Nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean-Marie Rouillier, président de France Clusters, accompagné de M. Xavier Roy, directeur de cette association, et de M. Paul Robert, chargé des relations avec le Parlement.
Bien que France Clusters ne participe pas directement aux pôles de compétitivité, il nous a paru utile de vous entendre dans le cadre de nos auditions. Afin de rapprocher davantage la recherche, les grandes entreprises et les PME sur un même territoire, il est en effet question de prolonger l'action des pôles de compétitivité en constituant des clusters.
Après avoir précisé les points communs et les différences entre ces deux types de structures, pourriez-vous nous indiquer quel est, à vos yeux, l'apport principal des pôles de compétitivité par rapport aux autres mesures de soutien à l'innovation ?
Afin de vous répondre, permettez-moi d'esquisser un bref panorama des différents réseaux qui existent aujourd'hui.
Un premier réseau est constitué par les pôles de compétitivité, aujourd'hui au nombre de 71. Une quinzaine d'entre eux jouit d'une notoriété internationale, tandis qu'un nombre à peu près équivalent pose problème si l'on en croit une récente évaluation du dispositif.
Un second réseau, qui a vu le jour à partir de 1998, c'est-à-dire avant la création des pôles de compétitivité, est formé par les systèmes productifs locaux (SPL). Des 130 SPL labellisés par la DATAR, à laquelle a succédé la DIACT, la délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires, 70 restent aujourd'hui en activité.
À cela s'ajoutent de nouveaux clusters, presque tous membres de notre association, qui ont été lancés par différents conseils régionaux, notamment ceux de Provence-Alpes-Côte d'Azur, de Rhône-Alpes et du Languedoc-Roussillon.
Ces disparités n'empêchent pas certaines régions de mener des politiques globales, visant aussi bien les pôles de compétitivité et les SPL que les nouveaux clusters d'entreprises.
Oui, et ils sont parfois sur plusieurs régions, notamment dans le Sud de la France.
Nous avons par exemple constaté l'apparition de 25 nouveaux réseaux autour des questions de développement durable, comme l'éco-construction ou les éco-énergies. Suite aux propositions de nouvelles politiques «clusters » définies par la DIACT, nous souhaitons leur voir bénéficier de ce nouveau label.
Pas encore, car il n'existe pas officiellement. Mais sur le terrain, ces clusters et leurs PME souhaitent une reconnaissance nationale.
Oui, la DIACT nous verse une subvention pour mener diverses actions, notamment dans le domaine des échanges entre clusters et de la communication. Nous diffusons ainsi une lettre d'information, Clusters info, tirée à 6 000 exemplaires, dont 2 000 en anglais, et nous organisons un congrès annuel des clusters et des pôles.
Pour que nous puissions y voir plus clair, pourriez-vous nous donner une définition précise des clusters ?
À l'origine, ce sont des regroupements d'entreprises opérant dans des secteurs d'activité et des bassins d'emploi donnés, dont le but n'est pas tant de favoriser l'innovation que d'aider les PME à résister à l'évolution de la conjoncture et à la concurrence internationale en mutualisant les achats ou encore les ressources humaines (formation des personnels, nouvelles compétences…). En effet, il s'agit pour l'essentiel de structures productives employant de nombreux salariés, à la différence des start-up qui éclosent dans les pôles de compétitivité.
C'est parfois le cas, même si ce n'est pas suffisamment fréquent. Pour le moment, les conseils d'administration ne comportent que des représentants des entreprises, mais nous souhaitons que l'innovation fasse partie des critères retenus dans le cadre d'un label officiel.
Les pôles de compétitivité sont, eux aussi, des regroupements d'entreprises, d'organismes de recherche et d'universités sur un territoire donné, mais ils sont avant tout organisés autour de programmes de recherche. Les résultats produits sont positifs en ce qui concerne les laboratoires, mais peu les universités, car la majorité d'entre elles ne se place pas suffisamment dans la perspective de former les jeunes au monde de l'entreprise.
Il reste que 90 % des laboratoires sont mixtes : ils associent des organismes de recherche et des universités.
C'est exact, et je pense que la situation devrait globalement s'améliorer.
D'autre part, il est prévu d'intégrer les PME dans les pôles de compétitivité et d'élargir les activités concernées, ce qui devrait rapprocher le fonctionnement des pôles de celui des clusters.
C'est qu'il ne faudrait pas augmenter outrancièrement le nombre des pôles de compétitivité, afin de ne pas nuire à leur visibilité et à leur image au plan international. À titre de comparaison, on ne dénombre qu'une quarantaine de pôles au Japon, et environ 80 aux États-Unis.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la genèse et le fonctionnement de France Clusters ?
Notre association a été créée, voilà dix ans, par Jean-Claude Léger, maire de Cluses, sous le nom de « Club des districts industriels français » (CDIF). La présidence a ensuite été confiée au sénateur Jean-Pierre Bel, puis elle m'est revenue en janvier 2002.
Le nombre de nos adhérents – 70 à ce jour – est en augmentation constante : depuis quelque temps, nous en comptons un nouveau à peu près tous les mois, ce qui est beaucoup pour une structure telle que la nôtre. Au total, nous travaillons maintenant avec une centaine de réseaux, dont 40 pôles de compétitivité.
Certaines régions sont plus représentées que d'autres, notamment PACA, Rhône-Alpes et le Languedoc-Roussillon, dont la quasi-totalité des pôles de compétitivité fait partie de notre association, mais nous couvrons peu à peu l'ensemble de la France. Trois des quatre pôles de compétitivité créés en Normandie font ainsi partie de nos adhérents.
Nous sommes également très actifs au plan européen : nous avons par exemple eu le privilège, assez rare, d'être reçus par trois directions générales de la Commission – celles de la politique régionale, de la recherche et de l'emploi. Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, ces instances nous ont incités à travailler sur la question de l'innovation au sein des PME, et c'est ce que nous faisons dans trois nouvelles régions par an – nous ne pourrions pas en faire davantage compte tenu des moyens dont nous disposons. Le but est d'identifier, puis d'aider, les programmes d'innovation en germe.
Nous avons constaté qu'il existait une très forte concentration de la recherche, caractéristique qui peut se justifier pour des raisons de taille critique, mais qui ne correspond pas à la réalité du tissu économique : celui-ci est au contraire très diffus. C'est pourquoi nous estimons qu'il convient de compléter l'action des pôles de compétitivité afin d'innerver l'ensemble du territoire.
Les résultats de la première phase de développement des pôles de compétitivité, dont l'objet était de favoriser la coopération entre les entreprises et le monde de la recherche autour de programmes de R&D, nous paraissent globalement satisfaisants.
Toutefois, il nous semble qu'il y a eu un changement du projet initial : le rapport de Christian Blanc recommandait de concentrer les efforts sur les ruptures technologiques, ce qui concernait au départ à peu près quinze pôles. Or on est allé très au-delà. En outre, selon un rapport du Conseil économique et social, les pôles de compétitivité n'ont principalement favorisé le regroupement des PME que là où il existait précédemment des SPL.
Il reste qu'il faudra sans doute attendre encore un peu avant de se prononcer. Dans un deuxième temps, il est prévu que le champ des pôles de compétitivité s'étende non seulement à la R&D, mais aussi à la quasi-totalité des thématiques économiques : la gestion des compétences, le développement international, la protection de la propriété intellectuelle, l'intelligence économique ou encore la réalisation de synergies au plan territorial.
J'ajoute que les pôles de compétitivité ne fonctionnent pas nécessairement selon une logique de réseau d'entreprises : il s'agit surtout, pour eux, d'aller chercher d'autres partenaires afin de réaliser des projets de R&D. Les clusters d'entreprises proposés par la DIACT à la demande du Premier ministre, par leur ancrage territorial, représenteront une implication forte des PME à la vie économique locale, au maintien ou à la création d'emploi.
Je rappelle qu'il n'a jamais été question que la recherche soit le seul objet des pôles de compétitivité. Il était d'emblée prévu que d'autres thématiques seraient progressivement incluses, ce que nous sommes précisément en train de faire.
J'en viens aux relations entre les clusters et les pôles de compétitivité. Au risque d'être un peu polémique, n'y a-t-il pas une concurrence entre votre action et celle que le gouvernement a lancée ? Afin qu'il n'y ait pas de confusion, ne faudrait-il pas éviter la constitution de deux organisations parallèles ?
Je suis entièrement d'accord avec vous. Pour avoir accompli une grande partie de ma carrière au service du développement économique dans le cadre d'un département, je ne connais que trop les problèmes causés par l'absence de lisibilité de certains dispositifs.
C'est précisément pour éviter ce genre de situation que nous nous efforçons aux côtés de la DIACT de regrouper les différents types de réseaux au sein d'une association unique au plan national. Parmi nos membres, nous comptons déjà la quasi-totalité des SPL encore actifs, les clusters dédiés au développement durable et près de la moitié des pôles de compétitivité. Si nous avons abandonné toute référence au CDIF, le Centre des districts industriels français, c'est d'ailleurs pour que les pôles de compétitivité se sentent plus à l'aise chez nous.
J'ajoute que les réseaux doivent apprendre à travailler ensemble afin d'être plus efficaces : il faut faire de l'interclustering. Le pôle Mer de Toulon travaille ainsi avec celui de Brest, de même que le pôle traçabilité avec le pôle SCS dans le cadre du Centre national de la RFID. Plusieurs réseaux spécialisés dans l'emballage, dont deux ont le label SPL, ont également choisi de se regrouper au sein d'une structure unique, « France emballage », chargée de solliciter, puis de répartir entre ses membres les financements alloués au développement des programmes d'innovation.
Dans le cas des pôles mondiaux, dont la gouvernance est entre les mains des grands groupes, l'objectif d'associer les PME n'a pas toujours été suivi d'effet. Dans certains pôles, des regroupements de PME ont certes été constitués pour travailler sur différents sujets, mais cet effort reste globalement insuffisant. Il faudrait compléter les actions qui sont aujourd'hui menées, notamment dans le domaine des technologies de l'information, en développant des clusters d'entreprises plus proches des PME, destinés à coopérer avec les pôles de compétitivité concernant leur activité.
D'autre part, les pôles de compétitivité sont encore au milieu du gué : une seconde phase, incluant de nouvelles thématiques, vient d'être lancée. Il est donc trop tôt pour porter une appréciation.
On peut comprendre que des grandes entreprises soient à la tête des pôles à dimension mondiale : en effet, ce ne sont pas les PME locales qui ont vocation à les piloter.
De façon plus générale, pensez-vous que la décision d'instaurer des pôles de compétitivité était un bon choix ?
…notamment en développant l'interclustering. Le SPL de la Glass Vallée, en Normandie, qui produit près de 75 % des flacons destinés à l'industrie cosmétique, s'est ainsi associé au pôle de compétitivité MAUD, dans le Nord, pour travailler sur l'application de la directive communautaire REACH, notamment en matière de rejets polluants.
Des auditions que nous avons menées jusqu'à présent, il ressort que les PME ont du mal à trouver une place au sein des pôles de compétitivité. Que pourrait-on faire pour remédier à cette situation ?
Il y a effectivement une lacune. À l'issue de la première évaluation des pôles de compétitivité, nous nous sommes aperçus que la dizaine de pôles qui travaillaient étroitement avec les PME était en réalité d'anciens SPL, membres de France clusters. Nous avons également observé que d'autres pôles se tournaient vers nous pour acquérir un savoir-faire en matière de coopération avec les PME.
Ce qui pose problème, c'est que les pôles de compétitivité ne peuvent pas nouer des contacts avec des milliers de PME, à moins d'y consacrer tous leurs efforts. C'est pourquoi nous proposons que les clusters jouent un rôle d'intermédiaire en sélectionnant les PME susceptibles de participer aux projets portés par les pôles de compétitivité, et que les présidents des clusters représentent les PME au sein des conseils d'administration. Cela permettrait de gagner en efficacité et d'économiser des moyens.
Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), a suggéré que son institution désigne un délégué des PME au sein de chaque pôle. Que pensez-vous de cette idée ?
On peut envisager différentes solutions, mais je vois mal quelle serait la légitimité, au plan local, d'une structure telle que la CGPME.
Elle pourrait confier la désignation des délégués à des représentants départementaux ayant une connaissance du terrain.
Pour jouir d'une véritable légitimité, il faudrait que ces derniers exercent leurs activités au sein des pôles concernés, ce qui n'est pas nécessairement le cas. Imaginez que le délégué départemental soit un représentant de l'industrie automobile et qu'il soit chargé de désigner quelqu'un pour siéger au conseil d'administration d'un pôle spécialisé dans un autre secteur que le sien : comment s'y prendra-t-il ?
D'autre part, si l'on octroie à la CGPME le droit de désigner des représentants, comment refuser au MEDEF et aux chambres de commerce et d'industrie la possibilité d'en faire autant ? Ne tombons pas dans les vieux travers des agences de développement économique : pour avoir dirigé l'une d'entre elles, je peux témoigner que les conseils d'administration tendent à devenir pléthoriques quand tous les acteurs concernés souhaitent être représentés.
À titre personnel, il me semble qu'il faut à tout prix éviter une institutionnalisation des pôles de compétitivité. Ne reproduisons pas des catastrophes semblables à celles des comités économiques de développement.
C'est pourquoi nous souhaitons que le représentant des PME dans les pôles soit un président de cluster, élu par les autres chefs d'entreprise. Il est vrai qu'il n'y a pas encore de cluster dans le périmètre de tous les pôles, mais il s'en crée de plus en plus, notamment dans les villes moyennes.
Pour reprendre l'expression de Philippe Braidy, de la Caisse des dépôts et consignations, le but est en effet de « faire tomber les murs ». Nous nous y attelons avec nos différents partenaires, la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), la DIACT, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), ou encore la Caisse des dépôts (CDC), avec laquelle nous étudions la mise en place d'une mesure d'aide à destination des petites entreprises à fort potentiel ayant besoin de fonds de roulement.
Il y a une certaine ambiguïté : la DGCIS exerce un pouvoir de tutelle, mais c'est la DIACT qui est chargée d'assurer la coordination interministérielle.
Si les pôles de compétitivité devaient s'adresser à un interlocuteur unique, qui cela devrait-il être selon vous ?
Il nous semble qu'il y a trop de thématiques en jeu pour que l'ensemble des compétences puisse être exercée par un interlocuteur unique.
En ce qui nous concerne, la DIACT a été notre interlocuteur pendant la première année de fonctionnement des pôles, puis la CDC est devenue notre principal financeur. Du côté de l'État, la DGEFP concourt également au financement de nos actions au titre de la formation dans les entreprises ; en revanche, nous avons moins de relation directe avec la DGCIS, à l'exception du financement du dispositif de formation des dirigeants des pôles et clusters. J'ajoute que nous recevons également des financements en provenance des conseils régionaux depuis deux ans, et des DRIRE pour l'organisation de nos congrès annuels.
En 2008, il ne dépassait pas 500 000 euros, ce qui n'a rien de considérable.
La politique des pôles de compétitivité concerne aussi bien le développement des entreprises que l'aménagement du territoire. Par conséquent, nous avons besoin de nous adresser non seulement à Bercy, mais aussi au ministère du développement durable. Il faut que ces services travaillent en binôme.
Pouvons-nous connaître l'avis des membres de la Cour des comptes qui nous font l'honneur d'assister à cette audition ?
L'instauration d'un interlocuteur unique n'est pas nécessairement une bonne idée : on croit simplifier la situation dans certains cas, alors qu'on crée en réalité davantage de complexité. En l'espèce, le recours à un interlocuteur unique me semble d'autant plus difficile que la répartition des portefeuilles ministériels est très variable selon les gouvernements.
D'autre part, je rappelle qu'il existe déjà un secrétariat du fonds unique interministériel piloté par la DGCIS et par la DIACT.
Lequel sera transféré, cette année, à OSEO.
J'ajoute que la question de l'interlocuteur unique ne concerne pas que l'État : les pôles de compétitivité nous demandent en effet, avec une grande insistance, de constituer une fédération afin de relayer leur voix auprès des départements ministériels concernés.
Il existe un Observatoire des pôles de compétitivité, qui dépend de l'Association des régions de France, mais je n'ai pas connaissance d'une véritable fédération.
Les pôles mondiaux et à vocation mondiale se sont organisés sous la forme d'un réseau. Toutefois, les autres pôles n'y sont pas associés et il ne s'agit pas d'une association structurée.
de la Fédération nationale des pôles de compétitivité, avec laquelle nous sommes entrés en contact et dont le délégué général est Gilles Lamarque, directeur de la société Enthénor Public Affairs ?
Cette fédération existe effectivement, mais elle n'a pas aujourd'hui pour vocation de regrouper l'ensemble des pôles, ni de les représenter en tant que tels.
Il faut également rappeler qu'on ne pourra jamais susciter d'en haut la création d'une telle structure. Il faut aider les dirigeants des entreprises à travailler ensemble, mais sans leur imposer des décisions. Tout dépend en effet de la volonté des entreprises en matière de développement : si vous tentez de les contraindre, vous les faites fuir. C'est pourquoi nous avons adopté une stratégie bottom up.
Pour en venir au questionnaire que vous nous avez fait parvenir, je suis tout à fait favorable à ce que l'on réalise un inventaire et une cartographie des PME présentes à proximité des pôles de compétitivité, mais je précise que le but n'est pas de répondre aux besoins des pôles : au contraire, ce sont eux qui ont pour vocation d'être au service des PME.
Un mot enfin sur notre action internationale : afin de mieux identifier les PME étrangères qui pourraient coopérer avec les clusters français, nous allons signer deux chartes de coopération, l'une avec un réseau fédérant des PME dans la Ruhr, l'autre avec une structure similaire en Autriche, et nous préparons une troisième convention avec la Wallonie. Là encore, nous appliquons une démarche bottom up.
En tout cas, je pense qu'il faudra absolument éviter une institutionnalisation excessive des pôles dans l'hypothèse d'un renforcement de leur gouvernance. Ne constituons pas un nouvel échelon administratif.
Merci beaucoup pour vos réponses.