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Intervention de Jacques Remiller

Réunion du 28 avril 2009 à 15h00
Lutte contre l'inceste sur les mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Remiller :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque notre excellente collègue Marie-Louise Fort m'a proposé de cosigner cette proposition de loi, j'ai immédiatement accepté, car on ne peut que la féliciter d'avoir eu cette initiative visant à combler un vide juridique sur un sujet éminemment sensible. En effet, pour combattre ce fléau qu'est l'inceste, il faut commencer par le nommer en l'insérant dans le code pénal.

L'inceste, du latin incestus, « impur », désigne une relation sexuelle entre membres de la même famille et soumise à un interdit. Mais cette définition est insuffisante, car il existe de grandes variations selon les sociétés et les époques, et même selon les circonstances. Il y a une typologie de l'inceste fondée sur le discours social à propos du degré de proximité et le genre de parenté biologique, imaginaire et symbolique, discours social d'où découle le sentiment incestueux. Aujourd'hui, l'inceste n'existe pas dans notre code pénal. Il est jugé en tant que viol, agression ou atteinte sexuelle – avec circonstance aggravante s'il est commis par ascendant ou personne ayant autorité, ce qui n'est pas le cas lorsque l'auteur du viol est un frère, une soeur, un oncle, une tante, un cousin ou une cousine, qui représentent pourtant 40 % des agresseurs selon un sondage de l'Association internationale des victimes de l'inceste.

Le viol n'est pourtant pas comparable à l'inceste. Le viol est caractérisé par la menace, la contrainte, la violence et la surprise. Le fait qu'il soit commis par ascendant est une circonstance aggravante. Or, en cas d'inceste, il n'est pas nécessaire pour un agresseur de la famille d'user de menace, contrainte, violence ou surprise, du fait même de la relation intrafamiliale. Que l'inceste soit commis par un frère, un père, un oncle ou une grand-mère, l'enfant qui en est victime n'est pas apte, jusqu'à un âge avancé, à discerner si ce qu'il subit est bien ou mal : pour lui, c'est normal. Les qualificatifs s'appliquant au viol ne sont donc pas appropriés à l'inceste.

L'abus sexuel commis sur un enfant va bien au-delà d'un traumatisme physique immédiat. C'est tout son psychisme, en pleine édification, qui est dévasté. L'abus sexuel s'accompagne d'un abus de pouvoir, d'un abus de confiance, et emprisonne la petite victime dans une violence psychique inouïe. Honte, culpabilité, doute, sentiment de souillure, angoisse, perte de l'estime de soi, prennent toute la place. L'enfant ne se sent plus en sécurité et il redoute que cela recommence. Les fondements de sa confiance en l'adulte et en le monde sont détruits.

Cela est d'autant plus grave que le passage à l'acte est commis par ceux-là mêmes qui sont censés le protéger, l'élever et le défendre. Qui plus est plus, en matière d'inceste, nous constatons une prévalence réactionnelle à l'union des adultes contre l'enfant victime qui se trouve par-là même exclu et considéré comme responsable, le cas échéant, de l'éclatement familial. Beaucoup de victimes se taisent pour protéger la cohésion familiale, parfois au prix de leur propre vie, alors que si l'agresseur est extérieur à la famille, l'enfant pourra espérer être défendu et non rejeté par sa famille. De coupable en cas d'inceste, il est reconnu victime et soutenu en cas de viol par une personne extérieure.

Inscrire dans notre loi qu'un enfant ne peut consentir à un acte sexuel avec un adulte est une réelle avancée. Actuellement, notre système juridique impose des investigations concernant le consentement de l'enfant, ne serait-ce que par les qualifications du viol : menace, violence, contrainte et surprise. Si ces conditions ne sont pas réunies – et il est bien rare de trouver des éléments pour les prouver –, les viols sont correctionnalisés et les peines moindres.

De plus, ce système est en lui-même pervers dans la mesure où il sous-entend qu'un enfant pourrait être consentant à un acte sexuel avec un adulte, alors qu'il n'a pas la notion de ce qu'il subit. Parfois même, lorsqu'il finit par en avoir conscience, il est pris au piège familial jusqu'à sa majorité. Il est sous emprise, une emprise qui peut durer jusqu'à un âge avancé, c'est pourquoi il ne faut pas se limiter à la majorité sexuelle de la victime pour sanctionner plus gravement l'inceste, mais l'allonger jusqu'à la majorité effective.

Reste la question de la prescription des crimes incestueux. Pour les crimes sexuels sur mineurs tels que le viol, ce délai est actuellement de dix ans après la majorité de la victime, vingt ans lorsque le crime est commis par un ascendant ou une personne ayant autorité. Souvent, pour survivre dans cette situation, l'enfant se coupe de ses sensations et se dissocie. L'amnésie post-traumatique lui permet de survivre, l'abus est enfoui, refoulé durant des années, des décennies, mais jamais effacé. En profondeur, les ravages ne s'arrêteront pas aux seules atteintes subies par son corps. Des états dépressifs s'installent, nombre de victimes envisagent même le suicide. La plupart des abus ne se révéleront que bien plus tard, le plus souvent après des années, voire des décennies, lorsque la victime devenue adulte trouvera enfin un interlocuteur de confiance et les moyens d'exprimer l'indicible. Pourquoi ? Parce que l'amnésie ou le déni est la seule réponse de survie à l'horreur de l'abus sexuel, et que ce refoulement dans l'inconscient se prolonge chez un grand nombre de victimes jusqu'à un âge avancé, conduisant au-delà du délai de prescription.

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