Cette communication aurait pu être, en quelque sorte, le chapeau introductif au rapport présenté précédemment par nos collègues Hervé Gaymard et Michel Lefait sur les enjeux européens de la numérisation de l'écrit.
On peut s'interroger aujourd'hui sur la pertinence d'une communication sur l'Europe de la Culture, au moment où la crise de la dette fait la une des manchettes de nos quotidiens et où la sauvegarde de notre monnaie commune occupe largement les esprits europhiles les plus convaincus. La culture serait-elle le parent pauvre, un bien superflu, un luxe, à l'heure où la construction européenne traverse l'une des crises les plus graves de son histoire ?
Je ne le crois pas. La crise actuelle, comme toute crise, est un révélateur. La difficulté à mettre en place des mécanismes de solidarité européenne révèle davantage les failles d'une unité européenne, d'une prise de conscience insuffisante d'une communauté culturelle, socle d'une Europe politique, que l'inverse.
Jean Monnet, père fondateur de notre Europe, ne s'y trompait d'ailleurs pas puisqu'on lui fait dire de manière apocryphe, que « si c'était à refaire je commencerais par la culture » ! Et il n'est dès lors pas indifférent de constater que les prémisses d'une politique culturelle européenne sont déjà introduites par le traité de Maastricht, traité fondateur puisqu'il définit une citoyenneté européenne.
Cependant, quel corps donner à cette citoyenneté européenne, en dehors du principe abstrait d'un passeport désincarné ? Ce n'est pas un hasard si George Steiner, en 2005, sous le titre Une certaine idée de l'Europe, publie un hymne d'amour à la culture européenne, ciment de cette identité européenne, qui fait sens mais qu'il est si difficile à définir.
L'Europe, comme il aime à le rappeler, se résume-t-elle aux cafés, aux monuments, aux rues aux noms célèbres, c'est-à-dire « ce côté sombre, à cette souveraineté du souvenir » qui ferait d'elle « un lieu de mémoire » ?
Derrière cette impossible définition, se dessine, en réalité, en creux, celle d'une diversité de cultures, pourtant unies. En effet, le lien qui semble se tisser entre les pays membres réside dans la devise de l'Union, pour le moins paradoxale « unis dans la diversité ».
La reconnaissance d'une Europe culturelle par l'Union européenne a été tardive, en raison même de cette difficulté à définir l'identité culturelle européenne.
Autrement dit, la difficulté des États membres à s'accorder sur une définition univoque d'une culture européenne explique les difficultés de sa mise en oeuvre. La politique ambitieuse voulue, par les États membres reste donc peu lisible dans ses actions.
La construction d'une identité et d'une citoyenneté européennes demeure encore une perspective qui suppose une adhésion au projet d'une Europe politique, une vision partagée.
Cette construction passe par des actions volontaristes, une politique culturelle commune qui devra devenir plus visible.
A cet égard, le traité de Lisbonne donne une définition de la culture qui reflète bien la recherche d'un consensus entre les États membres sur cette question.
En effet, trois aspects de la culture se trouvent dans ce traité :
- la culture n'est pas un bien comme les autres : à ce titre, les biens culturels, dans ce qu'il est convenu d'appeler « l'exception culturelle » ou la défense de la « diversité culturelle » échappent aux négociations commerciales dans les accords de politique commerciale (article 207 TFUE) : cette conception se retrouve notamment dans la dérogation à l'interdiction des aides de l'État en ce qui concerne la politique culturelle (article 107 TFUE) ;
- la culture est une valeur partagée par les États, elle repose sur un héritage commun, c'est la dimension patrimoniale de la culture (article 167 TFUE) ;
- la culture est synonyme du respect de la diversité culturelle, en particulier des cultures régionales, des langues minoritaires, en un mot de la diversité linguistique (article 3 TFUE).
Or, à ce jour, ces trois définitions ne font pas nécessairement consensus au sein des États membres à l'exception peut-être de la conception patrimoniale.
Comment dès lors bâtir une véritable politique culturelle commune sur un accord a minima ?
Comment dès lors incarner la citoyenneté européenne sur un héritage commun dont seul l'aspect artistique fait consensus ?
Comment dès lors bâtir une politique culturelle ambitieuse si l'on s'accorde uniquement sur le plus petit dénominateur commun ?
Néanmoins, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les réussites enregistrées par la politique culturelle européenne résident essentiellement dans la promotion d'actions symboliques à portée identitaire, qu'il s'agisse des « Journées du patrimoine européen », des « Capitales de la culture », du projet de bibliothèque numérique Europeana, des « Labels du patrimoine européen ».
Ce sont ces actions symboliques qui, couplées au programme Erasmus, – qui n'entre pas stricto sensu dans le programme Culture de l'Union européenne, mais participe de cette construction volontariste d'une citoyenneté européenne incluant une communauté de culture – assurent à la fois la visibilité de la politique culturelle européenne et son succès.
Cependant, le programme 2007-2013 pour la Culture a permis des réussites incontestables, et la Commission européenne a su tirer les enseignements de sa mise en oeuvre en recentrant davantage ses actions sur les promotions de la création artistique européenne.
Les critiques que l'on pouvait adresser à la politique culturelle européenne, dispersion des acteurs, saupoudrage des crédits, lourdeur administrative dans la sélection des dossiers, sont donc partiellement levées.
Le programme cadre 2014-2020 propose un recentrage de la politique culturelle sur deux actions d'envergure, à l'exception de l'audiovisuel qui n'entre pas dans le sujet de cette communication :
- l'aide à la création artistique par l'aide facilitée à la création ;
- le développement des aides numériques qui sont la clé de l'innovation et de la création de demain.
La politique patrimoniale n'en est pas pour autant délaissée, mais elle se combine davantage avec la modernité des projets culturels.
Toutefois, aussi ambitieuse soit-elle, la politique culturelle européenne reste sous-dotée par rapport aux autres politiques européennes. Eu égard aux enjeux de sa mise en oeuvre, une augmentation de ses ressources devrait être envisageable comme le propose la Commission européenne dans sa communication en décidant de consacrer 500 millions d'euros à la culture dans les perspectives budgétaires 2014-2020.
Si l'hypothèque de la définition d'une Europe de la culture ou des cultures n'a pas été entièrement levée, la prise en compte d'une nécessité d'une politique culturelle commune, est le premier pas vers la construction que les pères fondateurs appelaient de leurs voeux dans le respect des identités des États membres.
Si l'on considère que la citoyenneté européenne ne supplée pas la citoyenneté nationale, mais s'y rajoute, alors considérons aussi que l'identité européenne ne remplace pas l'identité nationale, mais qu'elle la transcende.
La présente communication visait à faire un rapide état des lieux de l'Europe de la culture, développée par ailleurs dans le rapport à venir, tant au regard des enjeux politique que dans la perspective des négociations budgétaires pour 2014-2020. Nous prenons acte qu'elle n'est que la première pierre de l'édifice à construire.
Nous savons que des actions prioritaires déjà mises en oeuvres doivent être développées et renforcées. J'entends rappeler, par là, en premier lieu, la promotion d'une politique patrimoniale d'envergure, le renforcement des aides au numérique, et peut-être la mise en place d'une politique commémorative autour d'artistes qui incarnant véritablement l'identité européenne, afin de donner corps à une véritable politique européenne de la culture. C'est la voie – humaine, vivante, diverse – indispensable pour contribuer à l'avènement d'une conscience européenne partagée, sans laquelle l'union à laquelle nous aspirons ne saurait trouver son plein épanouissement.