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Commission des affaires étrangères

Séance du 13 mai 2008 à 11h30

Résumé de la séance

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  • étrangère

La séance

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Audition de M. Edouard Balladur, président du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République (n° 820)

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

, a indiqué que la commission des affaires étrangères est particulièrement heureuse de recevoir son ancien président, M. Edouard Balladur, pour l'entendre en sa qualité de président du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République. Elle s'intéressera plus particulièrement au volet international et européen du projet de loi constitutionnelle déposé par le Gouvernement.

Il a rappelé que c'est au lendemain de son élection que le Président de la République avait confié à M. Edouard Balladur la charge de présider ce comité, qui a remis son rapport à l'automne dernier, assorti de soixante-dix-sept propositions sur la base desquelles le Gouvernement a préparé le présent projet de loi constitutionnelle. La commission des affaires étrangères s'est saisie pour avis de ce texte, dont cinq articles l'intéressent plus spécifiquement. Ces derniers concernent la représentation des Français de l'étranger à l'Assemblée nationale, le droit de résolution, le contrôle parlementaire des interventions militaires à l'étranger, le renforcement du contrôle parlementaire des affaires européennes et les nouvelles règles de ratification des traités d'adhésion à l'Union européenne.

La commission sera donc très attentive à l'appréciation que le président Edouard Balladur portera sur les réformes envisagées et sur la manière dont les propositions du comité ont été – ou non – reprises dans le projet de loi constitutionnelle. Quels sont, à ses yeux, les aspects les plus novateurs de ce texte ? Quels en seront les effets en matière de politique étrangère et européenne ?

Permalienédouard Balladur

s'est dit à son tour très heureux de retrouver la commission des affaires étrangères.

Il a indiqué que le Gouvernement avait retenu, dans son projet de loi constitutionnelle, à peu près 80 % des propositions du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, avant de revenir plus précisément sur les articles du projet qui intéressent la commission des affaires étrangères.

La représentation des Français de l'étranger à l'Assemblée nationale ne figurait pas parmi les propositions du comité. Une telle disposition serait complexe à mettre en oeuvre. Elle suppose un redécoupage complet des circonscriptions, vingt ans après celui de 1987, à moins que l'on admette une augmentation du nombre des députés, ce qui est à déconseiller. Pourquoi ne pas faciliter l'inscription des quelque 1,5 million de Français de l'étranger dans des circonscriptions existantes, auxquelles on les rattacherait de la façon la moins artificielle et la plus neutre possible ? Certes, cela ne répondrait pas au désir de les voir représentés en tant que tels, l'idée sous-jacente semblant être que ces Français forment une sorte de communauté, ayant des intérêts propres à faire valoir selon qu'ils habitent telle ou telle région du monde. Il n'est pas certain que l'on puisse arriver à bon port sur ce sujet.

La question des pouvoirs du Premier ministre en matière de défense nationale mérite d'être abordée devant la commission des affaires étrangères. Sur la base des propositions du comité, le projet de loi constitutionnelle prévoit que le Premier ministre, « responsable de la Défense nationale », en l'état actuel de l'article 21 de la Constitution, ne serait plus responsable que de la mise en oeuvre des décisions prises en matière de défense nationale. En proposant cette modification, le comité est fidèle à son souhait que nos institutions reflètent aussi exactement que possible la réalité des choses. Du reste, il a proposé aussi d'indiquer, à l'article 20 – qui dispose actuellement que « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation » –, que le Président de la République définit la politique de la nation, tandis que le Gouvernement la met en oeuvre, ce qui correspond à la réalité, hors période de cohabitation. Le Gouvernement a rejeté cette deuxième proposition au motif qu'elle rendrait très difficile une éventuelle cohabitation, mais a retenu la première.

Le titre de chef des armées du Président de la République était dépourvu de toute consistance sous les républiques précédentes. C'est le général de Gaulle qui lui a donné un contenu, dont tous ses successeurs ont tiré profit. Dès lors, il existe une sorte d'incohérence entre ce pouvoir suprême en matière militaire et le fait que la Constitution prévoie que le Premier ministre est responsable de la défense nationale. Comment peut-on être responsable de ce dont on n'est pas le chef ?

Pourtant, il semblerait que la disposition retenue dans le projet fasse également l'objet de critiques, certains parlementaires y voyant l'indice d'un renforcement excessif des pouvoirs du Président de la République. Il n'est donc pas certain qu'elle soit promise à un grand avenir. Après tout, depuis cinquante ans que nous vivons avec cette contradiction, il doit être possible de s'en accommoder encore quelque temps !

L'article 12 du projet de loi constitutionnelle tend à rendre au Parlement le droit de voter des résolutions qu'il détenait sous les républiques précédentes. Il doit être mis en relation avec les dispositions de l'article 88-4 de la Constitution, qui étend le droit de résolution en matière de politique européenne.

Si la Constitution de 1958 a supprimé les résolutions, c'est qu'il arrivait que le président du Conseil tirât argument du vote d'une résolution peu favorable au Gouvernement pour remettre sa démission au Président de la République sans attendre un vote de censure. Or l'on voulait que la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement fût organisée dans des conditions claires et incontestables.

Il n'en reste pas moins que la résolution est un voeu et non pas une décision juridique. Elle ne saurait comporter quelque conséquence contraignante que ce soit. Il est apparu au comité comme au Gouvernement qu'elle pouvait contribuer, dans un système où les responsabilités respectives de l'exécutif et du législatif sont strictement définies, à assouplir sensiblement le système.

Ainsi, au sujet de ce qu'il est convenu d'appeler les « lois mémorielles », beaucoup ont contesté que la loi puisse établir ce que l'on a le droit de dire, d'écrire ou d'enseigner et certains ont même dénoncé l'intrusion abusive du politique dans ce qui devrait demeurer du domaine de la recherche scientifique et historique. Si le législateur se contentait de déplorer dans une résolution que tel événement se soit produit et de formuler le voeu qu'il ne se reproduise pas et qu'il en soit fait état dans des conditions d'honnêteté intellectuelle incontestable, on éviterait l'élément de contrainte qu'implique le vote d'une loi.

Évoquant une révision constitutionnelle antérieure, M. Edouard Balladur a rappelé qu'il avait déposé sous la législature précédente, en sa qualité de président de la commission des affaires étrangères, un amendement cosigné par MM. Hervé de Charette, Roland Blum et François Loncle visant à ce que le Parlement ait la possibilité d'examiner tout document en provenance d'une institution de l'Union européenne – non seulement des projets de directive, mais aussi, par exemple, des documents d'intention ou des propositions politiques – et dispose du droit de voter des résolutions pour faire savoir ce qu'il en pense. Alors que la commission des affaires étrangères avait adopté cet amendement à l'unanimité, c'est à la quasi-unanimité que la commission des lois l'avait rejeté, au prétexte que cette disposition modifiait nos institutions de façon grave et entamait le pouvoir de négociation que le Président de la République tient de l'article 52 de la Constitution. On présenta une nouvelle rédaction précisant que la possibilité offerte au Parlement n'entamait en rien ce pouvoir. Rien n'y fit.

Il est proposé, en quelque sorte, que cet amendement reprenne vie : tel est l'objet de l'article 32 du projet.

L'article 33 propose de réécrire l'article 88-5 instituant un référendum obligatoire avant tout élargissement. Cela n'a pas suffi à convaincre les Français de voter oui au référendum de 2005.

C'est un membre du Gouvernement qui a attiré l'attention du comité sur le caractère excessivement contraignant de l'article 88-5 de la Constitution et a proposé de le supprimer purement et simplement. L'idée de soumettre tout élargissement aux mêmes contraintes qu'une révision constitutionnelle a été formulée par le président du comité.

La Constitution est très peu exigeante en matière de référendum. Aux termes de l'article 53, cette procédure n'est obligatoire pour les populations concernées qu'en cas de cession, échange ou adjonction de territoire. Mais il serait par exemple tout à fait possible de mettre fin, par un vote du Congrès, à l'élection du Président de la République au suffrage universel, pourtant acquise par référendum en 1962. Le référendum n'a pas une valeur supérieure au vote parlementaire.

Néanmoins, au-delà de ces aspects juridiques, un problème politique difficile continue de se poser. On peut imaginer d'abandonner l'article 33 du projet. Certains ont proposé de se référer à des critères dont la présence dans un texte constitutionnel serait quelque peu étrange. Ainsi, une disposition pourrait exiger un référendum pour l'adhésion des seuls pays ne faisant pas partie du continent européen – donc de la Turquie, mais pas de l'Ukraine... On a aussi proposé que la procédure du référendum n'intervienne que lorsque la population du pays candidat excède un certain pourcentage de la population de l'Union européenne. Ni la Suisse ni la Serbie ne seraient concernées, par exemple, contrairement à l'Ukraine ou à la Turquie. Cela n'en reste pas moins étrange pour un texte constitutionnel.

Une proposition du président Axel Poniatowski mérite examen. Le comité avait proposé, sans être suivi par le Gouvernement, d'instituer un référendum d'initiative populaire qui aurait concerné toute proposition législative signée par 20 % des parlementaires et soutenue par 10 % du corps électoral : pourquoi ne pas prévoir cette disposition en cas d'élargissement de l'Union européenne ?

Toutes ces solutions paraissent compliquées. Le moment est venu de décider de choses simples : soit l'on maintient la rédaction proposée par le Gouvernement, soit l'on en reste à la rédaction actuelle. Il est à craindre qu'une formule trop élaborée ne nuise à l'image du Parlement.

M. Edouard Balladur a ensuite rappelé, au sujet des opérations extérieures, que des milliers de soldats ont été envoyés en Côte d'Ivoire sans que le Parlement ait jamais eu à en débattre. Après que la France eut décidé, il y a bientôt deux ans, d'envoyer 1 200 soldats au Liban, il avait observé que leur mission n'était pas très clairement établie, que leur position risquait d'être extrêmement difficile si les hostilités reprenaient entre Israël et telle ou telle faction présente au Liban, et qu'il aurait été légitime que le Parlement soit amené à s'exprimer sur ce sujet.

Le comité a finalement retenu la proposition suivante : lorsque le Gouvernement décide d'envoyer des troupes à l'étranger, il doit en informer « dans les meilleurs délais » le Parlement, celui-ci devant donner son autorisation à la prolongation de l'intervention lorsque la durée de celle-ci excède trois mois. Le Gouvernement a porté ce délai à six mois dans le projet de loi constitutionnelle, estimant que cette durée permettait de mieux apprécier la situation. Il n'est pas précisé si cette autorisation doit être renouvelée, ni à quelle échéance, mais on peut imaginer que le Parlement débatte d'une résolution pour déterminer si, au bout d'une certaine période, la situation est nouvelle et mérite une appréciation complémentaire de sa part.

Enfin, le comité a proposé que le Parlement donne un avis sur certaines nominations relevant du Président de la République. Il appartiendra aux parlementaires de fixer dans une loi organique la liste des nominations concernées. Dans l'esprit du comité, il s'agit de celles qui concernent des organismes ayant un rôle arbitral ou juridictionnel, comme le Conseil constitutionnel, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou le Conseil de la magistrature, et la présidence des entreprises publiques : il ne saurait être question que l'avis préalable porte sur des nominations au sein de l'appareil exécutif – préfets, généraux, ambassadeurs, directeurs de ministère…

Le président Axel Poniatowski a souhaité connaître l'opinion de M. Edouard Balladur sur la reconnaissance des symboles européens dans la Constitution. Seize pays européens ont en effet reconnu ces symboles dans une déclaration commune portée en annexe du traité de Lisbonne.

Permalienédouard Balladur

s'est déclaré peu favorable à une telle disposition. Il arrive que les symboles varient et il ne faut pas mélanger les textes.

PermalienPhoto de François Loncle

s'est dit heureux d'accueillir M. Edouard Balladur dans la salle de la commission des affaires étrangères.

En matière d'interventions armées, les dispositions constitutionnelles actuelles sont paradoxales. Dans le cas de la Côte d'Ivoire, non seulement il n'y a jamais eu de vote, mais l'on a refusé à deux reprises la constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur l'intervention politique et militaire de la France. Il y a donc eu black-out sur une des opérations les plus importantes de ces dernières années. Peut-on envisager, à la suite des propositions du comité, un renforcement du rôle des commissions d'enquête ?

Permalienédouard Balladur

a répondu par l'affirmative.

PermalienPhoto de François Loncle

a ensuite rappelé qu'il s'était trouvé un peu seul, y compris au sein de son groupe, lorsqu'il s'était élevé contre la disposition constitutionnelle consistant à exiger un référendum pour chaque adhésion nouvelle à l'Union européenne. Cette procédure est-elle vraiment opportune dans l'hypothèse d'une adhésion de la Macédoine ou du Monténégro ?

La proposition de M. Edouard Balladur, retenue dans le projet de loi constitutionnelle, ou celle du président Axel Poniatowski, conviendrait infiniment mieux que le dispositif actuel. L'idée d'adapter la procédure au nombre d'habitants a quelque chose d'humiliant pour les pays candidats, de même qu'était humiliante l'expression de « petits pays » utilisée par le Président de la République dans sa dernière intervention télévisée.

En tout état de cause, il est heureux que le Gouvernement ait songé à supprimer une disposition très chauvine et très peu européenne.

Permalienédouard Balladur

a remarqué qu'il s'agit là d'un débat politique et non pas juridique. La véritable question est de savoir s'il existe des pays à l'adhésion desquels on doit mettre des obstacles plus importants que pour d'autres. Pour sortir de la difficulté, on dispose de quelques recettes plus ou moins élégantes. Mieux vaut s'en tenir à la simplicité et à la clarté.

PermalienPhoto de Hervé de Charette

s'est déclaré surpris que le comité présidé par M. Edouard Balladur propose un tel nombre de modifications : soixante-dix-sept au total, dont cinquante-deux se rapportent au texte même de la Constitution. Presque un article sur deux se trouverait ainsi révisé. Même si le Gouvernement n'a repris que trente-quatre de ces propositions, la transformation reste considérable. Répond-elle à une profonde nécessité ? Le texte de la Constitution a-t-il vieilli à ce point qu'il faille modifier un nombre aussi important de dispositions pour l'adapter à l'époque actuelle ? A-t-il vraiment besoin, cinquante ans après, d'une révision générale, comme une vieille voiture qui aurait beaucoup roulé ?

Par ailleurs, le renforcement du rôle du Parlement, qui semble faire l'objet d'un consensus, tient-il d'abord à la modification des dispositions constitutionnelles ? Ne faut-il pas incriminer plutôt la non-application des dispositions de la Constitution existante ? Par exemple, le rôle du Gouvernement dans la définition de l'ordre du jour des assemblées est devenu envahissant. La présence d'un membre du Gouvernement à la Conférence des présidents n'est nullement obligatoire. En priant celui-ci de rester chez lui, cette instance pourrait délibérer tranquillement de l'ordre du jour.

Pourquoi ne pas mentionner également le nombre excessif de parlementaires ? Le sentiment d'inutilité est plus profond lorsqu'on est un sur cinq cent soixante-dix-sept que lorsque l'on est un sur trois cents. Et qu'en est-il du cumul ?

On peut également s'interroger sur la nécessité de changer les textes relatifs aux interventions militaires extérieures. À l'inverse de l'effet recherché, les modifications proposées ne vont-elles pas autoriser le Gouvernement à continuer d'envoyer l'armée un peu partout dans le monde sans demander son accord au Parlement, voire sans le consulter ? N'est-ce pas la pratique qu'il faut changer ? Le Gouvernement devrait, avant une intervention extérieure, convoquer le Parlement pour qu'il accorde son autorisation.

Au total, quelle est l'utilité de cette révision ? Deux ou trois ans après que le Parlement l'aura votée, aura-t-on le sentiment d'avoir vraiment changé les choses ?

Permalienédouard Balladur

a répondu, s'agissant du problème éternel du choix entre, d'une part, l'usage et la coutume et, d'autre part, la règle de droit claire et simple, que tout dépendrait du Parlement. À cet égard, l'usage et la coutume ont conduit, depuis cinquante ans, à un déséquilibre croissant au profit de l'exécutif et au détriment du législatif. Dans aucun autre pays démocratique le Parlement n'est empêché de se saisir de sujets desquels il entend délibérer, tels que la conduite des affaires extérieures de l'État. Il y avait donc bien nécessité de modifier la Constitution.

Quant aux modifications institutionnelles proposées, mieux vaudrait, plutôt qu'en déplorer le nombre, préciser celles qui sembleraient superfétatoires. La maîtrise de l'ordre du jour, par exemple, n'est pas une affaire simple. Elle implique en effet de décider des modalités de fixation de cet ordre du jour, du choix du texte sur lequel porte la discussion en séance – celui du Gouvernement ou celui de la commission –, ou encore du nombre des commissions permanentes. Les trente-six modifications retenues ne sont donc pas le signe d'une volonté de tout changer, mais de rééquilibrer le système.

Ce qui définit la Ve République, ce sont ses deux légitimités concomitantes et concurrentes au sein de l'exécutif, dont les deux têtes, même si l'on récuse le terme de dyarchie, tiennent leur autorité, l'une directement du peuple, l'autre indirectement par l'intermédiaire de l'Assemblée. Tel est le résultat de la longue recherche de la stabilité institutionnelle qui, depuis deux siècles, a rencontré l'échec ou la désillusion. À cet égard, si la majorité du comité s'est déclarée opposée – comme le Gouvernement – au régime présidentiel que son président préconisait, le système, pour être allé trop loin dans l'affirmation du pouvoir exécutif, devait être rééquilibré.

Quant à savoir si c'est la Constitution ou la pratique qu'il faut changer, si M. de Charette connaît le moyen de changer la seconde sans changer la première en faisant appel uniquement à la bonne volonté humaine, il conviendrait d'y recourir pour éviter des textes juridiques nombreux et compliqués.

S'agissant de l'ordre du jour des assemblées, si le ministre chargé des relations avec le Parlement peut très bien ne pas être présent à la conférence des présidents, la Constitution n'en prévoit pas moins que l'ordre du jour fixé par le Gouvernement est prioritaire. Que le ministre soit présent ou non n'y change rien. C'est pourquoi le projet de loi constitutionnelle prévoit que le Gouvernement et le Parlement sont responsables pour moitié chacun de l'ordre du jour, ce qui semble équitable.

Voilà des dizaines d'années que le Gouvernement, même s'il est en symbiose avec le Parlement, impose toujours sa volonté, alors que dans toutes les démocraties européennes le Parlement peut discuter d'un texte dont le Gouvernement ne veut pas – sans parler de la démocratie américaine et des contrôles exercés sur l'exécutif en matière de politique étrangère.

S'agissant des interventions des forces armées à l'extérieur et de leur autorisation au-delà de six mois par le Parlement – délai qui paraît à M. de Charette à ce point excessif qu'il risque de contribuer, a contrario, à accroître la liberté du Gouvernement en la matière –, les parlementaires pourraient amender le texte gouvernemental afin de revenir au délai de trois mois proposé par le comité.

Tout le problème finalement est de savoir si la classe politique a un tel prestige aux yeux de l'opinion publique qu'il n'est pas nécessaire de revaloriser son rôle. Pour sa part, le comité a considéré qu'il était de son devoir de combler le fossé qui s'est creusé entre l'opinion publique et ceux qui la représentent en valorisant le rôle de ces derniers en leur confiant des responsabilités plus amples.

PermalienPhoto de Jean-Jacques Guillet

, après avoir considéré que la révision constitutionnelle proposée était globalement satisfaisante en raison, d'une part, du rééquilibrage des pouvoirs, d'autre part, de sa relative simplicité, s'est déclaré réservé quant aux conditions de la représentation des Français de l'étranger à l'Assemblée nationale. Outre qu'ils sont très bien représentés au Sénat et qu'ils ont toujours la possibilité de voter au sein des circonscriptions nationales, leur représentation à l'Assemblée pourrait ouvrir la voie à certaines dérives, en dehors du redécoupage inévitable des circonscriptions à l'échelle mondiale.

Concernant l'article 88-5, il convient, en matière de politique étrangère, non d'être soumis à l'opinion – ce qui aurait pu souvent conduire à la guerre, par exemple en 1840 contre l'Angleterre –, mais d'avoir une vision à long terme. S'agissant de la Turquie, il serait donc regrettable – comme ce fut trop le cas ces dernières années – que la Constitution se fasse l'écho de considérations de circonstance, d'autant que, comme ce fut le cas en 1972 avec le référendum sur l'adhésion aux Communautés européennes notamment de la Grande-Bretagne, les textes actuels permettent de soumettre à référendum l'entrée d'un ou de plusieurs pays dans l'Union européenne. Aucune précision n'est donc nécessaire sur ce point dans la Constitution.

Quant au référendum d'initiative populaire, proposé par le comité et qui fera l'objet d'un amendement du président de la commission, il conviendrait, plutôt que de l'intégrer au seul texte proposé par le Gouvernement pour l'article 88-5, de lui donner une vocation beaucoup plus ample. Sinon, il serait plus sage d'en rester à la proposition du Gouvernement concernant cet article.

Permalienédouard Balladur

a estimé qu'il aurait mauvaise grâce à demander que le référendum d'initiative populaire, que le Gouvernement n'a pas retenu, ne soit pas proposé. Il ne serait pas choquant en tout cas, il l'a déjà dit, de prévoir des dispositions particulières s'agissant de l'élargissement de l'Europe. De la même façon que le référendum obligatoire, mis à part les cessions de territoire, n'existe déjà que dans le cas d'un tel élargissement, un référendum d'initiative populaire pourrait également exister uniquement dans ce cas. Pour autant, il ne convient pas de compliquer la tâche de ceux qui oeuvrent pour l'adoption de la réforme. Aussi est-il préférable de laisser le Parlement décider.

S'agissant du recours toujours possible au référendum par le Président de la République, le résultat obtenu en 1972 – avec 67 % de votes favorables et 40 % d'abstentions – ne pourrait que faire rêver aujourd'hui, même s'il avait été alors considéré comme un échec par le président Pompidou.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

a estimé que les pouvoirs du Président de la République en matière militaire n'ont pas à varier selon la situation politique, notamment en cas de cohabitation. Aussi la Constitution devrait-elle être très claire sur ce point.

À cet égard, ne pourrait-on distinguer selon que l'intervention militaire se déroule dans le cadre onusien ou dans le cadre national, ce qui impliquerait, dans ce dernier cas, une saisine immédiate du Parlement sans même attendre un délai de trois ou de six mois ?

Permalienédouard Balladur

s'est déclaré défavorable à une telle distinction, sauf à considérer que l'assemblée générale des Nations unies ou le conseil de sécurité décident à la place du Parlement français. Ainsi, lors de la première guerre du Golfe, la France, contrairement à la position qu'elle a finalement adoptée avec le soutien de l'immense majorité du Parlement, aurait très bien pu décider de ne pas envoyer 15 000 soldats se battre contre l'Irak pour défendre le Koweït dans le cadre de l'opération autorisée par les Nations unies. Le délai de trois ou six mois avant autorisation parlementaire de prolonger l'intervention semble donc raisonnable.

Quant à s'étonner du fait que le système institutionnel soit variable selon qu'il y a ou non cohabitation, c'est nier ce qui fait justement l'originalité de la Ve République, à savoir la concurrence de deux légitimités qui peuvent ne pas s'accorder à un certain moment de l'histoire.

PermalienPhoto de Marc Dolez

a d'abord souligné, concernant le délai de six mois à l'expiration duquel le Gouvernement soumet la prolongation de l'intervention à autorisation du Parlement, qu'il convient pour le moins de modifier l'article 13, quatrième alinéa, du projet de loi constitutionnelle en prévoyant que, dans le cas où le Parlement ne serait pas en session à l'expiration du délai de six mois, celui-ci soit convoqué en session extraordinaire.

Permalienédouard Balladur

ayant fait remarquer que l'on pourrait tout aussi bien prévoir de réduire le délai à due concurrence, le Président Axel Poniatowski a précisé qu'un amendement en ce sens serait déposé.

PermalienPhoto de Marc Dolez

s'est ensuite demandé s'il ne faudrait pas des élus plus disponibles, l'enjeu de la réforme étant de revaloriser le rôle du Parlement, donc de donner plus de pouvoirs aux représentants que le peuple élit. À cet égard, l'interdiction faite aux parlementaires d'assumer des tâches exécutives sur le plan local ne constituerait-il pas un progrès très significatif ?

PermalienPhoto de Renaud Muselier

a souligné la nécessité de faire en sorte que les Français de l'étranger soient bien représentés, d'autant qu'aujourd'hui leurs représentants sont tous issus de la zone Europe et que ces compatriotes constituent un électorat d'une très grande mobilité, composé d'un tiers de fonctionnaires ou de militaires, d'un tiers de salariés de grandes entreprises et d'un tiers d'indépendants. Les représentants des Français de l'étranger doivent être bien représentatifs de ces derniers.

PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

a considéré que le Président de la République étant élu au suffrage universel, sa légitimité à engager des forces à l'extérieur n'est pas discutable. Sachant en outre que de telles opérations, par nature évolutives, ne sont pas forcément immédiatement lisibles par les opinions publiques, peut-être devraient-elles faire l'objet d'un budget séparé plutôt que d'un vote plus ou moins de principe autorisant leur prolongation plusieurs mois après leur début. Ainsi, chaque année, un vote porterait sur chaque opération extérieure, et donc sur son coût pour les finances publiques.

Permalienédouard Balladur

s'est déclaré favorable, à titre personnel, au cumul d'un mandat parlementaire avec une seule fonction locale, mais s'est demandé s'il fallait, en tout état de cause, inscrire une telle mesure dans la Constitution. Certes, certaines propositions du comité ne concernaient pas à proprement parler la Constitution, mais au moins influaient-elles sur le fonctionnement des pouvoirs publics. De toute façon, interdire le cumul d'une fonction ministérielle avec tout mandat électif comme l'avait proposé le comité à trois mois d'élections municipales ne risquait pas d'être accepté alors qu'une bonne vingtaine de ministres étaient candidats.

Peut-être y a-t-il quelque illusion à considérer que si le cumul était proscrit, les parlementaires seraient plus présents à Paris. Dépourvus de moyens locaux, ces derniers pourraient en effet avoir le souci de travailler davantage sur le plan local afin d'être sûrs d'être réélus.

S'agissant des Français de l'étranger, le fait que les douze sénateurs les représentant soient tous issus de la zone Europe tient au mode de scrutin dans une circonscription unique, les Français habitant l'Europe y étant ultra-majoritaires. Aussi, s'il devait y avoir également des représentants des Français de l'étranger à l'Assemblée nationale, ils devraient être élus non plus dans un cadre global, mais dans le cadre de circonscriptions bien définies – Amérique, Afrique, Europe du Nord, Europe du sud...

Quant à rattacher les Français de l'étranger à telle ou telle circonscription nationale, cela ne ferait pas des députés élus dans ces circonscriptions leurs représentants puisque ces Français de l'étranger n'y formeraient qu'un dixième voire un vingtième des électeurs. La proposition selon laquelle des circonscriptions permettraient de mieux prendre en compte les intérêts propres des Français habitant l'Europe du Nord, l'Europe du Sud, l'Afrique ou ailleurs est donc intéressante, encore que l'on ne puisse être que très perplexe devant la difficulté d'un redécoupage électoral et de l'impossibilité absolue d'augmenter le nombre des parlementaires, car ce serait donner un signal désastreux à l'opinion publique.

Pour ce qui est des opérations militaires à l'extérieur, le fait que le Président de la République soit élu au suffrage universel et qu'il dispose ainsi d'une légitimité pour les décider, ne doit pas faire oublier que les parlementaires sont également élus au suffrage universel. Il n'est donc pas absurde qu'ils aient un avis sur toute opération extérieure.

Enfin, demander des votes séparés chaque année, opération par opération, conduit à aller au-delà des propositions du Gouvernement, car cela reviendrait à faire voter un renouvellement de chaque autorisation une fois par an. Il serait surprenant que le Gouvernement soit ouvert à une telle suggestion.

Le Président Axel Poniatowski, après avoir souligné qu'un amendement serait également déposé à ce sujet, a remercié M. Edouard Balladur pour les très nombreux et très intéressants éclaircissements apportés sur le projet de loi constitutionnelle.

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