…qui n'intègre chaque année qu'un seul producteur fermier – l'heureux élu ! – sur plusieurs dizaines, selon une rotation qui laisse aux industriels laitiers la maîtrise de l'appellation. C'est une réalité que connaissent les producteurs fermiers du Livradois-Forez.
En ce qui concerne les producteurs fermiers, je constate malheureusement que votre ordonnance ne prend pas toute la dimension d'un problème qui est à peine évoqué. Les règles d'appellation sont appliquées uniformément à des laiteries industrielles produisant, par exemple, six cents tonnes de produits laitiers, et à des producteurs fermiers qui n'en écoulent que six tonnes ! De plus, vous proposez de faire peser de la même façon sur tous les producteurs les frais liés au contrôle du cahier des charges, alors qu'ils n'ont pas tous les mêmes moyens d'appliquer cette réglementation. J'ai proposé, dans l'un de mes amendements, que ces frais soient pris en charge par l'État, mais cet amendement a été jugé irrecevable.
De plus, votre texte ne prévoit pas de représentation des producteurs fermiers dans les organismes de défense et de gestion, alors qu'il s'agit d'un secteur essentiel de l'agriculture. Enfin, les termes « fermiers », « montagne », « campagne » et « paysan » ne font l'objet d'aucune protection, si bien que l'on voit de grands groupes, tels que Lactalis, produire des aliments industriels sous des labels qui laissent entendre que ceux-ci ne sont pas produits de façon industrielle. À l'opposé, les producteurs fermiers ne devraient-ils pas bénéficier a priori de l'appellation AOC, sauf s'il est prouvé qu'ils n'appliquent pas le cahier des charges ? Et comment ne pas évoquer les contrôles vétérinaires tatillons que subissent ces producteurs, certaines directions des services vétérinaires occultant ou méconnaissant les dérogations pourtant inscrites au « Paquet hygiène » de l'Union européenne ? Je pourrais citer des exemples concrets, notamment dans mon département.
Bref, le risque est grand, malgré votre projet de loi, de voir s'accélérer le phénomène de concentration de la production, avec la généralisation d'une agriculture productiviste, goulue de pesticides, gourmande en eau et désastreuse pour l'emploi. Je prendrai l'exemple de l'AOC Comté qui fêtera ses cinquante ans en 2008. L'appellation a permis le maintien de 160 fruitières transformant 50 millions de litres de lait et employant 400 personnes. Or une seule laiterie pourrait fort bien transformer ce volume de lait avec seulement une vingtaine de personnes ! Le risque est grand d'uniformiser les produits à l'intérieur même des appellations d'origine, contrairement à leur vocation première.
Savoir-faire, terroirs, culture paysanne, ces termes seraient-ils passés de mode ? À l'évidence, monsieur le ministre, votre projet de loi ne prend pas toute la mesure du défi que constitue la défense des productions traditionnelles. Nous voulions nous abstenir sur ce texte, considérant qu'il comportait malgré tout des avancées pour la promotion des signes de qualité. Mais du fait des conditions de cette discussion – établies ce matin en commission – où les amendements seront repoussés a priori pour permettre un vote conforme des deux chambres, notre vote ne peut être que d'opposition…