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Intervention de George Pau-Langevin

Réunion du 19 février 2009 à 9h30
Lutte contre les discriminations — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorge Pau-Langevin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée de la politique de la ville, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi que j'ai eu l'honneur de déposer avec mon collègue Christophe Caresche et les députés du groupe SRC pour lutter plus efficacement contre les discriminations liées à l'origine, réelle ou supposée. Nous avons écrit « réelle ou supposée » parce que nous savons bien que l'on est souvent considéré de telle ou telle origine sans que cela corresponde pas forcément à la réalité.

Cette proposition de loi est le fruit de plus d'un an de recherches et d'auditions. Elle nous tient à coeur car elle porte sur un sujet douloureux pour ceux qui vivent la discrimination, qui se sentent atteints ou niés dans leur dignité, alors que notre démocratie promet à tout homme le respect et un traitement égal quel que soit l'âge, l'origine ethnique, la religion ou l'orientation sexuelle. Notre pacte républicain est fondé sur des valeurs, la devise de la République porte promesse d'égalité.

Or la discrimination est une sorte de virus qui, insidieusement, sourdement, détruit cet édifice. Il ne faut donc pas s'étonner si, un beau jour, celui-ci s'effondre parce qu'une partie de la population n'y croit plus. Dans nos banlieues, en 2005, dans certaines villes, notamment en outre-mer aujourd'hui, c'est souvent le hiatus entre les discours irréprochables, entre les principes affirmés et l'injustice de la réalité qui engendre des révoltes impossibles à canaliser.

Il y a un peu plus d'un an, a été voté un amendement à la loi Hortefeux sur l'immigration, proposant d'introduire dans notre système des statistiques ethniques. Nous avons estimé que cette démarche était une erreur. En effet, la discrimination est susceptible de toucher nombre de Français, et pas seulement des immigrés, notamment des immigrés de fraîche date.

Il faut se mettre en tête qu'il s'agit d'une conception périmée de la société française que nous combattons résolument. Aujourd'hui, Fatia, Abdoulaye, Nacer ou Vi se sentent Français, ont grandi dans nos villes et s'attendent à être traités à égalité, à pouvoir prétendre aux mêmes charges et aux mêmes fonctions que leurs camarades de classe. Ils tombent donc de haut quand ils se heurtent à des portes closes, à des refus répétés pour accéder à l'emploi, voire, ce qui est particulièrement scandaleux, pour accéder à des stages. Et quand ils sont parvenus à se faire embaucher, ils se rendent trop souvent compte que tel ou tel autre collègue qui a démarré en même temps dans l'entreprise, parfois dans la même administration, progresse plus vite et acquiert des responsabilités dont ils ne peuvent eux-mêmes que rêver.

C'est pourquoi nous avons saisi le Conseil constitutionnel, qui a censuré cette disposition. Pour autant, nous étions conscients qu'un problème subsistait. Le groupe socialiste a donc décidé de mener une réflexion d'ampleur pour être en mesure de proposer une voie médiane. Nous avons procédé à près d'une vingtaine d'auditions, recevant des associations, qui sont ici présentes aujourd'hui, des experts, des chercheurs, et nous avons proposé vingt mesures pour lutter contre les discriminations. Le texte que nous défendons aujourd'hui est la traduction législative du dossier que nous avons déposé au mois de mai.

Dans le contexte de crise que nous connaissons actuellement, certains nous diront peut-être que la représentation nationale devrait plutôt travailler sur un plan de relance ou d'aides aux entreprises, et que les plans sociaux frappent tous les Français, quels qu'ils soient. Mais si nous devons intervenir aujourd'hui, c'est que les plus touchés dans les périodes de crise sont souvent ceux qui, par ailleurs, sont en mesure de se plaindre de discriminations.

La situation est problématique. Malgré une législation importante, tant au niveau européen que français, le phénomène de discrimination reste chez nous massif. Le nombre de saisines de la HALDE a explosé, et les enquêtes, éloquentes, du Bureau international du travail montrent qu'en 2005-2006, seules 10 % des entreprises ont respecté un processus de recrutement non discriminatoire.

La difficulté vient du fait que la discrimination est un phénomène difficile à prouver, insidieux, et ce malgré l'aménagement de la charge de la preuve, avancée fondamentale permise par la proposition de loi déposée par le groupe socialiste et Jean Le Garrec en 2001, et défendue par Martine Aubry. On ne lutte pas de la même manière contre un employeur qui vous dit : « Je ne vous embauche pas parce que vous êtes de couleur » et contre un employeur qui ne dit rien mais ne vous embauche pas et dans l'entreprise duquel, alors que personne n'y est raciste, l'encadrement est exclusivement blanc.

Que proposons-nous ? Un discours répandu aujourd'hui, et qui a notamment été défendu par le Président de la République à Polytechnique, nous dit que la seule voie pour avancer est la discrimination positive et les quotas ethniques. Bien que nous ayons apprécié un certain nombre de propositions et de propos dans ce discours, nous pensons qu'il s'agit fondamentalement d'une erreur. D'ailleurs, le comité présidé par Mme Simone Veil, à qui le Président de la République avait demandé d'examiner la possibilité d'aménager la Constitution, ne lui a pas donné satisfaction et a rappelé les principes essentiels qui régissent notre État de droit.

C'est une erreur fondamentale de parler de discrimination positive, parce que si nous considérons que la discrimination est un délit, une distinction illégitime ou fondée sur des motifs illégitimes, par définition, c'est quelque chose qui ne peut être positif. Je crois donc que cette manière de désigner une politique de lutte contre les discriminations est erronée et que nous devons cesser d'utiliser ce type d'expressions.

Les quotas sont également une erreur, et le groupe socialiste ne peut pas être d'accord, parce que, forts des principes qui régissent notre société, nous refusons que la population française soit classifiée en catégories en fonction de l'origine ou de la couleur de la peau. La solution ne peut être un quota qui attribue aux uns et aux autres des places en fonction de l'apparence.

D'un autre côté, on ne peut pas considérer que la situation actuelle soit satisfaisante. Il faut sortir des débats théoriques, des débats « théologiques », ai-je envie de dire, dans lesquels nous nous complaisons et qui nous empêchent d'avancer. Il faut aller vers des mesures concrètes, observer les processus de recrutement des entreprises, les déroulements de carrière, le fonctionnement des équipes encadrantes : pourquoi ne sont-elles pas aux couleurs de la France ? Il faut proposer plus de transparence dans l'attribution des logements sociaux, réfléchir à la manière dont on recrute dans les grandes écoles et dont se constituent les élites dans ce pays. Il faut se demander comment donner leur chance à ceux qui ont des connaissances, des atouts, de l'intelligence, mais qui ne disposent pas des codes sociaux et culturels régissant les élites dans notre société.

Aussi, nous demandons que soit facilité l'accès aux marchés publics pour les entreprises menant une politique volontariste de lutte contre les discriminations, et qu'à l'inverse en soient exclues les entreprises condamnées pour discrimination. Nous demandons que l'on oblige chaque entreprise à indiquer dans le bilan social présenté aux représentants du personnel les efforts accomplis en matière de lutte contre les discriminations. Nous souhaitons également que soient conduites des expérimentations en vue d'assurer une plus grande transparence dans l'attribution des logements sociaux, c'est-à-dire notamment l'anonymisation des candidatures.

En ce qui concerne l'accessibilité aux grandes écoles, il faut que chacun puisse y entrer en fonction de ses bons résultats au baccalauréat et non simplement en fonction d'un concours qui contribue à reproduire les élites à l'identique.

Il faut donner davantage de pouvoir à la HALDE, dont le travail en la matière mérite d'être salué. Enfin, il convient d'avancer dans la connaissance des discriminations, parce que le fait d'être frileux en la matière signifie que nous nous voilons la face et que nous pensons que les choses vont mieux que ce n'est le cas en réalité.

Je souhaite qu'aujourd'hui, tous partis confondus, nous décidions d'agir pour prendre à bras-le-corps ce problème. Dans ma permanence, dans le 20e arrondissement de Paris, je reçois trop souvent des gens brisés par l'humiliation qu'ils ont subie en étant refusés dans un emploi. J'ai ainsi reçu récemment – et j'ai tenu à ce que cela figure dans le rapport – une personne employée par Aéroports de Paris et qui m'a raconté comment, au jour le jour, par des humiliations discrètes, des refus de lui donner des postes correspondant à son niveau, on l'avait acculé à se plaindre de discrimination. Des collègues ayant témoigné en sa faveur ont tous été licenciés. Le licenciement a été annulé car il était dépourvu de motif réel et sérieux, mais on a refusé de croire qu'il puisse y avoir discrimination.

Nous devons lutter plus efficacement contre les discriminations et j'espère que, tous bancs confondus, nous adopterons cette proposition de loi qui, par des mesures simples et limitées, nous incite à faire en sorte que, comme le disait Aimé Césaire, il n'y ait plus dans notre pays des gens qui soient nègres avec le sentiment d'être commis de deuxième classe en attendant l'avancement.

Il n'y a pas de citoyens de deuxième zone. Il faut que, dorénavant, chaque citoyen de ce pays se sente traité à égalité avec les autres, se sente respecté. Vous pouvez y contribuer, même modestement, en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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