Il s'agit d'un sujet sensible. Le rapport tend à exposer les difficultés variées et importantes posées par la version initiale de la Commission européenne. Il convient de rappeler que le contexte français est marqué par la réforme de la garde à vue intervenue le 14 avril 2011. Le Conseil constitutionnel avait jugé le 30 juillet 2010 que la législation relative à la garde à vue alors en vigueur autorisait l'interrogatoire de la personne gardée à vue mais ne permettait pas à la personne ainsi interrogée, alors qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l'assistance effective d'un avocat. Trois arrêts de la Cour de cassation avaient également été rendus le 19 octobre 2010. Ce sont là des éléments essentiels.
La proposition initiale de la Commission européenne prévoyait un droit d'accès à l'avocat très large. On peut comprendre la volonté européenne d'aller dans cette direction, venant notamment des pays ayant connu régimes non démocratiques, qui souhaitent ouvrir l'accès à l'avocat à toute personne soupçonnée. Mais il faut rappeler, au-delà de ce qu'indique le gouvernement français et nous le disons en tant que parlementaires, que l'accès à l'avocat pour toute personne soupçonnée constitue une difficulté réelle car une telle notion n'est pas bien définie en droit français.
Par ailleurs se pose le problème de la dissociation de la question de l'aide juridictionnelle, sur laquelle le droit français est en avance. Nous avons souligné, avec Guy Geoffroy, à la Commission européenne et aux autres personnes auditionnées, qu'il y avait un risque réel de créer une justice à deux vitesses.
En l'état actuel du texte, nous ne pouvons pas approuver le projet. Nous ne pouvons l'approuver que sous réserve que les changements demandés dans la proposition de résolution soient obtenus. La proposition de résolution que nous adopterons vise notamment à alerter la Commission européenne et sera transmise aux parlementaires européens, que nous avons rencontrés, et qui ont jusqu'au 21 mars pour déposer des amendements sur le texte au Parlement européen.
Il faut faire progresser ce texte. Je souligne également que la directive devra pouvoir être conciliée avec les systèmes juridiques des États membres, parmi lesquels le système juridique français.
Dans sa décision du 18 novembre 2011 portant sur cinq questions prioritaires de constitutionnalité portant notamment sur le droit d'accès à l'avocat, le Conseil constitutionnel a rappelé que l'enquête policière n'est pas une phase juridictionnelle. Dans le commentaire de la décision publié sur le site Internet du Conseil constitutionnel, il a été rappelé que les garanties en matière d'accès à l'avocat doivent s'appliquer dès lors qu'une personne est privée de liberté et que la jurisprudence du Conseil n'impose pas que toute personne soupçonnée bénéficie du droit d'accès à un avocat. Il faut également lire cette décision à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. Cette Cour rend, quant à elle, des arrêts au cas par cas et sa jurisprudence est évolutive. Elle ne semble pas avoir tranché la question de l'accès à l'avocat en dehors de toute garde à vue. Elle lie les conditions de la garde à vue au procès équitable, qui est une notion essentielle.
Nous vous proposons une proposition de résolution selon laquelle l'Assemblée nationale :
- en point 1, rappelle que le droit d'accès à l'avocat constitue un élément fondamental des droits de la défense et souligne la nécessaire articulation des droits nationaux avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et son évolution ;
- en point 2, souligne notre soutien aux objectifs posés par la feuille de route du 4 décembre 2009 ;
- en point 3, demande instamment que la Commission européenne traite conjointement le droit d'accès à l'avocat et l'accès à l'aide juridictionnelle ;
- en point 4, regrette que la proposition de directive, qui requiert une étude d'impact détaillée portant, d'une part, sur ses conséquences sur l'équilibre général des systèmes pénaux des États membres et, d'autre part, sur son nécessaire financement en matière d'aide juridictionnelle, n'ait pas fait l'objet d'un travail préparatoire plus approfondi ;
- en point 5, rappelle que la proposition de directive doit tenir compte des différences entre les systèmes juridiques des États membres, conformément à l'article 82 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- en point 6, souligne que la directive doit tendre vers une garantie optimale des droits reconnus aux personnes entendues, soupçonnées ou mises en cause, tout en préservant la conduite efficace des enquêtes et des procédures pénales ;
- en point 7, qui est plus discuté, prend position sur le problème de l'accès à l'avocat pour toute personne soupçonnée. Je préfèrerais le terme « estime » plutôt que « juge » en début de phrase. J'avais introduit une rédaction selon laquelle l'Assemblée nationale « estime que le fait de créer un droit d'accès à l'avocat pour toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction pénale constitue un élément fondamental des garanties appropriées à mettre en oeuvre au profit des personnes entendues, soupçonnées ou mises en cause mais doit être concilié avec les mesures de l'enquête visant à assurer la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions », formulation fondée sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Mais nous nous sommes accordés sur la formulation qui vous est proposée. Toutefois, la fin du paragraphe « une décision politique qui doit être pesée très attentivement » devrait, à mon sens, être remplacée par les termes « une délibération politique et nécessite une juste évaluation de ses effets juridiques » ;
- en point 8, rejette les propositions de compromis actuellement débattues au sein du Conseil de l'Union européenne ;
- en point 9, estime que la proposition de directive doit mieux préciser et distinguer les actes pour lesquels la présence de l'avocat est nécessaire de ceux pour lesquels elle ne l'est pas ;
- en point 10, juge souhaitable que la directive institue, au profit de la personne arrêtée, un droit de faire prévenir un tiers, comme le prévoit le droit français ;
- en point 11, considère qu'il est nécessaire de prévoir des régimes dérogatoires et exceptionnels, très encadrés.