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Intervention de Serge Blisko

Réunion du 1er mars 2012 à 9h30
Enfance délaissée et adoption — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Blisko :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous débattons d'un sujet, l'adoption, d'autant plus sensible que s'y est ajoutée la question du délaissement de l'enfant. Trop nombreux sont en effet les enfants qui sont placés à si long terme qu'ils deviennent très difficilement adoptables, comme en témoignent le rapport de l'IGAS et celui de l'Académie de médecine. En raison du faible nombre d'enfants à adopter, en raison de l'importante demande des familles, il était temps, comme l'a dit M. Roubaud, de se pencher sur le sujet. Je vous en remercie, madame la rapporteure. Le climat dans lequel nous avons travaillé prouve que nous étions tous très préoccupés par la question.

Notre culture accorde la primauté à la famille dite naturelle et à la filiation la plus normale possible. Je ne reviens pas sur les amendements ou sur les propositions de loi que nous avons déposés et qui concernaient l'élargissement de ce que l'on appelle « le mode de faire famille » et la nécessité de privilégier en ce domaine une neutralité absolue – tous ont été refusés par la majorité – et j'entends rester dans le cadre strict de la présente proposition de loi.

Indépendamment de tous ces aspects, et comme j'ai pu l'observer dans nombre de conseils généraux et de services départementaux d'aide sociale, l'adoption n'est pas tout à fait située sur le même plan que la protection de l'enfance. Dans bien des services départementaux de protection de l'enfance, l'adoption sanctionne d'une certaine manière l'échec des procédures. Sans doute, c'est rarement affirmé de cette manière, mais on le sent. Il suffit parfois de voir l'organisation des locaux dans l'hôtel du département ; le bureau de l'adoption se trouve au fond du couloir, c'est celui qui n'est pas fréquenté, c'est celui que les équipes regardent avec un petit soupir en se disant : c'est là qu'aboutiront les enfants dont nous nous occupons si nous travaillons mal… Je serais heureux que, à l'occasion de ce débat et au-delà, nous puissions faire évoluer les mentalités. Certes, il est important de voter des lois et de publier des règlements, mais l'état d'esprit dans lequel les appliquent ceux qui opèrent sur le terrain est peut-être plus important encore.

Nous pourrions, en tout cas, profiter de ce débat pour établir que l'adoption est une modalité de protection de l'enfance et que le délaissement de l'enfant est une maltraitance grave, qui entraîne des ruptures psychologiques et des répercussions psychiques importantes sur sa scolarité, sur sa formation, sur son devenir et sur son avenir. Nombre de rapports montrent que ces traumatismes de la petite enfance déterminent souvent ce qui se passe après dix-huit ans.

Trop d'enfants sont placés à long terme, et certains très précocement. Les services départementaux de l'aide à l'enfance doivent être plus ouverts à un projet d'adoption, en constatant plus rapidement l'état effectif d'abandon de ces enfants délaissés – c'est tout le sens du rapport de Mme Tabarot. Aucune définition ne sera jamais parfaite, mais je crois que nous allons dans le bon sens et je suis heureux que l'unanimité se soit quasiment faite sur cette notion d'urgence. L'intérêt de l'enfant, c'est qu'on ne le laisse pas trop longtemps dans une situation ambiguë.

Après les compliments, vous me permettrez de formuler quelques critiques. En France, il existe d'autres enfants dont la situation juridique confuse a des répercussions psychologiques tout aussi importantes. Il s'agit des enfants vivant sous régime de la kafala judiciaire – à distinguer de la kafala traditionnelle que nous n'acceptons pas et qui n'a pas à passer dans notre droit –, à propos desquels un juge de la famille ou un juge des enfants d'un pays étranger a pris une décision judiciaire. Le groupe socialiste a déposé des amendements visant à autoriser dans ces cas le prononcé de l'adoption et à faire cesser le régime de prohibition que la France est seule à observer parmi les pays européens, lesquels ont introduit, fût-ce prudemment, la kafala judiciaire dans leur droit positif.

Le groupe socialiste demande également la suppression du délai de cinq ans imposé avant l'obtention de la nationalité française. L'épreuve paraît en effet un peu lourde pour des bébés qui sont placés dans une situation bizarre, puisqu'ils sont étrangers et que leur famille est française. Ne souhaite-t-on pas que tous les enfants accueillis en France, quel que soit leur mode d'arrivée, national ou international, se sentent le mieux possible ? Il est certain que, de ce point de vue, ces enfants-là ne sont pas les plus favorisés.

Chaque année en France, 300 à 400 couples accueillent un enfant sous ce régime, que le droit français méconnaît. À cela s'ajoute l'attitude inadmissible du ministère de l'intérieur qui soupçonne d'abord un détournement des lois, notamment celles régissant le regroupement familial, voire un trafic d'enfants, ce qui est, vous en conviendrez, mes chers collègues, particulièrement blessant et inacceptable pour toutes ces familles françaises adoptantes.

Il est temps que notre pays se conforme à la Convention internationale des droits de l'enfant de New York, ratifiée par l'Algérie et le Maroc, respectivement en avril et en juin 1993, et à la Convention de La Haye de 1993, en reconnaissant aux enfants recueillis sous le régime de la kafala judiciaire des droits identiques à ceux des enfants adoptés sous le régime de l'adoption simple, comme l'ont d'ailleurs préconisé le Médiateur de la République puis le Défenseur des Droits.

Je souhaite dire aussi quelques mots au sujet de la nécessaire évolution de l'AFA dans le suivi des dossiers d'adoption à l'international. L'adoption, c'est une évidence, ne se fait qu'au regard des critères et des exigences des pays d'origine, en mettant toujours en avant l'intérêt de l'enfant et en faisant en sorte que les enfants soient accueillis le mieux possible dans les familles qui ont reçu un agrément. On le sait – le rapport Colombani l'a mis en évidence –, les pays d'origine ont vu leur niveau de vie augmenter et beaucoup ont pris conscience de la nécessité d'une politique locale de protection de l'enfance. La conséquence de cette meilleure prise en charge de leurs orphelins ou de leurs enfants délaissés est la priorité donnée à l'adoption à l'intérieur de leurs frontières. C'est une évolution lourde, inéluctable. Ces pays en développement ont heureusement des classes moyennes qui peuvent prendre en charge un certain nombre d'enfants abandonnés. C'est le cas depuis longtemps de la Corée du Sud, de la Bulgarie, plus récemment de l'Inde, du Brésil, du Viêtnam. Ces pays accordent aujourd'hui la priorité à l'adoption nationale à l'intérieur de leurs frontières, plutôt que l'adoption internationale, ce qui n'est pas sans nous poser d'énormes problèmes : d'où vont venir les enfants qui arrivent chez nous de l'international ? Songeons au cas d'Haïti : il faut remercier tous ceux qui, dans cet hémicycle et au-delà, ont joué la carte de l'éthique, mais les dérives non éthiques n'ont pas manqué dans d'autres pays européens, au moment du séisme et de la catastrophe psychologique, matérielle, administrative qu'a connue ce malheureux pays. Cette question mérite d'être posée : la présente proposition de loi essaye d'y répondre.

L'évolution de ces pays a forcément des répercussions sur les profils des enfants confiés à l'adoption : peu ou pas d'enfants en bas âge ; davantage de fratries et de grands enfants, dont certains ont une histoire violente, difficile ; et, bien évidemment, des enfants dits « à particularité » – sans qu'il soit besoin d'entrer dans le détail, l'expression recouvre des réalités bien connues des spécialistes.

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