Ce dont nous débattons là est pour nous probablement la disposition la plus contestable du texte, au point que nous nous interrogeons sur sa constitutionnalité.
La suppression du repos compensateur obligatoire, prévu et défini dans la loi, et son remplacement par le concept nouveau de « contrepartie en repos », qui relèvera, comme le volume d'heures supplémentaires de la négociation, au surplus au niveau de l'entreprise, est une novation majeure de notre droit social, et n'a strictement rien à voir avec le débat sur les 35 heures. En effet, ce que vous nous proposer de modifier est une loi du 16 juillet 1976, votée à l'initiative de M. Stoléru et créant le repos compensateur.
Le repos compensateur n'est pas une modalité d'organisation du temps de travail : c'est une protection de la santé des travailleurs. C'est à l'autorité publique qu'il revient de garantir que les exigences de l'entreprise ne remettent pas en cause la santé des salariés. Je rappelle qu'en France, plus d'un million de salariés sont victimes d'accidents du travail. Il s'agit donc d'une question de santé publique, qui justifie l'intervention de l'autorité publique.
Allez-vous laissser aux clients d'un débit de boisson ou d'un restaurant le soin de négocier avec le patron le droit de fumer dans l'établissement ou de ne pas y respecter les règles en matière de prévention de l'alcoolisme ? Allez-vous laissser aux usagers des autoroutes le soin de négocier avec les concessionnaires le droit de rouler à cent quatre-vingts à l'heure ?La santé publique n'est pas un espace de liberté individuelle ; elle relève de l'autorité publique, qui doit protéger la santé des salariés.
Alors pourquoi faire passer tout à coup dans le champ de la négociation ce qui relevait jusqu'à présent, et depuis bien avant les 35 heures, de la santé publique ? Et vous le faites avec force, puisque, comme l'a relevé Martine Billard, vous faites disparaître le droit à un repos compensateur à partir de la quarante et unième heure dans la semaine, ce qui est la première conséquence de votre texte. Vous éliminez purement et simplement une mesure de protection dont les salariés bénéficiaient depuis longtemps, pour renvoyer le tout, y compris les effets du dépassement du contingent d'heures supplémentaires, à la négociation.
Cela a deux conséquences. Vous faites d'abord de la santé un objet de négociation, ce qui est une première, même pour vous : il ne vous était jamais venu à l'idée de négocier sur une telle question !
S'il peut y avoir une différence d'approche politique sur la question du contingent d'heures supplémentaires, il me semblait que les questions de santé publique faisaient l'objet d'un consensus. Ce droit n'a d'ailleurs, en dépit des alternances politiques, jamais été remis en cause depuis 1976, ni par nous ni par vous. Et voilà qu'aujourd'hui vous franchissez subitement ce pas.
Cela signifie que, dès demain, on pourra dans une entreprise revenir sur ce droit. Il s'agit en effet de permettre de négocier ce droit à la baisse : si vous aviez considéré qu'il s'agissait d'un minimum, le respect de la hiérarchie des normes permettait de l'améliorer au niveau de l'entreprise. Si telle avait été votre conception de la négociation sociale, vous nous auriez trouvés à vos côtés. Mais votre texte supprimant ce droit et renvoyant à la négociation, on négociera forcément à la baisse.
À l'extrême limite, une négociation interprofessionnelle, voire de branche, même si nous y sommes également opposés, aurait constitué un filet de sécurité, ce qui n'est pas le cas d'une négociation au niveau de l'entreprise s'agissant de droits qui bénéficient aux salariés.
Autre conséquence, que Martine Billard et Roland Muzeau ont eu raison de souligner, cette suppression du repos compensateur entraînera une diminution de la rémunération à activité constante. Et quand cette régression aura été acceptée dans une entreprise, les autres entreprises de la même branche seront contraintes de remettre en cause ce droit. Mais vous le savez bien, puisqu'il s'agit pour vous d'organiser la concurrence.
C'est donc probablement la disposition la plus grave de votre projet de loi, au point que nous considérons qu'elle est contraire au onzième alinéa du préambule de la Constitution.