Nous abordons ce soir un sujet d'une particulière importance dans nos sociétés : l'inceste constitue un tabou majeur et inspire à chacun d'entre nous un sentiment de répulsion particulier.
Toutes les sociétés ont, d'une manière ou d'une autre, interdit les relations sexuelles à l'intérieur des familles. Mais ces prohibitions peuvent prendre des formes différentes : elles peuvent viser soit les familles élémentaires, soit tous ceux dont la généalogie ou la parenté a pu être reconstruite. Nous n'avons donc pas une définition universelle de l'inceste. On a pu, par exemple, se demander, à l'instar de Lévi-Strauss, si la raison de cet interdit était la crainte de l'endogamie.
Ce qui semble fondamental dans l'inceste, c'est que l'ordre des générations est bousculé et que celui sur qui l'enfant doit pouvoir compter pour sa protection est précisément celui qui le violente. La relation de l'enfant à l'adulte est fondée sur l'affection, non sur le sexe ; c'est cette confusion qui est destructrice pour la construction de la personnalité de l'enfant.
Lorsque l'on aborde ce sujet, on pense à un certain nombre de témoignages intolérables : celui d'Isabelle Aubry, celui de Lydia Gouardo, qui a pu être violée pendant des années par son père sans que personne, dans son village, puisse la défendre. On pense également à la grande chanteuse Barbara, qui a évoqué dans ses souvenirs ce qu'elle a subi, comme elle l'avait d'ailleurs déjà fait, de manière poignante, dans une chanson que nous connaissons tous : l'Aigle noir.
Il faut donc effectivement aborder ces questions, et ce d'une manière qui soit à la hauteur du sujet. Cette proposition de loi comporte des aspects positifs, mais je le dis d'emblée : je regrette, comme je l'ai déjà fait savoir en commission, que, sur un sujet aussi fondamental, nous soyons amenés à nous prononcer avec une telle précipitation. Saisis début avril, nous sommes amenés à examiner ce texte après la suspension de quinze jours de nos travaux : un tel délai n'est pas raisonnable.
Certes, ce texte comporte des points très positifs. Par exemple, on peut en effet se demander pourquoi le terme d'inceste a disparu de notre droit pénal et n'apparaît plus que dans le cadre des empêchements au mariage. Qui plus est, M. Estrosi l'avait souligné dans son rapport, certains empêchements font, dans notre code civil, l'objet de dispenses. Il y a donc des incestes considérés comme absolus – ceux qui sont en ligne directe, entre parents, grands-parents et enfants, ou entre frères et soeurs – et des cas où des liens d'appartenance familiale ne constituent pas un empêchement. Dès lors, quand nous essayons de définir en droit pénal ce qui est inadmissible, nous ne pouvons faire abstraction de ce qui est permis dans le cadre du droit civil.
Je pense également que vous avez eu raison de dire qu'il ne peut y avoir de consentement de l'enfant à des relations sexuelles avec un adulte. C'est un point très positif de votre propos. Cela permettra d'éviter ces débats insupportables sur un éventuel consentement de l'enfant.
Que l'on précise la notion de contrainte est donc une très bonne chose, mais ce que nous avons du mal à comprendre, c'est la raison pour laquelle certaines autres propositions formulées dans le rapport Estrosi, le seul instrument parlementaire dont nous disposions, ont été abandonnées. Pourquoi, par exemple, la proposition de passer à cinq ans l'atteinte sexuelle au-delà de quinze ans a-t-elle été abandonnée ? Nous n'avons pas été associés aux débats qui ont conduit à ces arbitrages. Cela n'est pas une bonne manière de procéder.
Ce rapport abordait en outre la question des peines complémentaires et celle du délai de prescription. Tout cela a sans doute été examiné, mais en dehors de l'Assemblée.
Enfin, Mme Fort a préféré s'attacher à des mesures d'accompagnement des victimes. Du coup, la définition d'une nouvelle infraction – l'inceste – ne s'accompagne pas de reclassements dans l'ordre des dispositions existantes, de sorte que nous créons une circonstance aggravante sans aggraver les peines. Nous sommes donc en présence d'une modification de l'ordonnancement juridique inaboutie. C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe socialiste, nous poserons un certain nombre de questions et nous demanderons d'aller un peu plus loin dans l'analyse de ce texte. Pour l'heure, cette réflexion est importante, mais elle n'en est encore qu'à ses débuts. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)