On estime que deux millions de personnes en France ont subi d'un père, d'un beau-père ou d'un autre membre de la famille un rapport sexuel forcé ou une tentative de rapport sexuel forcé durant leur enfance. On note également que la part des procès d'assises concernant des infractions de type incestueux est d'au moins 20 %. Au XIXe siècle, cette situation n'est pas tolérable.
La représentation nationale peut-elle continuer à refuser de regarder la réalité des faits, à ne pas entendre le silence assourdissant des victimes d'inceste, à rester passive devant tant de souffrances ? Le temps est venu de répondre à la trop longue attente des victimes.
Si l'inceste, par définition, se déroule dans le cadre familial, ce n'est pas une affaire de famille, mais une question de société, comme l'a souligné Isabelle Aubry, présidente de l'Association internationale des victimes de l'inceste.
Car bien qu'elle connaisse de nombreuses évolutions, la famille constitue toujours l'unité élémentaire fondamentale de la vie en société. C'est dans la famille que les individus se socialisent et apprennent à vivre ensemble. C'est la famille qui, naturellement, offre à l'enfant tendresse, affection, sécurité. C'est la famille qui doit protéger l'enfant et respecter ses droits.
Lors d'inceste, elle devient un lieu de violence, de contrainte, de soumission. Ceux-là mêmes qui doivent veiller sur l'enfant en sont les agresseurs, plus encore, les bourreaux.
Les études sociologiques ont montré que la famille ne répond pas seulement à un besoin biologique, découlant de l'extrême dépendance des êtres humains, mais qu'elle tire son origine de l'organisation sociale elle-même. La famille ne relève donc pas seulement du biologique mais aussi du social, tout comme l'interdit de l'inceste, principe qui se retrouve dans toutes les formes de sociétés.
Alors que l'équilibre de la famille et donc de notre société repose notamment sur la prohibition de l'inceste, cette interdiction ne figure qu'implicitement dans la loi française, au travers d'interdictions au mariage, dans le code civil, et de circonstances aggravantes aux viols et aux agressions sexuelles, dans le code pénal, lequel confond les agressions sexuelles commises par un ascendant et celles commises par toute personne ayant autorité sur la victime.
L'introduction dans le code pénal d'une définition des actes incestueux constitue une avancée majeure, pour les victimes, bien sûr, mais aussi pour la justice, et c'est bien l'objet de l'article 1er de cette proposition de loi.
L'inceste est une agression sexuelle particulière. Dans la rédaction actuelle de la loi, quatre facteurs sont constitutifs d'une agression sexuelle : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Lorsque la justice est saisie d'affaires d'inceste, les juridictions de fond établissent que le jeune âge de la victime ne lui permet pas de comprendre avec discernement que les exigences de ses parents sont anormales. Le lien familial entre l'agresseur et sa victime constitue donc une circonstance aggravante, car pour le mineur agressé, la question de la contrainte ou du consentement ne peut pas être posée.
En effet, dans une famille, les parents sont chargés d'éduquer leurs enfants et de leur apporter amour et protection. Or, lorsqu'un enfant est agressé sexuellement par l'un de ses parents, les schémas d'éducation sont brouillés, l'enfant est tiraillé entre l'amour qu'il éprouve pour les siens et ce qu'on lui fait subir ; il n'a pas la capacité de dire non. Tous ses repères volent en éclat.
Outre les rapports d'autorité qui existent entre les parents et les enfants, l'affection qui unit un enfant aux adultes de sa famille le pousse à subir ces actes contre nature sur lesquels il est incapable de mettre des mots : il n'a pas la notion de la normalité. C'est plus tard qu'il va découvrir, dans son apprentissage de la vie, en devenant adulte, l'interdit des gestes subis.
Il faut donc que notre société donne à l'enfant des repères que sa famille devrait normalement lui fournir, ce qui nécessite information et éducation.
Cette proposition de loi vise à renforcer la mission d'information des écoles, des collèges et des lycées en matière de violence et d'éducation à la sexualité. Cela s'inscrit pleinement dans le code de l'éducation, qui dispose que ces établissements scolaires doivent participer à la prévention de la délinquance et assurer une formation au respect des droits de la personne ainsi qu'à la compréhension des situations qui y portent atteinte.
Cette action sera complémentaire de celle menée par l'audiovisuel public, qui devra remplir une mission d'information sur la santé et la sexualité comprenant un volet prévention des violences sexuelles, comme le prévoit l'article 5 de la proposition de loi.
Lutter contre l'inceste, c'est aussi libérer la parole des victimes. Lorsque l'enfant abusé est en âge de mettre un mot sur les sévices endurés, en parler devient une épreuve insurmontable. De nombreux adultes sont incapables de dire qu'ils ont été victimes d'inceste ; ils ploient moralement sous le poids de ce qui, pour toutes les sociétés, reste un tabou. Ils ont honte de ce qu'on leur a fait subir. Et pourtant ce n'est pas aux victimes d'avoir honte, c'est à leurs bourreaux ; il s'agit là d'un renversement des rôles insupportable.
De nombreuses victimes ont l'impression de revivre leurs agressions en les racontant, alors que parler est la première étape sur le chemin de l'apaisement.
C'est pourquoi renforcer la formation et la collaboration entre le corps médical et paramédical, les enseignants et les travailleurs sociaux permettra de détecter l'inceste plus efficacement et de mieux répondre à la souffrance des victimes.
Si, bien sûr, aucune hiérarchie n'existe dans les souffrances que peuvent ressentir les victimes d'agressions sexuelles, toutes n'ont pas le même impact dans la construction de soi. Les victimes d'inceste voient leur développement psychologique fortement perturbé par les violences qu'elles ont subi. Plus fragiles, elles ont une plus grande prédisposition à diverses psychopathologies, telles que la dépression, la somatisation, les troubles du comportements ou les addictions. Sans oublier les conséquences sociales, car l'inceste est bien souvent à l'origine de difficultés d'insertion.
Les médecins s'accordent sur le fait que, pour les victimes d'inceste, il est difficile de parler de guérison au sens médical du terme. Les soins qu'elles reçoivent les aident à surmonter le traumatisme et ses conséquences éventuelles.
La prévention de l'inceste et les soins à apporter aux victimes sont donc spécifiques. C'est pour cela que cette proposition de loi instaure un ensemble de mesures concrètes destinées à améliorer les dispositifs de sensibilisation aux problèmes de l'inceste et de la détection des victimes.
L'inceste nous interroge tous car il ébranle les fondements mêmes de la famille et, par conséquent, ceux de la société. L'inceste, c'est la transgression d'une loi absolue, d'une interdiction fondamentale, d'une règle intangible à la base de toute civilisation. Le caractère essentiel de l'interdit de l'inceste a pour fonction d'inscrire tout sujet dans l'ordre de la succession des générations. L'inceste abolit cet ordre normal et naturel.
L'inceste, c'est un véritable « meurtre psychique », comme de nombreux scientifiques l'ont rapporté. Il s'agit d'une blessure identitaire d'une rare violence.
C'est pourquoi, sur un tel sujet, je souhaite vivement que la représentation nationale, au-delà des clivages politiques, puisse se retrouver pour répondre aux demandes légitimes des victimes, qui attendent de nous, certes notre compassion, mais plus encore des actes.
Je suis particulièrement heureux et fier que notre groupe politique, l'UMP, soutienne, porte et vote cette excellente proposition de loi de notre collègue Marie-Louise Fort, qui a effectué un travail de grande qualité sur ce sujet très délicat pour notre société et particulièrement douloureux pour les victimes.
Il est de notre devoir de députés de légiférer afin d'identifier juridiquement l'inceste, de mieux le prévenir et le détecter, de combler un vide juridique lourd de conséquences.
Cette proposition de loi brise le silence sur un acte qui doit rester fondamentalement un interdit car, comme l'a fort justement écrit Laure Razon, maître de conférences en psychologie clinique, « cette prohibition, tout comme celle du meurtre, fonde et structure l'organisation sociale, le processus d'humanisation et d'individualisation, c'est-à-dire la naissance du sujet humain ». (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)