Communication de Mme Marie-Louise Fort, rapporteure du groupe de travail commun avec la commission chargée des affaires européennes sur le processus de réforme et d'adhésion à l'Union européenne de la Turquie La séance est ouverte à dix heures. Mme Marie-Louise Fort, rapporteure. J'ai accompli avec mes collègues MM. Bernard Deflesselles et Jean-Louis Bianco une mission en Turquie du 29 novembre au 2 décembre 2008, au nom du groupe de travail commun à la Commission des affaires étrangères et à la Commission chargée des affaires européennes sur le processus de réforme et d'adhésion avec la Turquie. Nous avons été remarquablement accueillis et guidés par l'Ambassadeur et ses services, je tiens à les en remercier.
Cette première mission se déroulait dans un contexte difficile, depuis que la France s'est prononcée officiellement en faveur d'un partenariat privilégié et non d'une adhésion en fin de négociation.
La délégation a néanmoins pu être reçue par le Président de la République, M. Abdullah Gül. Elle a rencontré le Président de la Commission d'harmonisation avec l'Union européenne, M. Yazar Yakis, et le Président de la Commission des affaires étrangères, M. Murat Mercan. Elle a également eu des entretiens avec des représentants des ONG ainsi qu'avec le vicaire patriarcal des Assyro-chaldéens.
Le processus de négociations d'adhésion, ouvert le 3 octobre 2005, est actuellement ralenti par les tensions politiques intérieures qui mettent en cause les équilibres fondamentaux de l'Etat laïc et démocratique et de la société turque.
Sur les 35 chapitres dont l'examen est prévu par le processus d'adhésion, huit chapitres ont été ouverts, douze sont gelés et quinze restent à ouvrir. Parmi les douze chapitres gelés, huit le sont depuis le Conseil européen de décembre 2006, en raison du refus de la Turquie d'appliquer le protocole additionnel à l'accord d'Ankara étendant l'union douanière UE-Turquie à Chypre. Cinq autres chapitres directement liés à une adhésion et toujours examinés en fin de négociation sont bloqués par la France (agriculture et développement rural, politique économique et monétaire, politique régionale, budget, institutions).
Plusieurs chapitres sont bloqués par un ou plusieurs autres Etats membres, en particulier : énergie par Chypre, éducation et culture par Chypre et la Grèce, libre circulation des travailleurs pour l'Allemagne et l'Autriche ;
La présidence française de l'Union européenne va s'efforcer d'ouvrir deux nouveaux chapitres lors de la conférence intergouvernementale du 19 décembre 2008 : société de l'information et médias, libre circulation des capitaux.
Le droit de veto de la République de Chypre dans la négociation est lié, même indirectement, au règlement de la question chypriote, abondamment évoquée par notre collègue M. Deflesselles, qui provoque des tensions très importantes entre les deux pays. Les parlementaires turcs rencontrés ont ainsi déclaré que s'il fallait choisir entre l'Union européenne et Chypre Nord, la Turquie choisirait Chypre Nord.
Le rapport de progrès 2008 de la Commission européenne est très sévère sur les réformes politiques depuis 2005. Critiquant la lenteur des avancées, la Commission demande des efforts significatifs pour promouvoir les droits des femmes, garantir la liberté d'expression et de culte dans la pratique, prévenir la corruption, renforcer les droits culturels de tous les citoyens, notamment ceux de la minorité kurde, accroître le contrôle de la société civile sur les forces armées.
Les ONG confirment la stagnation des réformes depuis 2005 dans le domaine des droits de l'Homme. Le recul de ces droits s'agissant des femmes, dont témoigne le projet de loi sur la pénalisation de l'adultère féminin ou la question du voile, est particulièrement inquiétant.
En matière de liberté religieuse, les Alevis, communauté musulmane comptant entre 15 et 20 millions de personnes, sont l'objet de tracasseries en raison de leur pratique cultuelle différente (culte commun aux hommes et femmes qui n'est pas pratiqué dans les mosquées). De même, en dépit de l'arrivée d'Irakiens fuyant le conflit, la religion assyro-chaldéenne risque de s'éteindre faute de séminaire ouvert et de possibilité de recrutement de nouveaux prêtres. La gestion de la question religieuse en Turquie est donc préoccupante.
La question kurde qui concerne 15 millions d'habitants a également été posée.
Les tensions intérieures ont mis en évidence le rôle politique éminent de la Cour constitutionnelle. Le conflit entre le gouvernement musulman modéré de l'AKP et l'opposition kémaliste et nationaliste s'est déplacé du terrain électoral en 2007 au terrain judiciaire en 2008, avec les arrêts de la Cour constitutionnelle.
Le 5 juin 2008, la Cour constitutionnelle a annulé les amendements à la Constitution adoptés par l'AKP en février 2008 pour autoriser le port du foulard à l'université. Puis, saisie par le Procureur général de la Cour de cassation, elle a décidé le 30 juillet 2008 de ne pas interdire l'AKP ni ses 71 membres accusés d'activités anti-laïques (dont le Président de la République et le Premier ministre), mais a réduit de moitié sa dotation publique pour 2009.
On peut s'interroger sur le devenir du rôle protecteur de la Cour en matière de laïcité lorsque le renouvellement de celle-ci aura été opéré à la suite de nominations gouvernementales.
Les interlocuteurs de la mission ont majoritairement réaffirmé la fierté d'Etat laïc de la république turque. Pourtant le conflit politique puis judiciaire est responsable du blocage du processus de réforme en 2008. Afin d'y remédier, majorité et opposition doivent d'abord surmonter le double soupçon dont elles s'accusent, celui « d'agenda caché » pesant sur l'AKP qui serait déterminé à islamiser la Turquie et à se servir des normes européennes pour démanteler le contrôle de l'armée sur le maintien de la laïcité, celui d'« Etat profond » pesant sur les milieux nationalistes et militaires qui seraient prêts à tout pour déstabiliser un gouvernement musulman modéré démocratiquement élu qui ne se conformerait pas à leurs vues.
Les kémalistes expliquent que la laïcité doit être plus forte que la démocratie en Turquie parce que, en pays musulman, la laïcité est la condition fondatrice de la démocratie. Les musulmans modérés répondent qu'il n'est pas contradictoire d'être musulman et laïc tandis que le Premier ministre M. Erdogan considère que « l'Etat doit être laïc mais pas les personnes ».
La Turquie est confrontée à trois défis :
En premier lieu, la crise financière internationale pourrait affecter le redressement économique remarquable des dernières années.
La Turquie fait valoir sa puissance économique en rappelant qu'elle a participé à la récente réunion du G20 au titre de dix-septième économie mondiale et qu'elle se situe au septième rang dans l'espace européen.
En deuxième lieu, les crises au Caucase et au Moyen-Orient soulignent l'importance géostratégique de la Turquie et son rôle modérateur dans la région.
La question arménienne a été évoquée alors que les Turcs nous reprochent toujours l'adoption de la proposition de loi sur la pénalisation de la négation du génocide arménien. Le Président Gül a mis en avant sa rencontre avec le Président Sarkissian lors d'un match de football à Erevan comme premier geste officiel d'un réchauffement des relations avec l'Arménie, ainsi que la création d'une Commission d'historiens.
Je lui ai indiqué, en ma qualité de membre de la mission sur les questions mémorielles, que l'Assemblée nationale avait renoncé à légiférer sur ces sujets. Les historiens ont convaincu les députés français que la mémoire divise et que l'histoire réunit. Les constitutionnalistes considèrent que la loi doit créer des droits et des devoirs mais ne doit pas gouverner les esprits. Les conclusions de la mission privilégient le recours à la procédure des résolutions créée par la récente réforme constitutionnelle.
La Turquie soutient la position de l'Union européenne sur le programme nucléaire de l'Iran tout en étant engagée avec ce pays dans la négociation d'un accord énergétique global. En dépit de sa réticence initiale, la Turquie fait désormais preuve de bonne volonté pour la mise en place de l'Union pour la Méditerranée.
Nos interlocuteurs prennent néanmoins soin de souligner que si l'Union européenne les repousse, ils se tourneront vers d'autres partenaires. L'opposition fait ainsi valoir que l'intégration européenne est un moteur indispensable pour les réformes en Turquie. Maisla crise que traverse l'Union européenne doit être surmontée pour que les peuples acceptent un nouvel élargissement.
Enfin, nous leur avons rappelé que le Président de la République française ouvrira officiellement en octobre 2009 la saison culturelle de la Turquie en France qui se déroulera tout au long de l'année 2010.
Alors que l'enthousiasme turc en faveur de l'Union européenne semble s'éroder devant la lourdeur des exigences européennes, l'opinion publique européenne ne semble pas prête à ce jour à accepter un nouvel élargissement. Après des élargissements successifs insuffisamment préparés et l'échec du traité de Lisbonne, l'Europe doit d'abord consolider son projet.
En observant les positions dures qu'adopte la Turquie sur la question chypriote, ou au sujet du droit des femmes, on peut se demander si l'envie de rejoindre l'Union européenne existe encore dans le pays, ou bien si les autorités turques ne pourraient pas finalement se satisfaire d'un partenariat privilégié.
L'enthousiasme vis-à-vis de l'Union européenne est en effet plus modéré aujourd'hui. Les autorités estiment toutefois qu'une intégration en 2014 serait réaliste. Elles se déclarent lassées de la lenteur de l'examen des chapitres, qu'elles comparent à la rapidité de traitement des dossiers croate et chypriote. Il en résulte un recul du sentiment pro-européen dans la population. Il semble que l'Union européenne représente plutôt un modèle de ce que la Turquie aspire à être, plutôt qu'un partenaire pour le futur.
Vous nous avez dit que le Président Gül avait insisté sur sa participation au match de football, organisé à l'initiative du Président Sarkissian, opposant la Turquie à l'Arménie. Avez-vous ressenti une vraie implication, de la part des autorités turques, dans le règlement du différend qui pourrait notamment mener à terme à ouvrir la frontière entre les deux pays ?
Concernant les éventuels partenariats alternatifs à l'intégration européenne, la Russie a-t-elle été évoquée ?
Sur le dossier arménien, la Turquie ne veut pas perdre sa fierté. La délégation a eu le sentiment que les Turcs veulent avancer, mais ne veulent pas faire de trop grandes concessions. Ils mettent donc en avant les torts arméniens, afin de ne pas être considérés comme les seuls responsables.
Les partenariats extérieurs auxquels il a été fait référence concernent l'Iran, mais aussi la Russie. La Turquie rappelle régulièrement son rôle dans le Caucase, dans la crise géorgienne notamment. Cependant, et c'est paradoxal, si la Turquie fait sans cesse référence à d'autres partenaires, elle revient systématiquement sur ses actions menées en Europe.
Il est certain que les délais d'adhésion et les exigences européennes, qui sont pourtant les mêmes pour tous, agacent les Turcs. Pensez-vous qu'un partenariat privilégié pourrait constituer une solution transitoire attractive pour la Turquie ?
La question du partenariat n'a pas été évoquée directement par la délégation. Toutefois, la vision des autorités turques reste binaire : soit la Turquie intègre l'Europe, soit elle reste en-dehors. Le travail du groupe de suivi a surtout montré que la position française était frappée au coin du bon sens.
Les difficultés de la situation sont explicites, par exemple, en matière d'immigration. En France, les groupes d'immigrés turcs n'ont que peu de rapport avec le reste de la société française. Face à ce constat, la réponse du Président Gül a été de souligner l'origine anatolienne des immigrés turcs en France.
La Turquie est présente au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe depuis longtemps, où la situation de ce pays est très souvent débattue. Je suggère que les activités du Conseil à ce sujet soient prises en compte dans le rapport du groupe de suivi, de même que la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pourrait s'inspirer des travaux menés ici.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la communication fera l'objet d'un rapport d'information commun avec la commission chargée des affaires européennes.
La commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport du groupe de travail.
Examen du rapport d'information de la mission d'information sur la politique de la France en Afrique
La commission examine le rapport d'information de la mission « Politique de la France en Afrique » présenté par MM. Jean-Louis Christ, Président, et Jacques Remiller, rapporteur.
Je remercie M. Jacques Remiller d'avoir accepté de succéder à M. Renaud Dutreil dont je souhaite rappeler la contribution initiale. M. Jean-Louis Christ, président de la Mission d'information. Permettez moi de remercier le Président Axel Poniatowski de m'avoir confié la présidence de cette mission d'information, et de féliciter le rapporteur, Jacques Remiller, qui a su avec beaucoup de volontarisme, prendre le train en marche et transcrire avec fidélité le fruit de nos réflexions et recommandations. Mes remerciements s'adressent aussi à mes collègues, qui tout au long de ces travaux, ont nourri et enrichi le champ de nos investigations dans un parfait esprit de collégialité.
Cette mission aussi intéressante qu'elle fût, a été révélatrice de la complexité de l'approche du continent africain aux multiples contrastes, tant sur le plan géographique et économique que dans ses dimensions historiques, politiques, sociales et culturelles.
Complexe aussi, l'histoire de nos relations entre la France et l'Afrique, qui, selon les saisons et l'éclairage de l'un ou l'autre côté de la Méditerranée, a oscillé entre l'affectif et le rejet. Il n'en demeure pas moins que ces relations ont fini par tisser des liens privilégiés. Mais pour combien de temps encore ?
Impliquée dans les enjeux stratégiques du monde, l'Afrique se trouve aujourd'hui confrontée à des problèmes qui préoccupent l'ensemble de la communauté internationale. Qu'il s'agisse de l'insécurité alimentaire mondiale, de la menace terroriste, des flux migratoires ou de la sécurisation des marchés et des approvisionnements, notamment énergétiques, cette situation entraîne en Afrique des conséquences démultipliées. Elle génère de surcroît de graves répercutions en Europe, révélant par là l'interdépendance de nos deux continents.
Il en va de l'intérêt de la France et de la promotion des valeurs de la République de fonder un nouveau partenariat avec l'Afrique misant sur le développement économique, la promotion de l'Etat de droit, avec une dimension culturelle, éducative et humanitaire qui donne à la présence française toute sa spécificité.
J'espère que ce rapport pourra constituer un outil, une base de réflexion, concourir à nourrir la réflexion sur les questions africaines et participer à la redéfinition d'une politique de la France en Afrique fondée sur un partenariat renouvelé.
Dans cette perspective, je laisserai le soin au rapporteur de vous exposer les principales orientations et recommandations de la mission d'information susceptibles de contribuer à une refondation de notre politique en direction du continent africain.
Les membres de la Mission d'information sur la politique africaine de la France sont partis d'un constat qui a orienté leurs travaux. Ce constat, c'est celui du fait que la relation entre la France et l'Afrique a changé au cours de ces dernières années. Nous devons en avoir conscience pour éviter que notre pays ne soit marginalisé dans un futur proche, tant l'Afrique est désormais l'objet de nombreuses sollicitudes de la part de nouveaux pays qui, comme la Chine, notamment, y investissent massivement.
Nous devons en avoir conscience aussi car l'Afrique change vite, plus vite sans doute qu'on ne veut le croire ou le voir.
Je me propose tout d'abord de vous présenter les réflexions que cette évolution inspire à la Mission. Je vous détaillerai ensuite les conclusions auxquelles nous sommes arrivés et les propositions qui nous paraissent devoir être défendues.
Nous le savons tous, mes chers collègues, les relations entre la France et l'Afrique sont à la fois denses, riches et fortement polémiques. Si nous partageons avec beaucoup de pays africains une langue commune, s'il y a une amitié indéfectible, il y a aussi, en toile de fond, la façon dont notre pays s'est séparé de ses anciennes colonies, les réseaux d'influence, – cette fameuse « Françafrique » -, et le soutien apporté par la France à de nombreux régimes dictatoriaux au long des 40 ou 50 dernières années. Ce sont ces composantes qui ont fortement marqué notre histoire commune et qu'on ne peut nier.
Pour autant, cette « relation singulière », bien que riche et ancienne, est en train d'évoluer d'une manière qui n'est pas sans inquiéter. Il y a aujourd'hui comme un désamour entre la France et l'Afrique et au cours de leurs deux déplacements, en Ethiopie et au Ghana, et grâce aux très nombreuses auditions qu'ils ont menées, les membres de la Mission ont en effet pu constater un double, voire un triple phénomène : d'une part, une certaine désaffection de la France envers le continent : les entreprises françaises sont désormais moins présentes, semblent se désintéresser de l'Afrique et nos intérêts économiques y sont en danger ; le deuxième phénomène que je voudrais souligner, sans doute lié, c'est que le nombre de nos compatriotes expatriés en Afrique diminue. Tout comme diminue, c'est le troisième aspect, notre aide publique bilatérale directe, de plus en plus diluée dans l'océan de l'aide multilatérale, celle de l'Union européenne, notamment, via le FED, ou dans la part croissante des allègements de dettes. Alors qu'elle était une composante essentielle de la diplomatie française en Afrique, notre coopération perd de ce fait de sa visibilité. Si la priorité de la politique française d'aide au développement reste évidemment l'Afrique, et notamment l'Afrique francophone, elle a perdu de ce qui faisait sa singularité sans y gagner en contrepartie.
Cette évolution globale est d'autant plus notable et préoccupante qu'en parallèle, l'Afrique voit arriver à elle de nouveaux partenaires, notamment économiques, qui y investissent fortement, interviennent aussi en matière de coopération bilatérale, et tendent à occuper un terrain que nous abandonnons peu à peu.
Ce sont surtout les grands pays émergents qui s'intéressent à l'Afrique et contribuent à la faire entrer, certes tant bien que mal, dans la mondialisation, à se forger de nouvelles relations. La Chine et l'Inde sont évidemment les plus importants d'entre eux. Ce sont des pays qui entendent profiter non seulement du fort potentiel de développement économique et commercial du continent mais aussi, avant tout, de ses richesses naturelles : il faut savoir par exemple que la Chine importe d'ores et déjà près du quart du pétrole africain, et l'Inde le cinquième, pour ne pas parler de leur intérêt croissant pour les autres matières premières et ressources naturelles du continent. En moins de 20 ans, l'Asie a ainsi triplé ses importations depuis l'Afrique, et elle est désormais quasiment à égalité avec les Etats-Unis et l'Europe, tandis que la croissance annuelle de ses exportations vers l'Afrique y est de 18%, sans équivalent. Ces relations de l'Asie avec l'Afrique ne sont d'ailleurs pas qu'économiques, mais aussi politiques : des sommets de chefs d'Etats sino-africains se réunissent désormais, et l'Inde et l'Afrique du sud, avec le Brésil, autre grand pays émergent qui entend accroître son influence sur le continent, ont su développer des initiatives communes lors de négociations internationales, notamment commerciales.
De leur côté, les Etats-Unis également, reviennent depuis quelques années en Afrique : ils sont motivés en grande partie par des intérêts sécuritaires. Ils cherchent à stabiliser la région dans le cadre de leur lutte contre le terrorisme et complètent leur stratégie par une aide au développement orientée vers le soutien de la croissance économique, la santé et l'éducation et la gouvernance.
Or dans ce panorama, notre pays paraît moins concerné et semble n'avoir pas perçu les changements importants que l'Afrique est en train de connaître. Certes, il ne s'agit pas de sombrer dans l'angélisme. L'Afrique reste, comme je le souligne dans mon rapport, une terre de fort déséquilibres, où le pire côtoie le meilleur : c'est sans aucun doute le continent de la jeunesse, mais aussi celui d'une urbanisation effrénée avec les problèmes qui y sont liés ; ce sont surtout des pays de grande pauvreté, dans lesquels on sait déjà que les objectifs de développement du millénaire ne pourront pas être atteints d'ici à 2015. Ce sont des régions entières où la crise alimentaire et la crise financière feront, font d'ores et déjà, des ravages considérables. C'est encore une région du monde où les effets des changements climatiques seront plus manifestes et porteurs de bouleversements économiques et sociaux, voire géopolitiques, plus importants qu'ailleurs. C'est enfin un continent qui est encore trop en marge du commerce international, facteur essentiel de développement.
Mais en même temps, c'est un continent où enfin les choses bougent dans de nombreux secteurs. Pour cette raison, les membres de la Mission considèrent qu'il serait regrettable que nous nous en retirions au moment précis où il conviendrait d'y rester et que la France ne soit pas aussi présente qu'auparavant pour accompagner l'Afrique dans cette nouvelle étape.
L'Afrique est désormais un continent qui, quoi qu'on en dise, se démocratise peu à peu, et devient moins violent, qui connaît moins de conflits que naguère encore, où la démocratie s'installe malgré les soubresauts. Comme je le souligne dans mon rapport, les progrès démocratiques sont réels et s'inscrivent dans un contexte global de recul de l'instabilité politique qu'il faut saluer et encourager.
C'est aussi une région du monde qui connaît des taux de croissance élevés, et même si les fruits en sont encore mal partagés, c'est une donnée importante. Enfin, le changement que la Mission a tenu à relever est celui des progrès de l'intégration régionale : l'Afrique est en train, peu à peu de prendre son destin en mains et l'Union africaine, malgré toutes ses difficultés, devient une réalité : de nouveaux espaces de solidarité régionale se créent, des mécanismes de résolution des conflits se mettent en place, notamment.
La Mission a donc considéré qu'il était important pour la France d'assumer pleinement son ambition : elle a un rôle à jouer en Afrique, doit le revendiquer et maintenir sa présence, tout en tirant les enseignements des changements importants qui se produisent autour du continent.
Les membres de la Mission considèrent notamment que la France a une politique africaine qui lui est propre, qui s'inscrit dans une tradition ancienne et que le principe doit en être maintenu. Pour autant, ils estiment que le maintien de cette politique africaine de la France devrait se faire d'une autre manière et c'est la raison pour laquelle nous appelons à faire désormais le pari du partenariat, afin de marquer clairement une volonté de rupture avec les pratiques antérieures.
Ce choix du partenariat, la Mission propose qu'il se fasse dans la forme comme sur le fond. Le partenariat suppose ainsi notamment que nos outils traditionnels de coopération soient adaptés à des objectifs déterminés conjointement, d'un commun accord, que les relations soient plus individualisées qu'elles ne le sont, et définies au cas par cas, par pays que l'on pourrait utilement diviser en deux catégories : les pays francophones et les puissances émergentes du continent.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, cela suppose avant tout de renforcer les moyens de la coopération bilatérale à laquelle la Mission considère qu'il faut redonner la priorité, d'autant plus que les allègements de dettes qui permettent de maintenir notre niveau d'Aide publique au développement sont en voie de tarissement.
Ce choix du partenariat implique aussi de changer de ton et de style dans notre relation avec l'Afrique.
Traditionnellement, la politique étrangère de la France, - et la politique africaine peut-être plus encore -, relève du domaine réservé du Président de la République. Il nous semble essentiel, dans la logique de la récente réforme constitutionnelle, dans la logique aussi, du discours du Cap, d'accroître le rôle du parlement en ce qui concerne la politique de notre pays en direction de l'Afrique. Cela passe par une meilleure information de la représentation nationale sur les interventions et les priorités de la France, sur une évaluation de l'aide au développement, à laquelle un débat spécifique sur la politique de coopération pourrait être consacré. Nous suggérons aussi que, sur le modèle de la grande commission créée entre l'Assemblée nationale et la Douma russe, il y ait une commission interparlementaire entre le parlement français et le parlement pan-africain, qui serait un lieu de dialogue privilégié.
L'ouverture à la société civile, à l'entreprise, est aussi une nécessité et pourrait se faire par le biais de journées d'échanges en marge des sommets France – Afrique de manière à prendre mieux en compte leurs préoccupations dans les prises de décision.
Pour les membres de la Mission, ce partenariat doit prendre plusieurs orientations et permettre de définir des actions prioritaires fondées sur l'intérêt mutuel des parties. Il s'agit en premier lieu de concrétiser les engagements que le président de la république a pris au Cap et, à ce sujet, les membres de la Mission estiment utile l'établissement d'une feuille de route.
Ensuite, nous sommes convaincus de la nécessité de renforcer les moyens de l'aide publique bilatérale, tout particulièrement en faveur de l'éducation et de la formation. A l'heure où la francophonie, tout particulièrement en Afrique, tend à marquer le pas, où des pays anglophones prennent une importance croissante sur le continent, c'est à notre pays, et à lui seul, qu'il appartient de réagir, si l'on veut éviter pour qu'elle ne se réduise comme peau de chagrin. C'est la raison pour laquelle le renforcement de la coopération bilatérale que les membres de la Mission souhaitent vivement, doit notamment concerner le soutien à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, et tout particulièrement dans les pays d'Afrique subsaharienne.
Enfin, dans la mesure où la croissance économique est le premier moteur du développement, il importe aussi de soutenir les entreprises françaises en Afrique et le développement des entreprises africaines, notamment les PME.
Renforcer notre action bilatérale ne signifie pas renoncer à notre coopération multilatérale qui est et restera irremplaçable dans certains secteurs : en matière de santé, par exemple, l'importance des moyens qu'il faut mettre en oeuvre pour lutter contre les grandes pandémies fait qu'elle est nécessairement plus efficace que la coopération bilatérale.
Mais il faut profiter de cet « aggiornamento » pour mieux valoriser la coopération multilatérale à la laquelle contribue fortement la France. Ce sera aussi une façon pour notre pays de renforcer la portée du nouveau partenariat que l'on propose avec l'Afrique.
Comme le soulignait l'ancien secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, il en va de l'intérêt de la planète de prendre conscience de l'énorme potentiel de croissance de l'Afrique. J'ajoute qu'il en va aussi de l'intérêt de la France et de la promotion des valeurs auxquelles nous croyons. C'est aujourd'hui moins que jamais le moment de renoncer à l'Afrique et de nous en détourner. C'est tout au contraire celui d'essayer de repartir sur de nouvelles bases, plus équilibrée, plus confiantes, de véritable partenariat, d'égal à égal, pour rattraper tant qu'il en est encore temps le chemin qui est en train d'être perdu. C'est tout le sens de la réflexion de la Mission.
L'Union africaine a été à juste titre évoquée dans le rapport, qui d'une façon générale va dans le bon sens lorsqu'il souligne le besoin d'un changement de ton et de style dans nos relations avec l'Afrique. Comment l'Union africaine perçoit-elle la mise en place de l'Union pour la Méditerranée ?
Je veux féliciter le Président et le Rapporteur de la mission pour leur travail considérable et leur rapport de qualité. J'observe, malicieusement, que, lorsque la commission des affaires étrangères confie les fonctions de président et de rapporteur d'une mission d'information respectivement à un membre du groupe SRC et à un membre du groupe UMP, ils travaillent toujours en parfaite intelligence ; en l'occurrence, ce sont deux membres du groupe UMP qui avaient été désignés et des dissensions sont apparues… Je ne commenterai pas le choix personnel fait par notre ancien collègue M. Renaud Dutreil et je salue la capacité qu'a eue M. Jacques Remiller à prendre le relais comme rapporteur.
Le constat dressé par la mission est le bon ; ses propositions sont intéressantes et notre groupe souscrit à la plupart d'entre elles. Mais on peine à dépasser l'ambiguïté fondamentale de l'influence respective dont peuvent disposer le Gouvernement et le Parlement dans les relations franco-africaines. L'exécutif a mené des actions éminemment critiquables : que l'on songe aux contradictions flagrantes qui ont eu pour protagonistes MM. Jean-Marie Bockel, Robert Bourgi et Omar Bongo ; que l'on songe également au décalage entre l'abominable discours de Dakar et le discours du Cap, prononcés par le Président de la République. Il est louable que le Parlement veuille infléchir la politique du Gouvernement mais celui-ci sait-il bien lui-même où il va ? Où est donc la rupture promise dans la politique de la France en Afrique ? Le groupe SRC, tout en souscrivant aux conclusions de la mission, y adjoindra sa propre contribution.
Le Président Axel Poniatowski. Les relations franco-africaines sont certes complexes et les actions critiquables ont été le fait de très nombreux gouvernements successifs.
Sans appartenir à la mission, j'ai suivi ses travaux avec attention et, au-delà même du contenu intéressant du rapport et des propositions qu'il formule, je veux saluer le ton employé et la hauteur de vue de la mission, dont beaucoup de responsables politiques devraient s'inspirer. Qui est « l'homme africain » ? Rien d'autre que l'homme qui vit en Afrique, ce berceau de l'humanité. Plutôt que de rôle de la France et de l'Europe en Afrique, je parlerais de responsabilité : l'histoire laisse des traces.
La mission a raison de mettre en valeur la notion de partenariat. J'ai personnellement eu l'occasion de constater que notre politique d'aide au développement était entravée par l'échec des accords de partenariat économique (APE) conclus dans le cadre de l'Accord de Cotonou, le blocage provenant de ce que les Européens imposent unilatéralement leurs vues, là où les Africains ont besoin de respect. Or, ce blocage ne fait qu'aggraver la pauvreté en Afrique.
Il est essentiel de distinguer les relations bilatérales des relations multilatérales. Dans le cadre bilatéral, la France porte une responsabilité propre. À ne pas allouer à sa coopération au développement les moyens financiers qui seraient nécessaires, elle risque de se trouver confrontée à des conséquences autrement plus coûteuses, en termes de sécurité par exemple. Dans le cadre multilatéral, il faut relancer les APE et la présidence française de l'Union européenne eût dû s'y atteler.
Gardons nous d'imposer aux pays d'Afrique, dans les réformes préconisées, un rythme trop rapide qui serait incompatible avec leurs intérêts : par exemple, une adhésion à l'OMC n'est pas envisageable sans consolidation économique interne préalable. Il n'existe pas de modèle unique de développement. Ceux qui prétendent le contraire sont mus par des intérêts propres, français ou européens, mais pas par ceux des Africains. Sans vouloir céder au pessimisme, il faut espérer que le berceau de l'humanité ne devienne pas son tombeau.
Le Président Axel Poniatowski. Je vous informe que le bureau de la commission a décidé hier de créer une mission d'information sur l'équilibre entre multilatéralisme et bilatéralisme en matière d'aide au développement, dont les travaux ne seront d'ailleurs pas limités au continent africain.
J'adresse mes félicitations au Président et au Rapporteur de la mission. La France n'a pas à renoncer à sa politique d'influence en Afrique, et le Président de la République a raison d'insister sur ce point à l'heure où les Chinois, les Américains ou les Britanniques consolident leurs propres positions. Il convient toutefois d'éviter toute dispersion de nos moyens d'aide bilatérale. J'estime que celle-ci doit se limiter à l'éducation et à la formation, qui participent de la défense de la francophonie, à l'heure où notre langue est malmenée en Afrique. C'est en revanche une erreur d'inclure dans notre aide bilatérale l'action sanitaire, qui relève, tout comme l'aide alimentaire, du multilatéral.
Relancer notre action bilatérale est une ardente obligation. Or nos postes diplomatiques en Afrique disposent de moyens sans cesse réduits pour ce faire ; cela justifierait la création d'une mission d'information ad hoc. J'approuve l'essentiel des conclusions du rapport, notamment en ce qu'elles tendent à redonner au bilatéralisme ses lettres de noblesse et à inciter les entreprises françaises à être davantage présentes en Afrique.
Je participais hier à une rencontre avec des gouverneurs afghans, qui n'ont cessé de plaider pour le développement d'une démocratie proprement afghane. De même, je crois que la démocratie et l'économie africaines ne peuvent être conçues ailleurs qu'en Afrique ni imposées de l'extérieur, sur le mode de l'attitude de colon qu'entretient le Club de Paris en matière de rééchelonnement de dettes. L'accroissement des relations entre certains pays africains et l'Inde ou la Chine tient justement à l'attitude de ces dernières, qui ne cherchent pas à donner de leçons.
Nous avons eu, dans le cadre du débat budgétaire, des échanges qui concernaient l'Afrique, à propos de la présence française dans le monde, de l'enseignement français à l'étranger ou encore du format de notre réseau culturel. N'y a-t-il pas une contradiction entre la diminution des moyens budgétaires en cause et le souhait de renforcer les relations franco-africaines ?
Par ailleurs, la mission s'est-elle intéressée aux conséquences de la politique française en matière d'immigration sur nos relations avec l'Afrique ?
Renforcer notre politique de coopération est une nécessité soulignée avec raison par le rapport. L'une des voies possibles consiste à mieux articuler la coopération décentralisée et la coopération bilatérale entre États : l'essor des cofinancements permettrait de renforcer la cohérence globale de l'aide allouée. Mais cela suppose d'augmenter les crédits de l'aide bilatérale au lieu de camoufler son insuffisance à l'abri de l'action de l'Union européenne.
Le Président Axel Poniatowski. Le recul de la présence des entreprises françaises en Afrique est préoccupant, et la proposition de la mission est bonne, qui consiste à créer, en marge des sommets France-Afrique, des journées consacrées aux entrepreneurs. Mais au-delà de ce qui ne peut être qu'une incitation et non une obligation, a-t-on une idée de la raison pour laquelle les entreprises françaises s'implantent moins sur ce continent ? N'est-ce pas une des conséquences d'un moindre interventionnisme étatique de la part de la France ?
Je remercie l'ensemble de mes collègues pour leurs propos aimables.
En tant que rapporteur, j'ai travaillé dégagé de toute influence et sans pratiquer la langue de bois au sujet d'un continent que je connais bien pour y avoir effectué une partie de ma carrière professionnelle.
Contrairement à M. Dufau, je suis très optimiste sur l'avenir de l'Afrique. Les choses bougent sur ce continent qui a choisi de prendre son destin en main. Celui-ci lui appartient désormais, c'est le message que le rapport souhaite transmettre.
Si je partage l'ensemble des réflexions de nos collègues, je souhaite revenir sur plusieurs questions évoquées :
Ce rapport s'inscrit dans la logique du renforcement du rôle du Parlement en matière de politique étrangère prévu par la réforme constitutionnelle et par le discours du Cap pour l'Afrique. Dans ce cadre, j'espère que notre rapport fera date et que la proposition d'une commission interparlementaire entre Parlement français et Parlement panafricain retiendra l'attention.
Le lien entre l'Union pour la Méditerranée et l'Union africaine reste à préciser.
Il est essentiel de renforcer la francophonie afin de sauvegarder la langue française qui est attaquée de toutes parts. La disparition de notre langue annoncerait celle de la présence française en Afrique. A cet égard, la diminution des financements octroyés aux centres culturels français est préoccupante.
Si le renforcement de l'aide bilatérale est souhaitable de même que la renégociation des accords qui en découlent, la France doit au préalable définir clairement les contours nouveaux de sa politique en Afrique. La coopération décentralisée et son articulation avec la coopération nationale constituent également une piste de travail importante.
Parallèlement à la formation et l'éducation, la santé doit être un domaine d'action prioritaire en Afrique. J'ai souhaité que le rapport insiste sur ce point.
Le recul de la présence économique française est principalement dû au fait que les entreprises françaises peinent à s'adapter à la nouvelle donne économique en Afrique
Je partage la passion du rapporteur pour l'Afrique. Je souhaite apporter des réponses sur deux points :
– sur l'Union pour la Méditerranée, M. Alpha Oumar Konaré, président de la commission de l'Union africaine nous a fait part des ses craintes de voir l'Afrique subsaharienne marginalisée par le projet d'Union pour la méditerranée alors que l'interlocuteur naturel de l'Union africaine est aujourd'hui l'Union européenne ;
– sur le recul des entreprises françaises en Afrique, le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) a mis en avant deux éléments d'explication : le premier tient à l'insécurité juridique qui règne en Afrique, le second réside dans l'attitude chinoise qui continue à pratiquer les aides liées qui faussent la concurrence en excluant les entreprises non chinoises. Je me permets de souligner également un handicap culturel : les entreprises anglo-saxonnes semblent mieux armées pour la compétition.
En réponse à M. Lecoq, le sujet de l'immigration n'a pas été abordé dans le rapport car il mériterait une mission d'information à part entière.
Je vous remercie M. le président et M. le rapporteur et vous adresse mes félicitations pour la qualité de votre rapport.
La commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.
La séance est levée à onze heures trente.