COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 10 février 2010
La séance est ouverte à dix heures.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)
La Commission des affaires sociales examine, sur le rapport de M. Bernard Perrut, la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie (n° 2225).
Notre commission se trouve aujourd'hui saisie, en deuxième lecture, de cette proposition de loi, qu'elle avait discutée en première lecture il y a une année – à un jour près ! –, après son dépôt par quatre députés issus de chacun des groupes politiques de l'Assemblée nationale : MM. Jean Leonetti (UMP), Gaëtan Gorce (SRC), Olivier Jardé (NC) et Michel Vaxès (GDR).
Cette initiative avait suivi la publication du rapport de la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, présenté par M. Jean Leonetti, rapport qui s'était prononcé en faveur de l'institution d'un dispositif prévoyant la rémunération de la période d'accompagnement. Je veux ici saluer la qualité de ce travail, qui a largement inspiré la présente proposition de loi.
Après la création, par la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d'accès aux soins palliatifs, d'un congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie, cette proposition de loi a pour objet principal l'institution d'une allocation destinée à compenser la perte de revenus liée à l'accompagnement d'un parent ou d'un proche durant un tel congé. Elle s'inspire d'ailleurs d'exemples déjà existants, en France, notamment à Paris, comme à l'étranger, en Belgique ou au Canada par exemple.
Je ne reviendrai pas sur le contexte de la préparation de cette proposition de loi, que nous avions longuement détaillé au cours de la première lecture l'année dernière, mais vous rappellerai les principaux éléments qui l'ont motivée :
– d'abord, la nécessité de prévoir des dispositifs pour l'accompagnement des personnes en fin de vie. Cette motivation est évidemment au coeur de notre démarche : faciliter le travail d'accompagnement des proches d'une personne en fin de vie, c'est-à-dire, en quelque sorte, « accompagner l'accompagnement », comme je l'avais indiqué en première lecture. Nous avons tous présent à l'esprit l'enjeu humain, déterminant, « l'expérience qui par essence ne se partage pas », pour reprendre l'expression du rapport de la mission Leonetti ;
– ensuite, ce texte est très concrètement destiné à répondre aux nombreuses difficultés liées à l'existence de situations trop inégales : certaines personnes ont la possibilité de s'arrêter de travailler pour accompagner un malade en fin de vie, tandis que d'autres, faute de moyens matériels suffisants, se voient au mieux contraintes de demander un arrêt maladie, au pire, sont entièrement démunies pour l'accompagnement de leurs proches en fin de vie ;
– il faut mentionner également, j'avais eu l'occasion d'insister sur ce point, la nécessité de favoriser l'accompagnement à domicile des personnes en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable : l'hospitalisation à domicile est en effet encore très insuffisamment développée en France. Il existe en effet un véritable écart entre, d'une part, ce que le comité national de suivi du développement des soins palliatifs a appelé une « carence des soins palliatifs hors établissements de santé », et, d'autre part, les attentes de nos concitoyens, puisque 80 % d'entre eux déclarent vouloir mourir chez eux, alors que, dans les faits, c'est le cas pour seulement 25 % des Français actuellement ;
– enfin, la nécessité de prévoir un dispositif cohérent, composé à la fois du congé et de l'allocation qui en assure, en partie au moins, le financement, dispositif qui soit applicable dans les mêmes conditions aux salariés de droit privé et aux fonctionnaires.
La discussion au Sénat n'a pas conduit à une remise en cause de l'économie générale du texte tel qu'il avait été défini à l'Assemblée nationale. Celui-ci a été au contraire conforté ou amélioré.
L'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie sera versée aux personnes procédant à l'accompagnement à domicile d'un proche en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause.
Sont concernés les ascendants, descendants, frères, soeurs ou personnes partageant le domicile d'un proche qui l'accompagnent ainsi que, aux termes de la lecture au Sénat, j'y reviendrai, la « personne de confiance » désignée par la personne en fin de vie.
La personne accompagnant le malade devra avoir suspendu son activité professionnelle.
L'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie sera versée dans la limite d'une durée maximale de trois semaines. Son montant devrait être égal à celui de l'allocation journalière de présence parentale, soit 49 euros par jour. Le texte de la proposition de loi prévoit que l'allocation cesse d'être due à compter du jour suivant le décès de la personne accompagnée.
Les principaux apports issus de la discussion de la proposition de loi par l'Assemblée nationale ont été confirmés par le Sénat. J'en rappellerai simplement quelques-uns :
– la notion de « personne » avait été substituée à celle de « patient » ;
– la condition de « partage d'un même domicile » avait été assouplie, de manière à ce que soient prises en considération les différentes situations d'accompagnement, au domicile de l'accompagnant comme au domicile de la personne accompagnée ;
– une précision relative à la condition de suspension de l'activité professionnelle avait été apportée, de sorte que celle-ci doive être respectée quelle que soit la profession exercée par la personne accompagnante.
Par ailleurs, le principe selon lequel le versement de l'allocation se poursuit, même si la personne accompagnée, initialement à son domicile, se voit contrainte d'être hospitalisée, a aussi été confirmé par le Sénat.
A été de même conservée la reprise dans le présent dispositif de la définition de la fin de vie, telle qu'elle figure dans la loi du 22 avril 2005.
Le Sénat a aussi adopté sans modification l'article 4 de la proposition de loi, qu'il m'avait semblé indispensable de prévoir, à savoir la remise par le gouvernement, chaque année avant le 31 décembre, d'un rapport aux commissions parlementaires compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, portant sur le versement de l'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, mais aussi, plus généralement, sur l'application de la politique de développement des soins palliatifs à domicile, tant ceux-ci sont indissociables de l'accompagnement en fin de vie.
Le principe du financement de l'allocation par le régime d'assurance maladie, qui avait résulté de l'adoption, par l'Assemblée nationale, d'un amendement du gouvernement au cours de la séance publique, de même que celui de l'ouverture de la possibilité du fractionnement du congé de solidarité familiale, ont également été réaffirmés – et précisés – par le Sénat.
Je rappelle que, selon les estimations du gouvernement, 100 000 personnes étant aujourd'hui prises en charge par le dispositif de soins palliatifs, dont 25 % à domicile, on peut estimer que, si 80 % des familles concernées ont recours à cette allocation, son coût annuel sera d'environ 20 millions d'euros appelés à financer 20 000 allocations par an.
Dans le même temps, le Sénat a, il faut le reconnaître, enrichi la proposition de loi, en la complétant sur les différents points suivants :
– l'extension du bénéfice de l'allocation ainsi que des dispositions du congé de solidarité familiale à la « personne de confiance », entendue au sens du code de la santé publique, à savoir la personne désignée par un malade pour être consultée au cas où lui-même serait hors d'état d'exprimer sa volonté et qui peut l'accompagner dans ses démarches. Il s'agit là d'une évolution très positive ;
– l'ouverture de la possibilité, déjà évoquée lors des débats à l'Assemblée nationale, de l'attribution de l'allocation à plusieurs bénéficiaires, au titre d'un même patient ;
– la précision, bien normale, selon laquelle l'allocation peut être versée aux personnes transformant leur congé de solidarité en une période d'activité à temps partiel ;
– la fixation du régime de non-cumul de la nouvelle allocation avec d'autres prestations ayant également pour objet de compenser la perte de ressources liée à l'absence d'activité professionnelle (indemnisation des congés de maternité ou paternité, des congés de maladie ou d'accident du travail, etc.) ;
– la sécurisation du régime de protection sociale des personnes bénéficiaires du congé, à la fois pendant le congé et au moment de leur reprise d'activité ;
– l'harmonisation systématique des modalités de mise en oeuvre du congé de solidarité familiale, entre le régime applicable aux salariés et celui qui prévaut pour les fonctionnaires et les militaires, qu'il s'agisse de la définition de la personne en fin de vie reprise de la loi du 22 avril 2005, de la généralisation du droit de renouveler une fois le congé de trois mois, de la possibilité du fractionnement du congé et de la possibilité de transformer le congé en période d'activité à temps partiel.
Je précise que le Sénat a par ailleurs – outre l'adoption conforme de l'article 4 précité, relatif à l'évaluation de la loi – confirmé la suppression de l'article 5 de la proposition de loi, qui était l'article de gage.
Au final, le texte issu de l'ensemble de ces travaux est équilibré et constitue, à mon sens, un socle solide pour la mise en oeuvre de l'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie ainsi que celle du congé de solidarité familiale, en quelque sorte renouvelé.
C'est pourquoi je vous propose que nous puissions adopter la présente proposition de loi sans modifications, de manière à ce qu'elle s'applique le plus rapidement possible.
Il sera donc indispensable que les décrets d'application soient publiés dans les meilleurs délais, ces différentes dispositions étant très attendues.
Je conclurai en redisant, comme j'avais eu l'occasion de le faire pour le débat en première lecture, mon entier soutien, que je crois partagé ici par tous, à cette initiative essentielle, mais en rappelant aussi qu'elle constitue une étape vers l'adoption par le législateur d'un dispositif d'attribution plus systématique de cette allocation.
Comme vous le savez, cette proposition de loi ne s'applique pas aux proches qui accompagnent des malades dans les hôpitaux ou les établissements spécialisés, alors que seules 25 % des personnes prises en charge par les soins palliatifs sont à domicile.
Or, comme nous l'avions déjà souligné, ceux-ci accomplissent souvent de longs trajets, chaque jour, susceptibles d'entraîner des frais importants. Certains, compte tenu des distances kilométriques les séparant de leur domicile, doivent se loger à l'hôtel. Tout cela est à l'origine de situations souvent difficiles, voire dramatiques.
C'est pourquoi il serait opportun d'étendre, lorsque nous le pourrons, le bénéfice de l'allocation à toute personne dont la présence est considérée comme « une exigence » pour un accompagnement digne, quel qu'en soit le lieu.
Le franchissement de cette nouvelle étape devra être envisagé, à plus ou moins long terme, par le législateur, conformément à notre devoir d'humanité et de solidarité à tous, sur cette question essentielle et délicate que constitue la fin de vie.
Pourriez-vous confirmer, monsieur le rapporteur, que l'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie sera bien versée en cas d'hospitalisation à domicile ?
L'année dernière, j'ai choisi, avec le groupe SRC, de voter en faveur de ce texte, qui marque selon moi de réelles avancées. Depuis, j'ai été interpellée de nombreuses fois sur ces questions. Comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, ce n'est qu'un début. Nous savons que le développement des soins palliatifs à domicile est aujourd'hui insuffisant. Il faut aller plus loin.
Par ailleurs, il me semble qu'il y a une contradiction entre la limitation à 21 jours de la durée maximale de versement de la prestation, et la durée du congé, de trois mois, au demeurant renouvelable une fois.
Si je me réjouis de l'élargissement du champ des bénéficiaires du congé aux « personnes de confiance », je regrette en revanche l'arrêt du versement de l'allocation dès le lendemain du décès de la personne accompagnée.
Il me semblerait aussi pertinent de préciser que le rapport annuel sur le versement de l'allocation soit remis au Parlement avant le début de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin de mieux éclairer les débats.
Enfin, on ne peut que déplorer le temps requis pour la discussion de cette proposition de loi, plus d'une année, lorsque des textes de détricotage du droit social passent parfois en deux mois…
Pour les personnes qui travaillent à temps partiel, et dont la durée d'indemnisation pourrait de ce fait excéder 21 jours, ne faudra-t-il pas imaginer, d'une manière ou d'une autre, un encadrement de cette durée d'indemnisation, de manière à éviter la mise en place d'une forme d'usine à gaz, compte tenu de la diversité des situations qui pourront se présenter ?
Je souhaite simplement saluer cette initiative, qui permettra de soutenir les familles qui s'investissent considérablement auprès de leurs proches en fin de vie, et je me réjouis de l'introduction des personnes de confiance dans le champ des bénéficiaires de l'allocation. Quant au régime de non cumul de l'allocation avec d'autres prestations, il précise fort à propos une modalité importante d'application de ce texte.
Je me réjouis également de la prise en compte de la personne de confiance. Cependant, je regrette que ce texte, pourtant marqué par un grand souci d'humanité, soit un peu affaibli par le choix de l'échéance du versement de l'allocation, au jour suivant le décès de la personne accompagnée. Un prolongement de l'allocation jusqu'au jour de l'enterrement de la personne décédée aurait-il été si coûteux ? Par ailleurs, cette proposition de loi constitue une étape, et demandera à être complétée, pourquoi pas par l'institution de congés au profit des enfants de parents âgés.
Tout comme Dominique Dord, je souhaiterais simplement souligner le risque de complexité dans la mise en oeuvre de ce texte, après son passage au Sénat.
Je sais que nous avons tous ici la volonté de voir cette loi appliquée au plus vite. Cependant, il aurait été pertinent de discuter plus avant la question de la date de l'arrêt du versement de l'allocation – immédiatement après le décès de la personne accompagnée –, élément qui me semble un peu choquant.
Je souhaiterais que le rapporteur précise en quoi consiste exactement la « solidarité familiale », citée à plusieurs reprises dans le texte de la proposition de loi.
Vous avez parlé, monsieur le rapporteur, d'étape à propos de ce texte. Je vous rejoins sur ce point, et souhaiterais attirer l'attention de mes collègues sur le développement nécessaire de la proximologie, afin de mieux cerner le rôle et la place des proches des personnes malades.
J'approuve, tout comme le rapporteur, les modifications apportées par le Sénat. Je souhaite également que les décrets viennent préciser au plus vite l'application des dispositions de la loi, une fois promulguée, après un an de discussion. Du reste, cette année aura été marquée par deux avancées non négligeables : d'une part, la création d'un Observatoire de la fin de vie, réclamé par les associations et par la mission d'évaluation de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie ; d'autre part, la modification du code de déontologie médicale, obligeant désormais le médecin, en cas d'arrêt d'un traitement « de survie », à mettre en place un traitement sédatif et antalgique.
Je souhaite féliciter le rapporteur pour la qualité de son travail et insister sur la nécessité d'appliquer ce texte au plus vite. Quant à l'interruption du versement de l'allocation au lendemain du décès de la personne accompagnée, j'ajoute qu'il fallait trouver une limite, et que celle-ci me semble la plus raisonnable.
On peut s'interroger sur le point de savoir quels seront les rapports entre la personne de confiance, incluse dans les bénéficiaires de l'allocation aux termes de la lecture au Sénat, et l'équipe soignante.
Pour répondre à une première interrogation, j'indique il n'y a pas a priori de restriction du versement de l'allocation d'accompagnement, quelles que soient les modalités de la prise en charge à domicile. Le problème spécifique de l'hospitalisation à domicile n'ayant cependant pas été soulevé expressément au cours de la discussion du texte, le gouvernement pourra nous éclairer sur ce point à l'occasion de la séance publique.
Concernant la date d'interruption du versement de l'allocation d'accompagnement, qui a fait l'objet de nombreuses remarques, je rappelle que la création de cette allocation vise avant tout à soutenir le financement de l'accompagnement que l'on peut dire actif des personnes en fin de vie. C'est pour cette raison que la date du décès de la personne accompagnée a été retenue, ce qui permet de cibler l'effort financier.
Par ailleurs, une remise du rapport au Parlement prévu à l'article 4 de la proposition de loi avant le début de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale serait en effet très opportune, pour une meilleure information de la représentation nationale.
Certains d'entre vous ont souligné le risque de complexité du dispositif applicable aux personnes travaillant à temps partiel, issu de la rédaction adoptée par le Sénat. C'est un point que j'ai évoqué avec le cabinet de la ministre de la santé et des sports. Afin d'éviter ces difficultés de gestion, un décret viendra encadrer les conditions du versement de l'allocation, en fonction des différents cas de figure.
Il est vrai que la solidarité familiale est une valeur essentielle : elle est comprise, aux termes du présent texte, dans une acception large, car nous y incluons les personnes de confiance au sens du code de la santé publique. La solidarité familiale constitue de fait le socle de cette proposition de loi. Il est de même essentiel d'insister sur l'importance de la proximologie, compte tenu, en particulier, du développement actuel des maladies de longue durée.
Enfin, vous avez évoqué la nécessité d'une application rapide de ce texte. C'est un point sur lequel nous devons faire preuve de la plus grande vigilance, car il s'agit d'un enjeu important pour les accompagnants comme pour leurs proches.
Une dernière question : dans quelle mesure la perception de l'allocation pourra-t-elle être combinée avec celle du revenu de solidarité active ?
Aucune règle particulière n'est prévue par le présent texte. L'allocation pourra donc être cumulée avec le revenu de solidarité active selon les règles de droit commun.
Nous passons maintenant à l'examen des articles de la proposition de loi. Aucun amendement n'a été déposé.
Article 1er : Création d'une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie
La Commission adopte l'article 1er sans modification.
Article 1er bis : Couverture sociale des personnes en congé de solidarité familiale
La Commission adopte l'article 1er bis sans modification.
Article 2 : Champ des bénéficiaires du congé de solidarité familiale
La Commission adopte l'article 2 sans modification.
Article 2 bis : Extension aux fonctionnaires et aux militaires du droit au renouvellement du congé de solidarité familiale
La Commission adopte l'article 2 bis sans modification.
Article 2 ter : Fractionnement du congé de solidarité familiale
La Commission adopte l'article 2 ter sans modification.
Article 3 : Dénomination commune du congé de solidarité familiale – Transformation du congé d'accompagnement en période d'activité à temps partiel
La Commission adopte l'article 3 sans modification.
Puis la Commission adopte l'ensemble de la proposition de loi sans modification.
La Commission des affaires sociales a désigné M. Bernard Perrut rapporteur sur la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie (n° 2225).
La Commission des affaires sociales a désigné M. Jean-Luc Préel rapporteur sur la proposition de résolution de MM. Jean-Christophe Largarde, Jean-Luc Préel et Maurice Leroy, tendant à la création d’une commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A (H1N1) (n° 2214).
Le président Pierre Méhaignerie a rappelé les règles applicables en matière de présence en commission le mercredi matin. Les excuses doivent :
– parvenir par écrit (mèl, télécopie, courrier) au secrétariat de la commission, les excuses par téléphone ne sont plus recevables.
– comporter le motif de l’absence (les motifs retenus par le Bureau sont les suivants : participation aux travaux d’une assemblée internationale, d’une commission spéciale ou d’une autre commission, maladie, accident, évènement familial grave, empêchement insurmontable) ; le secrétariat enverra un mèl demandant des précisions si l’excuse initiale n’est pas motivée ;
– parvenir avant la réunion de la commission, puisque la liste des présents et des excusés est transmise à la Division des affaires communes et des scrutins (DACS) pour publication au JO dès la fin de la commission ;
Mme Martine Carrillon-Couvreur a réitéré ses remarques de la veille sur le fait que la commission ne se soit saisie pour avis, ni de la proposition de loi de M. Warsmann de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, ni de celle de M. Leonetti relative à l’organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de sociétés.
S’agissant de la première proposition de loi, le président Pierre Méhaignerie a rappelé que sa discussion coïncidait avec la période où la commission était accaparée par la discussion du projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les autres commissions concernées par certaines dispositions se sont trouvées dans le même cas, même si la commission des finances s’est saisie dans des délais très courts. Il reste persuadé que, en ce domaine, la meilleure formule réside dans la création d’une commission spéciale.
A propos de sa proposition de loi, M. Jean Leonetti a indiqué que les questions de sociétés touchent à des domaines très variés qui concernent peu ou prou la plupart des commissions. Le renvoi à la commission des lois s’explique par le fait que celle-ci est compétente en matière d’organisation du débat public.
La séance est levée à dix heures quarante-cinq.
COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 10 février 2010
La séance est ouverte à dix heures quarante-cinq.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)
La Commission des affaires sociales entend M. Alain Grimfeld, pressenti pour être reconduit à la présidence du Comité consultatif d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.
La fonction de président du Comité consultatif national d'éthique fait partie des trois fonctions, énumérées par le projet de loi organique de mise en oeuvre de l'article 13 de la Constitution, sur lesquelles l'avis des commissions des affaires sociales des deux Assemblées sera recueilli à l'avenir, les deux autres étant celle de directeur général de Pôle Emploi et de président du collège de la Haute Autorité de santé.
Bien que la loi organique et la loi ordinaire qui lui est liée ne soient pas encore entrées en vigueur, le Sénat devant les examiner en deuxième lecture, il a été décidé, en accord avec le Gouvernement, que les personnes concernées soient néanmoins entendues par les commissions compétentes. En revanche, la loi n'étant pas promulguée, il n'y aura pas de vote à l'issue de l'audition.
Les travaux du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé ont connu une évolution au cours des deux dernières années, grâce non pas à mon unique volonté – ce serait à la fois prétentieux et faux de le prétendre –, mais également à celle d'autres membres. J'emploie à dessein le terme d'évolution, car parler de changement ou de réforme serait désobligeant vis-à-vis de nos prédécesseurs.
Après que le décret du 23 février 1983 créant le Comité eut attribué à celui-ci la « mission de donner son avis sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la recherche dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, que ces problèmes concernent l'homme, des groupes sociaux ou la société tout entière », l'évolution s'est d'abord traduite dans les textes avec la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Celle-ci a, en effet, donné au Comité la mission de donner des avis non seulement sur les problèmes éthiques soulevés par les progrès de la connaissance, mais également sur les questions de société que ces progrès peuvent poser.
S'agissant de l'éthique tout d'abord, si sa définition est propre à chacun et dépend de l'évolution même de la société, au moins peut-on s'accorder sur le fait qu'il s'agit de l'exercice d'une morale active qui évolue entre compassion et raison. À cet égard, le terme « morale active » signifie que le Comité n'a pas pour objet de créer un cercle de grands penseurs aux dépens de tout autre intérêt pour la société. Telle est l'idée qui a présidé à la création puis à l'évolution du Comité, dont la composition demeure inchangée depuis 1983 et sa première présidence confiée au professeur Jean Bernard.
La fécondation in vitro et ses premiers résultats avec la naissance en France d'Amandine avaient fait prendre conscience à cette époque que l'on abordait là des questions qui touchaient à l'évolution de l'espèce humaine et qu'il convenait peut-être de réfléchir aux conséquences des progrès de la biologie sur l'avenir de notre espèce.
Le Comité, que je préside depuis février 2008 – fonction que je considère comme un aboutissement de vie plutôt que comme un couronnement de carrière – est une autorité indépendante, qui repose sur trois instances : un comité plénier, instance délibérative majeure qui se réunit mensuellement pour débattre des avis en cours ; une section technique et des groupes de travail.
La section technique est l'organe d'instruction des saisines, sachant que le Comité peut soit être saisi par des organes gouvernementaux ou des organismes représentatifs de la Nation tels que les associations ou les grands organismes de recherche, soit s'autosaisir de toute question posée par un citoyen qu'il considère comme pertinente. Ce pouvoir d'auto-saisine souligne d'ailleurs le caractère démocratique du fonctionnement du Comité. Lorsque la question l'impose, un groupe de travail la traite avant qu'une navette entre ce dernier et la section technique permette de parvenir à un texte suffisamment abouti pour être présenté en comité plénier.
Les travaux du Comité font par ailleurs l'objet d'une évaluation, démarche souvent évoquée dans ce pays mais assez peu pratiquée – je peux en témoigner en ma qualité d'ancien professeur de médecine en pédiatrie. Nous sommes pour notre part évalués sur la base des indicateurs de performance du programme budgétaire 308 « Protection des droits et libertés », qui regroupe depuis 2009 les crédits de plusieurs autorités administratives indépendantes et dont l'objectif n° 2 précise que le Comité aura « rempli sa mission dès lors que ses avis ont suscité un débat, soit au sein de la représentation nationale et des administrations concernées par son domaine de réflexion, soit dans la communauté professionnelle de la science et de la santé, soit plus largement encore dans la société civile en raison des échos que les médias leur ont donnés ». Il s'agit là encore d'une évolution des missions du Comité qui, en entrant dans le XXIème siècle, s'est sécularisé. Loin d'être introverti, il doit, pour être utile, évoluer avec la société.
En 2008, le fonctionnement de cette autorité administrative indépendante, dont le budget est contrôlé par les services financiers du Premier ministre, a rencontré quelques difficultés administratives, dues notamment à des retards dans les nominations de son président et de certains de ses membres. Certes, d'autres autorités ont connu des problèmes similaires, mais le Comité étant une instance de réflexion, utilisée à cet effet notamment par les parlementaires, ces difficultés ont obéré de fait son activité. Il a pu cependant mener à bien sa politique volontariste d'ouverture sur le plan national et international.
Sur le plan national, il a rendu un avis n° 104, relatif au « dossier médical personnel » et à l'informatisation des données de santé, à la suite d'une saisine de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, concernant « les mesures concrètes susceptibles de concilier la nécessité d'un accès des acteurs de soin aux informations qui s'y trouvent consignées avec le droit du patient de garder le contrôle de leur diffusion. » Le Comité a opté pour le volontarisme dans la mise en place du dossier, particulièrement lorsqu'il s'agit de maladies chroniques.
De même, il a rendu un avis n° 105relatif aux États généraux de bioéthique, qui devaient se tenir jusqu'à juin 2009, le Premier ministre, M. François Fillon, l'ayant saisi afin d'identifier « les problèmes philosophiques et les interrogations éthiques que suscite ce rendez-vous, en indiquant les questions qui méritent d'être débattues et en rendant compte de la complexité de ces questions ». Cet avis a constitué pour nous une sorte de feuille de route concernant nos relations avec nos partenaires que sont l'Agence de la biomédecine, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et le Conseil d'État, en vue du réexamen et, éventuellement, de la révision de la loi de 2004 relative à la bioéthique.
Enfin, le Comité a, comme chaque année, organisé les « Journées annuelles d'éthique » les 25 et 26 novembre. Dans notre souci de communication et de sécularisation de nos travaux, ces Journées nous permettent, dans le cadre des universités Paris V ou Paris VI qui nous accueillent, de débattre avec les citoyens.
Sur le plan international, le Comité a organisé, en partenariat avec l'Organisation mondiale de la santé d'une part, le septième sommet mondial des comités nationaux d'éthique qui a réuni, les 1er et 2 septembre 2008, trente-cinq pays, d'autre part, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le sommet européen des comités d'éthique, les 22 et 23 novembre. Dans les deux cas, il est apparu que le Comité français, premier du genre à avoir été créé dans le monde, est très respecté et regardé comme un modèle à imiter, notamment en Allemagne et au Royaume Uni.
Toujours en 2008, le Comité a mené une politique d'ouverture en direction des régions en collaborant avec toutes les structures ayant reçu le label « Espace éthique régional ».
Il a poursuivi ses actions en 2009 en cherchant à participer de manière effective, c'est-à-dire efficace sur le plan théorique et efficiente sur le plan pratique, à la révision de la loi de bioéthique. Nous avons également cru bon de nous saisir d'une actualité brûlante en rendant l'avis n° 106 relatif aux questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale.
Concernant la bioéthique, il a d'abord émis un avis n° 107 relatif aux problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals, qui a fait débat concernant le diagnostic préimplantatoire (DPI) que nous avons considéré comme éthiquement acceptable s'agissant du dépistage de la trisomie 21, cela non dans une perspective d'eugénisme, mais pour éviter aux mères de se trouver tardivement confrontées au choix d'une interruption médicale de grossesse.
L'autre avis rendu dans le même domaine, en réponse à une saisine de M. le député Jean Leonetti « sur la question de savoir comment mettre en place un système de financement des soins, qui évite l'obstination déraisonnable proscrite par l'article L. 1110-5 du code de la santé publique et facilite les soins palliatifs », est le n° 108 relatif aux questions éthiques liées au développement et au financement des soins palliatifs. Il ne s'agissait évidemment pas pour nous de proposer un système financier, car ce n'est pas notre rôle. En revanche, nous avons estimé – ce qui était sinon original du moins conforme à l'évolution de notre société – qu'au-delà des aspects techniques et financiers non seulement de la prise en charge des soins palliatifs mais également de celle des soins médicaux en général, il convenait de privilégier l'écoute et l'accompagnement des personnes, ce qui n'est en définitive qu'un retour à la médecine du serment d'Hippocrate.
Au total, le Comité a émis cinq avis en 2008 et 2009, quand ses homologues étrangers n'en rendent qu'un ou un et demi par an.
Le Comité sollicite aussi la jeunesse, notamment les lycéens, également dans le cadre des Journées annuelles d'éthique, non par démagogie mais pour profiter de la grande maturité de ces jeunes qui travaillent beaucoup, avec leurs professeurs, à la préparation de ces Journées.
Sur le plan international, le Comité a participé, en mars 2009 à Prague, au forum des Conseils nationaux d'éthique européens et, en septembre, à celui de Stockholm, enfin en décembre à la réunion trilatérale de Berlin réunissant l'Allemagne, la France et le Royaume Uni.
Pour 2010, les perspectives de travail concernent d'abord le réexamen de la loi relative à la bioéthique, toujours en liaison avec l'Agence de la biomédecine, l'Office parlementaire et le Conseil d'État, s'agissant plus particulièrement de la recherche sur l'embryon humain in vitro, sur la gestation pour autrui et sur la communication scientifique – car nous voulons communiquer avec les citoyens. À cet égard, nos avis seront bientôt publiés sur ces trois sujets, ainsi que sur deux autres : l'assistance à la procréation médicale post mortem et le don d'organes. Sont également envisagées de nouvelles autosaisines portant sur les relations, d'une part, entre la bioéthique et les neurosciences, d'autre part entre la bioéthique et la biodiversité.
En vue d'actions nationales et internationales, le Comité entend développer de nouvelles collaborations avec d'autres partenaires, dont la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), la Haute Autorité de santé (HAS), le Conseil national de l'Ordre des médecins, le Médiateur de la République, le Conseil national du SIDA, la COMEX qui dépend du CNRS, le Comité étant par ailleurs associé aux travaux de l'Unesco par l'intermédiaire du Comité intergouvernemental de bioéthique et de la Commission française.
Enfin, des projets citoyens seront mis en oeuvre en coopération avec les Espaces éthiques régionaux ou interrégionaux, afin de constituer avec eux un réseau et de poursuivre la réflexion avec les lycéens et les étudiants en sciences du vivant, et pas seulement en médecine. La préparation des Journée annuelles d'éthique commencera par une journée régionale d'éthique à Brive, en partenariat avec le Centre hospitalier universitaire de Limoges.
Sur le plan international, le Comité participera au prochain forum européen à Madrid en mars, au huitième sommet mondial des comités nationaux d'éthique à Singapour en juillet et organisera le prochain séminaire trilatéral avec l'Allemagne et le Royaume-Uni à Paris en décembre.
Les réflexions du président du Comité rejoignent les nôtres. Le Comité n'est pas une assemblée de Sages parlant de philosophie sans vision pratique. Traiter de l'éthique, c'est aborder des situations concrètes sous un angle moral, ce qui constitue une approche à la fois inconfortable et indispensable, qui doit évoluer d'abord en s'appuyant sur des réseaux, tel celui des Espaces éthiques régionaux. On attend d'ailleurs toujours la publication des décrets d'application instaurant ces derniers, alors que leur réseau est nécessaire si l'on ne veut pas qu'un comité d'éthique « parisien » décide seul de la morale publique.
Les États généraux de la bioéthique de février, qui avaient pour objet de préparer la révision de la loi de bioéthique de 2004, ont montré, suite à l'expérience accumulée par le Comité dans ses rencontres avec les jeunes, que, contrairement à ce que l'on peut entendre, non seulement les jeunes Français reçoivent une éducation fondée sur les principes forts de solidarité, de dignité de la personne, de non-marchandisation du corps, mais que leurs inclinations, loin d'être individualistes et égoïstes, manifestent une stabilité de nos valeurs républicaines.
Les conférences citoyennes, organisées dans le cadre des États généraux avec l'aide du Comité, ont permis à des panels de 15 à 20 personnes, représentatives de la société civile, de discuter avec des experts de situations complexes sur le plan scientifique puis d'émettre des avis qui, au bout du compte, diffèrent peu de ceux donnés par le Comité. Cette expérience montre que l'éthique doit imprégner toute la société française et c'est dans cet esprit qu'a été examinée par la Commission des lois de notre Assemblée une proposition de loi faisant en sorte que, lorsque le législateur s'empare d'un débat sur le plan éthique ou sociétal à l'initiative du Comité, il prenne en compte l'existence de tels États généraux qui permettent de s'extraire de ces deux logiques médiatiques violentes que sont, d'une part, le sondage d'opinion – qui ne traduit qu'un état d'esprit à un instant t et non une réflexion aboutie – et, d'autre part, l'action des lobbies qui, bien que légitimes, ne représentent pas pour autant l'ensemble de la population. On observe que cette dernière témoigne d'une grande stabilité, comme l'ont montré les débats relatifs à l'anonymat du don de gamètes, à la procréation médicale assistée ou à la recherche sur l'embryon.
Une démocratie qui débat à partir d'une méthodologie rigoureuse est un élément rassurant pour le législateur, sachant que cette méthodologie repose sur un échange permanent entre le Comité, qui doit accroître son réseau de discussion, et la population par l'intermédiaire d'un débat citoyen qui doit s'organiser de manière beaucoup plus scientifique, car le social est aussi une science.
C'est un bonheur pour moi de penser qu'Alain Grimfeld puisse être reconduit à la tête du Comité. Son expérience de pédiatre et la passion qui l'anime me paraissent importantes au moment où l'embryon se trouve au coeur des débats éthiques.
Autoriser la recherche d'une trisomie 21 à l'occasion d'un diagnostic préimplantatoire me semble légitime, puisque le diagnostic de cette maladie par échographie ou par dosage des marqueurs sanguins permet, après une amniocentèse, le recours à une interruption médicale de grossesse. Cette autorisation n'ouvre-t-elle pas cependant la voie à l'établissement d'une carte génétique de l'embryon, dont l'objectif serait de détecter d'autres anomalies avant son implantation ? Cette question va, à n'en pas douter, nourrir les débats des prochaines années.
Le sang du cordon ombilical sera-t-il utilisé pour constituer une banque de cellules à la disposition du nouveau-né ou sera-t-il mis – un échantillon de cellules étant seulement gardé pour lui – à la disposition de la collectivité ?
J'en viens au secret médical dû à l'enfant. Dans le cas d'adultes, le secret médical est habituellement gardé. En revanche, les parents n'hésitent pas toujours à faire savoir aux proches que le petit garçon qui vient de naître présente une anomalie au niveau de l'organe génital par exemple. Ce garçon, parvenu à l'adolescence, n'appréciera pas forcément que cette information ait été divulguée. Il me paraît important d'insister sur le secret médical dû à l'enfant.
J'ai apprécié, monsieur Grimfeld, que vous ayez qualifié votre nomination à la tête du Comité d'« aboutissement de vie » plutôt que de « couronnement de carrière ». C'est à mes yeux une précision importante.
Compte tenu de l'indépendance et du regard critique du Comité sur les questions de société qui se posent, ses avis sont précieux pour les parlementaires. Ces derniers peuvent ainsi se forger une opinion sur différents sujets : n'ayant pas pour ma part la prétention de tout connaître, vos travaux sont, pour moi, une source importante de connaissance.
Enfin, je salue les différents moyens que vous mettez en oeuvre pour informer les citoyens et pour leur permettre, même en l'absence de formation scientifique spécialisée, d'acquérir des connaissances fondamentales sur des sujets qui les préoccupent.
Une fois paru le décret concernant les Espaces éthiques régionaux, comment voyez-vous l'articulation entre ces derniers et le Comité consultatif national au sein d'un réseau de bioéthique ?
La proposition de loi de Jean Leonetti, que nous allons prochainement examiner, tend à confier au Comité l'organisation du débat public sous forme d'États généraux sur les problèmes éthiques et les questions de société. Êtes-vous prêt à organiser de tels forums ? Cela constitue-t-il une nouvelle étape pour le Comité ? Enfin, quelles relations entretenez-vous avec la Commission nationale du débat public, qui organise des débats concernant les nanotechnologies ?
L'Agence de la biomédecine, créée par la loi de bioéthique de 2004, rend, à propos des protocoles de recherche qui lui sont soumis, des avis qui ne peuvent être déconnectés d'une réflexion éthique. Quelles relations entretenez-vous avec elle ? Des progrès sont-ils souhaitables en la matière ?
Je vous remercie, monsieur Grimfeld, d'avoir insisté sur l'importance de la relation humaine dans l'exercice de la médecine. À une époque où celle-ci devient de plus en plus scientifique et où l'on rationalise les dépenses de santé, il est important de rappeler la nécessité d'un apprentissage en ce domaine pendant les années d'études.
S'agissant de la grippe A (H1N1), pouvez-vous nous rappeler l'avis rendu par le Comité en la matière ?
Vous avez par ailleurs parlé de débats avec les citoyens. Comment les rencontrez-vous, sachant que ceux auxquels vous participez à Paris ont lieu en milieu universitaire ?
Le dépistage de la trisomie 21 à l'occasion d'un dépistage préimplantatoire a fait l'objet de nombreux débats au sein de la mission d'information sur la révision des lois bioéthiques. Le fait que 96 % des femmes choisissent l'avortement médical, lorsque la maladie est diagnostiquée lors d'un contrôle prénatal, milite en sa faveur. Mais un tel dépistage sera-t-il étendu à d'autres anomalies chromosomiques au fur et à mesure qu'on saura les diagnostiquer ? Cela pose un problème de fond, et une réflexion s'impose sur une pratique qui est entrée dans les moeurs sans que l'on y réfléchisse vraiment.
Je vous remercie, monsieur Grimfeld, d'être venu devant notre commission présenter un bilan de l'activité du Comité et dresser des perspectives pour l'avenir.
Il existe, dans la mécanique même du comité d'éthique, une tension dialectique entre intention normative et intention régulatrice. Certains sujets réclamant plus de norme que de régulation et d'autres l'inverse, le point de vue du législateur est parfois en décalage avec les avis du Comité. La question du dépistage de la trisomie 21 à l'occasion d'un diagnostic préimplantatoire en est un bon exemple. Personne ne peut soupçonner le Comité d'être un club d'eugénistes mais l'introduction, dans la liste des maladies génétiquement transmissibles dépistées, d'une maladie génétique non transmissible relève plus d'une ouverture de brèche que d'une question de régulation. Cela pose, de mon point de vue, un problème.
Ma première question reprend celle de Xavier Breton : comment allez-vous prendre en compte la proposition de loi dont nous débattrons la semaine prochaine s'agissant de l'organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société ?
Le Comité a rendu un avis sur les nanotechnologies. Le sujet est très compliqué : certaines implications posent des problèmes éthiques, d'autres non. Avez-vous prévu de revenir sur le sujet ? Si oui, sous quelle forme et selon quel calendrier ?
Au début de la mission d'information sur la révision des lois bioéthiques, il avait été envisagé, à l'instar de ce qui se fait aux États-Unis, d'inclure les questions environnementales à la réflexion bioéthique. La mission a pris le parti de les écarter de son champ d'investigation et je crois qu'elle a bien fait. Viendra cependant un moment où il faudra également les prendre en compte. Quelle est votre position à ce sujet ?
L'implication des sciences de la vie et de la santé sur le monde du travail et, en particulier, sur deux thèmes qui sont chers à notre commission, la santé au travail et la prévention des risques psycho-sociaux, doit être également étudiée. Menez-vous également des réflexions sur ce point ?
Je vous remercie également, monsieur Grimfeld, d'être venu nous éclairer sur des sujets éminemment complexes, qui suscitent plus de doutes que de certitudes et sur lesquels les clivages dépassent la droite et la gauche.
Grenoble est une terre de science et de recherche en nano-, micro- et biotechnologies. Mais, chaque fois que notre communauté d'agglomération propose d'aider cette recherche, cela suscite une levée de bouclier citoyenne. Nos concitoyens sont très méfiants vis-à-vis de ces nouvelles technologies, qui constituent pourtant un progrès certain pour la science et la médecine. Les mêmes craintes vis-à-vis du progrès sont-elles exprimées lors des débats citoyens que vous organisez ? Et quelles réponses les élus que nous sommes peuvent apporter ?
Quand un sujet soulevant un problème moral arrive devant notre Assemblée, nous avons des difficultés à le régler et les oppositions dépassent souvent, comme Michel Issindou l'a souligné, les clivages traditionnels. Il n'est pas facile de trancher entre le droit de l'enfant, le droit à l'enfant, le droit de la maman, etc.
Il serait intéressant d'avoir avec le Comité un rendez-vous régulier, annuel par exemple, comme nous en avons avec d'autres institutions, comme la Cour des comptes. Nos débats y gagneraient en clarté et nos positions en solidité. Qu'en pensez-vous ?
Je tiens, tout d'abord à saluer, monsieur Grimfeld, la dimension humaine de vos propos. C'est une caractéristique remarquable qu'il m'est agréable de souligner.
La mission du Comité est de réunir, dans une construction équilibrée et harmonieuse, science, connaissance et ressenti de nos concitoyens. Il est important pour vous de savoir comment ces derniers perçoivent les sujets sur lesquels vous êtes conduit à donner un avis. Cette ouverture est intéressante, mais les travaux du Comité ne sont pas que l'aboutissement d'une concertation. Ils nous servent de référence dans nos travaux. C'est pourquoi, comme Dominique Dord, il me semblerait bon de nous appuyer plus régulièrement sur vos réflexions.
Votre démarche sur le plan international est enrichissante. Cependant, ne présente-t-elle pas un risque d'harmonisation des positions, voire de standardisation, pouvant aller à l'encontre de nos intérêts, de notre éthique et de notre culture nationale ?
L'introduction de la trisomie 21 dans la liste des maladies dépistées à l'occasion d'un diagnostic préimplantatoire ouvre, certes, une brèche mais ce dépistage me paraît tout à fait normal : d'une part, les personnes porteuses d'anomalies génétiques – même non exprimées – sont écartées des panels de dons de gamètes ; d'autre part, le parcours de procréation médicalement assistée est suffisamment douloureux pour les parents souffrant d'infertilité pour leur éviter une vie tout aussi douloureuse après l'arrivée de l'enfant.
Les panels de citoyens regroupent-ils des personnes uniquement de plus de dix-huit ans ? Il est important d'entendre des enfants conçus par dons de gamètes ou par fécondation in vitro dès lors que les parents les ont informés des conditions de leur conception.
Reprenant la question de Rémi Delatte, je la formulerai différemment : quels enseignements peut-on tirer des autres comités d'éthique étrangers sur le choix de leurs thèmes de réflexion et sur les conclusions auxquelles ils aboutissent ?
Je répondrai aux questions en les regroupant par thème, en vous remerciant à nouveau de l'échange que vous me permettez d'avoir avec vous.
La sollicitation du citoyen n'est pas du tout de la démagogie. C'est une action qui nous tient à coeur. L'avenir du Comité consultatif national d'éthique en dépend d'ailleurs. L'époque est terminée où nous réfléchissions entre nous. Si nous nous enfermions dans ce type de fonctionnement, nous ne serions plus utiles et n'aurions plus aucune raison d'être financés par le denier public.
Entrer dans le XXIèmesiècle signifie informer le citoyen honnêtement, selon l'acception du XVIIIème siècle du terme, c'est-à-dire l'informer de manière transparente. Le mot « honnête » ayant été galvaudé, il convient de le redéfinir. « Informer honnêtement » signifie avoir un dialogue ouvert et compréhensible par chacun des citoyens de notre pays et non avoir un dialogue ésotérique uniquement compréhensible par les médecins, les philosophes ou les sociologues.
L'information du citoyen, monsieur Colombier, est une déclinaison de la sollicitation du citoyen évoquée par Jean Leonetti. Le Comité va d'ailleurs publier un avis sur la communication scientifique aux citoyens. C'est un sujet éminemment complexe car il concerne toutes les sources d'information, y compris celles qui ne sont pas contrôlées par des organismes honnêtes. À cet égard, ne pas s'entretenir de manière permanente avec le citoyen laisserait ce dernier livré à toutes sortes d'informations, y compris erronées comme sur Internet, lesquelles nourrissent ensuite les lobbies et les actions activistes et éloignent le citoyen d'un minimum de vérité sur les sciences de la vie et de la santé.
Le sujet « Gène et éthique » constitue une problématique essentielle, madame Antier. Je prendrai deux exemples qui le montrent et qui sont parfaitement accessibles aux citoyens. C'est d'ailleurs dans cet esprit – ayant moi-même besoin de savoir de quoi parle le physicien quand il me parle de physique – qu'au sein des autres comités que j'ai l'honneur de présider les spécialistes parlent d'une manière compréhensible pour tous.
Premier exemple et premier principe à retenir : la génétique n'est pas tout. Le génome humain n'est pas un mur de briques inamovibles. C'est quelque chose qui vit. Dans le cas de la mucoviscidose par exemple, l'évolution de la maladie peut, pour une transmission identique et un même génotype, être extrêmement différente d'un sujet à l'autre, des facteurs associés étant susceptibles de la modifier dans un sens ou dans un autre.
Si, un jour, on établissait – à Dieu ne plaise – un diagnostic génétique de l'enfant à naître, cela ne signifierait pas pour autant que le destin de celui-ci serait programmé. Pour un même génome, les évolutions seront différentes, notamment en ce qui concerne l'épigénétique – mon second exemple.
La préservation de la vie passe par la préservation de l'acide ribonucléique – ARN – et de l'acide désoxyribonucléique – ADN. Mais, pour un ADN donné, l'environnement exerce, tout au long de notre vie après la sortie du ventre de notre mère, des influences qui se répercutent jusqu'au niveau moléculaire à l'intérieur de la mécanique cellulaire. Par conséquent, dire que notre destin est programmé par notre génome à la naissance est faux. Celui-ci subira des modifications en fonction de notre environnement.
C'est un élément qu'il faut enseigner aux citoyens. Ils doivent savoir que notre génome ne prédit pas notre destin.
Les modèles présidant à la mise en place du réseau en médecine fonctionnant rarement, ils ne peuvent donc être utilisés pour la constitution d'un réseau d'Espaces éthiques régionaux. Nous comptons nous appuyer à cet effet, monsieur Breton, sur les structures déjà mises en place à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ainsi qu'à Strasbourg, Lyon, Amiens, Marseille, Rennes et Brest. Nous nous sommes déplacés pour rencontrer les personnes qui ont oeuvré pour le rapprochement des universités afin que, dans un premier temps, les universitaires collaborent puis, dans un second temps, coopèrent au sein d'un espace éthique – ce qui n'a pas été simple. Toutes sont prêtes à constituer des espaces de réflexion éthique régionaux et souhaitent ardemment la création d'un tel réseau.
La réflexion éthique nécessitant un débat contradictoire permanent, elle ne peut être directive. Le Comité participera à la mise en place, avec des gens qui sont déjà prêts et qui ne demandent que cela, d'un réseau évolutif qui essaiera d'agir en temps réel. Il ne s'agit pas pour lui de piloter ou de diriger un tel réseau. Ce serait ridicule.
Quant à l'institution d'un rendez-vous annuel entre votre commission et le Comité, nous ne demandons pas mieux. Nous sommes une autorité indépendante dont la mission est de réfléchir à des problèmes de fond. Comme je le disais en aparté à l'un de vos collègues : « utilisez-nous ! » – sachant surtout que nos avis n'ont pas force de loi.
Le Comité entretient de très bonnes relations sur le plan organique et organisationnel avec la Commission nationale du débat public. Cette dernière dispose de prérogatives et de compétences que nous n'avons pas. Nous travaillons en collaboration, et j'ai déjà rencontré à plusieurs reprises M. Bergougnoux qui préside la commission particulière du débat public sur les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies.
Dès le début de nos mandats respectifs, Mme Emmanuelle Prada-Bordenave – directrice générale de l'Agence de la biomédecine – et moi-même nous sommes rencontrés. Certains auraient voulu que les relations entre l'Agence et le Comité ne soient pas bonnes et que le conseil d'orientation de la première supplante le second, mais nous ne faisons pas le même travail. Celui du Comité est complémentaire de celui de l'Agence, qu'il se situe en amont ou, comme il est proposé dans la proposition de loi qui, je l'espère, deviendra loi, en aval des actions de l'Agence.
Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, M. Sadek Beloucif, président du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, et moi-même sommes d'accord pour considérer que l'évaluation doit être réalisée en collaboration avec le Comité. Ce dernier ne va pas se transformer en institut de contrôle même si le fait de se situer également en aval des actions menées par l'Agence le mettra en position d'évaluer les conséquences éventuelles, positives d'abord, de ces actions.
Les relations humaines, madame Génisson, ont pour moi toujours tenu la première place. Ma vocation pour la médecine m'est venue à l'âge de huit ans par admiration pour un grand-oncle médecin généraliste dans le XXèmearrondissement et par le choc causé par le retour des camps de certaines personnes. Je ferme la parenthèse.
L'avis du Comité sur la grippe A (H1N1) ne tendait pas à se substituer aux décisions logistiques mises en place par des organismes habilités. Il insistait sur le fait, d'une part, que ce n'est pas parce que l'on met en place des structures techniques que tout est résolu et, d'autre part, que la mise en place de ces dernières nécessitait l'intervention des citoyens.
Cela étant, il s'agissait d'une pandémie et non d'une épidémie. La pandémie relève de la responsabilité de l'Organisation mondiale de la santé, qui agit en collaboration avec chacun des gouvernements des pays concernés, tandis que l'épidémie n'appelle pas de mesures particulières, comme chaque année pour la grippe saisonnière.
À côté de l'intervention éthique de l'Organisation mondiale, la pandémie réclamait, pour les aspects locaux, la participation des citoyens. Il n'est plus question de réfléchir à leur place et de leur dire qu'on prend la meilleure décision pour eux, sans pour autant tomber dans la démagogie. Les citoyens, qu'ils soient ouvriers ou couverts de diplômes, que je rencontre en région nous demandent, à nous comme à vous, mesdames et messieurs les parlementaires, d'intervenir de manière honnête chacun dans notre domaine.
La trisomie 21 est un cas particulier puisque son dépistage par échographie ou par dosage des marqueurs sanguins est réalisé au-delà du délai autorisé pour l'interruption volontaire de grossesse – à la quinzième, seizième ou dix-septième semaine – et que le recours à l'interruption médicale de grossesse, en cas de diagnostic de cette maladie, est possible jusqu'à la fin de la grossesse. C'est pourquoi le Comité a donné un avis favorable pour la recherche d'une trisomie 21 à l'occasion d'un diagnostic préimplantatoire. Compte tenu du fait que le nombre de cas est très limité et que la mère qui a recours aux techniques de procréation médicalement assistée suit déjà un véritable parcours du combattant, il nous a paru souhaitable de lui éviter d'avoir à procéder à ce diagnostic au cours de sa grossesse avec le risque de devoir opter pour une interruption médicale de grossesse.
On pourrait également envisager de dépister la trisomie 18, elle aussi très dommageable pour l'avenir de l'enfant.
Nous ne voulons pas, monsieur Poisson, que le Comité se transforme en organisme normatif. Il n'est pas question que nous nous substituions aux parlementaires. Ce serait absurde.
En bioéthique, le débat sera constant car il devra prendre en compte l'évolution des connaissances qui, dans le domaine de la biologie humaine, est exponentielle. Être normatif pour le Comité serait comme réviser les lois tous les cinq ans seulement pour le Parlement. Ce n'est plus possible. Si une grande découverte intervient, il serait absurde d'attendre cinq ans pour en examiner les conséquences. Les normes doivent être évolutives.
Il est clair que le métier de médecin devient plus compliqué qu'avant. En 1850, les études de médecine valaient pour toute la vie. En 2010, le médecin est obligé de se tenir constamment au courant de l'évolution des connaissances à l'intérieur de sa spécialité – et je ne parle pas de la médecine générale ou de la pédiatrie. Certains médecins disent de leur métier que ce n'est pas une profession mais toute une vie. Ils ont raison.
Il n'existe pas en France de liste énumérant les conséquences des diagnostics préimplantatoires ou prénataux. C'est volontaire. S'il y avait une liste, il n'y aurait plus de débat et la porte serait fermée à toute évolution des connaissances.
Le Comité a prévu de réfléchir à nouveau à la question des nanotechnologies sous l'angle de leurs aspects intrusifs. Quand ont lieu des irruptions volcaniques, des nanoparticules sont produites naturellement, que l'on pourrait qualifier de nanoparticules déchets. Quand des nanoparticules sont produites intentionnellement, comme c'est le cas dans la recherche médicale pour leurs effets intrusifs, la question est naturellement différente : comme elles sont, par définition, à l'échelle du nanomètre, elles passent la barrière hématoméningée, ce qu'aucun médicament ne peut faire actuellement. Dans le traitement des leucémies, nous avons besoin d'envoyer des médicaments dans les régions intrathécales, ce qui oblige à faire des ponctions lombaires. Les nanoparticules produites intentionnellement pourront, demain, être utilisées.
Les citoyens doivent être informés de cet aspect intrusif et savoir quels progrès cela permet. Là encore moins qu'ailleurs, on ne peut leur demander de ne pas s'en inquiéter parce que nous réfléchirions pour eux.
Le sujet « Bioéthique et biodiversité » est majeur. Il est traité en Allemagne et aux Etats-Unis, mais pas encore en France. Cependant, c'est une problématique qui me préoccupe car je travaille en santé et environnement, domaine qui me passionne et dont j'ai déjà montré l'importance en parlant des effets de l'environnement sur l'épigénétique et sur le métabolisme de l'individu au niveau de la mécanique cellulaire.
Le fait de susciter plus de doutes que de certitudes est le propre, monsieur Issindou, de la discussion éthique et du débat contradictoire. Si les scientifiques avaient des certitudes, d'une part, ils ne seraient pas des scientifiques, d'autre part, ils ne rechercheraient plus. D'ailleurs la culture de l'incertitude et la culture de la complexité vont devoir faire partie également de la réflexion de chaque citoyen. La biologie humaine est complexe. Elle ne répond pas uniquement au principe pasteurien d'« une cause, un effet ». Elle suit également ceux de « plusieurs causes, un effet » ou d'« une cause, plusieurs effets ». La prise de décision en situation d'incertitude devra faire partie du quotidien de chaque citoyen quand celui-ci comprendra que la vie n'est pas univectorielle. Elle n'a pas une direction et un sens mais plusieurs directions et plusieurs sens dans chacune de ces directions.
Concernant la notion de progrès, je me référerai à l'analyse qu'en fait M. Amartya Sen, prix Nobel d'économie 1998. Pour lui, cette notion doit être revisitée. Au progrès économique doit être associé le progrès humain induit par ce progrès économique car le développement d'un pays tient tout autant, sinon plus, au développement de sa population qu'à celui de son économie.
Concilier morale et politique est souvent difficile, monsieur Dord. Si les comités scientifiques dont je fais partie considèrent de leur devoir d'informer et de donner des conseils aux politiques, jamais ils ne se permettraient de prendre des décisions politiques. C'est une séparation très saine entre évaluateurs et opérateurs. C'est aux parlementaires qu'il revient, munis des réflexions éthiques menées sur les sujets en débat, de prendre les décisions politiques.
Si tout le monde est d'accord pour instituer un rendez-vous annuel entre votre commission et le Comité, je puis vous assurer que tous les membres de ce dernier en seraient à la fois ravis et honorés, car ils n'ont d'autre souhait que d'être utiles.
Nos démarches au niveau international, monsieur Delatte, ne courent aucun risque d'aboutir à une standardisation. Ce ne sont ni les statistiques, ni les sondages qui nous intéressent quand nous travaillons avec nos collègues étrangers. Ce sont leurs réflexions éthiques et la démarche qu'ils ont suivie. Nous cherchons, non pas le consensus, mais la convergence. Nous souhaitons savoir pourquoi ils autorisent la gestation pour autrui ou la recherche sur l'embryon humain in vitro et connaître la démarche qui les a conduits à autoriser ces pratiques.
C'est pourquoi je refuserai toujours que les avis du Comité soient accompagnés de la publication des votes intervenus pour leur établissement. Si j'étais contraint de le faire, je me limiterais à indiquer que tout le monde n'était pas d'accord mais qu'une majorité s'est dégagée dans tel ou tel sens. L'évaluation des avis du Comité en fonction du pourcentage de votes pour et de votes contre serait la négation même du principe de débat contradictoire et donc de la justification de l'existence d'un comité d'éthique : chacun viendrait avec ses idées, les exposerait puis repartirait après avoir voté sans débattre. Ce n'est pas possible.
J'espère, madame Lemorton, qu'avec la mise en place d'un réseau réunissant les Espaces éthiques régionaux et le Comité national, nous n'aurons plus à constituer des panels de citoyens. C'est un point de vue qui se discute mais, s'il existe un réseau, on ne va pas à côté former et organiser en jurys citoyens des gens qui réfléchissent depuis cinq, dix, voire quinze ans sur des questions d'éthique, soit à titre de spécialiste, soit à titre personnel pour y être confrontés dans leur famille. Nous avons été frappés par la maturité de réflexion des personnes que nous avons rencontrées, y compris chez les lycéens. Ce qui me semble pertinent, en revanche, c'est de préciser le vocabulaire. Parmi les diagnostics anté-nataux, que signifie diagnostic préimplantatoire ou diagnostic prénatal ? Comment sont-ils réalisés ? Quelles conséquences peut-il en découler sur le plan éthique ? Si l'on ne s'entend pas sur les termes, c'est la Tour de Babel. On ne se comprend pas. S'il existe un réseau, la réflexion éthique sera permanente et n'aura pas lieu seulement par à-coups.
J'habite un petit village de 2 454 habitants en Seine-et-Marne dont le maire s'intéresse beaucoup au rapport santé-environnement. Quand il organise des réunions, la salle est comble. Il n'a pas besoin de constituer des jurys citoyens. Les gens n'attendent qu'à être sollicités pour donner leur avis.
Enfin, pour répondre à votre question, monsieur le président, ce qui nous intéresse, au sein des forums européens des comités nationaux d'éthique, c'est, comme je l'ai déjà indiqué, de savoir comment les autres comités sont arrivés aux résultats qu'ils affichent et de connaître la démarche qu'ils ont suivie.
Nous voyons bien maintenant quelle est la ligne directrice de votre action et je vous en remercie.
(La séance est levée à douze heures trente.)