N'aimant pas l'école – ce qui a changé par la suite –, je suis entrée à 15 ans en préapprentissage dans une pâtisserie, puis au drugstore Matignon. J'ai alors voulu passer un CAP, mais j'ai commencé à rencontrer des difficultés liées à mon nom et mon origine – auparavant, j'étais dans un cocon, bien protégée, et la question ne s'était jamais posée. Quoi qu'il en soit, lorsque j'avais trouvé un maître d'apprentissage, je ne trouvais pas d'école et vice-versa… Bref, durant deux ans, j'ai travaillé dans la restauration mais sans pouvoir m'inscrire au CAP.
J'ai alors voulu entrer dans l'armée : j'aime les défis et j'avais envie de prouver de quoi j'étais capable. Mais il fallait un diplôme ! J'ai eu à ce moment-là l'impression que toutes les portes se fermaient devant moi, avant qu'une personne de la mairie ne m'oriente vers un centre de formation rémunéré par l'État, l'Astrolabe, à Bondy. Là, j'ai passé mon CAP de cuisine en un an au lieu de deux. Puis mon professeur m'a poussée, alors que cela ne m'attirait pas du tout, à passer un CAP de salle, afin de connaître cette partie du métier pour pouvoir un jour entreprendre moi-même quelque chose. Je me suis plue dans les études et j'ai passé mon BEP de salle en un an au lieu de deux, puis mon bac. Enfin, j'ai voulu passer un BTS, mais c'était au moment de reprendre la vie active ; j'ai donc repoussé ce projet, mais je ne l'ai toujours pas abandonné !
C'est au moment de mon bac professionnel – ayant donc fait une grande partie de mes études en salle – que j'ai rencontré M. Faré, avec qui je me suis très bien entendue. Je travaillais en salle, mais la cuisine était très proche. Certes, on m'a testée, pour savoir si j'étais correcte et autonome, mais c'est le cas pour tout le monde. J'ai plu et, mon bac passé, on m'a proposé une place aux Persiennes, rue Marbeuf, à Paris. J'étais très heureuse de revenir en cuisine. C'était en tant que commis, le plus grade le plus bas, mais comme c'était une petite structure, j'ai gravi les échelons et suis passée chef de partie puis second très rapidement.
Puis M. Conticini a proposé à cette brigade où je travaillais de le rejoindre chez Petrossian. J'ai accepté alors de redescendre dans la hiérarchie, pour m'aguerrir et mieux connaître cette maison prestigieuse. Je suis passée par tous les postes – y compris la pâtisserie – en tant que chef de partie et, lorsque le second est parti, on m'a demandé de le remplacer.
Puis un jour, M. Petrossian m'a appris que M. Faré partait et m'a proposé son poste. Tout au long de la semaine de réflexion qu'il m'avait donnée, j'ai pensé refuser. Après m'être tant battue pour prouver que j'étais à ma place, j'avais envie de souffler et d'apprécier le moment, mais, à la dernière minute, j'ai dit oui. Peut-être un peu pour embêter certains, parce que je savais que cela n'allait pas plaire à tout le monde. Et aussi, puisque j'étais sur ma lancée, autant continuer !
Je suis donc devenue chef en avril 2005, à 29 ans. J'étais sur mes gardes : on m'avait dit que certains chercheraient à me couler. Mais M. Petrossian me soutenait et le défi me plaisait. J'ai prévenu tout de suite l'équipe : avec ceux qui resteraient, nous avancerions tous ensemble ; pour ceux qui auraient du mal à supporter ma nouvelle autorité, il valait mieux se séparer tout de suite. Au final, des départs ont eu lieu, mais huit mois plus tard, en décembre. J'ignore si c'était à cause de moi, ou simplement pour changer.
Depuis, j'ai pu garder tout mon personnel pendant plusieurs années et je suis toujours en contact avec ceux qui, entre - temps, sont partis. Ce qui n'exclut pas les difficultés : de l'eau a été mise dans mes sauces, des oignons ont mystérieusement brûlés… Ça n'a pas été facile. Mais l'on craque chez soi, et l'on revient ensuite. Il est hors de question d'abandonner, ce serait donner raison à ceux qui souhaitent vous voir partir. Cela m'a forgé le caractère, moi qui avais été très gâtée et protégée, m'a appris à prendre sur moi, à devenir calme alors que j'étais impulsive. J'ai aussi d'autres activités en dehors de mon métier, d'autres priorités, c'est ce qui me permet de me détendre, d'avancer. Et j'essaye toujours de voir le côté positif des choses.