Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contenu de l'ordonnance qu'il nous est proposé de ratifier est conforme aux engagements pris par le Gouvernement lors de la discussion de la loi d'orientation agricole. Nous l'avons dit en commission, ce projet apporte des clarifications devenues nécessaires.
Sur le plan technique, il marque cependant une drôle de situation pour le Parlement, réduit au rôle de chambre d'enregistrement. Nous ratifions une ordonnance entrée en vigueur le 1er janvier 2007. Certes, nous l'amendons, marquant ainsi une certaine inconstance juridique, d'autant que le Sénat nous a précédé en introduisant des cavaliers : je pense en particulier à ce qui touche au tribunal des baux ruraux. Mais le principal est là, déjà existant pour les praticiens, codifié aux articles L. 640-1 et suivants du code.
Hier, le quotidien Libération expliquait combien le Parlement se sentait méprisé par la tête de l'exécutif : ce que je viens de dire le confirme. Cela avait pourtant été un combat, lors de l'examen de la loi d'orientation agricole, que de faire admettre au Gouvernement qu'il ne pouvait pas ignorer le rôle du Parlement en ce qui concerne la réglementation et l'organisation des signes de qualité. Notre devoir est de faire la loi, non d'enregistrer des textes faits à la chaîne. Le Gouvernement, lui, a le devoir de nous consulter et de nous écouter, ce qu'il tend un peu trop à oublier, signant même, monsieur le ministre, des amendements écrits de sa main qu'il attribue à des députés qui ne sont même pas au courant. J'en veux pour preuve l'épisode dont j'ai été témoin la semaine dernière avec l'amendement relatif à la taxe sur le poisson : voté en urgence, il a été immédiatement remis en cause puisque, si j'ai bien compris, des commissions se réunissent les unes après les autres pour trouver une autre assiette que celle définie dans la précipitation. Nos collègues de l'UMP reconnaissent d'ailleurs, même si ce n'est pas en séance, que la précipitation qui marque ce début de législature est fort mauvaise conseillère, et qu'elle nous conduira à reprendre plusieurs fois les textes pour qu'ils tiennent la route au regard du droit.
Politique agricole, politique des territoires et politique de la consommation : l'ordonnance est au croisement de ces trois sujets. Les produits dont nous parlons aujourd'hui sont attachés à des territoires, AOC ou labels, et ils sont reconnus comme tels par les consommateurs. Ils touchent environs 200 000 agriculteurs, 13 000 entreprises d'amont et d'aval, tous engagés dans la démarche de qualité. En 2005, cela a constitué un chiffre d'affaires de 16 milliards d'euros, ce qui est loin d'être négligeable au regard de la valeur ajoutée de l'ensemble de l'agriculture française. Ces faits montrent qu'il est essentiel que le Parlement se saisisse complètement du sujet, d'autant plus que nous suivons aussi, en la matière, les évolutions de la législation européenne.
Or, monsieur le ministre, nous constatons en examinant cette ordonnance du 7 décembre 2006 que la volonté du gouvernement de l'époque n'a pas été pérennisée, et que les possibilités que vous donnent le budget récemment voté sont très en deçà des ambitions alors affichées. Ce texte vient en effet après le vote d'un budget très défavorable : le programme « Valorisation des produits, orientation et régulation des marchés » enregistre une baisse de 7,8 % d'autorisations d'engagement et de 9,2 % de crédits de paiement… Dans leur rapport, Antoine Herth, ici présent, et Gilles d'Ettore parlent de situation « inquiétante », et ce « alors que le ministère de l'agriculture ne dispose plus de marge de manoeuvre financière ». Et pour cause : le Gouvernement s'autorise une baisse de 14,8 % des crédits relatifs à l'adaptation des filières à l'évolution des marchés ! Or les signes de qualité sont un maillon primordial de cette adaptation.
MM. Herth et d'Ettore, dont je vous conseille de relire l'éclairante prose, exposent une situation budgétaire inquiétante s'agissant de la promotion des signes de qualité, dont les crédits sont eux aussi en léger recul, passant de 258 810 euros en crédits de paiement dans le PLF pour 2007 à 246 681 euros prévus pour le PLF de 2008. Pourtant, chacun sait que la promotion de ces produits aurait dû conduire à une augmentation des crédits.
Une telle orientation se prolonge dans de nombreux secteurs, avec, à terme, des conséquences désastreuses pour les exploitations et l'équilibre de nos territoires. Pour les ICHN – les indemnités compensatoires de handicaps naturels –, de l'aveu même de nos deux collègues, « le Gouvernement semble [...] avoir renoncé à tenir ses engagements concernant la revalorisation à 50 % du taux de majoration applicable aux 25 premiers hectares ». Or de nombreuses AOC sont aussi des productions issues de régions éligibles aux ICHN. Les producteurs de ces zones sont donc deux fois frappés par la politique budgétaire du Gouvernement.
Il est intéressant de remarquer que le droit que nous construisons, en exposant le caractère stratégique des règles contenues dans ce projet de loi, va à contresens des choix budgétaires. Le discours politique et juridique d'un côté, et le fait budgétaire de l'autre, sont contradictoires.
Nous voulons insister sur l'apport fondamental de la valeur ajoutée dans la production agricole, que la majorité a accepté de sacrifier il y a quelques semaines en votant un budget de l'agriculture proprement indigne.
Quant aux signes de qualité, ils sont un repère essentiel pour le consommateur et une récompense pour les agriculteurs et les mytiliculteurs qui ont fait des efforts pour développer la typicité de leurs produits. Nous connaissons tous les volailles de Bresse, le Chabichou et les moules de bouchot de la baie du Mont-Saint-Michel. Ces trois exemples montrent que la certification des signes de qualité revêt une importance stratégique pour une production. Elle est le fruit d'un travail de longue haleine. Seul l'acharnement des producteurs de moules de la baie du Mont-Saint-Michel leur a permis, au terme d'une procédure entamée en 1993, d'obtenir en juin 2006 l'AOC qu'ils espéraient depuis les années 1980 !
Mais, afin de préserver le sens des signes de qualité, notamment des AOC, et d'éviter que des problèmes purement locaux n'entachent leur réputation, nous devons simplifier le maquis réglementaire et fixer des règles communes claires et précises. Les signes de qualité sont trop nombreux, au point, chacun le sait, de contredire leur objectif et d'affaiblir leur sens.
En remettant en ordre la législation et en apportant des précisions sur les cahiers des charges, ce texte, bien qu'il soit insuffisant sur certains points – mais nous vous ferons des propositions précises pour y remédier – est un texte de qualité qui comporte des avancées pour les producteurs, les commerçants et les consommateurs. Il procède à la refonte des dispositions d'un titre du code rural afin de le rendre plus cohérent, comme l'ont souligné les spécialistes, conformément à la révision des règles de l'OMC du 15 mars 2005 et aux règlements européens du 20 mars 2006. En vue d'une « segmentation claire du marché, il expose clairement chaque mode de valorisation et définit les organes d'intervention et de contrôle. Quant à l'INAO, son nom a été préservé, bien que légèrement modifié, car une certaine stabilité est nécessaire à la compréhension de tous.
Sur ces différents points, un travail sérieux a été accompli, monsieur le ministre, et les professionnels s'en félicitent. En effet, la rupture du lien de confiance avec les consommateurs serait dramatique pour les producteurs. C'est ce qui nous a conduits à déposer trois amendements relatifs aux OGM. Nous ne pouvons nous satisfaire des réponses du rapporteur en commission : prétendre que les OGM n'ont pas leur place dans ce texte, c'est méconnaître le rôle technique et symbolique des signes de qualité et, finalement, tromper les acteurs eux-mêmes.
Attachées à un territoire, les productions qui bénéficient des signes de qualité portent la marque d'un savoir-faire agricole lié à la terre et aux caractéristiques locales de la production. Le seul soupçon d'introduction d'OGM dégraderait fondamentalement ce lien au territoire. Associées à une image de travail de la nature et de qualité, ces productions risqueraient d'être rejetées par les consommateurs si elles contenaient des OGM, ce qui serait économiquement dramatique. Nous préférons prévenir ce risque, c'est pourquoi nous proposons de modifier les articles sur l'obtention du label rouge et de l'AOC, que réécrit l'ordonnance.
Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué en commission que la définition des conditions de délivrance des signes de qualité n'appartient pas au législateur, mais relève du cahier des charges mis en place par et pour les producteurs. Vous vous méprenez, car c'est sur les produits que portent les signes de qualité, alors que les cahiers des charges des labels et AOC ne concernent que les producteurs engagés dans une production donnée, ce qui n'exclut pas la contamination d'une production par dissémination du fait d'une autre production dans la même zone. Quel coût représenterait une telle contamination pour l'AOC ou le label ? Peut-on imaginer un foie gras issu d'une alimentation de maïs OGM par contamination ? Nul ici ne souhaite vivre une telle crise de confiance !
Comme le soulignait en 2004 un rapport du Conseil économique et social sur les crises agricoles, les signes de qualité contribuent à sécuriser les filières en période de crise. Ne laissons pas le doute s'insinuer à leur sujet !
Notre proposition permettrait de prévenir ces risques et d'adresser un signal fort en faveur de la protection et du développement des signes de qualité : nous ne comprendrions pas que vous le refusiez. Cette protection est tout aussi fondamentale que pour la production biologique, comme le montre le projet de loi relatif aux OGM.
Quant au procès en refus de progrès qui nous est fait, il est ridicule ! On nous oppose que les produits sous AOC sont issus d'un travail génétique et de plusieurs centaines d'années de sélection ; c'est vrai, cela s'appelle l'acclimatation progressive, obtenue notamment par la pratique des greffes. Mais jamais encore les agriculteurs n'avaient eu la possibilité de transférer des gènes étrangers dans les génomes de plantes. Vous l'acceptez pourtant, s'agissant de produits liés au travail ancestral des agriculteurs !
S'agissant des produits biologiques et de leur référentiel, la législation française est plus restrictive que celle de nos voisins, notamment allemands, qui se contentent d'appliquer la législation européenne. Cela pose un véritable problème puisque cette norme, à la différence des AOC, n'est pas liée au territoire.
Cette question rejoint celle plus globale de l'avenir des labels au regard de la libre circulation des marchandises en Europe. Comment concilier le maintien des exigences de qualité et la libre circulation des marchandises ? Selon un avocat général de la Cour de justice des Communautés européennes, « les labels sont compatibles avec le droit communautaire à partir du moment où ils visent réellement à améliorer la qualité des produits et ne servent pas de prétexte à des tendances chauvinistes ».
Selon les spécialistes, la jurisprudence de la Cour de justice accorde une certaine prépondérance à la libre circulation des produits. La France pourrait tenter d'édifier une politique communautaire différente, forte de son histoire agricole et de sa perception de la qualité des produits, et servir de modèle à une législation ne privilégiant pas la libre circulation des produits au détriment de la qualité. Il nous faut pour cela accentuer nos efforts pour valoriser le modèle alimentaire français.
Monsieur le ministre, en dépit d'un mauvais budget de l'agriculture et des lacunes de l'ordonnance en matière d'OGM, de qualification et de réglementation de la production biologique, ce texte est conforme aux objectifs que vous aviez annoncés. Nous aimerions toutefois que vous preniez en compte nos propositions ; aussi est-ce l'accueil que vous leur réserverez qui déterminera le vote du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.