semble-t-il, l'absence de décision de la part du ministère qui conduit à des situations aberrantes. Les relations entre la RMN et les musées, marquées par l'incompréhension mutuelle, apparaissent comme des combats d'enfants gâtés qui en oublieraient parfois que leur mission première est de servir le public des musées.

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Il est vrai que l'on a tendance, en France, à créer des structures nouvelles sans toucher à celles qui existent ; c'est ce qui s'est passé avec la création des établissements publics, qui a constitué un changement majeur mais qui, au départ, ne s'est accompagnée d'aucun changement concernant la DMF et la RMN. En général, les choses se font ensuite dans la douleur. Mais la révision générale des politiques publiques nous offre un cadre pour opérer une clarification, une redistribution et une simplification.

PermalienPhoto de Georges Tron

La commission des Finances et la mission d'évaluation et de contrôle ont exprimé à plusieurs reprises leur inquiétude au sujet de la marge de manoeuvre laissée aux opérateurs, notamment les établissements publics – du moins avant la loi de finances pour 2009, qui instaure un contrôle sur les emplois –, aboutissant à un transfert à leur profit d'effectifs et de moyens des ministères. Le ministère de la Culture est de ce point de vue emblématique : ces dernières années, les effectifs de l'administration centrale ont diminué substantiellement, et les effectifs des opérateurs ont augmenté tout aussi substantiellement. Au-delà de la réorganisation du ministère, comment prenez-vous en compte les impératifs de la RGPP et de la maîtrise de la dépense publique ?

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Les effectifs des établissements publics ont en effet augmenté. Les 35 heures et la volonté d'ouvrir au public les espaces les plus larges possible – au Louvre, par exemple – ont contribué à l'accroissement du personnel.

Mais la RGPP marque une phase nouvelle : non seulement l'administration centrale du ministère va accentuer ses efforts, notamment grâce à la mutualisation, et deux départs à la retraite sur trois – et non pas un sur deux – ne seront pas remplacés, mais il est demandé aux établissements publics de participer à l'effort ; il ne s'agit en aucun cas de faire « maigrir » l'administration centrale à leur bénéfice.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Nous avons tous relevé les efforts du ministère. S'agissant de la gestion du personnel, cependant, nous n'avons guère obtenu de réponses concrètes. Pourquoi le personnel d'un établissement public a-t-il plusieurs patrons ? Pour moi qui ai travaillé douze ans dans le privé sur les organisations, c'est totalement incompréhensible. Qu'est-ce qui empêche de simplifier le dispositif ? Les tensions viennent largement de là. Vous arguerez sans doute de la question des statuts et de l'héritage du passé, mais mieux vaut que ce système ne soit pas trop connu à l'extérieur… La commission des Finances est très sensible à ce sujet et elle veut avoir des réponses précises.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

La commission des Affaires culturelles souscrit à ces remarques.

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Que des personnels affectés dans les établissements continuent d'être gérés par l'administration centrale peut en effet paraître surprenant, mais un mouvement a été lancé sur ce point : au Louvre, 1 233 emplois imputés sur le budget de l'État ont été transférés sur le budget propre de l'établissement depuis le début de 2003 ; à la BNF, 1 660 emplois étaient transférés au 1er janvier 2007. On a ainsi pu donner à ces établissements la responsabilité de l'ensemble des actes de gestion de proximité. Pour certains emplois, notamment dans la filière accueil et surveillance, ils peuvent maintenant organiser des recrutements sans concours, ce qui leur a permis d'« absorber » de nombreux vacataires. Cela étant, les établissements n'ont pas leurs propres corps de fonctionnaires. À l'exception des agents que je viens de mentionner, les personnels sont des fonctionnaires du ministère de la Culture et il n'est pas rare qu'ils passent toute leur carrière dans un seul établissement – c'est le cas à Versailles, où l'existence de 220 logements accroît encore la sédentarisation.

Si la gestion la plus directe est souhaitable, elle a aussi un coût : un transfert complet de la paye impliquerait que les établissements acquittent la taxe sur les salaires, par exemple. Ce qui a été fait pour la BNF et le Louvre va néanmoins dans le bon sens.

En matière disciplinaire, le premier niveau – avertissement, blâme – doit revenir à l'autorité de proximité, qui est plus à même d'avoir une appréciation sur les agents.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Cela veut-il dire que vous voulez vous engager dans cette voie ?

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Oui. Je pense que tout ce qui relève de la gestion des ressources humaines de premier niveau doit être du ressort des établissements. En revanche, que tous, petits et grands, deviennent des payeurs n'est ni possible, ni souhaitable car on se priverait d'économies d'échelle.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Le système des collectivités territoriales n'offre-t-il pas des solutions adaptées aux petits comme aux grands ?

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Un rattachement, voire un transfert à certaines collectivités fait partie des options que nous envisageons, d'autant qu'il existe une demande.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Nous souhaiterions maintenant aborder le sujet de la décentralisation culturelle, avec le Louvre-Lens et le Louvre-Abu Dabi.

L'État reste financièrement à l'écart de l'opération Louvre-Lens. C'était d'ailleurs, au départ, l'une des clés de son acceptation par la région Nord-Pas-de-Calais. Celle-ci souhaiterait néanmoins une participation à hauteur de 6 à 10 millions d'euros. Donnerez-vous une suite à cette demande ? Le cas échéant, dans quel cadre – contrat de plan État-région ou autre – ? Quelle appréciation portez-vous sur le pilotage de ce projet, qui devrait apporter une forme de renaissance à un bassin minier sinistré ? Est-ce un modèle à suivre ? Comptez-vous renouveler l'expérience ailleurs ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

De même, envisagez-vous des opérations comparables au projet Louvre-Abu Dabi ? Quels enseignements en tirez-vous ? Plus généralement, comment l'accompagnement des institutions culturelles françaises dans leurs stratégies à l'international peut-il être amélioré ?

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Le Louvre-Lens est une belle opération, emblématique et très importante pour la région. L'investissement des collectivités est fort, conformément au projet initial. L'État ne devait pas s'engager financièrement, il apportait sa marque, son expertise, ainsi que les collections, et les collectivités jouaient une carte culturelle, comme ailleurs dans le monde, à Bilbao par exemple. On peut regarder ce que l'État peut faire en plus, mais dans l'équilibre de départ, il n'apportait pas son soutien financier direct.

Il s'agit d'un projet exceptionnel. L'idée n'est pas de réaliser un peu partout des antennes du centre Pompidou ou du Louvre. Il existe d'autres modèles de coopération, comme les groupements d'intérêt public – GIP –, tels ceux de Port-Royal des Champs ou des Eyzies, les établissements publics de coopération culturelle – EPCC –, tel le Centre national du costume de scène à Moulins, ou encore les participations intellectuelles ou les prêts.

Même réponse au sujet du Louvre-Abu Dabi, projet très particulier. L'émirat a joué résolument la carte culturelle et architecturale et a fait également appel au musée Guggenheim, à la Sorbonne et à diverses autres institutions.

Le projet scientifique a été validé il y a quelques mois. J'ai pu constater sur place il y a trois semaines que les choses avancent bien, même s'il peut y avoir de petites incompréhensions liées aux différences de culture. Abu Dabi essaie de se constituer une collection permanente. Nous réfléchissons à une exposition de préfiguration pour le mois de mai, au moment de la visite du Président de la République, où seraient exposées des oeuvres récemment acquises, avec l'aide active de l'Agence France Muséums, et des oeuvres prêtées par les musées qui prennent part au projet. L'ouverture devrait se faire en une seule fois – et non en trois fois comme on l'envisageait auparavant – à l'horizon 2014. Mais là encore, notre idée n'est pas de reproduire l'expérience en créant des « Louvre » à divers endroits du monde. Ce projet-là, auquel tous les grands établissements participent, mobilise déjà beaucoup d'énergie.

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Oui, avec les 400 millions d'euros de la marque Louvre, les 165 millions de l'agence, les 195 millions des expositions temporaires et les 190 millions des expositions semi-permanentes, organisées sur deux ans afin que l'établissement dispose du temps nécessaire pour constituer ses propres collections, on arrive à un montant considérable. Une partie de ces ressources pourra permettre notamment de réaliser le fameux centre de réserve pour nos institutions parisiennes.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Le ministère met en place la gratuité des musées pour les moins de 26 ans. Dans le contexte actuel de crise, cela ne va-t-il pas grever leurs comptes et, par ricochet, ceux de l'État ?

Par ailleurs, la politique de prestige menée par l'État appelle quelques remarques. Au moment où se mettent en place les réformes issues de la RGPP, au moment où certains musées se plaignent de la précarité de leurs moyens, on s'apprête à réaliser un auditorium, la Philharmonie de Paris, qui va coûter très cher. La salle Pleyel, qui est louée par l'État, n'est-elle pas suffisante ? On a parfois le sentiment que la politique de prestige fait oublier le fonctionnement quotidien des institutions.

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Au départ, nous nous étions interrogés sur la possibilité d'instaurer la gratuité générale pour l'accès aux collections permanentes des musées de l'État. À titre personnel, je n'ai jamais soutenu cette idée, non seulement à cause du coût qu'elle représente mais aussi parce que la gratuité n'est pas forcément gage de désir de voir les collections. Dans les très rares pays où elle est pratiquée, elle est compensée par des tarifs souvent très élevés sur les expositions temporaires.

L'expérimentation qui a été menée a certes montré que cela permettait d'attirer plus de monde et de diversifier quelque peu le public, mais pas dans des proportions considérables. En revanche, les soirées gratuites pour les 18-25 ans dans les grands établissements ont eu beaucoup de succès, et la diversification sociologique a été plus importante – avec 37 % d'enfants d'employés et d'ouvriers. En outre, ce système est supportable financièrement. Nous avons donc choisi cette gratuité ciblée, dont le coût est d'environ 22 millions d'euros pour le ministère de la Culture, de 7 millions d'euros pour le ministère de l'Éducation nationale – du fait de la gratuité pour les enseignants, qui sont considérés comme des « passeurs » – et de 3 millions d'euros pour les autres ministères. Au total, une trentaine de millions d'euros ont été prévus au budget afin d'assurer le remboursement aux musées.

Concernant la Philharmonie de Paris, le Président de la République a rendu un arbitrage favorable parce que nous ne disposions pas encore d'un équipement de cette ampleur, qui de plus doit s'articuler avec l'ensemble pédagogique de la Cité de la musique. Il est prévu que le projet repose sur un partenariat à égalité entre la Ville de Paris et l'État, avec une participation de la région Île-de-France. La décision a été prise, nous en sommes là pour l'instant.

S'agissant de la salle Pleyel, l'État active la clause d'achat anticipé qui avait été prévue. À l'issue des négociations menées en mars, le prix a été fixé à 60,5 millions d'euros.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Raison de plus pour revenir sur le projet de la Philharmonie.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Quel est votre sentiment sur l'important investissement immobilier – une soixantaine de millions d'euros – que la RMN a réalisé récemment, dont la pertinence ne semble pas évidente ? L'audition de son administrateur général, M. Thomas Grenon, a confirmé que la gestion de l'établissement est exemplaire, mais n'y a-t-il pas d'autres priorités budgétaires ?

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

La RMN a estimé qu'il était plus avantageux de réaliser cette acquisition que de maintenir la situation actuelle. L'opération s'est faite grâce à un emprunt et à un prélèvement sur les recettes. France Domaine, dont on connaît l'exigence, l'a validée.

PermalienPhoto de Georges Tron

Au sujet de France Domaine, j'aurai l'occasion de redire quelques mots le moment venu.

PermalienJean Picq, Président de la troisième chambre de la Cour des comptes

Chacun ici connaît les observations de la Cour des comptes au sujet du Louvre.

En ces temps de morosité, je voudrais d'abord souligner l'extraordinaire changement qui s'est produit entre le contrôle précédent et celui de cette année. Dans son rapport public de 2003, la Cour relevait des choses invraisemblables. Cette année, nous commençons nos conclusions définitives en soulignant que l'autonomie souhaitée par la Cour a été accomplie et s'est traduite par un succès remarquable. Le premier indicateur en est la fréquentation, qui place le Louvre en tête des grands musées du monde. Les projets ambitieux que sont Lens et Abu Dabi, de même que le développement des ressources propres, attestent ce dynamisme.

De plus, on ne dit pas assez que cette politique de développement s'est accomplie sans que l'État se désengage puisque sa subvention est passée de 89 à 103 millions d'euros.

Le bilan est donc remarquable, tant pour les responsables du musée du Louvre que pour les ministres de la Culture qui ont accompagné ce mouvement.

Pour l'avenir, la vigilance de la Cour portera sur plusieurs points, et d'abord sur la « soutenabilité » du développement. Nous ignorons en effet quel sera l'impact de la crise financière sur le niveau des ressources propres et sur la gestion de ces ressources.

Ensuite, à l'occasion du nouveau contrat de performance, il faudra bien accorder les perspectives en matière de moyens et la stabilisation ou la décrue des effectifs, et corréler l'augmentation des ressources propres de l'établissement – notamment du fait de la hausse du prix du billet – et la stratégie de réduction du soutien budgétaire de l'État. Dans la phase de pacification qui s'est ouverte dans les relations entre les établissements publics devenus autonomes et le ministère, désireux d'exercer un accompagnement stratégique, il est indispensable de disposer de bases objectives de discussion. C'est le cas pour le suivi des effectifs, dont on n'est pas en mesure de connaître l'évolution exacte du fait de l'existence de plusieurs référentiels. Il doit n'y en avoir qu'un seul, sur lequel tout le monde s'accorde. De même, dans la difficile tâche d'arbitrage entre la RMN et les musées, il faut disposer de référentiels comparables pour mesurer les coûts. La RMN a engagé un effort considérable de comptabilité analytique ; il est souhaitable que les musées, du moins en ce qui concerne les activités dites commerciales – expositions, éditions, photographies –, puissent rendre compte des coûts complets, afin que l'on puisse savoir si la RMN est compétitive en tant que prestataire de services. Sinon, on continuera d'ajouter la querelle à l'opacité.

Enfin, si le Louvre est à un tournant de son développement et si, dans bien des domaines, il fait preuve d'une ambition qui ne peut qu'être saluée, il faut néanmoins rester attentif à la gestion des oeuvres. La tutelle doit veiller à ce que l'on ne cherche pas à trop embrasser sans pouvoir étreindre, s'agissant en particulier des demandes émanant d'Abu Dabi, de Lens ou d'Atlanta.

PermalienChristine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Je remercie la Cour des comptes, dont les observations confortent la politique d'autonomie, de responsabilisation, d'apaisement et de clarification que nous menons. Nous ferons tout pour nous doter, comme elle le demande, des outils les plus modernes et les plus performants pour gérer nos musées, dont la fréquentation n'a jamais été aussi forte qu'aujourd'hui.