Avant d'aborder le fond de mon argumentation, je tenais, madame la rapporteure, à saluer votre initiative : elle aurait pu nous offrir l'occasion d'un débat que je crois très important.
Selon vous, un million de Français, peut-être deux – notre difficulté à quantifier ce phénomène est en soi révélatrice du problème qui nous est posé –, sont ou ont été victimes d'actes incestueux. Je devrais plutôt parler d'actes que chacun d'entre nous s'accorde ici, en tant qu'individu, à qualifier d'incestueux, mais que le législateur, depuis la Révolution française, s'est toujours refusé à appeler inceste.
Les victimes de l'inceste veulent être reconnues comme telles, toutefois elles ne doivent pas être victimes d'un opprobre injuste : trop souvent encore l'inceste salit aussi sa victime.
Le tabou sur le « dire » qui vient s'ajouter, et non se substituer, au tabou sur le « faire », est toutefois devenu insupportable. Non seulement les victimes doivent porter le deuil de leur enfance, assumer les conséquences de comportements destructeurs à un âge où l'on attend précisément de la famille qu'elle permette à l'enfant de se construire, faire face à la dislocation de familles rongées par le déni, la rancoeur ou la culpabilité, et qui sont bien souvent les victimes collatérales de l'inceste, mais elles doivent aussi affronter une société qui, par confort ou par peur, se refuse à voir en face la réalité de l'inceste, à le reconnaître comme tel, et à se donner les moyens de le combattre en tant que tel.
En toute sincérité, s'il est un sujet qui transcende nos divergences politiques et qui aurait pu nous conduire à travailler ensemble pour à aboutir à un texte susceptible de réunir toute la représentation nationale, c'est bien la condamnation de l'inceste. Malheureusement, tel n'a pas été le cas, et je ne peux que le regretter.
Madame la rapporteure, sans préjuger de la qualité du travail que vous avez mené au sein et au nom du groupe UMP, il n'est pas dans nos usages de voir un groupe politique préempter un sujet comme vous l'avez fait en refusant d'organiser des auditions ouvertes à l'opposition. Cela est évidemment préjudiciable à l'information des députés et, par conséquent, à la qualité de nos débats, comme l'a parfaitement exposé Michel Vaxès, il y a un instant.
J'ai surtout le sentiment que, faute de ce nécessaire travail contradictoire, votre texte passe totalement à côté d'une question qui aurait dû être centrale. En effet la définition de l'inceste aurait dû découler de la conception que nous nous faisons de la famille.
En effet, l'inceste est un objet paradoxal au sens où il est tout à la fois le tabou le plus universel que l'on retrouve dans la quasi-totalité des cultures, et un interdit dont le périmètre est extrêmement variable selon les lieux, les époques, et parfois même les circonstances.
Ainsi dans le droit français en vigueur, si l'inceste n'est pas nommé, il est défini « en creux » par des dispositions contradictoires. Les relations sexuelles prohibées entre un mineur et son ascendant ne tombent plus sous le coup de code pénal dès lors que l'enfant a atteint sa majorité, et que la relation est librement consentie. Les relations entre oncle et nièce ou tante et neveu ne sont pas condamnées, tandis que le mariage leur est interdit, sauf dispense du Président de la République. Nommer l'inceste aurait dû nous donner l'occasion de régler ces incohérences et d'adopter une définition générale de l'interdit incestueux, qui soit en adéquation avec l'évolution des formes de famille dans lesquelles vivent aujourd'hui les Français.
Car, comme l'écrit l'Association internationale des victimes de l'inceste, dans sa lettre ouverte au Président de la République, la famille est « l'union de personnes proches qui ont des droits et des devoirs envers les enfants appartenant à cette cellule ». Ce qui nous amène à l'adéquation entre les personnes ayant des droits et celles ayant des devoirs – parmi lesquels se range la prohibition de l'inceste. Or c'est précisément le débat que vous refusez de mener, ou plus exactement que vous saucissonnez au risque, si j'en crois les déclarations de notre collègue Jean Leonetti, d'aboutir à des conclusions contradictoires.
Le cas le plus intéressant, et que vous n'évoquez guère, est celui du beau-parent homosexuel. Votre texte permettra de poursuivre ce dernier comme « incestueux » s'il se rend coupable d'agression sexuelle sur l'enfant de son conjoint. Même si j'observe que le droit en vigueur permet déjà d'aggraver les peines dès lors que l'auteur a autorité sur sa victime, votre proposition de loi reconnaît ainsi l'existence des 30 000 enfants vivant dans des foyers composés d'adultes du même sexe, et elle va même plus loin en reconnaissant que ces foyers – puisqu'ils sont susceptibles d'être incestueux – forment une famille. Cela aussi est essentiel. (Exclamations sur divers bancs du groupe UMP.)