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Intervention de Marie-Louise Fort

Réunion du 28 avril 2009 à 15h00
Lutte contre l'inceste sur les mineurs — Discussion d'une proposition de loi après engagement de la procédure accélérée

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Louise Fort, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, j'ai aujourd'hui l'honneur de rapporter devant vous la proposition de loi visant à identifier, prévenir, lutter contre l'inceste et améliorer l'accompagnement des victimes.

La rencontre d'une de mes concitoyennes victime d'inceste m'avait sensibilisée à la situation de détresse, d'enfermement et de dénuement que connaissent, selon un sondage IPSOS – il n'existe pas, en effet, de statistiques sur cette question –, plus de deux millions de Français, soit 3 % de la population.

Nombre de professionnels, d'associations locales et nationales, mais aussi d'anonymes, ont apporté leur concours à l'élaboration de cette proposition de loi qui place la victime au coeur du dispositif.

Les cabinets et services des ministres concernés ont apporté leur expertise. Ils ont ainsi contribué à la précision du texte qui a été soumis à la commission des lois le 8 avril dernier. Des engagements ont été pris pour que, sur le plan réglementaire, des mesures importantes et significatives soient mises en oeuvre parallèlement à cette loi. Le Parlement saura, n'en doutons pas, suivre et apprécier ces initiatives.

Quelque cent cinquante de nos collègues, de toutes tendances, ont cosigné cette proposition, marquant ainsi la solennité et le consensus qu'exige une si grave question. Il s'agit pour nous d'adresser à la société dans son ensemble, aux professionnels et, surtout, aux millions de Français victimes de ce fléau, le message clair et fort qu'ils attendent.

Ce message, le présent texte le porte notamment dans son titre premier, qui tend à inscrire la notion d'inceste dans le code pénal et à préciser celle de contrainte dans le cas des agressions sexuelles et des viols.

L'article 1er donnera davantage d'outils au juge pour interpréter cette contrainte, qui peut être physique ou morale. La contrainte étant, par définition, délicate à démontrer dans le cadre familial, de nombreuses affaires d'inceste sont actuellement traitées comme des atteintes sexuelles et non comme des agressions ou des viols. Dans le cercle familial, la victime est plus aisément impressionnable et suggestible, davantage exposée à subir la situation pour ne pas déplaire ni provoquer de difficultés au sein de la famille.

La nature interprétative de cette disposition lui permettra, en vertu de l'article 112-2 du code pénal, d'être immédiatement applicable à des faits commis antérieurement à la publication de la nouvelle loi. Toutes les victimes verront donc nommé l'acte qu'elles ont subi, quelle qu'en soit la date. Ainsi s'ouvrira la brèche tant espérée dans la loi du silence qui leur a été imposée si durement depuis leur agression.

L'inscription de l'inceste dans le code pénal permettra en outre de quantifier le phénomène de façon plus précise.

L'article 2 rendra plus aisée la définition de l'acte incestueux en séparant, en circonstances aggravantes distinctes, les deux catégories actuellement confondues d'ascendant et de personne ayant autorité.

Le titre II a trait à la prévention. De façon complémentaire par rapport aux engagements pris par le ministre de l'éducation nationale, la commission a jugé pertinent, au regard des enjeux soulevés par le sujet, de renforcer la mission d'information des écoles, des collèges et des lycées en matière de violence et de sexualité.

La proposition de loi proposait, dans sa version initiale, d'instituer une quatrième séance d'information à l'éducation à la sexualité. Il apparaît plus opportun de préciser le contenu de la séance annuelle d'information et de sensibilisation relative à l'enfance maltraitée, prévue à l'article L. 542-3 du code de l'éducation, en la centrant sur les violences intra-familiales à caractère sexuel. Une circulaire précisera le contenu de cette séance.

La formation des personnels enseignants ainsi que de toutes les personnes intervenant auprès des enfants sera, elle aussi, enrichie. Cette formation comportera dorénavant un module pluridisciplinaire relatif aux infractions sexuelles sur les mineurs et à leurs effets.

Dans la même perspective de sensibilisation et de prévention, les chaînes publiques de radio et de télévision se verront attribuer une mission d'information en matière de santé et de sexualité. Il s'agit de mieux répondre aux obligations de l'article 43-11 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, selon laquelle ces chaînes publiques « poursuivent, dans l'intérêt général, des missions de service public ».

Le rapport annuel remis au Parlement en application de cet article devra faire le point sur la mise en oeuvre de cette nouvelle mission.

Le titre III vise à développer l'accompagnement des victimes. L'article 6 de la proposition de loi, qui prévoyait la mise en place d'un centre de référence pour les traumatismes psychiques dans chaque département, ayant été déclaré irrecevable en vertu de l'article 40 de la Constitution, le ministère de la santé a manifesté sa volonté d'apporter des réponses aux victimes aujourd'hui en souffrance, et nous y veillerons.

En outre, le Gouvernement devra, en application de l'article 7 du présent texte, remettre au Parlement, avant le 31 décembre 2009, un rapport préconisant des mesures destinées à mieux tenir compte des spécificités de l'inceste. Ces mesures concerneront les soins à apporter aux victimes, ainsi que les outils pouvant faciliter leur insertion sociale. Les victimes souffrent en effet de nombreux handicaps qui sont le résultat direct des agressions dont elles ont été l'objet.

L'article 6 bis, quant à lui, améliorera l'accompagnement des victimes ; d'abord de façon transversale, notamment en systématisant la nomination d'un administrateur ad hoc chargé de protéger les droits de l'enfant et d'exercer au nom de celui-ci, s'il y a lieu, les droits reconnus à la partie civile ; ensuite sur le plan de la procédure pénale, en précisant la possibilité donnée aux associations luttant contre l'inceste de se porter partie civile.

Il s'agit certes d'un petit pas au regard de tout ce qui aurait dû être réalisé depuis des décennies pour lutter contre l'inceste et mieux accompagner les victimes, car notre droit est complexe et chaque élément de cette proposition a été longuement mûri et mesuré pour lui apporter sans rien lui retirer. Mais, n'en doutons pas, cette proposition a l'immense mérite de lever enfin le non-dit du tabou et de prendre date. Ne manquons pas cette occasion de rattraper notre retard sur certains de nos voisins européens et sur les pays anglo-saxons, et de porter les droits de l'enfant et les droits de l'homme à la hauteur qu'ils méritent.

Mes chers collègues, je vous demande, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, d'adopter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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