Monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteure, mes chers collègues, dans une étude médico-légale de 1857, on peut lire, à propos de l'inceste : « Les liens du sang, loin d'opposer une barrière à ces coupables entraînements, ne servent trop souvent qu'à les favoriser : les pères abusent de leur fille, des frères abusent de leurs soeurs ». Aujourd'hui encore, les enfants sont victimes de l'inceste sous toutes ses formes, qu'ils soient unis à leur agresseur par les liens du sang ou par le lien créé qui doit normalement unir toute famille, fût-elle recomposée.
L'inceste survient dans tous les milieux sociaux et revêt aujourd'hui des formes nouvelles, quand les agresseurs exploitent leurs enfants à plusieurs et utilisent Internet pour produire et diffuser des images de leurs agressions à des fins d'exploitation pornographique. De l'inceste caché et privé, on passe ainsi à l'inceste collectif et mercantile. Une étape supplémentaire est franchie dans l'horreur pour ces enfants objets, abusés et vendus.
Les victimes d'inceste représentent, on l'a dit, au moins 3 % de la population. La société française doit admettre, comme l'ont fait d'autres pays, que la famille peut être, pour l'enfant, un lieu bien plus dangereux que l'espace public. En effet, 85 % des maltraitances sont le fait d'un membre de la famille, ce qui rend leur révélation par l'enfant victime quasi impossible.
L'inceste survient très tôt dans la vie d'un enfant. Certains dévoilent, dès l'âge de trois ans, des maltraitances sexuelles, accompagnées le plus souvent de maltraitances physiques et psychologiques incluant chantage et menaces sur la vie.
« La première fois, j'avais six ans. Je prenais mon bain, mon père s'est déshabillée, il est entré dans la baignoire, ça a duré jusqu'à mes quatorze ans, lorsque j'ai eu la force de fuir, de parler. » Ainsi commence le livre témoignage bouleversant d'Isabelle Aubry. Et la présidente de l'Association internationale des victimes de l'inceste – dont je salue le courage, le combat et la présence ici, ce soit – de poursuivre : « Aujourd'hui, en France, tous les jours des enfants sont violés, dans leur propre maison, dans leur propre chambre. Par ceux qui sont censés le plus les protéger, tant que ça durera je n'aurai pas de repos. »
Oui, l'inceste provoque des traumatismes qui ont des conséquences graves non seulement sur la santé physique, psychologique, mentale, mais aussi sur la vie affective, familiale et sociale. Ces traumatismes doivent être traités dès que l'enfant a dévoilé l'inceste, pourvu qu'il ne soit pas réexposé aux causes qui les ont provoqués, comme cela arrive encore trop souvent.
Oui, le principe du risque zéro devrait être appliqué immédiatement après le dévoilement d'un inceste. S'il semble normal de ne pas maintenir un adulte victime en présence de son violeur, tout devient plus difficile quand il s'agit d'inceste, car il faut alerter les autorités judiciaires pour mettre à distance le membre de la famille présumé agresseur, surtout s'il s'agit d'un père ou d'une mère.
Par ailleurs, il est important que la société comprenne que celui qui signale n'a pas pour but premier d'envoyer le présumé agresseur en prison. Il veut et doit avant tout protéger l'enfant. Le rôle des médecins, qu'ils soient généralistes, pédiatres, pédopsychiatres ou gynécologues, est essentiel dans le dépistage, le signalement et le traitement des victimes d'inceste. Ils doivent détecter les symptômes, qui peuvent avoir des manifestations physiques, psychologiques et psychiatriques, puis signaler aux autorités judiciaires leurs suspicions d'inceste, afin d'assurer la sécurité de l'enfant et de protéger son développement. Il leur incombe enfin d'être en mesure de prodiguer, sitôt qu'un dépistage est réalisé, des soins médicaux, psychologiques ou psychiatriques adaptés.
Cette lourde responsabilité implique que les médecins soient formés dès leurs études et que les obstacles aux signalements des professionnels soient clairement et définitivement levés. Car, si la loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et la protection de l'enfance – dont j'étais la rapporteure et qui a interdit, à mon initiative, les sanctions disciplinaires dans l'article 226-14 du code pénal – fut un grand pas en avant, force est de constater que des professionnels ont continué d'être poursuivis au plan pénal et disciplinaire et que les médecins concernés préfèrent se taire plutôt que de courir ce risque.
Ainsi, le 15 mars 2005, Mme Hina Jilani, représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour les défenseurs des droits de l'Homme, écrivait au Gouvernement français qu'elle restait « préoccupée que la législation et la manière dont elle est exécutée n'aient pas été assez loin pour protéger les médecins contre des plaintes abusives. » Elle ajoutait : « Les médecins jouent un rôle vital dans la protection des enfants contre les plus sérieuses violations de leurs droits et qu'ils ont à leur tour le droit d'être protégés dans leur rôle de défenseurs des enfants. »
Oui, le signalement par les médecins doit être rendu obligatoire. Oui, il doit pouvoir être anonyme. Oui, la loi doit protéger clairement et fermement, comme c'est le cas dans d'autres pays, notamment au Québec, ces professionnels qui n'ont d'autre but que de sauver des enfants et dont la vie, professionnelle et familiale, peut basculer parce qu'ils ont tout simplement assumé leur responsabilité et fait leur devoir. Nous connaissons des exemples de telles situations.
Nous voterons la proposition de loi de Marie-Louise Fort, en remerciant Jean-François Copé d'en avoir compris l'importance. Je souhaite néanmoins pouvoir l'amender, afin de protéger véritablement les médecins qui effectuent les signalements. Alors, nous aurons essayé de répondre aux cris silencieux de ces enfants brisés, dont le docteur Catherine Bonnet a décrit, avec tant de justesse, de sensibilité et de révolte, « l'enfance muselée » et volée à tout jamais. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)