Selon un procédé bien connu, il enrobe pour mieux faire oublier ce qui compte. De manière générale, votre texte use – et abuse – de leurres si évidents qu'on ne peut le considérer sérieusement.
Sous les apparences d'un rééquilibrage des pouvoirs, dont le Premier ministre est le grand perdant, cette réforme ne revient absolument pas sur l'omnipotence du Président et son irresponsabilité politique. Au contraire, celle-ci est accentuée plus que de raison par la possibilité de venir s'exprimer devant un Parlement aux ordres – un Parlement réuni en Congrès, si l'on en croit les derniers amendements du président de la commission des lois, venu écouter le Président pour débattre ensuite, en son absence et sans possibilité de vote…
Mais ce n'est pas le plus grave et il ne faudrait pas que ce fameux article 7 noyaute ou monopolise le débat. Car ce qui rend ce texte inacceptable, ce sont surtout ses lacunes, sur lesquelles je reviendrai. Elles sont révélatrices d'un fossé supplémentaire entre les inspirateurs de cette réforme, qui semblent s'en accommoder, et les citoyens, qui ressentent un besoin urgent, vital de repenser nos institutions pour réapprendre à vivre ensemble, tous ensemble.
Une constitution crée le cadre d'un pacte fondamental auquel souscrivent les citoyens, un pacte acceptable pour tous, applicable à tous. Il ne doit pas s'agir d'une simple réforme constitutionnelle mais bien d'une refonte en profondeur, d'une modernisation, au sens noble du terme, de nos institutions, une réforme à laquelle aspirent de plus en plus de citoyens, à commencer par des parlementaires de gauche comme de droite.
Or, ici, rien ne marque une réelle volonté de remettre le citoyen au coeur des institutions. Il ne s'agit pas de lui donner quelques outils lui permettant de saisir certaines institutions, conseils ou autres autorités mais de lui donner les moyens de repenser collectivement sa capacité à vivre avec les autres, dans un lien étroit avec les représentants que sont les parlementaires. Contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, les Français s'intéressent à ce type de débat qui fonde précisément notre capacité à vivre ensemble.
Dois-je vous rappeler l'incroyable mobilisation des Français, militants ou non, syndicalistes, responsables associatifs, élus, jeunes et moins jeunes, lors du référendum sur le traité constitutionnel européen, il y a trois ans ? Ils ont alors manifesté leur volonté de se donner les moyens d'étudier, d'analyser un projet qui ne leur convenait pas, tout en envisageant et esquissant les grandes lignes d'un autre programme que vos prédécesseurs ont balayé avec mépris, d'un revers de plume.
La Constitution n'est rien d'autre que cela, madame la garde des sceaux. Elle est le reflet du projet que nous décidons de mettre en avant et des moyens que nous entendons garantir pour que « vivre ensemble » résonne pour tous de la même façon. Tout préalable à une réforme de ce texte fondamental devrait passer par l'introduction d'une citoyenneté active et responsable aujourd'hui inconciliable avec la Ve République dans sa forme actuelle ou dans celle que vous nous proposez.
La démocratie ne s'arrête pas à l'acte de vote, bien au contraire. Participer à la vie de la cité, s'engager au quotidien, manifester, faire grève, pétitionner, agir directement et dans le respect d'autrui relèvent aussi, hors des temps électoraux, de la participation politique qu'il conviendrait de respecter en tant que telle, tout à la fois intervention publique et miroir de la vivacité de notre société.