La Commission entend Mme Christine Lagarde, ministre de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi, et M. François Baroin, ministre du Budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, sur le mécanisme européen de stabilisation de la zone euro
Le président Jérôme Cahuzac. Mes chers collègues, la Commission des finances accueille Mme Christine Lagarde et M. François Baroin, que je remercie de venir présenter, dès aujourd'hui, le nouveau plan adopté dans l'urgence dimanche dernier par les différents gouvernements de la zone euro, concernant une forme de garantie européenne aux dettes publiques souveraines des États membres de la zone euro.
Madame le ministre, je pense que l'ensemble des membres de la commission des finances se réjouit des mesures prises. Je voudrais vous demander quelques précisions les concernant, qui seront utilement complétées par celles que voudront obtenir le rapporteur général et tous les collègues qui souhaiteront s'exprimer.
Pouvez-vous en premier lieu nous exposer le dispositif exact de ce mécanisme de stabilisation ? Pouvez-vous nous indiquer la forme que prendra la garantie accordée par chaque État, étant entendu que les États ne devraient pas lever directement les fonds mais devraient garantir les levées de fonds faites par un organisme idoine ? Ceci suppose, et c'est ma troisième question, un nouveau projet de loi de finances rectificative, puisque la garantie doit être un acte parlementaire ?
Pouvez-vous ensuite nous indiquer précisément le rôle dévolu à la Banque centrale européenne, la BCE, et notamment, le mécanisme mis en oeuvre pour qu'elle rachète, et dans quelles conditions, des titres de dette souveraine. Je tiens à rappeler que jusqu'à présent, le gouverneur de la BCE, M. Trichet, s'était opposé catégoriquement à ce type de rachat.
Au sujet des agences de notations, dont le rôle dans la crise récente ne saurait être qualifié de négligeable, je m'interroge sur les moyens qu'il est prévu de mettre à la disposition de l'AMF pour les contrôler : si j'en crois l'étude d'impact accompagnant le projet de loi de régulation bancaire et financière qui en traite, il s'agirait d'un seul emploi temps plein – ETP. Me le confirmez-vous ? M. Jérôme Chartier, rapporteur de la commission des Finances sur ce projet de loi pourra évidemment nous donnera également son point de vue. Dans un souci d'efficacité, n'estimez-vous pas utile de renforcer ces moyens?
Pour terminer, je profite de l'occasion offerte par cette audition pour remercier M. François Baroin et ses services pour la transmission d'un certain nombre de renseignements relatifs au bouclier fiscal. Reste à obtenir les informations relatives à la décomposition par impôt du total des impositions acquittées avant l'application de la restitution et celles relatives aux quatorze cas de contribuables, dont les patrimoines sont parmi les plus importants à fait conséquents et qui déclarent cependant un revenu inférieur à 3 000 euros par an.
Je laisse la parole à M. le rapporteur général.
Le président a posé les questions essentielles. Pour compléter, je souhaiterais obtenir des informations sur le calendrier de mise en place de ce véhicule, mais également sur le calendrier de la garantie qui devra passer par une autorisation parlementaire. Pouvez-vous nous informer sur la procédure mise en place en Allemagne ?
Parmi toutes les décisions prises ce week-end, l'autorisation offerte à la BCE de souscrire des dettes souveraines est particulièrement importante. Je tiens à rappeler que la BCE est, contrairement à ce que l'on a pu dire, déjà intervenue : la BCE a acheté des titres, mais de dettes privées, ou des dettes souveraines sur le second marché, de façon marginale. Il me semble qu'il s'agit toutefois d'une modification assez substantielle. Ne craignez-vous pas que l'on se dirige, à l'instar de ce qui se passe aux États-Unis, vers une monétisation du financement des déficits ?
Enfin, concernant la gouvernance, une déclaration fait état du suivi de l'endettement, de la compétitivité, ou des déficits commerciaux des États. Ce sujet a-t-il été abordé au cours du week-end, comme on l'entend ici ou là ? Irait-on jusqu'à ce que les États puissent avoir un droit de regard sur les lois de finances de leurs voisins ?
M. le Président, M. le rapporteur général, mon cher collègue, je voudrais tout d'abord vous dire combien il est normal de venir nous exprimer devant votre commission des Finances. Si nous devons parfois réagir dans l'urgence, il est légitime de venir rapidement devant vous vous en rendre compte. Plutôt que d'exposer en détail le déroulement des événements, je vais me concentrer sur vos questions.
Le fonds de stabilisation européen, dont la dénomination exacte dans les conclusions prises au cours de l'ECOFIN est le « Special Purpose Vehicle » – SPV –, est la structure juridique qui a permis de débloquer une situation tendue entre certains États, partisans des prêts bilatéraux directs, et la plupart des autres pays qui, avec la Commission, souhaitaient l'émission de garanties au bénéfice de la Commission qui aurait pu, dans ce cas, emprunter sur les marchés. Il s'agit donc à la fois de la résolution de la différence entre deux dispositifs : prêts bilatéraux ou garantie et de celle concernant le rôle de la Commission, exécutante ou décisionnaire. En collaboration avec l'Italie, la France a proposé ce SPV ou fonds de stabilisation européen, qui est un peu l'équivalent à l'échelle européenne de ce qui a été construit en France lors de la crise bancaire, c'est-à-dire la Société de financement de l'économie française, la SFEF. Il s'agit d'une structure spécifiquement créée à cet effet, distincte de la Commission, éventuellement faiblement dotée, mais munie de la garantie souveraine de tous les constituants, en l'occurrence les seize États membres. Cette structure peut lever des fonds sur les marchés pour prêter ou acheter de la dette souveraine de pays attaqués ou fragilisés. Il s'agit véritablement d'une SFEF à l'européenne.
La Commission travaille actuellement sur les statuts de ce SPV, à partir des travaux préparatoires à la SFEF fournis par la France et des éléments proposés par l'Italie qui a mis en place une structure équivalente.
Les ministres des finances se sont engagés à ce que chacun des seize États membres - il s'agit d'une structure Eurogroupe – apporte sa garantie souveraine, par le biais de leurs parlements respectifs chaque fois que c'est nécessaire : c'est le cas naturellement en France et en Allemagne notamment.
Un montant a été fixé, choisi de façon à frapper les esprits. Aux 60 milliards d'euros dégagés sur la base de l'article 122-2 du traité de Lisbonne qui peuvent être mobilisés en cas d'urgente nécessité pour venir en aide à un État fragile, s'ajoutent donc 440 milliards d'euros pour atteindre le montant de 500 milliards d'euros.
La part de chaque garantie est fonction de la part de chaque État dans le capital de la BCE. Pour la France, sa quote-part est de 20,38 %. Ce taux est différent de celui utilisé pour venir en aide à la Grèce – 20,97 % – puisqu'ici, ce sont les seize États qui sont concernés.
Je rappelle que la garantie apportée à la SFEF était de 320 milliards d'euros, dont seulement 10 % ont été mobilisés – la plus grande partie de ces sommes ont déjà été remboursées avec intérêt. Ici, il s'agit de 89,7 milliards d'euros. Je reviendrai sur ce montant quand j'évoquerai la situation en Allemagne.
Je signale également qu'aux seize membres de l'Eurogroupe, il convient d'ajouter la Suède et la Pologne qui ont indiqué vouloir participer au mécanisme. Il est vraisemblable que d'autres États y participeront. Ce n'est pas le cas de la Grande-Bretagne qui a déjà déclaré ne pas apporter son soutien au mécanisme –malgré le montant des dettes libellées en euros portées par les banques britanniques.
En ce qui concerne le calendrier, un projet de loi de finances rectificative pourrait être soumis le 26 mai 2010 au conseil des ministres. Le passage devant l'Assemblée nationale devrait avoir lieu ensuite dans les plus brefs délais, afin d'afficher au plus tôt l'effectivité du processus.
En Allemagne, dont le conseil des ministres a approuvé ce matin l'équivalent d'un projet de loi de finances rectificative, le projet devrait être examiné le 21 mai au Bundestag et le 4 juin au Bundesrat selon les dates qui nous ont été communiquées à titre indicatif.
Je souhaitais évoquer l'Allemagne pour attirer votre attention sur le mode de calcul de leur quote-part au dispositif. L'Allemagne a prévu d'augmenter sa quote-part de 20 % pour tenir compte du fait qu'un pays en difficulté ne pourrait, par hypothèse, au moment de l'appel en garantie, participer au processus. Il convient de s'interroger si la France ne devrait pas adopter un mode de calcul similaire.
Concernant les agences de notation, vous vous souvenez certainement qu'en novembre 2008, la présidence française de l'Union Européenne avait proposé que soit adopté un texte relatif à l'enregistrement, au contrôle, à la régulation et à la sanction de ces opérateurs en cas de non-respect des règles applicables. On peut certes regretter que le temps institutionnel et politique soit plus long que le temps des marchés, caractérisé par son immédiateté, mais enfin le règlement relatif aux agences de notation va entrer en vigueur le 7 juin prochain. Nous disposerons alors d'un cadre normatif et j'ai désigné l'Autorité des marchés financiers – AMF – comme organe chargé d'enregistrer les agences de notation, de les contrôler et, le cas échéant, de les sanctionner.
Par ailleurs, dans ce domaine, il convient sans doute de renforcer la coordination au sein de l'Union européenne. En effet, le texte relatif à la supervision financière a consacré la création d'un nouvel organisme, l'Autorité européenne des marchés financiers – European securities and markets authority – ESMA –, qui va réunir en son sein les superviseurs de marché. Or il me semble que l'ESMA doit également être compétente en matière de contrôle des agences de notation au niveau européen.
Enfin, je suis favorable au renforcement des moyens dont disposera l'AMF afin que celle-ci puisse remplir pleinement ses missions de contrôle des agences de notation mais aussi d'investigation concernant rumeurs et manipulations sur les marchés.
Concernant la BCE, il est vrai que, pendant la crise, il est arrivé qu'elle s'éloigne de sa propre orthodoxie. Elle est notamment intervenue pour prendre de la dette privée. Le traité de Maastricht et les statuts de la banque lui interdisent d'acheter de la dette primaire, de souscrire aux émissions de dettes des États membres. Mais elle a opéré des rachats sur le marché secondaire. Compte tenu de son indépendance, la BCE a, pendant la crise, travaillé en collaboration avec nous, mais pas en confidence. Les ministres des finances de l'Ecofin n'ont connu la nature de ses interventions qu'après avoir terminé leurs travaux et élaboré leur communiqué. Il s'agit du fonctionnement logique de la BCE en l'état du Traité. Et elle a déterminé son calendrier d'intervention pour venir en soutien des pays fragiles de façon à être le plus efficace possible vis-à-vis des opérateurs et du marché.
Avant de céder la parole à mes collègues, je me permets, madame la ministre, de vous poser une dernière question, relative au rang des créanciers portant assistance à un État défaillant. Le Fonds monétaire international – FMI – est traité comme un créancier prioritaire. En revanche, les États ne semblent bénéficier d'aucun privilège les distinguant des institutions de crédit privées. Au-delà du cas du FMI, pouvez-vous nous indiquer comment serait défini le rang de priorité des autres créanciers ?
Pour ce qui est des remboursements dus par un pays en défaut, il est exact que le FMI, en tant qu'organisme international, bénéficie, de plein droit, d'un rang prioritaire - c'est d'ordre international public. Les États prêteurs sont, eux, considérés comme des créanciers ordinaires, au même titre que les créanciers de droit privé. Ceci n'est d'ailleurs pas surprenant : octroyer le statut de créancier privilégié aux États prêteurs dans le cadre d'un plan de soutien amènerait les financeurs privés à se retirer du risque pour se porter sur un autre.
À l'occasion du débat que nous avons eu la semaine dernière, les membres du groupe SRC ont appelé de leurs voeux la création d'un fonds de stabilisation susceptible d'intervenir dans des conditions plus efficaces que celles envisagées par le dispositif intergouvernemental mis en place. On ne peut donc que saluer la décision qui a finalement été prise. Par ailleurs, il est satisfaisant de constater que la Banque centrale européenne, la BCE, s'autorise enfin à faire ce que fait toute banque centrale. Cela démontre qu'il convient de progresser dans l'union monétaire et que les crises, en tant que révélateurs des dysfonctionnements institutionnels, peuvent être l'occasion d'améliorer les dispositifs existants.
Madame la ministre, je souhaite vous poser quelques questions. En premier lieu, j'ai cru comprendre que le dispositif de soutien financier envisagé n'avait qu'un caractère temporaire. Or les crises sont récurrentes. D'autre part, on ignore toujours le niveau des taux d'intérêt qui vont servir de base à l'intervention. Lorsque la Federal Reserve américaine intervient, elle le fait à un taux d'intérêt connu, ce qui donne des indications aux marchés.
Par ailleurs, quid des politiques menées parallèlement à ces interventions ? Je pense qu'il existe un risque réel que les gouvernements européens mènent des politiques de rigueur excessives. Les différents plans annoncés au niveau national font peser un risque sur la croissance ce qui, à terme, irait à l'encontre de l'objectif d'assainissement des finances publiques.
Enfin, il faudrait s'assurer que les banques ne soient pas systématiquement les grandes gagnantes des crises. Elles l'ont été après la crise de 2008 : les pouvoirs publics leur ont, légitimement, porté assistance, mais celle-ci s'est effectuée sans contrepartie, les maigres avancées obtenues en matière de régulation tardant à se concrétiser. Elles sont de nouveau gagnantes aujourd'hui : en effet, avec l'intervention des gouvernements pour consolider la situation des États en difficulté, les banques ont l'assurance d'être remboursées. Des contreparties sont donc nécessaires. Le groupe SRC, pour sa part, avait ainsi proposé une augmentation du taux de l'impôt sur les sociétés applicable aux banques.
À la différence de ce qu'a affirmé le Président de notre commission, tout le monde n'est pas satisfait ! Madame la ministre, vous avez affirmé, à l'occasion d'un entretien accordé à un grand quotidien, que les décisions prises étaient « historiques ». Je suis en effet convaincu que vous avez franchi un grand pas… celui qui mène au-dessus du gouffre ! Ainsi que l'a rappelé notre collègue Pierre-Alain Muet, les banques sont toujours gagnantes tandis que les peuples doivent supporter des plans d'austérité. Il est très rare que nos concitoyens s'expriment sur de tels sujets. Or on sent poindre une grande inquiétude dans la population. Car nos concitoyens ont parfaitement compris que ce sont toujours les mêmes qui bénéficient de l'assistance des pouvoirs publics et que, parallèlement, ce sont toujours les mêmes qui sont mis à contribution. Je partage l'analyse de Pierre-Alain Muet quant à l'effet sur la croissance des plans de rigueur envisagés. Madame la ministre, vous ignorez les risques de déflagration sociale que ces politiques nourrissent. Je me rendrai d'ailleurs à Athènes afin d'établir des relations de solidarité avec le peuple grec et d'organiser la résistance à ce système. Enfin, je suis convaincu que l'on est passé de l'attaque sur les marchés, avec la crise des subprimes, à l'attaque sur les États, la couverture que vous offrez s'analysant comme une assurance tous risques au bénéfice des marchés qui perpétue leur fonctionnement actuel, déstabilise les économies nationales, et met en péril les équilibres mondiaux.
Cher Jean-Pierre Brard, il me semblait avoir dit que nous étions « majoritairement » favorables aux décisions prises !
Avant de donner la parole à notre collègue Michel Bouvard, je souhaiterais reprendre la question posée par le Rapporteur général Gilles Carrez concernant la déclaration faite par un commissaire européen, lequel se proposait de confier à la Commission européenne le soin de « recaler », le cas échéant, des budgets nationaux. On peut certes envisager que la Commission harmonise certains paramètres tels que les prévisions d'inflation, de parité euro-dollar ou d'évolution du prix du baril de brut de façon à ce que les budgets nationaux soient établis selon des hypothèses cohérentes, sinon identiques. Toutefois, la possibilité qui serait offerte à la Commission de « recaler » ces budgets me semble aller au-delà des missions et fonctions dévolues à celle-ci.
Je tiens à vous remercier, madame la ministre, pour la part que vous avez prise dans la conclusion de cet accord. Ces événements montrent par ailleurs que la France a un rôle important à jouer au niveau européen. Je me réjouis également des décisions prises concernant les agences de notation. Quant à leur attitude, elle peut rester déroutante. Les récentes déclarations de l'agence Moody's sur l'éventuelle rétrogradation des obligations de la Grèce au rang de junk bonds sont incompréhensibles ! Qu'est-ce qui pourrait justifier une telle décision alors qu'un plan de soutien a été annoncé et que le gouvernement grec s'apprête à mener une politique d'austérité ? Cela pose clairement le problème de l'organisation du marché des agences de notation, structuré en oligopole. Par ailleurs, cela conduit à s'interroger sur la création d'une agence européenne de notation. Quel est l'état de la réflexion sur ce point ?
Je souhaiterais également savoir comment progresse le dossier relatif aux produits dérivés, aux CDS. S'achemine-t-on vers une réglementation encadrée au niveau communautaire ou au niveau de l'Eurogroupe, envisage-t-on leur interdiction pure et simple ?
Enfin, quant à la position de la BCE, je constate que l'on est rattrapé par les insuffisances du traité de Maastricht en matière de gouvernance économique, que ce soit au niveau de l'Union européenne, de la zone euro ou concernant le statut de la BCE. Peut-être en tirerons-nous les conclusions ultérieurement. Dans l'immédiat, se pose le problème de la politique monétaire à conduire dans les mois et les années à venir. Ainsi que l'évoquait notre collègue Pierre-Alain Muet, il y a un premier risque qui pèse sur la croissance : celui de plans d'austérité trop rigoureux qui mèneraient à une situation analogue à celle des États-Unis dans les années 1930 ou du Japon dans les années 1990. L'autre risque est celui d'une contraction trop rapide de la masse monétaire. Or celle-ci a explosé ! La BCE envisage-t-elle, aujourd'hui, de mener une politique spécifique en la matière, sachant qu'une diminution de la masse monétaire va s'avérer nécessaire à terme ? La BCE a-t-elle l'intention de mener une telle politique de manière coordonnée avec les États membres ou envisage-t-elle de faire cavalier seul ?
Quel serait, madame la ministre, l'impact des engagements français sur nos déficits maastrichtien et budgétaire ? Par ailleurs, pouvez-vous nous apporter des précisions quant au durcissement des sanctions envisagées à l'encontre des pays par trop laxistes en matière de finances publiques ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer comment notre pays compte se conformer aux critères de Maastricht d'ici à 2013 alors que les efforts récemment annoncés par le Premier ministre sont sans commune mesure avec les économies à réaliser pour ce faire, puisqu'on peut les évaluer à près de 100 milliards d'euros !
L'idée de voir repousser par la Commission les projets de budget de certains États membres me paraît excessive. Par contre, si on prévoit, dans le cadre d'une intégration plus solide, une gouvernance économique accrue et une convergence des politiques économiques plus poussée et réellement mise en oeuvre, il serait souhaitable que les Parlements des États membres s'approprient le programme de stabilité et le votent. Ce n'est pas une doctrine établie, c'est simplement mon point de vue personnel.
La Constitution a été modifiée en 2008 pour y introduire la possibilité de voter une loi de programmation pluriannuelle : il serait intéressant de lier cet examen avec celui du programme de stabilité, les deux faisant l'objet d'un vote solennel ; l'examen de ces deux textes ensemble serait plus constructif que notre actuel débat d'orientation budgétaire et pourrait le remplacer. Il y a là une piste à explorer qui améliorerait significativement notre gouvernance. Une loi organique serait nécessaire pour cela.
Je voudrais dire, toujours à titre personnel, qu'il pourrait être envisagé à certaines conditions que les États membres soumettent leur projet de budget aux membres du Conseil réunis en Eurogroupe, dans la mesure où la structure de ce dernier serait renforcée, afin de recueillir un avis des autres membres participant à la même zone monétaire, sans qu'il soit question de « retoquer » un budget.
Ce sujet très important fait l'objet de débats au niveau européen et, au niveau national, des arbitrages seront rendus dans la perspective de la conférence des finances publiques qui se réunit le 20 mai. Il y aura des avancées sur ces points.
L'on peut se demander en effet s'il ne serait pas souhaitable de coupler en début de législature l'examen du pacte de stabilité et celui de l'évolution du redressement de nos finances publiques. Cela aurait beaucoup de vertu et serait une marque de bon fonctionnement démocratique.
Il est incontestable qu'aujourd'hui, la coordination des objectifs européens de maîtrise des dépenses publiques et des déficits publics a un impact sur la croissance de la zone euro comme sur la gestion directe et même la souveraineté de chacun des pays. La coordination des positions franco-allemandes a été très importante.
Il faudra assurément gravir quelques marches supplémentaires tant au plan national qu'européen.
Quant aux agences de notation, il en existe une centaine à travers le monde, or trois seulement sont en permanences citées et référencées, Standard and Poors, Moody's et Fitch ratings. Cela constitue un petit oligopole qui se partage un grand marché, avec des conséquences indirectes énormes. Il serait souhaitable de bénéficier d'un organisme indépendant autre, qui utiliserait des indices qui sont publics et construirait un indice des notations – dont les plus basses et les plus hautes seraient retirées –, agrégées de manière indépendante. Disposant déjà d'un arsenal de données et d'informations, il serait un outil utile et une quatrième voix. Par contre, mettre en place une agence publique me laisse dubitative. Cela ne me semble pas une bonne solution car on mélangerait contrôleur et contrôlé, notateur et noté.
Pour les CDS et l'ensemble des produits dérivés, il faut en venir à la transparence, à l'identification des montants, des parties et des contreparties, il faut être informé des évolutions de ce marché, pour le moins. Le commissaire européen au marché intérieur s'est engagé à présenter un texte sur ces questions au mois de juin, ce qui montre sa réactivité, indispensable car il y a grande urgence à adopter un texte.
Sur le rôle de la BCE dans la définition de la politique monétaire, il faut rappeler qu'elle n'est pas seule à la définir, qu'elle le fait avec l'ensemble des gouverneurs des banques centrales des États de la zone euro. Les débats sont animés, ce qui laisse supposer que la révision des dogmes sera douloureuse à l'aune de la crise que l'on traverse. Mais ce n'est pas la Banque centrale seule qui doit évoluer.
Le mécanisme du Fonds de stabilisation est fait pour consentir de la garantie pendant trois années mais cela ne préjuge pas de la maturité des produits souscrits et émis et des garanties fournies : les outils mis en place ne sont donc pas limités dans le temps.
La question des taux d'intérêt n'a pas été réglée dans la nuit mais l'indication en sera bientôt donnée aux marchés. En ce qui concerne les politiques de redressement des finances publiques, si l'on veut plus de gouvernance économique en conservant la zone euro dans sa configuration actuelle, il faudra que des efforts soient faits dans les deux sens et que notamment les États en déficit budgétaire grave et en déficit de compétitivité, au-delà des effets conjoncturels de la crise, se rapprochent en priorité de ceux qui sont en « excédent » de compétitivité.
Il y a unanimité pour souhaiter une accélération de la régulation des marchés financiers. Le président américain et son administration sont dorénavant déterminés à faire aboutir les textes de régulation des marchés financiers américains – ils sont en avance sur nous en ce qui concerne les CDS et les chambres de compensation. Il serait souhaitable d'aller plus vite mais il nous faut passer par des processus à maturation lente pour aboutir à des mécanismes régionaux, voire mondiaux, effectifs.
La question de la taxation des banques sera certainement abordée à nouveau. Le FMI a présenté différentes options. La France, un peu isolée, a souhaité inscrire ce sujet à l'ordre du jour du G20 et nous espérons que certains pays, comme le Canada, l'Australie et le Japon nous rejoindront dans cette initiative.
Je suis, à titre personnel, favorable à un élargissement du Pacte de stabilité et de croissance pour y inclure des éléments tels que la compétitivité et les progressions de croissance et également pour l'enrichir de mécanismes d'alerte et de sanction crédibles.
Je précise que le mécanisme mis en place n'a pas d'impact sur le déficit au sens de Maastricht et n'en n'a pas non plus sur le déficit budgétaire tant qu'on n'est pas appelé en garantie. Facialement, c'est un élément de dégradation des ratios néanmoins. Ce qui ramène à la question des agences de notation. Une agence publique, est-ce la bonne réponse ? Ne serait-ce pas ajouter un pouvoir à d'autres pouvoirs plutôt qu'un contre pouvoir ?
Dans la mise en place de ce mécanisme, quelle est la part de l'intergouvernemental et celle de l'Europe proprement dite ? Quel est le pouvoir de décision de la Commission européenne dans la gestion de ce Fonds de stabilisation européen ? Quelle sera la place de l'Eurogroupe entre l'Ecofin et le Fonds de stabilisation ? En ce qui concerne les CDS, où en est-on de la standardisation des produits dérivés et sur la mise en place des chambres de compensation ? Enfin, pour les programmes de stabilité, peut-on concevoir, comme cela a déjà été évoqué, une coordination plus forte des rapporteurs généraux du budget et du Parlement européen ?
La Grande-Bretagne a-t-elle invoqué une raison autre que sa non-participation à la zone euro pour ne pas participer au Fonds de stabilisation ? Le difficile sujet de la gouvernance économique a-t-il été évoqué et de quelle manière ?
Quelle est la dette en euros portée par les établissements britanniques ? Ne vont-ils « pas siphonner » l'aide que l'on apporte à travers ce plan d'urgence ? Comment vérifier que les fonds levés, qui sont extrêmement importants, ne le sont pas auprès d'établissements qui ont participé à des attaques spéculatives contre les États ?
Vous avez évoqué la question de l'harmonisation économique par l'harmonisation sociale. Quels moyens va-t-on prendre pour réduire les disparités entre les différents pays de la zone euro et aller vers cette harmonisation ? On entend dire que des établissements français auraient acheté de la dette souveraine grecque à moins 50 %. Si cela est exact, quelles seront les sanctions prises à l'encontre de ces établissements ?
Le Fonds de stabilisation, c'est clairement de l'intergouvernemental : il s'agit d'un accord entre seize pays et deux pays non membres de l'Eurogroupe ont manifesté leur volonté d'y participer. La Commission est chargée de faire des propositions pour que l'intergouvernemental puisse se prononcer sur la mécanique du Fonds de stabilité. L'Eurogroupe est en charge de la gestion du Fonds sur la base d'un texte intergouvernemental et non dans le cadre du conseil Ecofin.
Cela nous conduit à nous demander s'il ne serait pas efficace que les Chefs d'État et de gouvernement de l'Eurogroupe se réunissent régulièrement à l'avenir.
La position de la Grande Bretagne est traditionnellement de garder toutes les options ouvertes.
La manière dont il faut faire converger davantage les politiques économiques à l'avenir doit faire l'objet de réflexions approfondies et sera l'occasion d'ouvrir une nouvelle page de l'histoire européenne.
La charge qui résultera de ces mesures dépendra de l'importance des fonds levés. Il convient d'espérer que, comme cela a été le cas avec la SFEF, on ne sera pas obligé d'en lever beaucoup.
Pour ce qui est de la sélection des établissements bancaires dans le cadre d'une levée de fonds, je précise que les établissements français n'effectuent plus aucune opération avec les paradis fiscaux. En revanche, il n'est pas possible de savoir s'ils ont participé à des opérations d'achat sur de la dette grecque « discountée » la semaine dernière.
J'ai l'habitude de ne pas mettre les malheurs de mon pays voire de l'euro à l'aune de mes espérances. Les difficultés subies aujourd'hui et les mesures prises sont dans la logique du système de l'euro. Mais il faudra changer les règles de fonctionnement de la banque centrale car je suis certain que la monétisation de la dette sera indispensable. Les besoins seront supérieurs à 750 milliards d'euros. Mais le système est lui-même problématique : c'est celui de la perte de compétitivité des « maillons faibles » de la zone euro.
On peut constater de grandes similitudes entre la situation aujourd'hui et celle qui a résulté il y a quelques mois de la crise des subprimes. Comment la ministre entend-elle associer la commission des Finances et le groupe de travail sur la crise financière créé en novembre 2008 ? Le Parlement doit être étroitement associé aux décisions et ne pas se contenter de voter des mesures en urgence. Il serait d'ailleurs souhaitable d'auditionner les représentants des banques françaises dont certaines se sont largement engagées sur la dette grecque.
Enfin, on a découvert récemment les caractéristiques des CDS, mais avez-vous des éléments d'information sur la manière dont ils évoluent ? Ils ont joué un rôle important tant dans la crise des subprimes qu'aujourd'hui dans la crise de la dette des États souverains.
La création évoquée par certains d'une agence européenne du Trésor, chargée d'émettre des bons souverains ou de prêter aux États européens, ne pourrait-elle pas constituer une solution ?
Si je ne partage pas les convictions de M. Myard, il est certain que le débat qu'il soulève va se poursuivre à l'avenir.
Il est souhaitable d'inclure les commissions des finances dans le processus de traitement de cette crise. Naturellement, j'informerai la Commission des finances chaque fois que la situation l'exigera et notamment tous les trois mois sur le suivi du plan grec.
Je rends hommage aux deux assemblées françaises pour la rapidité avec laquelle elles se sont mobilisées, tant dans le cas de la SFEF que dans le cas de la crise grecque, pour pouvoir adopter les mesures nécessaires.
Il faut faire progresser très rapidement la législation européenne pour réglementer les produits dérivés. En France, une chambre de compensation, dont j'ai encouragé sans relâche la création depuis deux ans, a enfin été mise en place le 28 mars.
Il n'est pas certain que l'audition par la Commission des finances des banques qui ont acheté de la dette grecque nous apprenne grand chose. En revanche, comme pour la crise des subprimes et la crise financière qui a suivi, les présidents et les rapporteurs généraux des deux commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat pourraient les rencontrer et faire rapport des informations recueillies. Ce sont des modalités à discuter avec le Rapporteur général.
Madame le ministre, monsieur le ministre, je vous remercie.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 11 mai 2010 à 12 h 30
Présents. - M. Gérard Bapt, M. Xavier Bertrand, M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Jérôme Cahuzac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Jean-Yves Cousin, M. Jean-Claude Flory, M. Marc Francina, M. Daniel Garrigue, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. François Goulard, Mme Arlette Grosskost, M. David Habib, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Hervé Mariton, M. Patrice Martin-Lalande, Mme Marie-Anne Montchamp, M. Pierre-Alain Muet, M. Henri Nayrou, M. Nicolas Perruchot, M. Camille de Rocca Serra, M. François Scellier, Mme Isabelle Vasseur, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. Dominique Baert, M. Bernard Carayon, M. Victorin Lurel
Assistait également à la réunion. - M. Jacques Myard