Par cette proposition de loi, les députés socialistes veulent mettre en débat la question des discriminations que subissent nombre de nos concitoyens français : enfants, petits-enfants, arrières-petits-enfants de Français – voire descendants plus lointains encore – qui participent au développement et à la richesse de notre pays, qui lui apportent de la créativité, des innovations culturelles, de l'intelligence collective, qui sont nécessaires à son dynamisme dans la compétition internationale et dans la crise du système économique que nous connaissons, ils se trouvent pourtant confrontés au mur des préjugés, à des pratiques discriminatoires, et ne sont parfois qu'à peine tolérés aux postes à responsabilités, notamment dans le monde professionnel.
Il est temps que notre pays se regarde en face, au fond des yeux, tel qu'il est et tel que son passé l'a façonné, sans fierté immodérée, mais sans honte et sans retenue. Il est temps de reconnaître tous les méandres de ce passé – le fait colonial autant que la mémoire des combattants qui ont lutté pour la France. Ce passé est là, devant nous, quand nous parcourons le pays. Il a fait la France de ce début du XXIe siècle, la France d'aujourd'hui comme elle s'est toujours construite, puisque l'une des particularités de notre pays, souvent refoulée, est d'avoir toujours été, depuis l'époque gauloise au moins, un pays d'immigration.
Là est tout l'enjeu de nos débats. Nous devons sortir des déclarations d'intention, parfois généreuses, mais sans effet réel. Si les symboles sont utiles, je veux surtout pouvoir dire aux enfants des quartiers populaires, des communes de ma circonscription, aux enfants de Seine Saint-Denis qu'ils sont, comme moi, comme nous tous, les enfants de la République – vraiment, complètement, réellement. Je veux leur dire que leur nom, leur couleur de peau, leurs choix personnels, philosophiques ou religieux, mais aussi leur code postal ou leur sexe, tout cela ne compte pas devant la main tendue par la nation tout entière pour leur réussite à tous : la République, en effet, voit dans nos différences un atout quand elles portent les mêmes valeurs collectives, quand elles soutiennent le même projet.
Comme le disent les responsables d'une association, « Les Indivisibles », que je connais bien, « quand on est Français, cela ne se voit pas » ! Notre démarche ne consiste pas à enfermer certains citoyens dans une identité particulière, à spéculer sur leur victimisation ; au contraire, nous devons permettre à ces identités diverses, qui façonnent notre pays, de le rendre plus fort, plus souple, plus habile – en clair, meilleur à tout point de vue.
Reconnaissons que la France a du mal à franchir ces obstacles. Pendant longtemps, les droits des étrangers ont été niés : songez qu'il a fallu attendre 1981 pour que le droit d'association leur soit reconnu ! Aujourd'hui, nous attendons toujours, malgré notre mobilisation constante, que le droit de vote aux élections locales soit accordé aux étrangers non-européens qui, pour bon nombre d'entre eux, vivent en France depuis des années, voire des décennies ! J'entends à l'instant deux éminents collègues de la majorité se prononcer en faveur de la création de ce droit de vote pour les prochaines élections municipales, alors que nous avons tant tardé : faisons-le ! Vous avez autant que nous la possibilité de déposer des propositions de loi : la nôtre est là ; nous attendons la vôtre ! En effet, l'image projetée sur les enfants de ces étrangers, eux-mêmes citoyens français, mine le sentiment d'appartenance à la communauté nationale.
C'est dans le même mouvement que nos collègues du Sénat ont adopté, le 11 février dernier, à l'initiative des socialistes, une proposition de loi visant à supprimer la condition de nationalité pour l'exercice d'un certain nombre de professions. Dans la foulée de ce pas en faveur de la lutte contre les discriminations, nous vous invitons, avec la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, à aller de l'avant.
Dans certains domaines comme celui de l'emploi, l'existence de discriminations est connue depuis longtemps. Pourtant, dans bien des cas, les actes, et plus particulièrement les actes publics, tardent. Si des initiatives existent, elles sont souvent d'origine privée : il peut s'agir de chartes, de sessions d'entretien délocalisées, de procédures de recrutement spécifiques, ou encore de partenariats et de parrainages.
La diversité de ces actions contraste fortement avec le manque d'initiatives publiques.
Nous voulons que l'action publique soit exemplaire et qu'elle soit motrice dans ce domaine, plutôt que spectatrice. D'ailleurs, les violences urbaines le rappelaient à ceux qui voulaient « nettoyer » les problèmes, et le conflit social en cours aux Antilles le confirme à son tour ; l'échec social, en particulier pour les jeunes des quartiers populaires, se nourrit du désengagement de l'État. Loin d'opposer les actions publiques et privées les unes aux autres, notre proposition de loi entend au contraire responsabiliser les acteurs économiques et sociaux et mieux articuler ces actions en comblant certains manques.
Le constat reste en effet sévère sur la réalité des discriminations à l'embauche et à l'avancement de carrière. Depuis 2002, malgré les actions de communication et la création de la HALDE, la situation a trop peu progressé. Au-delà des discours, la suppression des emplois-jeunes, qui permettaient pourtant de lier une première expérience professionnelle qualifiante à une formation, la réduction du nombre d'inspecteurs du travail capables de reconnaître les cas de discriminations, l'absence de responsabilisation des donneurs d'ordre dans les filières de sous-traitance, l'absence de moyens suffisants donnés à la HALDE et aux associations qui agissent pour l'égalité des droits ont même parfois donné le sentiment que, comme dans le cyclisme, le sur-place amène à la chute.
Non, les jeunes qui donnent des couleurs à la France ne doivent pas être cantonnés à la réussite sportive ou culturelle, aussi brillante soit-elle ! Ils sont ingénieurs, techniciens, médecins, avocats, philosophes, enseignants ou créateurs d'entreprises. Et s'ils ne le sont pas encore, ils attendent de le devenir dès aujourd'hui, ils attendent que notre pays leur ouvre toutes les possibilités, y compris celle de devenir députés, chers collègues !