Examen du rapport d'information sur les circonstances entourant l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi (M. Bernard Cazeneuve, rapporteur, M. Yves Fromion, président).
La séance est ouverte à dix heures cinq.
Mes chers collègues, Nous sommes réunis ce matin pour entendre les collègues que nous avons désignés, le 7 octobre dernier, membres de la mission d'information sur les circonstances entourant l'attentat de 2002 à Karachi nous rendre compte de leurs travaux.
Yves Fromion en est le président et Bernard Cazeneuve le rapporteur. Jean-Jacques Candelier, Franck Gilard et Francis Hillmeyer en sont membres.
Si je vous ai proposé, il y a quelques mois, de créer cette mission, c'est parce qu'il me semble que la représentation nationale a le devoir d'apporter une part de lumière aux familles des victimes et aux blessés et qu'elle est dans son droit quand elle contrôle l'action du Gouvernement.
À la demande du président et du rapporteur, j'avais précisé par écrit ce qui me semblait pouvoir être les deux points à examiner en priorité :
– les conditions de négociation du contrat de vente des sous-marins (qui impliquaient un examen de l'environnement géopolitique, des motivations du Pakistan mais aussi du Gouvernement français et de DCN, des aspects financiers, etc.) ;
– les conditions d'exécution du contrat qui conduisaient à étudier la durée des travaux, l'exécution financière, mais aussi et peut-être surtout les conditions de séjour et de sécurité des personnels de la DCN à Karachi.
J'ai également toujours dit que notre rôle n'est pas de nous substituer aux enquêtes judiciaires en cours.
J'espère que la mission a pu éclaircir certaines pistes. Je sais que cette affaire est des plus complexes, qu'elle alimente l'imagination fertile de certains journalistes d'investigation ou réputés tels mais vos travaux nous permettront sans doute de jauger quelles sont les causes les plus probables de cet attentat.
Je veux, au début de cette séance, rendre hommage aux victimes et je souhaite exprimer en votre nom à tous la compassion de la commission de la défense à leurs familles et aux blessés.
Je vais expliquer le contexte dans lequel se sont déroulés nos travaux mais, avant tout, je voudrais dire quelques mots sur les victimes et leurs familles. Neuf des onze familles des personnes tuées vivent à Cherbourg ; je les connaissais avant l'attentat. J'ai mesuré leur souffrance attisée par le sentiment de ne pouvoir accéder à la vérité après toutes ces années d'enquête.
J'ai abordé cette mission avec la volonté de ne rien inventer et de ne pas exploiter ce qui n'avait pas été dit. Je me suis opposé aux tentatives d'instrumentalisation de nos travaux qui ont pu apparaître, y compris au sein de mon groupe.
Parce que ce n'était pas convenable au regard de l'enjeu de la mission, pendant ces sept mois, je me suis refusé à communiquer. Je n'ai parlé à la presse qu'il y a dix jours pour dénoncer l'attitude du Gouvernement à notre égard.
Le contexte politico-médiatique dans lequel se sont déroulés nos travaux a été pesant pour tous les membres de la mission. Les journalistes semblent en savoir plus que nous sur cette affaire. On a trouvé dans certains médias des documents que nous n'avions pas été en mesure d'obtenir !
Compte tenu de l'extrême sensibilité du sujet, je me suis tenu à la règle méthodologique que je m'étais fixée.
Nous avons donc examiné les trois pistes les plus communément avancées comme étant à l'origine de l'attentat.
La première est la piste islamiste.
Les deux autres, la piste politico-financière et la piste indienne ont été explorées avec le même souci d'objectivité. Cette égalité de traitement était la meilleure manière de procéder mais il est vrai qu'on peut regretter de ne pas avoir pu conclure définitivement notre enquête.
Si nous n'avons aucune certitude, c'est que nous n'avons pu disposer de tous les documents que nous aurions souhaité. J'ai donc laissé parler les faits, donné des citations et rendu compte de nos auditions. Quand plusieurs témoignages concordaient, j'ai estimé qu'il s'agissait de certitude. Quand ils se contredisaient, j'ai gardé des interrogations. La justice, les journalistes vont continuer leurs investigations. En lisant le rapport, vous vous rendrez compte qu'il est en parfaite adéquation avec mes propos.
Que dit-il ?
Il explique le contexte qui a conduit à la création de cette mission, la démarche du groupe socialiste, ainsi que la définition de son champ d'investigation par le Président de notre commission. Il expose également quelles ont été nos relations avec l'exécutif tout au long des travaux.
Nous avons rencontré, le président Fromion et moi, le ministre de la défense une première fois en octobre et lui avons fait part de notre volonté de nous voir communiquer l'intégralité des documents liés à ce contrat. Il nous a répondu qu'il souhaitait une transparence totale sur cette affaire, tout en faisant un sort particulier aux documents couverts par le secret de l'instruction.
Nous avons donc demandé les documents qui n'avaient pas été transmis à la justice et dont certains relevaient du secret de la défense nationale. Le Gouvernement est resté silencieux de nombreuses semaines ; nous lui avons adressé de nouveaux courriers. Puis il a saisi la CCSDN afin qu'elle se prononce sur la déclassification des documents que nous avions réclamés dans le but de les transmettre à la justice. Ces documents n'ayant pas été demandés par la justice, la CCSDN ne s'est pas prononcée sur leur déclassification. Le résultat est qu'ils n'ont été au final remis ni à la justice ni au Parlement !
Nous avons demandé au Quai d'orsay les télégrammes diplomatiques rédigés au moment de la négociation du contrat, puis de l'attentat. Nous avons reçu une série d'articles de presse que les services de l'Assemblée auraient été à même de nous fournir…
Nous avons demandé au ministère de la défense une liste de collaborateurs ayant participé à la négociation et à l'exécution du contrat, le contrat, les rapports de MM. Porchier et Seigle ainsi qu'un certain nombre de notes élaborées à l'occasion de la négociation. Nous avons reçu la liste du personnel ainsi qu'une vingtaine de pages de documents dont l'intérêt est tout relatif. Ce n'est qu'il y a quatre ou cinq jours que certaines notes nous sont enfin parvenues.
Quant au ministère de l'économie et des finances, son principal apport se résume en un récapitulatif du régime applicable aux frais commerciaux exceptionnels (FCE).
J'ai souhaité que tous nos courriers et les réponses des ministres soient rendus publics afin que chacun puisse juger du peu de considération que le Gouvernement a eu pour le Parlement. On peut comprendre que le contexte politique, la pression médiatique sur ce dossier, voire la pugnacité du rapporteur aient conduit l'exécutif à une certaine prudence, mais a contrario, la meilleure façon de répondre aux rumeurs n'aurait-elle pas pu être de nous communiquer les documents demandés ?
Que penser lorsque le ministre de la défense nous annonce le 10 avril que la décision de ne pas les transmettre lui est imposée par une décision interministérielle ?
Je veux maintenant aborder la manière dont se sont déroulées nos auditions. En recevant les familles des victimes et les personnes blessées, ainsi que d'anciens membres du Gouvernement, des fonctionnaires en poste ou ayant travaillé sur l'exportation d'armements, des représentants syndicaux, d'anciens responsables de DCN et de DCN-I, des dirigeants de DCNS et de sociétés d'exportations, des universitaires et des experts en stratégie, nous avons pu disposer d'une large information. Toutefois, sont apparues des divergences entre le président de la mission et moi-même sur les personnes à auditionner. Ainsi, je voulais entendre M. Édouard Balladur, ancien Premier ministre, non parce que je nourrissais un quelconque soupçon à son encontre mais parce que j'estimais que son audition était consubstantielle au contrôle que nous exercions. Nos travaux nous avaient en effet révélé que plusieurs réunions interministérielles avaient été consacrées au dossier de la vente des sous-marins Agosta. Aussi me paraissait-il légitime de l'interroger. C'est la même logique qui m'a conduit à vouloir entendre M. Dominique de Villepin car il avait pris la décision de recourir à la SOFRESA pour arrêter le versement des commissions.
Par ailleurs, certaines personnes n'ont pas voulu venir et en tant que mission d'information, nous n'avions pas de pouvoir coercitif à leur égard. Il en a été ainsi de M. Ziad Takieddine, intermédiaire cité par de nombreuses personnes, qui nous a déclaré qu'il n'avait rien à voir avec le dossier.
Le président de la mission et moi-même avons géré nos divergences sans le moindre incident. Yves Fromion ne m'a jamais empêché de poser les questions que je souhaitais et notre travail s'est ainsi déroulé dans un climat de liberté et de franchise. Je tiens sur ce point à lui rendre hommage.
Quels ont été les sujets abordés ?
– S'agissant des mesures de sécurité applicables aux employés de DCN, nous avons reconstitué le contexte géopolitique de l'époque et bien perçu la situation d'insécurité qui régnait à Karachi. Nous avons recueilli l'opinion des familles des victimes, des salariés eux-mêmes et des responsables de la sécurité. Il semble bien que le climat d'insécurité n'ait pas été correctement pris en compte. Les attentats du 11 septembre 2001, puis le raidissement au début de l'année 2002 du pouvoir pakistanais à l'égard des mouvements islamistes avaient créé une situation de réelle dangerosité face à laquelle la concentration de la plupart des employés dans le même hôtel et leur transport dans un bus unique, à des horaires et à des trajets immuables, étaient inadaptés. Nous avons aussi observé que les ouvriers et les cadres ne bénéficiaient pas du même traitement quant au logement.
– Quant aux pistes conduisant aux auteurs et motifs de l'attentat, je regrette que nous ne puissions apporter de conclusion, mais je n'ai pas voulu inventer ou échafauder une hypothèse qui ne serait pas véritablement étayée. À la différence de la presse, qui peut faire erreur et s'en excuser, l'exercice d'un mandat parlementaire exige rigueur et précision. Je n'ai pas voulu, faute de documents, de preuves matérielles, faire part de certitudes qui n'en sont pas, au risque d'être démenti demain.
– Parmi les pistes, celle de l'attentat islamiste a été examinée avec la plus grande considération. L'insécurité régnait au Pakistan depuis plusieurs années. L'entrée des forces de l'OTAN en Afghanistan avait provoqué le ressentiment des mouvements islamistes, et la pression accrue qu'ils subissaient de la part du Gouvernement pakistanais conduisait à leur fragmentation. De ce fait, il était difficile pour Islamabad de les contrôler. La liste des attentats qui ont précédé celui de Karachi est également longue… Le contexte était donc clairement dangereux. J'ajoute – et je veux être précis sur ce point – qu'Oussama Ben Laden a cité l'attentat de Karachi dans un communiqué quelques mois après. Comme nous l'ont expliqué d'éminents spécialistes, l'organisation peut être impliquée de diverses façons : quand Al Qaida accomplit directement un acte terroriste, quand Al Qaida a prêté son concours technique ou financier à un attentat perpétré par un autre mouvement (qualifié de franchisé), enfin quand un mouvement sans lien avec Al Qaida commet un attentat qui sert sa stratégie de terreur (le mouvement est alors considéré comme labellisé). Oussama ben Laden a cité l'attentat de Karachi parmi plusieurs autres, directement mis en oeuvre par son mouvement ou dont il s'est félicité. Il ne l'a pas spécifiquement revendiqué. Il le classe parmi les actions de sa croisade islamique. Il est difficile d'avoir une idée plus précise sur cette piste, en raison des errements de l'enquête au Pakistan et en France.
– La mission d'information s'est intéressée aux commissions financières (frais commerciaux exceptionnels ou FCE) qui ont accompagné le contrat. Leur existence a été confirmée par l'ensemble des anciens ministres et des négociateurs du contrat que nous avons entendus. Il résulte de nos auditions que des intermédiaires –MM. al Assir et Takieddine – ont été imposés au terme de la négociation à la demande de M. François Léotard quand il était ministre de la défense, ce qui, aux dires de plusieurs personnes auditionnées, était inhabituel. 6,25 % de FCE ont été versés aux intermédiaires par le canal de la SOFMA et 4 % – négociés en dernière minute– ont été attribués au réseau K de MM. al Assir et Takieddine.
M. François Léotard connaissait l'existence de M. Takieddine, mais il ne nous a pas donné d'explication sur la mobilisation de ces intermédiaires en fin de négociations. Faute d'éléments précis, il nous est impossible d'expliquer la raison de cette affaire.
– S'agissant de rétrocommissions, la mission d'information ne peut étayer les éléments parus dans la presse. Nous n'avons en effet disposé que de deux témoignages, l'un d'un contrôleur général des armées citant un fonctionnaire du Secrétariat général de la défense nationale, lequel a précisé qu'il aurait pu tenir « ces propos au conditionnel » parce que la chose se produisait sur d'autres contrats. Il n'est donc pas sérieux d'aller plus avant sur cette piste, même si elle n'est pas exclue. Nous avons finalement entendu M. Édouard Balladur, qui de façon sereine nous a livré ses explications, notamment celles relatives aux dix millions de francs remis à la banque en coupures homogènes pendant sa campagne électorale de 1995. Pour que la clarté soit complète, j'ai souhaité dans le rapport que le conseil constitutionnel, juge de l'élection, établisse la traçabilité des comptes de campagne de M. Balladur, lequel a approuvé cette proposition.
M. Charles Millon, ancien ministre de la défense, nous a confirmé qu'il avait été décidé, afin de se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation OCDE, de mettre fin au versement de commissions qui pouvaient faire l'objet de rétrocommissions. Il a expliqué avoir demandé aux industriels eux-mêmes de s'autocontrôler. Il a également précisé que cela s'était passé oralement, que le contrôle par les industriels n'avait fait l'objet d'aucune trace écrite, et que cette pratique était normale…
Le président de la SOFRESA nous a appris pour sa part qu'il avait reçu instruction de l'Élysée et du ministère de la défense de mettre fin au versement de ces commissions. Pourquoi M. Millon ne nous a-t-il pas indiqué avoir contacté la SOFRESA ?
Je voudrais dire un mot du rapport Nautilus. Récupéré après six ans de sommeil dans les locaux de DCN-I, il évoque la piste des rétrocommissions et semble à l'origine du rebondissement de l'affaire. Son rédacteur, Claude Thévenet, nous a expliqué avoir réalisé 95 % de son enquête au téléphone, les sommes versées par DCN-I n'étant pas suffisantes pour lui permettre d'aller au-delà. Il a mobilisé un certain nombre d'acteurs pour recueillir des informations et notamment un journaliste, Guillaume Dasquié. Nous nous sommes étonnés de la rédaction affirmative, en forme de rapport de police, de ce document basé sur des sources aussi aléatoires et avons sollicité M. Dasquié pour qu'il nous apporte des précisions sur les conditions du concours qu'il a apporté à M. Thévenet. Tout cela est consigné dans notre rapport.
Pour conclure, nous pouvons dire que oui, il y a eu des commissions, oui, il y a eu des intermédiaires. Est-ce qu'il y a eu des rétrocommissions ? Nous ne sommes pas en mesure de l'établir. Est-ce qu'il y a un lien entre l'arrêt du versement des commissions et l'attentat ? Les mêmes intermédiaires ont oeuvré pour le contrat Sawari, qui portait sur des sommes considérables, et le contrat Agosta. Dans les deux cas, il a été mis fin aux commissions, mais pour le contrat Agosta, elles avaient déjà été versées dans leur presque totalité. Nous n'avons en tout cas pas de preuve tangible.
– La piste indienne, enfin, est à double entrée. Les Pakistanais pouvaient être mécontents que la France construise, à partir de juin 2001, des sous-marins pour l'Inde. On a évoqué l'existence d'une clause secrète du contrat interdisant à la France de vendre des sous-marins à l'Inde mais elle n'a pu être établie. L'hypothèse selon laquelle les Indiens auraient eux-mêmes commis l'attentat pour que le Pakistan ne se dote pas de sous-marins est encore moins probable.
En conclusion, le rapport fait des propositions en souhaitant notamment une réforme constitutionnelle pour que le Parlement puisse créer des commissions d'enquête sur des sujets faisant déjà l'objet d'une information judiciaire, sans méconnaître le principe de séparation des pouvoirs. Cette idée reprend la proposition n°40 du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par M. Balladur.
Pour reprendre les propos du rapporteur, nous n'avons pas été d'accord sur tout mais nous l'avons été sur beaucoup de choses. Pour rendre compte de nos divergences, j'ai, en accord avec le rapporteur, rédigé un avant-propos dont je souhaite vous donner lecture.
Ce rapport, élaboré au terme de plus de six mois de travaux conduits par la mission d'information sur les circonstances entourant l'attentat de Karachi créée au sein de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, est le fruit d'un travail collectif approfondi qui, s'il n'apporte ni réponses aux questions de fond qui se posent, ni information sensationnelle, n'en est pas moins une contribution respectable à la compréhension des raisons qui ont pu conduire à l'attentat.
Aux victimes atteintes dans leur chair et aux familles des victimes disparues, qui attendent évidemment plus, je veux dire que les efforts accomplis par les membres de la mission d'information étaient d'abord tournés vers elles.
Huit ans après les faits, l'analyse des circonstances ayant entouré l'attentat commis le 8 mai 2002 contre les personnels de DCN se révèle extrêmement difficile.
Le fiasco absolu de l'enquête judiciaire conduite par les autorités pakistanaises, les conditions qui entourent la procédure judiciaire initiée depuis 2002 par la justice française, le développement d'une campagne médiatique intense nourrie de rumeurs, d'enquêtes journalistiques et d'intérêts politiques fort éloignés du devoir de vérité et du respect dus aux victimes et à leurs familles, constituent le terrain mouvant sur lequel se sont aventurés les membres de la mission d'information.
Feindre d'ignorer que ce dossier s'est lourdement politisé au fil du temps serait vain. La mission d'information a vu son travail en être affecté.
C'est ainsi qu'à peine installée le 7 octobre 2009, la mission s'est vue prendre au piège d'une question d'actualité posée le 22 octobre 2009 par son rapporteur au Premier ministre. La forme en faisait un réquisitoire à l'endroit du Président de la République, accusé de faire obstacle à la recherche de la vérité sur l'attentat de Karachi et le fond faisait une référence exclusive à la question des commissions liées au contrat Agosta. Le décor était dès lors planté et la thèse d'un attentat lié à des malversations financières quasiment préemptée par le rapporteur.
Comment s'étonner dès lors que les rapports entre le Gouvernement et la mission aient été empreints de la plus grande méfiance et que les demandes de documents et d'informations aient fait l'objet de la part des ministères concernés d'un examen anormalement restrictif ?
Ce climat particulier n'a évidemment pas facilité le travail de la mission d'information. Au demeurant, celle-ci a procédé à toutes les auditions qui lui paraissaient utiles. Les comptes-rendus sont consignés avec rigueur dans le rapport et donnent l'image d'un travail exempt de parti pris.
Mais ce rapport ressemble un peu à ces boules de verre dont les formes qu'elles renferment changent en fonction de l'incidence de la lumière qui les frappe.
Le lecteur attentif ne pourra manquer de percevoir combien l'absence d'évaluation et de hiérarchisation des thèses avancées pour expliquer l'attentat de Karachi est en fait une manière fort habile de glisser insensiblement de l'attentat lui-même vers la question des commissions liées au contrat, puis vers celle des rétrocommissions et naturellement de leurs supposés destinataires, dans l'espoir d'atteindre un jour le graal du scandale politique qui fait tant rêver certains.
En prenant le parti de ne pas prendre parti, le rapporteur a mis sur le même plan toutes les hypothèses privilégiant ainsi habilement les moins crédibles.
Ceci me conduit donc à exprimer une réelle divergence d'appréciation avec lui sur certains aspects du dossier.
Je concentrerai mon propos successivement sur trois points :
– le double dispositif de commissions du contrat Agosta ;
– le lien supposé entre les commissions liées au contrat Agosta et le déclenchement de l'attentat de Karachi ;
– les rapports de la mission avec le Gouvernement.
Les modalités suivant lesquelles ont été négociés en deux temps les frais commerciaux exceptionnels (FCE) du contrat Agosta sont considérées par certains comme la preuve du versement de rétrocommissions. À l'appui de cette thèse, on évoque d'abord l'affirmation selon laquelle en 1993 la SOFMA, grâce à son enveloppe de 6,25 %, avait satisfait les besoins en FCE exprimés par la sphère pakistanaise. On indique ensuite que l'existence d'une deuxième enveloppe de commission de 4 %, obtenue par M. Takieddine, payable avec une particulière rapidité dès la signature du contrat en septembre 1994, ne peut se justifier que par le dessein frauduleux de financer la campagne présidentielle française.
Ceux qui ont échafaudé cette thèse se sont-ils interrogés sur l'évolution de la situation politique au Pakistan fin 1993 ?
Mme Benazir Bhutto, écartée du pouvoir en 1990, retrouve les responsabilités de Premier ministre le 20 octobre 1993. Son mari sort de prison où il a purgé une peine de trois ans pour corruption, ce dont il sera lavé ultérieurement. Peut-on imaginer, dans le contexte pakistanais, que le nouveau pouvoir en place ne s'intéressera pas à un contrat comme celui des sous-marins Agosta, qu'il lui appartient d'ailleurs de finaliser ?
Est-il inconcevable que les 6,25 % de frais commerciaux exceptionnels déjà octroyés, nécessitent alors une rallonge ?
Est-il inconcevable que des intermédiaires de très haut vol entrent alors en scène et que, compte tenu des intérêts dont ils sont porteurs, ils s'adressent directement à la sphère politique française ?
Est-il inconcevable que le Gouvernement français, soucieux de conclure un contrat indispensable à la survie du site industriel de Cherbourg, apporte à ces émissaires la considération que l'on sait ?
Est-il inconcevable que les émissaires obtiennent satisfaction et que de surcroît, compte tenu d'un contexte particulier, il soit fait droit à leur exigence d'un paiement accéléré ?
Je n'affirme pas que l'hypothèse que j'avance et qui ne cadre pas avec le schéma du prêt à porter médiatique en vogue aujourd'hui, soit la bonne. Mais elle me paraît pour le moins aussi crédible que celle qui court les rédactions et dont le rapport fait état sans chercher au-delà. Elle concorde en tout cas avec l'ensemble des éléments connus : le calendrier, le montant élevé des FCE, la procédure employée, les exigences de célérité dans le règlement.
Cette hypothèse « parmi d'autres », ne conclut pas davantage sur les destinataires finaux des FCE. Comment pourrait-on s'engager sur une telle voie ? Mais elle prouve combien les affirmations péremptoires sont aventureuses en la matière.
Ma deuxième observation se rapporte au lien de causalité que certains tentent d'établir entre l'attentat et les commissions versées dans le cadre du contrat Agosta. C'est la thèse développée dans le rapport Nautilus. Un magistrat aurait qualifié de « cruellement logique » le raisonnement présenté dans ledit rapport, en dépit des contradictions et des invraisemblances qu'il comporte, décernant ainsi aux travaux de M. Thévenet, auteur du rapport, un brevet de respectabilité.
On sait qu'en 1996, année où Mme Bhutto perd à nouveau le pouvoir, a été mise en oeuvre la décision du Président Jacques Chirac d'interrompre les flux des commissions liées aux contrats d'armements. Celles qui concernent le contrat Agosta sont pour l'essentiel versées. Le réseau Takieddine a empoché 85 % de son dû ; il ne reste en déshérence qu'environ 30 millions de francs sur 220 millions de francs. Les commissions dues par la SOFMA, environ 330 millions de francs, sont également pour une part versées et le paiement du reliquat ne sera d'ailleurs jamais interrompu.
On sait aussi que l'arrêt des commissions ne concernera en fait que le contrat Sawari signé avec l'Arabie Saoudite. Pourquoi dès lors entretenir la fiction d'un lien de causalité entre l'attentat de Karachi et la question des commissions du contrat Agosta?
D'éventuels différents entre les bénéficiaires dans la répartition de leurs commissions auraient-ils pu être occultés pendant six ans, de 1996 à 2002, et aboutir à l'organisation d'un attentat aux conséquences planétaires impliquant une organisation particulièrement complexe avec l'intervention d'un kamikaze, sorte de première au Pakistan ? Et pourquoi un attentat contre la France puisqu'elle a payé son dû dans le contrat Agosta ? Ce n'est pas ainsi que l'on règle ses comptes dans le milieu des intermédiaires en cas de désaccord. Le rapport à cet égard ne souligne pas l'invraisemblance de cette hypothèse. Il serait important de savoir pourquoi on laisse prospérer cette version de l'attentat de Karachi. N'est-ce pas tout simplement pour utiliser la charge émotionnelle qui entoure l'attentat et en faire un levier utile pour chercher autre chose ?
Pour terminer je souhaite évoquer la charge extrêmement sévère contre le Gouvernement, contenue dans le rapport. Le rapporteur porte l'accusation d'entrave à l'action de la mission d'information. Il est tout aussi sévère à l'égard de certaines personnalités accusées par lui de mensonge.
Il est vrai que le Gouvernement a sans doute manifesté une prudence extrême, voire excessive, dans l'appréciation de son espace de manoeuvre entre les contingences du secret de la défense nationale et les contraintes inhérentes aux procédures judiciaires en cours depuis 2002. Il n'en demeure pas moins que l'environnement détestable créé par les attaques publiques répétées de responsables du parti socialiste, les mises en cause directes ou insidieuses du chef de l'État, la virulence du verbe médiatique et enfin le comportement de l'avocat de certaines familles de victimes, ont conduit inévitablement le pouvoir politique à la plus grande réserve dans ses rapports avec la mission d'information. On ne peut que le déplorer.
Le rapport se montre également sévère à l'endroit de certaines personnalités dont les auditions n'ont pas apporté les éclairages attendus par le rapporteur et les membres de la mission. Le rapporteur emploie même le mot de mensonge, c'est sa responsabilité. Il est vrai que la fonction de ministre de la défense paraît engendrer un syndrome d'amnésie préoccupant. MM. Léotard, Millon et même Pierre Joxe, qui entre 1991 et 1993 eut à conduire les négociations du contrat Agosta sur place au Pakistan, n'ont conservé à peu près aucun souvenir de ce dossier. Cela relève de la maladie professionnelle.
À mon sens pourtant, la sévérité du rapporteur à l'égard du Gouvernement aurait trouvé un motif légitime à s'exprimer. L'enlisement de l'enquête judicaire conduite au Pakistan est total. Le dossier est dans une impasse. Les Gouvernements, qui chez nous se sont succédés depuis 2002, ont-ils manifesté avec la force et la détermination suffisantes auprès des autorités pakistanaises leur volonté que soient retrouvés les auteurs et les commanditaires de l'attentat ? On n'en a guère l'impression.
Il eût été pourtant utile de savoir très concrètement ce que fait aujourd'hui le Gouvernement. On ne peut sans fin se réfugier derrière une enquête judicaire en cours dont le cheminement semble éviter une proximité trop forte avec Al Qaida ou les réseaux islamistes.
Le Gouvernement est maître de l'action publique. Que fait-il ? Qui ne voit que l'absence d'initiative est justement propice au développement de toutes les spéculations y compris les plus invraisemblables ?
L'inertie gouvernementale est-elle une bonne réponse aux attentes légitimes des familles et au respect que leur doit la Nation ?
Mes chers collègues, voici exprimées les raisons pour lesquelles je ne peux apporter mon total soutien au rapport qui vous est présenté et je me devais de le faire.
Ne prenant pas la hauteur suffisante, selon moi, le rapport colle étroitement aux assertions complaisamment véhiculées dans la presse. Il en perd une partie de son intérêt. Ce n'est pas pour autant une mise en cause du rapporteur et il le sait, comme il connaît l'estime que je lui porte.
Je trouve ces deux exposés tout à fait remarquables. Les cinq membres de la mission ont travaillé ensemble et qu'au bout du compte des divergences puissent s'exprimer ainsi est un très bon signe de démocratie ! Vos interventions ont tout de même des points communs : elles mettent en exergue vos difficultés face aux représentants des Gouvernements successifs. Chacun a pu exprimer son opinion, mais le plus important est votre volonté de faire la lumière sur un drame que nous ne nous expliquons toujours pas.
Je partage l'avis du président et du rapporteur de la mission que la piste islamiste est la plus crédible.
Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je n'ai privilégié aucune des deux hypothèses les plus plausibles. J'ai simplement précisé que le contexte géopolitique de l'époque pouvait créer un élément favorable à l'avènement d'un attentat islamiste.
J'ai aussi bien entendu que le rapporteur laissait planer le doute sur la certification par Al Qaida de la paternité de l'attentat.
L'affaire a rebondi à l'occasion de la sortie du rapport Nautilus. L'enquête a été réalisée à 95 % au téléphone et son auteur, M. Thevenet, une sorte de « colonel Moutarde » s'est entretenu avec le journaliste Guillaume Dasquié. Ce rapport a servi à bâtir une thèse qui a pollué notre travail. Il a été réalisé d'une manière si peu crédible et on lui a donné un tel poids que j'en reste pantois…Je vous invite à le lire ainsi que les passages du rapport rendant compte de l'audition de son auteur. Devenu journaliste à Libération, M. Guillaume Dasquié se sert de ce document pour monter en épingle une des thèses évoquées tout à l'heure. Un ouvrage va d'ailleurs paraître prochainement qui l'accrédite encore. Je trouve inquiétant pour notre démocratie qu'on puisse manipuler les gens avec des thèses aussi légères.
Je ne partage pas l'analyse personnelle d'Yves Fromion. Je trouve le travail de Bernard Cazeneuve très clair. Cette mission a duré sept mois, nous avons entendu une soixantaine de personnes. Peu ont refusé de venir. Certaines personnes ont été très peu prolixes. Certaines ont voulu nous égarer. La presse a, elle, beaucoup parlé. Au bout du compte le rapport me semble clair, honnête et je ne le juge pas orienté.
Nous avons examiné les trois pistes. Pour moi, la piste Al Qaida est très plausible. Sur la piste d'une affaire d'État je confirme que nous n'avons aucun élément sur les rétrocommissions. La piste indienne me paraît moins crédible.
Je me pose quand même des questions. Deux contrats de DCN ont été signés en 1994 : le contrat Sawari, de vente de frégates à l'Arabie saoudite pour 19 milliards de francs et le contrat de vente des sous-marins au Pakistan pour 5 milliards de francs. Dans les deux cas, on retrouve le même intermédiaire, M. Takieddine, imposé par le ministère de la défense. Les commissions de ces deux contrats ont été bloquées en 1995-96 à la demande de Jacques Chirac. Je m'interroge.
Je regrette que les ministres ne nous aient pas transmis les documents demandés car ils nous auraient aidés. Je reste sur ma faim et suis donc favorable à la création d'une commission d'enquête. Je m'étonne par ailleurs des critiques que M. Fromion a formulées sur la question d'actualité posée par M. Cazeneuve en début de mission. Enfin, je dirais que je suis satisfait des travaux qui ont été menés.
J'ai lu – puisqu'il me l'a transmis hier – puis écouté l'avant propos de M. Yves Fromion et je me garderai de mettre en cause le président de la mission avec une charge aussi forte que la sienne. Ce n'est pas ma conception de la relation qui doit exister entre parlementaires. Je pense que nous pouvons avoir des idées et des interprétations différentes mais nous ne devons pas mettre en cause notre honnêteté intellectuelle.
Connaissant les familles, j'ai cherché à être scrupuleusement honnête et ma réponse à l'avant propos est le rapport lui-même.
Je voudrais répondre à certains des reproches que m'adresse le président Fromion.
D'abord ma question d'actualité : il faut bien comprendre que je suis, à Cherbourg, proche des familles. Lorsqu'elles entendent le Président de la République dire à Bruxelles que toute cette histoire est une fable, alors qu'il est garant, de par sa fonction, de l'indépendance de la justice, elles me demandent des comptes et, en tant que parlementaire, je me dois de les leur rendre. Le fait d'être membre d'une mission d'information n'interdit pas que l'on continue de poser des questions au Gouvernement, ou alors cela veut dire que le Parlement ne fonctionne plus !
Par ailleurs, M. Fromion dit, à juste titre, que les enquêtes ont piétiné et que le rapporteur aurait pu s'en indigner. Mais je ne m'indigne pas de la manière dont fonctionne la justice, parce que nous sommes dans un régime de séparation des pouvoirs ! De la même manière que je n'aurais pas formulé la même appréciation que lui sur la manière dont l'enquête a été menée par le juge Trévidic et le crédit qu'il donne au rapport Nautilus. Nous sommes parlementaires, nous sommes dans un système de séparation des pouvoirs, nous avons déjà du mal à faire en sorte que la justice fonctionne convenablement sur cette affaire en France, je vois mal au nom de quoi nous nous autoriserions à la critiquer.
Je n'ai pas mis en cause le juge Trevidic, j'ai dit qu'il avait, par son expression, donné une respectabilité à la thèse de l'affaire d'État.
Oui, mais peut être a-t-il des éléments en sa possession que nous n'avons pas puisque nous n'avons pas accès au dossier !
Enfin il y a deux autres points.
Le président dit qu'on ne peut pas voter tout le rapport car il ne prend pas la hauteur qu'il faut. Je me refuse à faire prévaloir une thèse plutôt qu'une autre sans en avoir la preuve et, si c'est cela que l'on me demande, je ne sais pas le faire et je ne le ferai pas. J'aurais volontiers priorisé les choses si j'avais eu les éléments d'informations suffisants et je l'aurais fait, quelle que soit la thèse.
Alors que le rapport Nautilus met en cause personnellement le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, je précise que je reproduis dans le rapport une intervention d'une fonctionnaire du ministère du budget indiquant que lorsqu'il était ministre du budget, il était contre la conclusion du contrat, suivant en cela son administration.
Ma réponse à la déclaration de M. Fromion est donc le rapport mais je redis devant nos collègues de la commission, qu'à l'exception des divergences qui ont existé entre lui et moi-même – avoir des divergences n'est pas malsain –, je ne remettrai pas en cause l'honnêteté du président car je pense qu'entre collègues cela ne se fait pas.
Je tiens à rappeler que la commission ne se prononce pas sur le fond du rapport ; elle se contente d'en autoriser, ou non, la publication.
Je ne crois pas avoir marqué une quelconque opposition à la publication du rapport que je juge tout à fait sérieux. En tant que président, il est toutefois de mon devoir de faire part de mon appréciation et de mes divergences de vue avec le rapporteur. Cela n'enlève rien à la qualité du travail que nous avons mené et qui doit être porté à la connaissance du plus grand nombre.
Je suis très troublée par l'avant-propos de notre collègue Yves Fromion car j'ai compris qu'il met en cause l'honnêteté intellectuelle du rapporteur. La publication d'une telle prise de position me gênerait.
Je trouve par ailleurs assez ironique de considérer que la question d'actualité posée par Bernard Cazeneuve est à l'origine de la défiance du Gouvernement envers la mission d'information. Il me semble que cette attitude est beaucoup plus grave et marque plus globalement une méfiance de l'exécutif envers l'ensemble de la représentation nationale.
Ce rapport est certes le fruit d'un travail collectif, mais il ne peut au final être rédigé que par le rapporteur à moins qu'il ne se contente de compiler les éléments engrangés au cours des travaux. Je souhaiterais donc savoir quelle est la solution qui a été retenue par la mission d'information. Si c'est le rapporteur qui a écrit le rapport, quels amendements les autres membres de la mission ont-ils souhaité apporter au texte ?
J'ai accepté la teneur du rapport même si je suis en désaccord avec le rapporteur sur plusieurs points. Ces divergences n'apparaissent pas dans le corps du texte pour en faciliter la lecture et la cohérence d'ensemble. Il n'était cependant pas envisageable de taire ces différences ; c'est ce qui m'a conduit à rédiger l'avant-propos dont je vous ai donné lecture. Sur un dossier qui s'est lourdement politisé, il me semble plutôt positif qu'il n'y ait pas de pensée unique et que toutes les sensibilités puissent s'exprimer.
Je tiens à souligner que M. Jean-Jacques Candelier a également souhaité apporter une contribution qui figure, tout comme l'avant-propos, dans le document final. Je trouve pour ma part la démarche du président de la mission très convenable ; il est normal qu'au terme d'un travail collectif des divergences d'appréciation demeurent.
Je suis heurté par les propos de notre collègue Françoise Olivier-Coupeau qui laisse sous-entendre que tous les membres de la mission n'assumeraient pas le rapport. Nous avons travaillé ensemble de façon très étroite pendant sept mois, participant à toutes les réunions. Au final, il existe des désaccords, et c'est bien normal. Pour autant, il n'y a pas de hiérarchie entre les membres de la mission : nous avons tous eu à notre disposition les mêmes informations et nous avons pu poser toutes les questions que nous souhaitions.
Souhaitant que nos débats puissent retrouver leur sérénité habituelle, je tiens à remercier le président Guy Teissier d'avoir accédé à notre demande en constituant une mission d'information sur un sujet aussi sensible politiquement. Personne n'est dupe des implications de ce travail, mais je pense qu'il est de notre responsabilité de parlementaire de nous saisir de ce type de questions. Je considère d'ailleurs que nous devrions être plus actifs sur ces dossiers : il me semblerait par exemple pertinent que tous les contrats importants d'exportation soient soumis à un contrôle parlementaire plus étroit.
Le rapport sera vraisemblablement très lu et je crois qu'il est très attendu. Même s'il a été rédigé par Bernard Cazeneuve, en tant que rapporteur de la mission, les travaux préparatoires ont associé tous les membres de la mission. Je note que les documents annexés permettront à chacun d'entre nous de se faire sa propre opinion. Je pense aussi aux familles qui disposeront enfin d'un premier éclairage qui les aidera, je l'espère, dans leur quête de vérité. La liste des pièces demandées et non communiquées est une réalité objective que nul ne peut contester ; l'appréciation que nous portons sur ce point peut en revanche diverger.
Malgré ces éléments positifs, je note que c'est la première fois depuis 2002 que le président d'une mission d'information fait une déclaration liminaire aussi partisane au sein de notre commission. Dans l'exposé du rapporteur, je n'ai pas entendu de prise de position ni d'interprétation politique : il s'est contenté de faire état des différentes hypothèses, sans prendre parti, se contentant d'identifier les points qui posent problème. À l'inverse, notre collègue Yves Fromion s'est livré à une interprétation politique, mettant même en cause l'honnêteté de Bernard Cazeneuve. Je suis extrêmement contrariée par cette déclaration qui rompt avec les habitudes de notre commission. Le rapporteur s'est abstenu de toute conclusion hâtive et de tout commentaire partisan ; il est regrettable que le président de la mission n'ait pas fait de même.
Au final, je crois que beaucoup d'interrogations demeurent et qu'elles ont été parfaitement rappelées par Bernard Cazeneuve. Nous ferons donc une lecture très attentive du rapport.
Lorsque j'ai accepté la constitution de cette mission d'information, j'ai pris un risque tant le sujet est sensible, compte tenu de la pression médiatique créée notamment par la publication du rapport Nautilus. Pour éviter tout esprit partisan, j'ai souhaité que l'ensemble des tendances politiques soient représentées en son sein ; cela rendait dès lors nécessaire la désignation d'un président et d'un rapporteur. Tous les membres de la mission ont participé aux travaux, faisant état de leurs désaccords avec courtoisie et franchise. Il me semble donc légitime qu'au final, ces divergences apparaissent dans le rapport au travers de l'avant-propos du président.
Je crois que les points de désaccord entre le président et moi-même sont clairement exprimés. Il me semble que nous pouvons laisser aux lecteurs le soin de se forger leur propre opinion en s'appuyant sur toutes les contributions, dans un souci de transparence et dans le respect de la pluralité des opinions. Je tiens à rappeler que les travaux se sont déroulés dans un climat de confiance et de sérénité, chacun des membres de la mission ayant pu poser toutes les questions qu'il souhaitait.
À mon sens, nous devons nous demander si nous sommes, ou non, une démocratie moderne. J'ai malheureusement le sentiment que ce n'est pas le cas dans la mesure où les pouvoirs du Parlement sont limités, que ce soit par la Constitution, par l'action du Gouvernement ou par les parlementaires eux-mêmes. À moins d'une révision constitutionnelle, nous ne pouvons d'ailleurs pas enquêter si une instruction judiciaire est ouverte sur le dossier en question. Je pense que nous n'assumons pas notre mission de contrôle comme nous le devrions et il est urgent d'y remédier.
En ce qui concerne la mission, il est inadmissible que le Gouvernement ait refusé de communiquer des pièces qui n'étaient couvertes ni par le secret de la défense ni par le secret de l'instruction. C'est particulièrement vrai pour le contrat qui aurait dû être transmis. Pour ce qui concerne l'enquête judiciaire, je veux rappeler qu'elle est conduite par le Parquet de Paris dirigé par M. Marin dont chacun connaît les prises de position. Je m'interroge enfin sur l'absence de demandes de déclassification de la part des magistrats instructeurs.
Par ailleurs, je crois que nous devons nous poser des questions sur le financement de la campagne présidentielle de 1995. J'ai le plus profond respect pour le conseil constitutionnel qui a validé les comptes des candidats mais je me demande s'il n'aurait pas été pertinent d'interroger ses membres pour faire toute la lumière sur les modalités de financement des campagnes de MM. Balladur et Chirac. Je pense qu'il aurait été également utile d'entendre les responsables de la banque qui a encaissé les sommes en liquide dont le rapporteur faisait état.
En réponse à votre demande d'améliorer la transparence dans les informations communiquées par le Gouvernement au Parlement, je vous indique que j'ai préparé une proposition de loi tendant à obliger le ministre chargé de l'économie à fournir la liste de tous les contrats d'exportation civils et militaires ayant fait l'objet d'une garantie financière du Gouvernement, par le biais de la COFACE. Cette liste serait adressée au président et au rapporteur général de la commission des finances des deux assemblées, qui pourraient demander les contrats et leurs annexes, à l'instar de la procédure existante pour le contrôle des fonds spéciaux.
Ce rapport est tout à l'honneur de notre commission. C'est peut-être la première fois que les membres d'une mission d'information de la commission ont un débat aussi riche sur leurs divergences de point de vue.
Je ne suis pas sûr que nous puissions connaître la vérité sur cette affaire, dans la mesure où elle touche à la raison d'État. En tout cas, l'attitude du ministère des affaires étrangères vis-à-vis des demandes qui lui ont été adressées est regrettable et nous devons réfléchir aux moyens d'améliorer les conditions d'information du Parlement.
Rien ne serait pire aujourd'hui que de ne pas publier ce rapport, dont une partie a peut-être déjà été diffusée.
Mon cher collègue, je tiens à vous rassurer sur ce point : les membres de la mission ont veillé à ce que ce rapport ne soit pas diffusé avant que notre commission ne se prononce sur sa publication.
Je regrette que la mission d'information n'ait pu aller au bout de ses travaux. Personnellement, je ne voterai plus la prochaine fois en faveur de la création d'une mission d'information au sein de notre commission. Cela, à mon sens, ne sert à rien.
Si l'honnêteté du président de la mission et de son rapporteur ne peut être mise en cause, je déplore également qu'ils n'aient pu pleinement assumer la tâche qui leur était confiée.
Enfin, j'estime qu'il faut publier ce rapport : le pire serait de ne pas le faire. Et s'il donne lieu à des divergences d'appréciation, il est bon qu'elles soient rendues publiques.
Je comprends votre déception et votre souhait que le Parlement puisse jouer un rôle plus important. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer l'important travail accompli par la mission.
Lorsqu'on crée une mission d'information qui, comme celle-ci, porte sur un sujet faisant l'objet de documents classifiés, on est toujours confronté aux mêmes difficultés d'accès à l'information. La mission d'information relative au génocide rwandais, à laquelle j'ai participé, avait, elle aussi, donné lieu à pareilles divergences d'appréciation.
La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.
La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.