Audition, commune avec la commission chargée des affaires européennes, de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
La séance est ouverte à seize heures trente.
Le Président Pierre Lequiller. Nous sommes très heureux de vous recevoir, Madame le ministre, dans le contexte économique actuel, tant européen qu'international.
Nous vous demanderons bien sûr de dresser un bilan du récent G 20 de Pittsburgh. Des progrès incontestables y ont été accomplis mais des lacunes demeurent aussi. Les questions monétaires, notamment, n'y ont pas été du tout abordées. Nous souhaiterions également que vous fassiez le point sur la nouvelle architecture de supervision financière mise en place au niveau européen, avec la création d'un Conseil européen du risque systémique et d'un Système européen de surveillance financière en remplacement des trois comités sectoriels actuels. Par ailleurs, le pacte de stabilité et de croissance a été mis entre parenthèses en attendant une véritable reprise. N'y a-t-il pas de ce fait un risque de tiraillement au sein de la zone euro, voire un risque qu'elle n'éclate ? Enfin, pourriez-vous nous dire un mot de la coopération des États-membres sur les marchés internationaux ?
Le Vice-président Renaud Muselier. Je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence du président Axel Poniatowski, empêché. C'est avec un grand plaisir que nous vous accueillons aujourd'hui, Madame le ministre, pour cette audition conjointe.
Quelle appréciation portez-vous sur le récent G 20 et le rôle qu'y ont joué les Vingt-sept ? Les résultats obtenus sont-ils globalement positifs ou plus mitigés ? Est-on allé assez loin en matière de régulation financière et les décisions prises pourront-elles être efficacement appliquées ? Enfin, une sortie de crise se profile-t-elle et peut-on espérer juguler l'explosion de la dette publique, sous le poids de laquelle ploie aujourd'hui le monde entier ?
Je remercie les instigateurs de cette audition qui nous permettra d'aborder simultanément les questions européennes et internationales, ce qui est particulièrement opportun à un moment où l'Europe va jouer un rôle déterminant dans les affaires économiques et financières internationales.
La première conclusion que je tire du sommet de Pittsburgh est le rôle nouveau joué à la fois par le G 20, le FMI et le Conseil de stabilité financière. Le G 20, constitué à la suite de la crise asiatique, ne se tenait pas initialement au niveau des chefs d'État, mais des ministres des finances. Comme le Président de la République française en avait eu l'intuition, ce G 20, qui représente à lui seul quelque 85 % du PIB mondial – et, soit dit au passage, des émissions de CO2 -, a été l'instance capable de répondre aux défis lancés à l'ensemble des économies de la planète. C'est fort de cette conviction qu'il avait suggéré au président Bush de convoquer un premier G 20 à Washington, qui allait être suivi par ceux de Londres le 2 avril et de Pittsburgh les 24 et 25 septembre. C'est par cette transgression des règles ordinaires que le G 20 a acquis un rôle-pivot nouveau, s'auto-légitimant par sa représentativité et sa crédibilité. Sa composition n'est pas tout à fait satisfaisante puisque le continent africain n'y est, hélas, pas représenté - l'Afrique du sud ne pouvant être considérée comme représentant les pays les moins avancés d'Afrique, en particulier subsaharienne. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai décidé d'inviter, avant et après chaque G 20, les pays de la zone franc pour les informer des sujets qui y seraient traités puis des résultats obtenus, afin notamment que ces pays africains soient véritablement associés aux réflexions et décisions.
Premier acquis de Pittsburgh : le G 20 a décidé de pérenniser ses réunions au niveau des chefs d'État. Deux sommets sont d'ores et déjà prévus en 2010, l'un au Canada, l'autre en Corée du sud – comme il avait été initialement prévu que les ministres des finances des vingt pays s'y réunissent. Et ses partenaires ont demandé à la France, où doit se tenir le G 8 en 2011, de mener le processus à son terme en organisant un seul sommet, celui du G 20. Le Président de la République française avait initialement suggéré un G 14. L'un des enseignements de Pittsburgh est que cette structure à 20 est plus pertinente. Il faut d'ailleurs souligner que le G 20 comporte plus de 20 membres puisque, comme l'avait souhaité la France l'an passé, l'Espagne et les Pays-Bas y sont désormais conviés et que, à la demande du Président de la République française, le directeur général de l'Organisation internationale du travail (OIT) était également présent à Pittsburgh, faisant pour la première fois des questions sociales un élément de dialogue et de décision au G 20.
Ce G 20 élargi, inscrit dans la durée, sorte de tour de contrôle du fonctionnement des économies et des circuits financiers mondiaux, possède avec le FMI un satellite d'observation et avec le Conseil de stabilité financière, mis en place au sommet de Londres, un organe susceptible d'édicter, à tout le moins de suggérer, des normes.
Le FMI, sorti largement renforcé du G 20 de Londres, l'est encore davantage après celui de Pittsburgh. Il dispose désormais d'outils de financement lui permettant de faire face à des crises financières spécifiques. Des lignes de crédit flexibles, dont le représentant de la France demandait depuis longtemps la création, ont été mises en place : la Pologne, la Colombie, le Mexique en ont déjà bénéficié. Il avait été décidé à Londres de tripler les ressources du FMI. C'est désormais chose faite, grâce notamment à l'allocation de droits de tirage spéciaux (DTS). Permettez-moi ici de mettre l'accent sur une initiative qui est passée quelque peu inaperçue mais est extrêmement importante à moyen et long terme pour le rôle potentiel du FMI en matière monétaire : la Grande-Bretagne et la France ont décidé conjointement de prêter à son fonds fiduciaire deux milliards de dollars de DTS, à condition qu'il les prête à taux zéro aux pays les moins avancés.
Le Conseil de stabilité financière est un autre organe important à la disposition du G 20, qui travaille en étroite coopération avec le FMI et joue un rôle-clé en matière de supervision, d'identification des risques et de prescription des normes en matière de capitaux et de fonds propres que doivent détenir les établissements financiers.
Le G 20 de Pittsburgh a également marqué de nouvelles avancées en matière de régulation financière. Le communiqué final du sommet de Londres indiquait « qu'aucun acteur, aucun produit, aucun territoire ne peut rester à l'écart de la supervision ou du contrôle ». En ont découlé diverses actions concernant les agences de notation, les paradis fiscaux, la titrisation…
Avant Pittsburgh, je m'étais fixé trois objectifs principaux, dont je considère que deux et demi ont été atteints Le premier était, à titre symbolique mais en l'espèce la symbolique est importante, la question des rémunérations et des fameux bonus. Beaucoup étaient sceptiques et des esprits chagrins se complaisent d'ailleurs à nous reprocher d'avoir échoué au motif que nous n'avons pas tout obtenu de ce que nous souhaitions. Je m'élève en faux contre cette allégation. En effet, un grand pas a été accompli. Les vingt chefs d'État présents, y compris le président des Etats-Unis, se sont engagés à encadrer les bonus, interdire les bonus garantis, différer sur trois ans le paiement de 40 % à 60 % de la rémunération variable et instaurer un claw back permettant d'opérer jusqu'à l'année n+3 une retenue sur les sommes versées en différé au cas où les résultats ne seraient pas à la hauteur de ceux escomptés pour calculer le montant du bonus à l'année n. La mise en place de comités des rémunérations constitue une autre avancée. Enfin, le communiqué final du sommet reprend le principe selon lequel, dans chaque État, le superviseur peut examiner en détail la comptabilité des banques et exiger des modifications dans leur politique de rémunérations, dès lors que leurs fonds propres sont insuffisants ou peuvent menacer la stabilité du système financier. La détermination à agir est réelle. J'en veux pour preuve que la Grande-Bretagne, qui avait longtemps ferraillé contre tout dispositif de la sorte, a annoncé, le lundi suivant le sommet de Pittsburgh, qu'elle allait intégrer ces dispositions dans sa réglementation. Un arrêté sur les bonus, actuellement en préparation, sera de même très prochainement publié dans notre pays.
Deuxième point sur lequel nous avons obtenu des résultats : les paradis fiscaux. Depuis le sommet de Londres, plus de 150 accords d'échange d'information en cas de soupçon de fraude ou de dissimulation fiscale ont été signés entre des paradis fiscaux et d'autres pays. Ainsi la Suisse ne pourra-t-elle plus s'abriter derrière le secret bancaire pour refuser de fournir les informations que nous pouvons être amenés à lui demander lors d'un contrôle fiscal.
C'est sur le troisième point que nous n'avons, de mon point de vue, qu'à moitié réussi. Le succès a été au rendez-vous s'agissant des normes prudentielles. En effet, les Etats-Unis ont pour la première fois accepté que leurs établissements bancaires se soumettent, à compter de 2011, aux règles de Bâle II, beaucoup plus contraignantes en matière de définition des fonds propres et de capitaux minima que celles actuellement en vigueur chez eux. Pour ce qui est des normes comptables en revanche, nous n'avons pas obtenu tous les résultats escomptés et du chemin reste à parcourir. Même s'il existe un objectif de convergence concernant ces normes, les Etats-Unis et l'Europe ne sont pas encore sur la même ligne. Je regrette que continue de prévaloir le principe de la fair market value, plutôt que celui de la valeur réelle. C'est, hélas, un accélérateur de crise puisque si leurs actifs baissent sur les marchés financiers, les banques et les entreprises sont obligées de diminuer en conséquence leur valorisation dans leur bilan comptable, indépendamment des réalités économiques, ce qui auto-alimente la crise. Nous n'avons, hélas, pas réussi à convaincre mais je continuerai de mener un combat déterminé sur ce point car il est fondamental de travailler à partir d'étalons pertinents, convergents et, en toute hypothèse, cohérents avec l'activité économique. Je ne manquerai d'ailleurs pas, mardi prochain, lors du Conseil « Ecofin », de rappeler au président de l'International Accounting Standards Board (IASB), que la révision de la norme IAS 39 doit s'opérer dans un sens conforme à l'intérêt général et viser à la stabilité financière.
Parmi les défis qui demeurent après Pittsburgh, outre celui de la révision des normes comptables, il y a celui de la déclinaison et de la mise en oeuvre dans chacun des pays des principes adoptés. Pour ma part, je viens de publier un arrêté précisant clairement les informations que les banques devront dorénavant fournir sur leurs activités financières dans les paradis fiscaux. Nous travaillons également à définir les sanctions qui s'appliqueront à compter de mars 2010 aux États qui ne se conformeraient pas aux règles internationales et figureraient toujours sur la liste grise de l'OCDE. Un arrêté relatif aux rémunérations et aux bonus, actuellement soumis à consultation, sera bientôt publié, je l'ai déjà dit. Enfin, un projet de loi de régulation bancaire et financière, qui reprendra divers points du communiqué final du sommet de Pittsburgh, sera présenté au Parlement, je l'espère avant la fin de l'année. Ce texte prévoit notamment de renforcer les pouvoirs de l'Autorité des marchés financiers : on s'est aperçu au plus fort de la tempête financière que l'AMF ne disposait pas des outils juridiques nécessaires pour limiter ou interdire les ventes à découvert qui ont pourtant accéléré la crise.
Ma crainte est aujourd'hui que dans les mois à venir, surtout si la reprise se confirme - ce que nous espérons tous -, nous n'assistions à un emballement et une spéculation sur les marchés des matières premières alors que nous ne disposons pas encore des outils de régulation nécessaires, notamment pour les produits financiers dérivés.
C'est délibérément que les questions monétaires n'ont pas été abordées à Pittsburgh. Elles ne l'ont d'ailleurs jamais été au G 20 où l'on travaille en priorité sur les stratégies de sortie de crise, la coordination de la reprise économique, les perspectives d'une croissance mondiale durable, l'instauration d'une régulation financière internationale et la réduction des déséquilibres des balances des paiements. La Chine connaît en effet un excédent commercial et d'épargne massif tandis que les Etats-Unis, en surconsommation, laissent filer le déficit à la fois de leur balance commerciale et de leur balance des paiements. Deux signes d'espoir toutefois : d'une part, les autorités chinoises se sont montrées déterminées, pour la première fois avec autant de vigueur, à privilégier leur marché intérieur par un puissant plan de relance ; d'autre part, le taux d'épargne des ménages américains s'inverse, il est redevenu positif. Il faudra bien entendu redébattre rapidement des questions monétaires dans les instances appropriées.
Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie de cet exposé et donne la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent vous interroger.
Je félicite les présidents des deux commissions d'avoir organisé cette audition conjointe.
Après cette remise en perspective des enjeux de l'économie mondiale, permettez-moi, Madame le ministre, d'évoquer ici un dossier franco-français, même s'il a une dimension internationale. Beaucoup de groupes industriels français sont en pointe et très compétitifs sur les marchés internationaux. Il faut s'en féliciter, non seulement pour notre balance commerciale, pour l'emploi dans notre pays, mais aussi pour le rayonnement de la présence française à l'étranger.
Ma question concerne l'un de nos fleurons industriels, Areva, leader mondial du nucléaire. Il y a quelques années, ce groupe s'est diversifié, notamment en rachetant la branche transmission et distribution d'électricité d'Alstom. Aujourd'hui redressée, cette branche, qui représente quelque 30 000 emplois, est l'un des secteurs dynamiques du groupe. L'activité progresse, dégage des profits et permet à Areva de réussir des opérations commerciales grâce à sa force de vente : 30 000 clients dans le monde, 160 pays concernés, un réseau de vente présent dans 100 pays et 1 200 personnes y travaillant. Or, Areva a l'intention de céder cette branche. Pourquoi ? Qu'attendre de cette cession ? Les inquiétudes sont vives sur les sites français concernés – on parle de repreneurs français mais aussi étrangers… Quelle est l'opinion du Gouvernement sur ce dossier et quelles assurances pouvez-vous nous donner que l'industrie et l'emploi français n'y perdront pas ?
Madame le ministre, vous avez dressé un bilan clair et précis du G 20 de Pittsburgh qui, hélas, ne fait que ressortir davantage la maigreur des résultats obtenus, surtout au regard des attentes qu'il avait suscitées. S'il y a eu d'incontestables avancées sur le plan institutionnel, notamment avec la perpétuation du G 20, et sur le FMI, les objectifs ont en revanche été très fortement révisés à la baisse par rapport à ceux du sommet de Londres.
Je n'en prendrai que trois exemples. Tout d'abord, sur le plan des déséquilibres financiers : vous l'avez dit vous-même, les questions monétaires n'ont pas été abordées, alors même qu'elles sont déterminantes. La faiblesse du dollar pose à l'évidence problème – en d'autres temps, la France n'avait pas peur d'évoquer le problème du recyclage de capitaux sur le marché américain…
Ensuite, en matière de supervision financière, il avait été décidé à Londres que « l'ensemble des institutions financières, des marchés et des produits financiers » seraient soumis « à un niveau approprié de régulation et de supervision », avec deux exemples à l'appui : l'enregistrement des hedge funds et la mise en place de chambres de compensation permettant de traiter l'ensemble du marché des produits dérivés. Or, sur aucun de ces dossiers, on n'a avancé à Pittsburgh.
Enfin, s'agissant des paradis fiscaux, si des efforts ont été faits, sur les trois listes qu'il était prévu de dresser, seule l'OCDE en a établi une et les pays qui y figurent en sortent très facilement - encore plus vite qu'au début des années 2000 ! J'attends avec impatience que la ratification de l'un de ces accords d'échange d'informations soit soumise à notre Assemblée, en vue d'un débat plus approfondi sur la portée de ce type d'accord. Ce sont des accords bilatéraux, pour la plupart conclus entre paradis fiscaux eux-mêmes. Il y a loin des annonces aux résultats concrets… Une « session de rattrapage » pourra certes avoir lieu dans le cadre de l'Union européenne avec l'examen de la directive épargne et de la directive sur les fonds alternatifs. Poussera-t-on le Luxembourg à changer de position, ce pays ayant jusqu'à présent toujours refusé l'échange automatique d'informations ? Nul n'ignore non plus que sur la seconde de ces directives, il existe un profond désaccord entre la France et la Grande-Bretagne. La France souhaiterait un contrôle renforcé des opérateurs intervenant sur le marché financier européen, alors que la Grande-Bretagne estime qu'une telle réglementation entraverait le fonctionnement de la place de Londres.
M'associant à toutes les remarques de Daniel Garrigue, je n'ajouterai que quelques mots. S'agissant des paradis fiscaux, a-t-on l'intention de faire publier une nouvelle liste par le GAFI ? En effet, à côté de l'évasion fiscale, il ne faut pas oublier le blanchiment d'argent. Sans une telle liste, il ne peut y avoir de réelle transparence. Enfin, si le dollar continue de se déprécier vis-à-vis de l'euro, chacun sait qu'il ne pourra pas y avoir de relance économique suffisante en Europe et donc dans le monde, l'Europe pesant 30 % du PIB mondial. L'ambassadeur des Etats-Unis, que nous avons interrogé ce matin même, n'a pas pu nous répondre, la question relevant, nous a-t-il dit, des plus hautes autorités américaines. Les banques centrales du sous-continent asiatique achètent certes du dollar en quantité pour essayer de le faire s'apprécier mais cela ne suffira pas à infléchir durablement son cours. Le problème n'est pas nouveau, mais avec la crise, il est devenu crucial : il y a maintenant le feu. Quels moyens l'Union européenne se donne-t-elle pour prendre au mot le président Obama et lui signifier que voilà l'exemple-type de domaine où une gestion multipolaire est nécessaire ? Ne craignez-vous pas que l'on s'oriente de plus en plus vers un G 2 Etats-UnisChine, auquel cas les intérêts de l'Union européenne passeraient à la trappe ? On entend parler ça et là d'un G 4 dans lequel l'Union européenne pourrait miraculeusement figurer aux côtés des Etats-Unis, de la Chine et du bloc des grands pays émergents… Y travaille-t-on ? Cela supposerait d'ailleurs que l'Europe parle d'une seule voix. Je me félicite de l'existence du G 20 et je salue l'initiative française, si ce n'est qu'au G 20, ce sont des États-nations qui s'expriment. L'Union européenne n'a jamais été aussi absente.
Je sais, cher collègue, que vous vous réjouissez chaque fois que l'Europe connaît des difficultés ! Mais il est de l'intérêt même de la France que l'Europe parle d'une seule voix et d'une voix forte afin d'être entendue sur la scène internationale.
Je vous remercie, Madame le ministre, de votre présentation des résultats du G 20. Les esprits chagrins pourront toujours les juger insuffisants : il n'en reste pas moins que des avancées majeures ont eu lieu.
Trois questions. Tout d'abord, considérez-vous que la gouvernance économique mondiale progresse de manière efficace et ne craignez-vous pas qu'une fois la crise derrière nous, la volonté ne s'affaiblisse alors que des sujets aussi essentiels que les parités monétaires et le risque d'emballement des marchés de matières premières rendent une régulation internationale de plus en plus indispensable ?
Ensuite, ne pensez-vous pas qu'un organisme de contrôle de l'application des décisions prises par le G 20 fait défaut ? Comment s'assurer que les engagements pris seront bien respectés et s'ils ne le sont pas, quelles sanctions prendra-t-on ?
Enfin, lors d'une précédente audition devant la commission des affaires européennes, vous aviez déjà utilisé le terme de « transgression », lequel appartient au vocabulaire de la psychanalyse, ce qui en l'espèce est tout à fait approprié car l'inconscient n'est pas absent du comportement des peuples ni de leurs dirigeants. L'esprit qui a régné lors de la présidence française de l'Union, durant laquelle on n'a pas hésité à bousculer, « transgresser » certaines règles, par exemple en organisant des réunions dans des formats inédits, non prévus par le Traité, perdure-t-il et prend-il racine ? A-t-on constaté, lors des réunions préparatoires du G 20 au niveau européen, qu'il restait des traces de ce qui s'était passé sous la présidence française ? Avez-vous le sentiment que l'Union progresse pour parler d'une seule voix lors des grands sommets internationaux ?
Monsieur Lecou, je sais le temps et l'énergie que vous consacrez à la défense de la branche transmission et distribution d'électricité d'Areva. Nous aurons l'occasion d'en reparler car je tiens à ce que les élus concernés soient associés. Le projet de cession de cette branche répond à un besoin impératif de financement pour permettre à Areva, d'une part de maintenir son niveau d'excellence technologique et son avance dans le domaine-clé pour notre pays du nucléaire civil, d'autre part de répondre à la demande qui lui est adressée de fournir des centrales nucléaires de deuxième ou troisième génération. C'est dans ce contexte que, sur recommandation du président du conseil de surveillance du groupe, cette cession a été envisagée, concomitamment d'ailleurs à d'autres mesures. Nous étudierons les propositions de la façon la plus transparente, la plus efficace et la plus rapide possible. Soyez assuré que la décision finale ne sera pas prise uniquement sur des critères financiers : elle devra aussi répondre à des exigences sociales, humaines et industrielles.
Monsieur Garrigue, jamais les questions monétaires n'ont été discutées au G 20, lequel n'est d'ailleurs pas l'instance la plus appropriée. Elles l'ont toujours été au G 7 ou au G 8. Lors des dernières assemblées générales annuelles du FMI et de la Banque mondiale, nous avons demandé si le G 7, tant au niveau des ministres des finances que des chefs d'État, avait encore une raison d'être. Je crois, pour ma part, davantage en la pertinence d'un G 7 que d'un G 4, surtout pour que les recommandations éventuellement formulées sur le plan monétaire soient efficacement suivies.
Vous avez dit, Monsieur Garrigue, que rien n'avait été fait ni sur les chambres de compensation des produits dérivés ni sur l'enregistrement des hedge funds. C'est excessif. Il existe aujourd'hui un projet de directive sur les hedge funds : certes un désaccord subsiste entre la France et la Grande-Bretagne, d'ailleurs ni aussi profond ni aussi cristallisé que vous le dites. La France est en effet plus exigeante sur le passeport européen pour lutter contre le caractère bien souvent approximatif des déclarations effectuées par les hedge funds, qu'a encore mis en évidence une étude récente d'une université américaine. Pour ce qui est des chambres de compensation des produits dérivés, les Etats-Unis sont en avance sur nous. Les milieux financiers européens et la BCE ont compris que nous avions besoin de chambres de compensation dans la zone euro, et nous devrions pouvoir rapidement avancer sur ce point,
S'agissant des paradis fiscaux, il ne faut pas tourner en dérision les résultats obtenus. Cent cinquante accords, ce n'est pas rien. Si quelques-uns ont pu être signés de manière complaisante entre anciens pays « d'un même club », cela est marginal et un très grand nombre d'accords ont été signés avec de grands pays qui ne sont en aucun cas des paradis fiscaux. Une avancée considérable a eu lieu, d'autant que l'ensemble des pays se sont mis d'accord à Pittsburgh pour que des sanctions soient appliquées à compter de mars 2010. Et nous allons continuer de travailler sur le sujet, notamment au niveau du Conseil « Ecofin ». En matière de supervision également, on a beaucoup avancé et l'Europe a joué tout son rôle. A la demande du président Barroso, Jacques de Larosière a élaboré, dans des délais extrêmement brefs, un excellent rapport, approuvé lors du Conseil européen de juin et sur la base duquel la Commission a proposé une directive débattue lors du dernier conseil Ecofin. Et la présidence suédoise est déterminée à faire aboutir le projet avant la fin décembre. Je ne doute pas qu'à marche ainsi forcée, on aboutira dans les délais fixés à un véritable pilotage européen de l'ensemble des risques, une véritable autorité et une meilleure coordination.
Madame Guigou, oui, il est bien prévu que le GAFI publie en février prochain une liste de pays pratiquant le blanchiment d'argent, comme l'OCDE l'a fait en matière fiscale.
On peut faire confiance au GAFI.
Je me réjouis par ailleurs que François d'Aubert ait été nommé président du groupe d'évaluation des juridictions non coopératives du Forum global de l'OCDE, chargé d'assurer le suivi des échanges d'informations en matière fiscale et leur effectivité.
Je vous remercie, Madame Guigou, de vous être félicitée de l'existence du G 20. La Commission européenne a été représentée aux trois derniers G 20 par son président, José Manuel Barroso, assisté de M. Joaquin Almunia, commissaire chargé des affaires économiques et monétaires. De même, le président en exercice de l'Union européenne y est à chaque fois présent.
Monsieur Herbillon, vous avez raison de poser la question de la pérennité de la gouvernance économique mondiale par le G 20. Celui-ci, né de la crise, a-t-il vocation à perdurer ? Ma réponse est simple : soit le G 20 fixe et tient des calendriers d'actions précises, pour s'assurer que ses décisions sont bien respectées, et il perdurera. Sinon, il se délitera au fur et à mesure que la crise s'éloignera. C'est de son efficacité et d'elle seule qu'il tirera sa légitimité et donc sa capacité à perdurer.
Pour contrôler l'application des décisions qui y sont prises, il y a, en matière de paradis fiscaux, le Forum global de l'OCDE et en matière de supervision, le Conseil de stabilité financière, qui travaille en étroite liaison avec le comité de Bâle. Je suis, pour ma part, confiante dans l'émergence d'une nouvelle gouvernance économique mondiale, indispensable dans l'économie-monde, déjà décrite par Fernand Braudel, mais dont tous les acteurs, pour la première fois, reconnaissent la nécessité.
Pour ce qui est des « transgressions » et de la catharsis positive qui peut en résulter, je vous citerai un exemple. Sur la question des rémunérations et des bonus, la France était seule à s'exprimer dans un océan de silence, quand ce n'était pas de réprobation. Le Président de la République est allé chercher l'appui de la Chancelière allemande et du Premier ministre britannique. Tous trois ont signé un document qu'ils ont adressé à la présidence suédoise. Le Conseil européen s'est saisi de la question et l'Union européenne a précipité les choses, si bien que le G 20 n'a pu faire autrement qu'en traiter. L'Europe a vraiment été à la manoeuvre selon un mode original et elle a vu ses initiatives récompensées.
Je souhaiterais aborder un point qui n'est pas directement lié au G 20 mais concerne le fonctionnement actuel de l'économie mondiale. En tant que ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, vous êtes responsable de la politique industrielle de notre pays. Chacun sait que tous les marchés nationaux ne sont pas ouverts de la même façon, que tous les pays ne jouent pas le jeu et que certains cèdent aux sirènes du protectionnisme, contournant les règles de l'OMC - de différentes manières d'ailleurs. Nos entreprises n'ont pas accès aux marchés de certains pays que je ne citerai pas publiquement…
C'est en effet un début de liste. D'autres, comme la Chine, posent de telles conditions que beaucoup de nos entreprises ne s'y aventurent pas. Dans le même temps, toutes les entreprises du monde viennent librement en France, ce dont il faut d'ailleurs se féliciter. Il n'empêche que nous nous faisons « tailler des croupières ». Or, il existe, me semble-t-il, dans les règles de l'OMC une clause de réciprocité dans l'accès aux marchés. Mais celle-ci ne pourrait s'appliquer, n'ayant été ratifiée ni par l'Union européenne, ni par la France. Y a-t-il là une quelconque mauvaise volonté ou s'agit-il seulement d'un fâcheux oubli ? L'Europe ne se protège absolument pas alors que tous les autres États du monde ne s'en privent pas. Cela vous paraît-il acceptable en l'état de notre économie ?
Alors que la titrisation en chaîne a été l'un des facteurs déclenchants de la crise actuelle, je ne vois rien dans la réglementation proposée qui permettrait de l'empêcher, tant au niveau européen que mondial. Le G 20 à l'évidence perdurera car il répond à un besoin. Ce cénacle permettra de remodeler la gouvernance économique mondiale si les États-membres le veulent bien. Pour ce qui est des monnaies, seule la convertibilité du yuan pourrait changer la donne. Le jour où la monnaie chinoise sera convertible, les cartes seront très rapidement redistribuées. La situation est aujourd'hui complètement asymétrique et la Chine en profite. La faute majeure des pays occidentaux, de la France et des Etats-Unis en particulier, a été d'accepter qu'elle entre à l'OMC sans exiger parallèlement que sa monnaie devienne convertible.
La crise qui frappe actuellement notre économie est le double produit d'une bulle du crédit et d'une crise immobilière. Certains économistes pensent que les marchés financiers sont par nature instables et que la régulation ne peut pas provenir seulement d'une meilleure surveillance, mais requiert un cloisonnement plus étanche des différentes activités financières par métiers – crédit immobilier, crédit à la consommation, crédit aux entreprises… Cette étanchéité permettrait que des évolutions erratiques dans un secteur puissent être contrebalancées par une plus grande stabilité dans d'autres et présenterait l'intérêt de substituer une logique économique à une pure logique financière. L'Union européenne et la France ont-elles avancé cette idée lors du G 20 ?
Je reste, pour ma part, sceptique sur l'efficacité des mesures de supervision et de contrôle qui seront mises en oeuvre sur le plan international. Je ne peux en être sûr mais je pense que l'on verra vite ce qu'il en est… Pour le reste, considérez-vous que le FMI puisse jouer un rôle important en matière de régulation financière internationale et si oui, pouvez-vous nous indiquer quelques pistes ?
Je commencerai par répondre sur le FMI. Il y a deux ans et demi, c'était un organisme moribond. Il est aujourd'hui un satellite d'observation…
…de la sphère financière en même temps qu'un grand prêteur de fonds. Dans les douze derniers mois, il a prêté 150 milliards de dollars à des pays en difficulté, non seulement à ceux traditionnellement dans le besoin, mais aussi à des pays comme la Roumanie, la Hongrie, la Lettonie, dont on n'imaginait pas qu'ils seraient un jour contraints de faire appel à lui. Le FMI a gagné en légitimité par la qualité de ses diagnostics et l'utilité de ses interventions. Il a ainsi mené des stress tests pour déterminer comment, à conditions très aggravées de croissance, de chômage, se comporteraient les différentes économies du monde, que lui seul pouvait mener. Le FMI a joué un rôle déterminant dans la gestion de la crise, il est désormais doté d'outils beaucoup plus puissants. Il a gagné en légitimité, notamment auprès des États-Unis qui ont accepté qu'il vende une partie de ses réserves d'or. Je pense qu'il conservera ce rôle majeur.
Madame Karamanli, faut-il ou non séparer de façon étanche banques d'affaires et banques de dépôt, en espérant éviter les contaminations croisées en cas de mal ? Cette question n'a pas été abordée au G 20. L'une des raisons pour lesquelles les banques françaises ont plutôt mieux tenu le coup que leurs homologues étrangères à l'automne dernier, c'est que leurs activités étaient équilibrées – en gros 60 % dépôt et 40 % banque d'affaires. Les établissements qui ont précipité la crise n'avaient le plus souvent qu'une activité de banque d'affaires. Il faut bien peser les avantages et les inconvénients des deux formules. Pour ma part, je ne suis pas convaincue que l'étanchéité totale garantirait une meilleure solidité des banques.
Monsieur Myard, la directive CRD (Capital requirements directive) prévoit que tous les établissements auront obligation de conserver dans leur bilan 5 % de tous les produits titrisés qu'ils ont émis, de façon qu'elles assument une part du risque de ces émissions et qu'on limite ainsi les risques de la titrisation en chaîne. Les Etats-Unis se sont engagés à adopter la même règle.
Je ne me prononcerai pas sur vos analyses et conclusions concernant les monnaies. Le yuan est-il ou non une véritable monnaie flottante ? Toute la question est là.
J'espère que le Gouvernement est favorable à sa convertibilité. Il faut l'exiger, sinon notre industrie est condamnée.
Monsieur Lambert, on peut toujours craindre les tentations protectionnistes Nous avons demandé à l'OMC et à son directeur, M. Pascal Lamy, de recenser les comportements protectionnistes qu'aurait pu générer la crise.
L'OMC a conclu que la crise n'avait pas aggravé le protectionnisme de manière manifeste. Si de tels comportements devaient se faire jour, il ne faudrait pas hésiter à saisir l'organe de règlement des différends de l'OMC, d'ailleurs de plus en plus souvent sollicité – il l'a notamment été par les Etats-Unis contre la Chine. Nous devons en effet lutter contre le risque protectionniste, ne serait-ce que pour protéger notre industrie et lui permettre de se développer à l'exportation.
Pour ce qui est de la clause de réciprocité, je ne peux pas vous répondre immédiatement, mais le ferai dès que j'aurai fait les vérifications nécessaires.
Le Président Pierre Lequiller. Il me reste, Madame le ministre, à vous remercier.
Le Vice-président Renaud Muselier. Je vous remercie à mon tour, Madame le ministre, pour votre disponibilité, votre gentillesse, votre courtoisie, votre maîtrise des dossiers et, partant, la qualité de vos réponses. Vous représentez remarquablement notre pays sur la scène économique mondiale où l'on n'est pas encore totalement sorti d'une zone de fortes turbulences. Nous vous savons gré de maintenir le cap avec détermination et talent.
La séance est levée à dix-sept heures cinquante.