Globalement, madame Erhel, les emplois perdus chez les équipementiers, et dans une moindre mesure chez les opérateurs télécoms, ont été largement compensés par ceux qui ont été gagnés chez les prestataires de services qui sont, pour l'essentiel, restés dans notre pays. Ainsi, le secteur de l'économie numérique emploie aujourd'hui 400 000 personnes de plus que l'ancien secteur équivalent, il y a quinze ans. Je ne connais pas d'autres secteurs qui aient évolué d'une façon aussi favorable.
Pour autant, fallait-il se satisfaire de cette situation et continuer comme avant ? Non, et nous avons été les seuls en Europe à dire qu'il fallait faire évoluer la régulation. Nous avions une régulation entièrement asymétrique, dans la mesure où elle pesait entièrement sur l'opérateur historique pour créer le marché. Et nous avons maintenant quatre opérateurs nationaux, tous français, tous mixtes (fixe, mobile), des opérateurs puissants, efficaces, qui font des marges importantes et investissent beaucoup – 7 milliards d'euros l'année dernière, ce qui constitue un record. Le nombre d'emplois est stable, et augmente même depuis quatre ans. Il ne faut pas perdre de vue que dans d'autres secteurs régulés – dont certains ont été cités – les prix augmentent de 10 % par an. Est-ce cela que nous voulons ?
Depuis deux siècles, le progrès de l'économie repose sur la productivité. Nous ne pouvons pas, d'un trait de plume, rayer les gains de productivité qui ont permis de décupler le niveau de vie des habitants de l'Europe pendant cette période : au XIXème siècle, grâce à l'industrie textile, le prix des vêtements a baissé de 90 % ; le prix des automobiles a été divisé par quatre entre 1920 et 1960, ce qui a permis à la plupart des Français de s'en équiper ; en 1952, un réfrigérateur coûtait l'équivalent de dix mois de salaire d'un instituteur, contre une moitié de SMIC aujourd'hui. Voilà ce qu'ont permis les gains de productivité. Et ce n'est pas du low cost ! Il ne faut pas confondre les gains de productivité, remarquablement décrits par de grands économistes comme Edmond Malinvaud, avec le low cost qui consiste à utiliser, dans des pays en développement, une main-d'oeuvre mal payée, mal protégée sur le plan social et qui produit souvent dans des conditions environnementales catastrophiques.
Free propose aujourd'hui à 20 euros un service que ses concurrents vendaient 30 ou 40 euros : cela profite au consommateur. Cela dit, il faudra vérifier si ce modèle est viable à moyen et long terme. Nous vérifierons donc, fin juin, si les éléments figurant dans le dossier de candidature correspondent à la réalité des comptes que Free va devoir nous apporter. Mais le fait qu'un opérateur baisse le prix d'un service de qualité devrait être une bonne nouvelle à un moment où le pouvoir d'achat des Français stagne. Il est extraordinaire que cela soit perçu comme une mauvaise nouvelle ! Quant à l'argument selon lequel cela présente un risque pour l'emploi, là encore, ne faisons pas la même erreur que les marchés financiers en raisonnant à court terme. Certes, la concurrence peut faire diminuer l'emploi dans la mesure où elle stimule la compétition et fait baisser les coûts, mais il existe une autre variable d'ajustement, à savoir les dividendes qui, dans le secteur des télécoms, s'élèvent à 5 milliards. À moyen et long terme, les gains de productivité et les baisses de prix génèrent du pouvoir d'achat et créent de la demande. Depuis des siècles, tous les économistes, qu'ils soient libéraux ou socialistes, ont démontré que le progrès technique était un élément décisif de la croissance, de la création d'emplois et du pouvoir d'achat. Il faut éviter la confusion entre ce processus vertueux de long terme et le recours à des produits importés ou à des services délocalisés qui est une vraie question politique relevant de la compétence du Parlement et de l'Union européenne. Voilà pour le contexte économique général.
On m'a demandé ce que faisait l'ANFR. Pour le savoir, il faut s'adresser à la personne qui lui a passé commande, c'est-à-dire au ministre de l'industrie. Cela dit, j'ai eu deux longues conversations avec le directeur général de l'ANFR, qui se sont très bien passées. Ce que cette agence fait est très utile. C'est d'ailleurs pourquoi j'avais moi-même suggéré à M. Besson, dans un courrier que je lui ai envoyé, que l'ANFR nous apporte son soutien technique dans les contrôles que nous effectuions. Par exemple, elle est à même de vérifier, de façon exhaustive, le nombre des pylônes qui sont allumés, ce que nous n'avons pu faire qu'à partir d'un échantillon représentatif.
L'ANFR et l'ARCEP peuvent donc mener des actions parfaitement complémentaires. En revanche, s'il était demandé à l'ANFR de refaire une mesure de couverture identique à celle de l'ARCEP, ce serait comme si le ministre de l'économie et des finances demandait à la Direction du Trésor de refaire un indice des prix parce que l'indice des prix de l'INSEE ne lui conviendrait pas. Ce serait évidemment inacceptable. J'exclus donc totalement cette hypothèse.
Le directeur général de l'ANFR m'a indiqué que son agence travaillait sur les stations allumées. C'est en effet auprès de l'Agence nationale des fréquences que les stations sont autorisées et déclarées. Il n'y a donc rien de choquant à ce que l'ANFR procède à un contrôle exhaustif des stations qui sont installées et allumées. Et si, madame Erhel, vous interrogez son directeur général, il vous confirmera qu'il ne peut pas mesurer la couverture du territoire par quelque réseau que ce soit. Il n'en a ni les compétences techniques ni les pouvoirs. Il n'a pas les informations dont nous disposons en tant que régulateur. L'ANFR ne peut pas mesurer la couverture de la population par le réseau de Free, au sens que prévoit la licence.
S'agissant de la fibre optique, nous sommes le premier régulateur en Europe à avoir achevé la mise au point du cadre réglementaire, à la fois sur les réseaux fixes – fibre optique – et sur les réseaux mobiles à très haut débit, puisque les licences 4G viennent d'être attribuées. C'est une condition nécessaire pour les déploiements, mais ce n'est pas une condition suffisante. Il faut en effet maintenant que des opérateurs investissent. Il peut s'agir d'opérateurs privés ou de collectivités locales. Le cadre réglementaire que nous avons édicté est totalement neutre au regard des opérateurs, qu'ils soient publics ou privés. Donc, les débats qui ont lieu dans d'autres enceintes sur la question de savoir s'il fallait plus ou moins d'investissements venant des collectivités locales ou des opérateurs privés sur la fibre optique ne nous concernent pas. Nous n'avons pas prévu de dispositions spécifiques interdisant ou favorisant quel qu'investissement que ce soit, qu'il soit public ou privé.
En revanche, pour répondre à Mme Laure de la Raudière, la priorité du prochain gouvernement, quel qu'il soit, devra être de renforcer le pilotage général du déploiement du grand réseau de fibre optique sur l'ensemble du territoire, quels que soient les acteurs qui le réaliseront – pour partie des opérateurs privés et pour partie des opérateurs publics. Il faudra mettre en place un organe de pilotage en 2012 et l'ARCEP pourra mettre ses compétences à sa disposition.
Le paramétrage est un sujet important. Une station se définit non seulement par sa puissance, mais aussi par des paramètres comme l'orientation de son antenne, la durée de rappels automatiques d'un réseau à l'autre ou le nombre minimum de décibels du signal. Ces paramètres sont fixés au moment où la station est installée. La question est de savoir si, dans l'accord passé avec Free, France Télécom a fixé des niveaux de paramétrage obligatoires sur les stations de Free, qui conditionneraient l'application de l'accord d'itinérance. Si tel n'est pas le cas, France Télécom ne peut pas se plaindre, et si tel est le cas, il appartient à Free de respecter ce qui est prévu. Je ne peux pas, car ce sont des informations protégées par le secret des affaires, vous dire ce qu'il en est, mais France Télécom a les capacités de veiller à la mise en oeuvre de son contrat et Free l'obligation de respecter les obligations qui figurent dans celui-ci.
Comme je l'ai déjà dit, nous vérifierons, le 30 juin 2012, les comptes, les investissements et, d'une façon générale, les obligations et les engagements de Free, puisqu'il doit nous remettre un document et un premier bilan.
Des questions ont été posées sur les terminaisons d'appel voix. Nous sommes à la fin d'une phase de consultations des acteurs, des experts, et nous allons maintenant envoyer à la Commission européenne un projet de cadre de régulation pour la terminaison d'appel voix pour Free et pour les principaux opérateurs MVNO concernés. Nous avons prévu, dans la version mise en consultation publique, une asymétrie un peu inférieure à celle dont bénéficiait Bouygues Télécom quand il était un nouvel entrant, et ceci, conformément au cadre communautaire. Pour autant, je constate que les critiques formulées par certains opérateurs sur la terminaison d'appel voix ont diminué.
Se posera ensuite la question de la terminaison d'appel SMS. Nous n'avons pas l'obligation de réguler ce marché au regard des dispositions communautaires. Mais cela ne veut pas dire qu'il est interdit de le faire. Nous avions deux options. La première consistait à laisser les opérateurs fixer leur terminaison d'appel et à jouer notre rôle de « juge de paix » pour régler d'éventuels différends. La seconde consistait à réguler ex ante le marché de la terminaison d'appel SMS. Nous avons choisi cette dernière, comme nous l'avons annoncé il y a quinze jours, et cela nous semble de nature à permettre de traiter la question de façon plus apaisée.
J'ai répondu aux questions de M. Daniel Paul sur l'évolution de la régulation. J'ai bien montré que nous étions capables d'évoluer.
Monsieur Brottes, ce qui nous différencie de l'Autorité de la concurrence, c'est que l'ARCEP poursuit plusieurs objectifs d'intérêt public. Nous devons veiller, bien sûr, à ce que la concurrence soit suffisante, mais cela ne nous obsède pas et nous avons toujours en vue d'autres objectifs d'intérêt général, notamment celui de l'aménagement du territoire. Mme Laure de la Raudière peut en témoigner : lorsqu'il a fallu fixer les règles d'attribution des licences 4G, l'ARCEP s'est battue pour que soient respectés l'esprit et la lettre de la loi Pintat. Pour la première fois, non seulement en France mais aussi en Europe, s'agissant des obligations de couverture, priorité a été donnée aux zones les moins denses. C'était aller à contre-pied des opérateurs qui, par pure logique économique, souhaitaient que l'on investisse d'abord dans les zones les plus rentables, comme cela été fait pour la 2G et la 3G. Nous avons ainsi défini une zone prioritaire d'aménagement du territoire correspondant aux zones les moins denses du territoire, soit 62 % de celui-ci, et qui devra être équipée en très haut débit mobile plus vite que le reste du territoire.
Par ailleurs, et c'est là encore une première, nous avons mis en place un mécanisme d'incitation extrêmement forte – qui est une quasi-obligation – de mutualisation des réseaux de téléphonie mobile pour cette même zone prioritaire. Nous avons dû nous battre contre vents et marées pour faire passer cette idée qui s'imposait ! Aujourd'hui, il faut économiser l'investissement et il est normal que, dans les zones les moins denses, les opérateurs mutualisent la réalisation de leur réseau 4G – tant les réseaux que les fréquences. Donc, quand j'entends dire et que je lis, dans la presse ou ailleurs, qu'il faudrait que les régulateurs européens fassent leur aggiornamento, je réponds que nous avons fait le nôtre et que nous savons qu'il faut favoriser la mutualisation, que ce soit sur les réseaux fixes – fibre optique – ou sur les réseaux mobiles.
Monsieur Tardy, les MVNO sont en effet un vrai sujet. Les plus gros ne semblent pas trop perturbés par le nouveau paysage de la téléphonie mobile, et je m'en réjouis pour eux. Les plus petits ont plus de difficultés, parce qu'ils recherchent un modèle économique qui soit conciliable avec les nouveaux tarifs de Free. Mais ces questions concernent essentiellement les marchés de détail, sur lesquels nous n'avons pas de pouvoir de régulation. Selon la Commission européenne, nous n'avons pas non plus le pouvoir de réguler les relations entre l'opérateur de réseau et l'opérateur MVNO qui vient lui demander de louer son réseau. Néanmoins, ces MVNO pourront désormais trouver plusieurs offres chez plusieurs opérateurs puisque des engagements de type « full MVNO » ont été prises sur la 4G par tous les opérateurs et que les offres en ce sens se développent aussi pour la 3G. Ainsi, les MVNO pourront mettre en compétition les opérateurs de réseau. Ces derniers seront sans doute amenés à baisser leurs prix de location. L'objectif est que ces prix soient suffisamment bas pour que les MVNO puissent trouver des revenus nécessaires avec les prix de détail qu'ils appliquent à leurs abonnés. Je ne peux pas dire, pour autant, que je suis optimiste. Les petits MVNO devront sans doute se regrouper, à l'instar de ce qu'ont fait, il y a dix ans, les fournisseurs d'accès à internet. Pour les MVNO qui opèrent sur des niches, le prix n'est pas le facteur le plus important ; je veux dire par là qu'un opérateur peut parfaitement exister, même si ses prix sont plus élevés. Ce dernier argument est un élément de réponse au problème plus général posé par l'arrivée, sur le marché mobile, de Free qui axe son offre sur un prix bas. Cela n'empêche pas d'autres opérateurs de pratiquer des prix plus élevés. Il en est de même dans les autres secteurs. On ne choisit pas toujours le produit le moins cher, notamment si l'on préfère bénéficier d'une meilleure qualité.
Pour revenir au sujet central de notre audition, le fait que Free affiche des prix bas conduit les opérateurs non seulement à baisser leurs prix, ce qui est positif pour le pouvoir d'achat du consommateur, mais aussi se distinguer en proposant des offres plus qualitatives, avec des services associés. Je pense que, dans les prochaines années, le marché de la téléphonie mobile verra coexister des offres à prix bas, qui permettent à ceux qui ne veulent ou ne peuvent dépenser beaucoup d'argent d'avoir accès à un service de télécommunications, et des offres à des prix plus élevés, à destination de personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas passer des heures sur internet pour trouver la réponse à leurs questions.
Mme Massat m'a interrogé sur le nombre d'antennes « en service », que Xavier Niel a estimé à un millier.