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Intervention de Isabelle Vasseur

Réunion du 19 février 2009 à 9h30
Lutte contre les discriminations — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Vasseur :

Par-delà les aléas de l'histoire, il faut bien avouer que nos trois grandes valeurs se sont imposées successivement dans nos esprits et dans la loi. Très rapidement, la « Liberté » a pu être consacrée : liberté de vote et d'opinion, d'enseignement et d'association. Plus progressivement, la « Fraternité » a été mise en avant au fil des siècles : fraternité entre les territoires, entre les hommes, entre les générations. L'« Égalité », elle, en dépit de son inscription dans le marbre des droits de l'homme, a bien du mal à exister véritablement.

Depuis que la sémantique existe, on discute d'ailleurs sur la différence entre l'équité et l'égalité. En dépit des nuances de perception entre les deux termes, la problématique est toujours là : comment faire pour ne pas créer une société à plusieurs vitesses, avec des populations dissemblables au sein d'un même territoire ? Dissemblables, parce que culturellement différentes ; dissemblables, parce que socialement inégales ; dissemblables, parce que ethniquement plurielles.

Comment faire cohabiter et rendre égaux des hommes et des femmes ayant des différences apparentes au sein d'une même nation, ce plébiscite de tous les jours, comme le disait Renan ? Comment passer, en un mot, de l'égalité de principe à l'égalité réelle, sans laquelle la République n'est qu'un impossible rêve ?

La France, vieux pays au carrefour de l'Europe, a connu des dizaines et des dizaines d'influences, qu'elles soient religieuses, culturelles, ethniques ou sociales. À chaque fois, des populations extérieures à sa population d'origine ont pu l'intégrer, jusqu'à se confondre avec elle.

Certes, cela n'a pas toujours été simple, et les anciens immigrés italiens et polonais, par exemple, se souviennent de la xénophobie latente qui s'exprimait parfois sur le territoire national, mais notre pays, depuis, a su ouvrir ses bras et accepter l'altérité qui, tout compte fait, enrichit toute la nation.

La France a en effet une vocation universelle.

La France, généreuse, ne veut pas connaître la couleur de peau de ses enfants pour les distinguer les uns des autres. Souvenons-nous : notre pays a pu connaître de grands hommes d'État dont les origines ethniques n'étaient pas celles de la majorité des Français d'alors : Félix Éboué, Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Gaston Monnerville, le Bachaga Boualam. Seules leurs qualités éminentes ont compté, au-delà de toute autre considération.

La République ne distinguait alors que le mérite. Elle tenait ses promesses. C'était l'époque où un petit-enfant de paysans pouvait devenir agrégé puis Président de la République, comme le Président Pompidou.

Depuis une trentaine d'années, pourtant, la société sent bien, confusément, qu'il existe une injustice insupportable dans certains comportements sociaux, ce qu'on appelle communément la discrimination. Comme le précise le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter il y a quelques mois à la représentation nationale, je rappelle que celle-ci se définit comme le traitement moins favorable réservé à une personne dans une situation comparable.

Ainsi, selon la directive européenne du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, « une discrimination se produit lorsque, pour des raisons de race ou d'origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable ».

Les discriminations sont déjà condamnées, dans notre système juridique, par au moins deux lois importantes : celle de 2001 et celle de 2004. Les rédacteurs de l'exposé des motifs de la présente proposition de loi soulignent d'ailleurs le fait que la législation, nationale et européenne, est abondante sur le sujet. Cependant, il faut bien l'avouer, des pratiques discriminatoires, bien qu'illégales, sont encore répandues et parfois socialement admises. Comme elles sont souvent insidieuses, généralement indirectes et rarement écrites, leur ampleur est difficile à apprécier.

Déjà, M. Bernard Stasi, qui avait été chargé d'une mission de préfiguration de l'autorité indépendante de lutte contre les discriminations, écrivait dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre en février 2004 : « Chacun est susceptible, à un moment ou à un autre de son existence, d'être victime de pratiques discriminatoires non sanctionnées, par exemple pour l'accès à l'emploi, au logement ou aux loisirs. »

Ces discriminations, nous devons les combattre, c'est le devoir de tous et, en premier lieu, du législateur, mais, en aucun cas, je vous le dis ici avec conviction, la recherche de l'égalité réelle ne saurait autoriser l'introduction dans notre droit positif d'autre notion que l'égalité des chances.

C'est dans cet esprit que nous avons eu à connaître la proposition de loi de Mme Pau-Langevin. Si ce texte part d'idées respectables, il ne peut être adopté en l'état (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), et cela pour au moins six raisons.

La première raison est une question de définition.

Vous affirmez, madame la députée, vouloir, par votre texte, combattre les discriminations liées à l'origine, réelle ou supposée. S'il est vrai que la haute autorité de lutte contre les discriminations, mais aussi de nombreuses études sur ces thématiques, évoquent largement l'origine pour établir leurs conclusions, il apparaît bien malaisé de définir exactement ce que l'on appelle l'origine, réelle ou supposée.

S'agit-il, d'ailleurs, de l'origine sociale, dont on sait quel rôle primordial elle joue dans la persistance des inégalités entre les hommes ?

S'agit-il de l'origine ethnique ? Si oui, comment la percevoir avec objectivité ? Sur quel critère ? Est-ce la couleur de peau ? La consonance du patronyme ? Les ascendants familiaux ?

Dans la loi, il semble que l'origine soit différente de la race, dans la mesure où de nombreux textes législatifs distinguent, sans les définir d'ailleurs, les termes « origine ethnique » et « race ».

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