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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 6 mars 2012 à 17h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, co-rapporteur :

Nous allons vous livrer quelques réflexions sur ce sujet passionnant et très évolutif. On peut dire que la planète papier est confrontée à l'arrivée d'une météorite numérique, mais il faut rester serein et calme et cela même s'il est aussi malaisé d'établir la liste de toutes les questions qui se posent que des réponses qui peuvent être données.

La numérisation consiste d'abord en des techniques qui ont beaucoup évolué et qui continuent à le faire en permanence, y compris en matière de conservation. Il faut donc rester très vigilants car les formats peuvent devenir obsolètes, ce qui induit des risques de pertes de documents beaucoup plus graves que pour le papier qui dans l'ensemble a plutôt bien traversé le temps, sauf aux époques où il était composé de trop de bois, ce qui a entraîné acidité et pertes de manuscrits.

Ce sont ensuite les vecteurs qui permettent de lire les écrits numériques. Ils sont aussi en perpétuelle mutation, que ce soit des téléphones « intelligents », des liseuses comme le Kindle d'Amazon ou le Kobo de la FNAC, des écrans d'ordinateurs ou des tablettes à écran rétroéclairé comme l'iPad et ses épigones. Ces vecteurs font partie intégrante de cette problématique comme on l'a vu dans le dossier de la musique, que nous n'abordons pas, où le décollage a été le produit de la conjonction « miraculeuse » du couple iPhone et du format MP3.

La technique et les outils sont donc très importants et on n'est pas sûr d'être, actuellement, dans une situation stabilisée.

Enfin, le développement du numérique aura nécessairement un impact sur les modes de lecture et donc sur les méthodes de réflexion et de pensée. Ce ne sera évidemment pas la première fois car il y en déjà eu de semblables quand on est passé du manuscrit sur des rouleaux, puis du livre copié au livre imprimé de Gutenberg, de la lecture orale du Moyen Age à la lecture silencieuse. L'impact des techniques actuelles se fera sentir dans les décennies et les siècles à venir et sera aussi influencée par la possibilité du numérique de permettre une diffusion illimitée des connaissances.

La numérisation de l'écrit concerne deux catégories : les livres et tout le reste c'est-à-dire, les brochures, les journaux, les rapports…

Au sein de la catégorie « livres » on a encore deux sous-ensembles dont la distinction est encore incertaine : les livres numérisés et les livres numériques.

Le livre numérisé que son format natif soit un livre papier scanné ou un fichier numérique est un livre classique avec des illustrations fixes quand il y en a, alors que le livre numérique est un nouveau vecteur, que l'on peut appeler un « objet culturel numérique ». C'est une nouvelle forme d'expression culturelle qui peut mêler l'écrit, les images fixes et animées, le son et, surtout, l'interactivité.

Nous ne traitons dans notre rapport que du livre numérisé, le livre numérique étant un nouveau vecteur qui est conceptuellement très différent.

Trois grandes questions se posent alors à la fois aux États et à l'Union européenne.

Tout d'abord comment, en référence à André Malraux, rendre accessibles le plus grand nombre d'oeuvres au plus grand nombre, que deviennent le droit d'auteur et la rémunération de la création et, enfin, quels sont les impacts de ces techniques sur les différents métiers de la chaîne du livre, de l'imprimeur au lecteur en passant par les éditeurs, les diffuseurs et, bien sûr, les libraires.

La première préoccupation implique de numériser le corpus pour le rendre accessible.

Il y a alors deux catégories d'oeuvres : celles du domaine public et celles sous droits.

Les oeuvres du domaine public sont numérisées soit par des crédits publics, par exemple en France où 10 millions d'euros y sont consacrés par an par le Centre national du livre, soit par des sociétés privées comme Google.

L'Europe est ici partie prenante avec la création remontant à 2005 d'Europeana qui est un portail de portails pour avoir une seule entrée sur le Net et rassembler toutes les initiatives européennes en la matière. Europeana est actuellement présidée par M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France, qui a développé la remarquable bibliothèque numérique Gallica avec des crédits publics. Notre proposition de résolution européenne mentionne la nécessité de renforcer Europeana et d'y consacrer une ligne budgétaire européenne pérenne.

La volonté de Google de tout numériser y compris des oeuvres sous droit a donné lieu à un procès intéressant qui lui a été intenté par la Guilde des auteurs américains.

Une transaction a eu lieu selon laquelle la Guilde renonçait aux poursuites contre le versement, pour solde de tout compte de 200 millions de dollars. Cette transaction s'expliquait par le fait que la Guilde n'avait plus les fonds suffisants pour payer ses avocats.

Mais le Procureur s'est opposé à celle-ci prouvant, ainsi que le juge Chin, sa vigilance à propos des droits d'auteur. Il faut souligner que la France et l'Union européenne étaient intervenues dans la procédure en utilisant une procédure juridique américaine particulière (l'« amicus curiae »). La conséquence importante est que Google a cessé de numériser les oeuvres françaises encore sous droits.

Ce procès a rebondi récemment, en décembre 2011, Google estimant maintenant que la Guilde des auteurs n'avait pas intérêt pour agir dans cette affaire, qui ne sera probablement pas jugée définitivement avant la fin de cette année.

Il est donc indispensable qu'Europeana soit consolidée et il est impératif de conforter le droit d'auteur.

Pour ce faire, j'avais déposé la même proposition de loi que le sénateur Jacques Legendre pour rendre accessibles les oeuvres françaises indisponibles, encore sous droits, du XXe siècle. Notre démarche a été motivée par le fait que nous nous sommes aperçus que si les oeuvres du domaine public étaient accessibles ainsi que celles parues après 2000 dans la mesure où les éditeurs ont conclu des contrats numériques avec les auteurs, il n'en était pas de même pour 500 000 oeuvres du XXe siècle.

Cette loi qui vient d'être publiée prévoit donc la création d'une société de répartition et de gestion des droits géré paritairement par les éditeurs et les auteurs, ceux-ci pouvant s'en retirer s'ils le souhaitent.

La numérisation sera financée dans le cadre du Grand emprunt, la France ayant ainsi trouvé une formule juridique permettant un partenariat public-privé entre le Commissariat général à l'investissement et les éditeurs pour rendre accessibles ces oeuvres indisponibles.

Enfin j'évoquerai la nécessité d'avoir un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) unique pour le livre papier et le livre numérique. C'est chose faite en France depuis le 1er janvier 2012 suite à l'amendement que j'ai fait voter dans le cadre de la loi de finances pour 2011. Il y ainsi trois pays pionniers en Europe de ce point de vue : le Luxembourg, l'Espagne et la France.

Cela a créé un conflit entre la France et la Commission européenne, qui estime que le livre numérique est une prestation de service, alors qu'un livre est un livre quel qu'en soit le support. La France a donc missionné M. Jacques Toubon comme ambassadeur itinérant pour convaincre du bien fondé de son point de vue à la fois nos partenaires et la Commission européenne.

C'est un problème très important que nous avons mentionné dans la proposition de résolution. En effet, on estime qu'un fichier numérique doit être vendu 30 à 40 % moins cher qu'un livre papier pour présenter une offre légale facile d'accès à même d'éviter le piratage. Si le taux majoré de TVA reste appliqué au livre numérique, les éditeurs ne pourront pas économiquement le vendre 40 % moins cher.

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