Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la Constitution, révisée en juillet dernier, n'est pas une loi comme les autres. Elle n'appartient ni à la droite ni à la gauche. Elle appartient à chacun d'entre nous. Elle est notre loi fondamentale et régit, au-delà des partis et des alternances, le fonctionnement de notre République.
En conséquence, toute révision devrait se faire en réelle concertation avec l'opposition pour obtenir un texte consensuel. Tel n'a pas été le cas, chacun s'en souvient. Il est vrai que la Constitution de 1958, taillée sur mesure pour un homme, le général de Gaulle, et dans des conditions exceptionnelles, la guerre d'Algérie, devait être changée. Il est vrai que nous demandions le passage à une VIe République. Mais le changement qui a été réalisé, à quelques voix près, dont – malheureusement – une de gauche, va dans le sens contraire. Il renforce le caractère anti-démocratique de la Ve République et piétine un peu plus les droits de l'opposition.
Le seul mérite du projet de loi organique dont nous abordons l'examen est de lever toute ambiguïté sur les intentions initiales du Gouvernement et de sa majorité. Dès l'origine, nous avons dénoncé le véritable leurre que constituait cette réforme constitutionnelle au regard de son objectif affiché : donner davantage de pouvoirs au Parlement. Nous affirmions alors que, loin de revaloriser les droits du Parlement, votre réforme accentuait un peu plus les déséquilibres de notre régime politique au profit exclusif du Président de la République.
Le coeur de votre réforme a consisté, en effet, à offrir au Président de la République, dans notre loi fondamentale, la possibilité nouvelle de dicter ses projets directement au Parlement et de placer ce dernier dans une situation que l'on pourrait qualifier de soumission institutionnelle. Tout le reste se résume à une opération de camouflage visant à dissimuler la transformation de la Ve République en un pouvoir présidentialiste et sans contre-pouvoir. L'idéal de Nicolas Sarkozy, c'est en effet la présidence américaine, mais sans le Congrès ni les pouvoirs judiciaire et médiatique. Avec cette réforme, il est en train de manier ce qui pourrait s'apparenter à un boomerang. Comme le 19 mars, l'expression du mécontentement ne passera malheureusement pas par la représentation nationale mais, peut-être, par la rue. Vous avez aimé la dérive monarchique, vous allez adorer la dérive bonaparto-présidentialiste.
À quoi se résument, en effet, les avancées en faveur du Parlement ? À quelques mesurettes favorables, pour l'essentiel, au parti majoritaire ! De surcroît, ces mesures se paient de contreparties inacceptables en matière de respect du pluralisme démocratique et de reconnaissance des droits de l'opposition.
J'aborderai d'ailleurs ici les trois principaux chapitres du projet de loi organique, qui donnent la mesure des dangereuses dérives que ce texte propose de valider dans le prolongement des dispositions constitutionnelles adoptées en juillet. En séparant, par exemple, la notion de débat parlementaire de celle de délibération à caractère législatif, vous entérinez une dangereuse évolution, c'est-à-dire une dégradation de la condition juridique de la loi, qui s'accompagne d'une dégradation de la condition normative du débat parlementaire.
La possibilité offerte aux parlementaires de débattre de propositions de résolution aurait pu être intéressante, mais les conditions de recevabilité de l'exercice de cette fonction sont telles que les chances de mise en débat des propositions de résolution présentées par nos groupes d'opposition sont quasi inexistantes. Ainsi, le Premier ministre dispose d'un droit de veto sur le sort des résolutions ; de plus, il peut exercer cette prérogative de façon arbitraire, car aucune obligation de motiver sa décision ne s'impose à lui.
Autre condition inadmissible : si la proposition de résolution déposée par un parlementaire doit être transmise sans délai par le Président de l'Assemblée nationale ou du Sénat au Premier ministre, ce dernier n'est tenu à aucun délai strict pour y répondre. On ne peut, dès lors, que s'interroger sur la portée qu'auront réellement les résolutions adoptées, sachant que le Gouvernement ne sera entendu, en l'espèce, qu'à sa propre demande et, surtout, qu'il pourra s'opposer à tout moment, conformément au second alinéa de l'article 34-1 de la Constitution, à l'examen d'une proposition de résolution qu'il estimerait mettre en cause sa responsabilité ou contenir une injonction à son égard. Autant dire que, dans les faits, notre Assemblée n'aura à connaître et à débattre que des seules propositions de résolution agréées par le Gouvernement ou de celles qu'il juge assez inoffensives pour ne pas contrarier ses propres objectifs – y compris d'ailleurs en termes de communication – ou troubler l'opinion publique. Est-ce cela protéger les droits du Parlement et les pouvoirs de l'opposition ? Nous en doutons.
Vous dites vouloir renforcer la possibilité pour les parlementaires de l'opposition de disposer d'un véritable droit d'initiative, tant au plan législatif que sur celui des procédures de contrôle comme la création de commission d'enquête, l'audition de ministres ou la saisine de la Cour des comptes. Cela supposerait un renforcement tel des moyens des commissions et des groupes que ces droits risquent fort de rester théoriques : il n'y a rien, en effet, à l'horizon, ni sur le renforcement des moyens, ni sur la procédure.
Le second chapitre de votre projet de loi organique rassemble les mesures visant les nouvelles dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 39, c'est-à-dire les nouvelles règles régissant la présentation des projets de loi. Ce chapitre est peut-être le moins polémique de tous. Pourtant, nous nous interrogeons légitimement sur l'article 10, qui dresse l'inventaire des catégories de projets de loi pour lesquels le dépôt de documents d'évaluation n'est pas obligatoire. En particulier, il nous est difficile d'accepter que les projets de loi de programmation et les projets de loi de ratification échappent à la règle. En tout état de cause, nous pourrions estimer que cet article est de nature à inciter le Gouvernement à contourner la procédure législative par la voie du recours à l'ordonnance plus fréquemment encore qu'il ne le fait déjà. Le recours à l'ordonnance constitue l'une des anomalies à laquelle la réforme constitutionnelle de juillet dernier n'a pas apporté de réponse, pas plus qu'elle n'a abordé les enjeux décisifs que sont la suppression de l'article 40, celle de la procédure du vote bloqué ou celle de l'article 49-3.
Les dispositions de l'article 7 du projet de loi organique démontrent que, dans les faits, le pouvoir exécutif aura tout loisir d'échapper aux dispositions qui le contraignent à porter à la connaissance du Parlement les documents d'évaluation utiles, soit en recourant à la procédure des ordonnances, soit par la voie des modifications apportées aux règles de fixation de l'ordre du jour qui vont permettre à l'exécutif de faire porter un nombre croissant de projets par des parlementaires de la majorité, chargés de les déposer sous forme de propositions de loi. C'est pourquoi nous proposerons, entre autres, et si la présente motion de renvoi en commission n'est pas adoptée, de soumettre à l'avenir les propositions de loi déposées par des parlementaires appartenant aux groupes de la majorité aux règles d'évaluation prévues à l'article 7.
Abordons maintenant ce que nous pourrions appeler « la cerise sur le gâteau » de ce projet de loi, à savoir les modalités d'exercice du droit d'amendement. Rappelons que la réforme constitutionnelle est venue ajouter une phrase au premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, lequel ne se borne plus à disposer que « les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement », mais précise désormais que « ce droit s'exerce en séance ou en commission, selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ». C'est ce fameux cadre que fixent les trois derniers articles de votre projet de loi. Sous prétexte d'un prétendu renforcement des droits du Parlement, votre volonté apparaît pour ce qu'elle est : museler l'opposition. En effet, le droit d'amendement est aujourd'hui la forme d'expression principale du droit d'initiative des députés : jusqu'à présent, plus de 20 000 amendements étaient ainsi déposés chaque année. Partagé avec le Gouvernement, ce droit – déjà très encadré – reste, dans le principe, libre et illimité. C'est un droit individuel que chaque député peut exercer en son nom propre, en sa qualité de représentant de la nation.
Les plus importantes de ces restrictions portent actuellement sur la recevabilité financière – article 40 –, ce qui ne permet aucun débat sur les transformations économiques et sociales réelles. En outre, les amendements doivent relever du domaine de la loi, restriction encore renforcée au demeurant par l'article 41, alinéa 1, de la Constitution révisée.
Il existe d'autres restrictions encore : celles portant en particulier sur les délais de dépôt et qui ont considérablement évolué. Alors que les députés pouvaient déposer des amendements jusqu'au début de la discussion générale, ils doivent le faire désormais au plus tard la veille du débat, à dix-sept heures. Le Gouvernement peut, quant à lui, en déposer à tout moment, demander un nouveau vote sur un article si un amendement est adopté contre sa volonté, et même s'opposer à la discussion des amendements qui n'ont pas été soumis à la commission saisie au fond. Cette arme de procédure n'est généralement pas utilisée, mais l'ensemble témoigne du déséquilibre entre, d'une part, les droits consentis aux députés, notamment ceux qui appartiennent de fait à l'opposition, et, d'autre part, ceux dévolus au pouvoir exécutif. Ce déséquilibre est confirmé par les dispositions de l'article 11 et accentué dans des proportions invraisemblables par les articles 12 et 13.
Vous proposez, en effet, un dispositif inédit : un amendement pourra être mis aux voix sans discussion, au nom du respect des délais préalablement fixés pour l'examen d'un texte, voire purement et simplement déclaré irrecevable en séance publique, si devait être instituée la procédure d'examen simplifié. Votre texte pose clairement le principe de l'inscription des débats parlementaires dans un temps contraint qui va, de fait, limiter, sinon vider de son contenu, le droit d'amendement dans son exercice tant collectif qu'individuel. Or ce droit est la seule arme dont dispose l'opposition pour exercer le rôle de contre-pouvoir et de garant du pluralisme qui est le sien dans toute démocratie. Vous entendez donc réduire à un droit purement formel ce droit fondamental, que l'on pourrait considérer comme démocratiquement vital. Les députés pourront, certes, déposer des amendements, et même autant qu'ils le souhaitent, mais ils n'auront plus nécessairement la possibilité de les défendre individuellement en séance publique. Pour contrer les objections de l'opposition, vous invoquez essentiellement deux arguments. Malheureusement, ni l'un ni l'autre ne nous paraissent recevables. Le premier consiste à affirmer qu'il serait possible de limiter la durée des discussions, car le projet de loi débattu en séance publique serait celui amendé par la commission. Cela pose une question de fond, qui a déjà été évoquée ici d'ailleurs : depuis quand le travail d'une commission remplace-t-il celui d'une assemblée plénière ?