Madame la secrétaire d'État, chers collègues, cette discussion sur les discriminations mériterait plus que ce que nous appelons une niche parlementaire dans notre jargon. Mais je remercie notre collègue George Pau-Langevin pour sa pugnacité, aussi bien au sein de son groupe qu'au sein de l'Assemblée, à faire ouvrir ce débat. Comme Christophe Caresche, j'espère qu'il le sera véritablement car il arrive à point nommé. Espérons qu'il aille au-delà de la discussion générale !
La question des discriminations traverse l'ensemble de notre société ; elle se pose à de nombreux niveaux, à tel point que cela mine le vivre ensemble, mais aussi le pacte de cohésion sociale tant défendu – en apparence – par ce Gouvernement.
Depuis le début de ce quinquennat, à propos de chaque loi, les éléments discriminatoires ont augmenté ; ils ont été dressés comme moyen de lecture de notre société et donnés comme éléments d'argumentation à la crise sociale et économique actuelle.
Le Gouvernement n'a cessé d'opposer – et d'imposer dans l'inconscient collectif – les jeunes aux plus âgés, les banlieues aux centres villes, les Français aux étrangers, les salariés du secteur public à ceux du secteur privé, les gens du voyage aux autres européens, les « bons » aux « mauvais » migrants, les pratiquants de l'islam à ceux d'autres religions.
Nous voyons le résultat : une France coupée, découpée en « bon » et « mauvais » côté. La ligne de démarcation a été définie de manière unilatérale par ceux qui pensent que le monde ne peut se lire que par le prisme de l'exclusive ethnique, raciale ou religieuse, et que pour éviter toute relation avec ceux qui sont du mauvais côté, il n'y a d'autre solution que de fabriquer de l'exclusion pour se protéger et rester entre soi.
Voilà pourquoi la discrimination existe et que rien n'est fait, ici et maintenant, pour lutter contre les injures faites aux femmes et hommes que nous sommes, dans notre diversité.
Il vaut mieux faire penser qu'il y a un monde appartenant à l'axe du bien et qu'un autre est du côté de la barbarie, du terrorisme, plutôt que de lutter efficacement et démocratiquement contre les nombreuses violations dénoncées dans le rapport de George Pau-Langevin, et surtout contre ce qui génère la discrimination.
Le rapport précise aussi qu'il y a une législation abondante, tant au plan national et européen qu'international, visant à lutter contre les discriminations – je ne vous les citerai pas, car nous y passerions la journée. Or, malgré cet arsenal, les discriminations sont quotidiennes ; le nombre de victimes augmente sans cesse : pour preuve, en 2006, la HALDE a reçu un peu plus de 4 000 réclamations, et plus de 6 000 en 2007. Il est heureux, d'ailleurs, que les victimes s'adressent plus facilement à la HALDE. Peut-être est-ce dû au fait qu'elles se sentent libérées depuis la loi du 16 novembre 2001, avec l'aménagement de la charge de la preuve. Il est utile de rappeler que la France a été plusieurs fois épinglée pour ses politiques discriminatoires et violatrices des principaux instruments européens et internationaux en matière de droits de l'homme : je pense au dernier examen périodique universel mais aussi au rapport de l'ancien rapporteur spécial de l'ONU sur les formes contemporaines de racisme.
Toujours est-il qu'une telle augmentation est réellement préoccupante. Elle pose la question de l'origine des discriminations. Celles-ci tiennent-elles à l'absence de texte législatif, à l'absence de peine associée à des preuves de discrimination ou à la nature encore non identifiée de la discrimination ? À rien de tout cela. La réponse renvoie à une autre question : y a-t-il une volonté de lutter contre les discriminations, toutes les discriminations, quelle qu'en soit l'origine ? Il semble bien que non ; même si, je le répète, l'arsenal juridique est là, de nombreuses discriminations constatées ne sont pas suivies de condamnations, ou seulement d'une amende ou d'une peine de prison avec sursis – relativement rare – ne dépassant pas trois mois d'emprisonnement, assortie de dommages et intérêts variant de 300 à 900 euros, alors que l'article 225-2 du code pénal prévoit trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Bref, même si les auteurs de discriminations ne bénéficient plus d'une totale impunité, leurs condamnations ne sont pas assez lourdes.
Le Gouvernement préfère mettre en avant la nécessité d'éduquer ou de prévenir – c'est d'ailleurs l'un des seuls domaines où il emploie ces termes – afin de faire évoluer les mentalités ; il demande ainsi au patronat de mettre en place des codes de « bonnes pratiques » et une « promotion de la diversité ». Mais il ne s'agit pas de s'arranger avec la discrimination pour lutter contre elle, ni de louer les vertus de la discrimination positive ; il s'agit d'affirmer l'égalité de traitement pour tous.
Il faut lutter contre les discriminations et ne plus tolérer aucune d'entre elles, à commencer par la discrimination légale dans l'accès à la fonction publique, dans certaines entreprises sous contrat, dans l'accès à certaines filières comme le droit et le commerce, ainsi que la discrimination dans la liste des emplois disponibles pour les ressortissants non européens.
Une telle légalisation de la discrimination ne fait que renforcer la discrimination sociale, car elle suppose l'exclusion des migrants du marché du travail au nom de la préférence nationale. Les discriminés sont relégués, et non « auto-relégués » : ils demandent l'abolition des clivages et des hiérarchies insufflés dans les esprits au point de devenir des croyances d'État. Ils se font entendre, et nous sommes là, sur ces bancs, pour relayer leurs voix. Les « sans-voix », longtemps cachés, sont sortis de l'ombre et veulent être entendus. C'est de cela aussi que nous parlent aujourd'hui les syndicalistes et la population de Guadeloupe et des DOM-TOM. Ils demandent que les rapports sociaux fondés sur l'exploitation de populations identifiées à partir de critères ethniques et raciaux cessent afin que le métissage social existe. N'existe pour l'instant que le métissage biologique, comme l'a d'ailleurs rappelé avec une certaine violence, mais non sans franchise, M. Huygues-Despointes dans un documentaire diffusé par Canal Plus. Cette absence de métissage social appelle et favorise la sélection au faciès ; elle fait le lit de la ségrégation et des discriminations.
Nous sommes confrontés au même problème dans l'Hexagone. Si nous voulons que les personnes cessent de se dévisager et commencent à s'envisager, selon le mot de Cocteau, il faut, en Guadeloupe comme dans tous les DOM-TOM et en Métropole, vouloir changer les rapports sociaux pour qu'une véritable mixité sociale émerge. Tant que ne seront pas reconnus l'ensemble des processus d'infériorisation sociale, tant que ne sera pas admis qu'à niveau équivalent de richesse et de compétences, certains jouissent de privilèges et ont des opportunités d'accession au bien-être refusées à un nombre important de citoyens, alors les discriminations persisteront et, surtout, ne seront pas punies comme elles devraient l'être dans un pays qui se déclare État de droit.
En définitive, aujourd'hui, la preuve est faite du peu de volonté du Gouvernement de répondre à ces questions essentielles pour notre société. En effet, la proposition de loi reçoit bien peu d'écho : seulement deux de ses articles – sur près de vingt – sont retenus, et elle risque de ne pas dépasser le cadre de la discussion générale, puisque le Gouvernement semble préférer attendre les propositions de Yazid Sabeg, comme si celles émanant des députés n'étaient pas sérieuses.
Pourtant, il y a urgence pour les victimes de discriminations, dans les DOM-TOM, en métropole, dans les entreprises, dans les écoles et dans les quartiers populaires. Il y a urgence, pour les migrants et leurs enfants, à rendre effectives les peines prévues par la loi dans le cas de manquements au respect des droits civils et des droits humains, afin que l'« égalité des chances [cesse] » – comme l'a dit le Président de la République dans son discours sur la diversité – « d'être théorique pour devenir réelle ». L'égalité des chances et la mixité sociale deviendront réelles le jour où toute violation, quel qu'en soit le responsable, sera jugée et punie d'une peine effective et à la hauteur de la nature de la discrimination. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)