Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l'heure où certains se complaisent dans les célébrations de mai 68, vous me permettrez de me tourner, sans provocation aucune, vers mai 58 : à chacun ses anniversaires, à chacun ses références. La République vacillait alors et il fallut toute l'habileté, la raison, l'autorité du général de Gaulle pour inverser la tendance. Il manquait une République à la France : il la lui donna. Faisant suite à ces « gouvernements à secousses », comme disait Edgar Faure, il rétablissait la stabilité gouvernementale, rationalisait le Parlement et donnait un chef à l'État, au lieu et place du « manchot constitutionnel » des Républiques précédentes. D'ailleurs, Michel Debré ne s'y trompait pas, qui assurait devant le Conseil d'État, le 27 août 1958, que la « clef de voûte, c'est le Président de la République », « juge supérieur de l'intérêt national ». Annoncée dès le discours de Bayeux, en juin 1946, la nécessité d'un État fort, stable, enfin gouvernable, prenait corps.
Cinquante ans plus tard, qu'en reste-t-il ? La longévité de ce régime est la deuxième de l'histoire : il a su faire face dans les périodes de crise – guerre d'Algérie, décolonisation – et garantir de grandes périodes de stabilité ; il a assuré la cohabitation, permettant aux majorités de se succéder en des périodes de présidentialisme, de parlementarisme ; il a permis une alternance qui, longtemps, avait paru impossible, si bien que François Mitterrand a pu dire que la Ve République n'était pas faite pour lui, mais qu'il s'y était très bien fait. Bref, ce « régime bâtard », comme disait Georges Pompidou, ayant montré son efficacité, sa flexibilité, son adaptabilité, il importe à mes yeux d'en conserver l'essentiel.
Mais conserver ne veut pas dire ne rien changer. L'objet du présent projet de loi est bien d'adapter, de permettre à nos institutions de franchir une étape supplémentaire. Elles l'ont déjà fait, avec la décentralisation, avec l'Europe, avec l'État de droit.
Contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, le rôle du Président de la République n'est pas renforcé. À la limite, il est plutôt limité. Pour ma part, je vois dans ce projet de loi constitutionnelle deux éléments principaux : le renforcement du rôle du Parlement et un point dont on parle un peu moins, le renforcement de l'État de droit, qui est une nécessité dans nos démocraties occidentales.
Permettez-moi de m'attarder quelques instants sur ces deux éléments, en commençant par le renforcement du rôle du Parlement. Je ne rentrerai pas ici dans les détails : chacun l'a fait et, après quatre heures de discussion générale, tout a été dit, et sans doute redit. Mais insistons encore quelques instants sur ce point. Comment la réforme pourrait-elle ne pas nous intéresser, nous, parlementaires, qui serons au coeur de ces institutions ? Nous réclamons ces réformes depuis si longtemps. Ainsi, en matière législative, et sans être exhaustif, on peut se réjouir de la disposition qui prévoit que les débats en séance porteront sur le texte adopté en commission. L'institution d'un délai minimal de six semaines entre le dépôt d'un projet de loi et son examen en séance publique est aussi une avancée qui me paraît très importante. Les règles concernant les « cavaliers législatifs » sont assouplies. La fixation de l'ordre du jour, qui accorde une place plus grande au Parlement et limite les possibilités d'action du Gouvernement, rééquilibre les choses, dans le respect accru des droits de l'opposition.
En matière de contrôle – le contrôle et l'évaluation étant si importants, si nécessaires à nos démocraties –, on se réjouit de trouver dans le texte de nombreux éléments allant dans ce sens. Je me réjouis ainsi que le Parlement concoure à l'évaluation des politiques publiques, qu'il soit informé de l'intervention des forces armées à l'étranger et que son autorisation soit sollicitée si l'intervention excède six mois, que les séances réservées aux questions au Gouvernement soient aussi organisées pendant les sessions extraordinaires. Je me réjouis encore qu'une semaine sur quatre soit consacrée au contrôle de l'action du Gouvernement, et que – comme le prévoit un amendement adopté en commission des lois – soixante députés et soixante sénateurs aient la possibilité de former un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes pour non-respect du principe de subsidiarité.
En renforçant le rôle du Parlement, tous ces éléments renforcent aussi le rôle et la place de l'État de droit. C'est une avancée majeure, c'est une étape supplémentaire vers une démocratie améliorée. L'« exception d'inconstitutionnalité » va dans ce sens, avec des dispositions très importantes. L'indépendance de l'autorité judiciaire me semble aussi renforcée, avec la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, même si, sur ce point, nous ne sommes pas encore parvenus à un arbitrage complet et à des solutions tout à fait satisfaisantes : il appartiendra à nos discussions de poursuivre peut-être dans cette direction. C'est vrai encore pour le Conseil économique et social. C'est vrai, enfin, pour la création d'un défenseur des droits du citoyen qui constitutionnalise, enfin, le médiateur de la République en lui confiant des fonctions un peu plus larges – j'ai du reste déposé un amendement à ce sujet.
Au final, entre les conceptions parfois différentes des uns et des autres, les souhaits, les possibles, les souhaitables, il me semble que l'on est proche, proche de l'équilibre qui peut être accepté le plus largement possible. Si les positions ne deviennent pas des postures, alors, oui, objectivement la réforme est une vraie chance de modernisation de nos institutions, de cette grande charte qui est notre Constitution. L'équilibre est là.