Madame la présidente, monsieur le président de la commission spéciale Jean-Marc Roubaud, madame la rapporteure Michèle Tabarot, mesdames et messieurs les députés, nous procédons aujourd'hui à l'examen de la proposition de loi de Mme la rapporteure, qui affirme la place fondamentale réservée à l'intérêt de l'enfant dans la filiation adoptive. Il nous appartient de toujours garder à l'esprit ce principe fondateur de l'intérêt de l'enfant car, après tout, ce que nous recherchons, c'est bien la protection de l'enfance et la sécurité d'un foyer stable.
L'adoption est un thème majeur de notre politique familiale. Le statut de l'adoption a fait l'objet depuis 1966 d'aménagements successifs, jusqu'à la réforme de 2005 qui a profondément rénové ce dispositif.
Les Français sont particulièrement attachés à tout ce qui touche à la famille et à la solidarité, comme vous l'avez rappelé, chère Michèle Tabarot. C'est quelque chose que je constate au quotidien lors de mes nombreux déplacements sur le terrain. Adopter un enfant est un acte important qui porte en lui l'engagement fort de fonder une nouvelle famille ou d'agrandir sa famille en y intégrant un enfant.
Or l'adoption a, comme vous le savez, considérablement évolué depuis la réforme de 2005. Tout d'abord, le déséquilibre se creuse entre le nombre de candidats à l'adoption et le nombre d'enfants proposés à l'adoption chaque année. Ensuite, le ratio entre adoption nationale et adoption internationale s'est inversé. Enfin, le profil et l'âge des enfants ont considérablement évolué ; comme vous l'avez indiqué, le nombre d'enfants à besoins spécifiques en attente d'adoption est aujourd'hui bien plus important.
En 2010, un peu moins de 25 000 candidats bénéficiaient d'un agrément en cours de validité, alors qu'environ 750 pupilles de l'État ont été placés en vue d'adoption et environ 3 500 enfants ont été adoptés dans le cadre d'une adoption internationale.
Depuis quelques années déjà, vous le savez bien, on assiste à la contraction du nombre d'enfants adoptables dans le monde et à l'évolution du profil de ces enfants. La proportion d'enfants à besoins spécifiques en raison de leur âge, de leur santé ou de l'existence d'une fratrie est en augmentation constante, au point que certains pays ne proposent plus à l'adoption internationale que de tels enfants.
Plusieurs facteurs, dont on ne peut que se réjouir, sont à l'origine de cette évolution. Nombre de pays d'origine rejoignent la convention de La Haye du 29 mai 1993 – quatre-vingt-cinq États en sont membres aujourd'hui –, ce qui montre la prise de conscience de la nécessité de protéger les enfants des dérives possibles de l'adoption. Et l'application des principes de cette convention, en particulier la subsidiarité de l'adoption internationale, se traduit systématiquement par une baisse significative du nombre d'enfants proposés à l'adoption internationale. En outre, l'amélioration de la situation politique, sociale et économique de nombreux pays d'origine favorise le développement des systèmes de protection de l'enfance et l'essor de l'adoption interne, comme ce fut le cas au Brésil ou plus récemment en Chine.
Le profil des enfants proposés dans le cadre de l'adoption internationale tend donc à se rapprocher de celui des pupilles de l'État, dès lors que sont écartés les enfants nés sous le secret, très rapidement adoptés.
Face à ces nouveaux défis, la parentalité adoptive mérite une attention particulière de la part de tous les acteurs : des acteurs de terrain, au premier rang desquels les professionnels des conseils généraux, qui instruisent et délivrent l'agrément, mais aussi des pouvoirs publics et de l'État, car l'adoption est avant tout une mesure de protection des enfants privés de famille, dont la finalité doit toujours être de répondre au mieux à l'intérêt de l'enfant. Je n'oublie pas non plus l'action des associations.
Cet intérêt de l'enfant est aujourd'hui une priorité politique pour le Gouvernement. Au plan national, le secrétariat d'État en charge de la famille a un rôle essentiel dans le pilotage et l'animation de la politique publique en matière d'adoption, qu'il s'agisse des réformes touchant aux dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à l'agrément ou au statut des pupilles de l'État, ou de l'animation du Conseil supérieur de l'adoption, créé en juillet 1975, et dont il assure le secrétariat et l'animation des différents groupes de travail.
C'est d'ailleurs dans ce cadre qu'ont été élaborés, en lien avec les professionnels des conseils généraux, les acteurs associatifs et les différents ministères concernés, des référentiels nationaux concernant l'information et l'agrément en vue de l'adoption. Ces référentiels, diffusés auprès des départements au printemps 2011, donneront lieu à une évaluation d'ici à la fin de l'année 2012 sur la manière dont ils sont appliqués, les questions qu'ils soulèvent et les améliorations susceptibles d'y être apportées. J'observe qu'avec ces référentiels, l'objet de l'article 4 bis de votre proposition de loi, madame la rapporteure, est d'ores et déjà rempli.
S'agissant de l'accompagnement de l'adoption des pupilles à besoins spécifiques, la direction générale de la cohésion sociale anime un réseau d'échanges entre l'État et les conseils généraux, dont elle est l'interlocutrice privilégiée.
Une journée technique sur l'adoption des pupilles à besoins spécifiques, organisée le 5 décembre dernier, a rassemblé de nombreux professionnels des conseils généraux et des directions départementales de la cohésion sociale.
De plus, afin d'améliorer la gestion du processus de l'adoption, nous avons lancé une étude de faisabilité concernant la création d'une base nationale de données sur l'agrément, qui, outre des finalités de gestion et de statistiques, pourrait permettre également d'améliorer les modalités d'apparentement des pupilles de l'État, notamment en facilitant la recherche des candidats répondant au profil des enfants à besoins spécifiques.
Un guide de l'adoptant, destiné à aider les personnes dans leurs démarches administratives et juridiques en vue d'adopter, et la mise en ligne d'un espace professionnel du portail adoption.gouv.fr dédié aux acteurs de l'adoption, tels que les services départementaux, les services déconcentrés de l'État, les organismes autorisés pour l'adoption, l'AFA…, vont prochainement compléter utilement le dispositif actuel.
S'agissant de l'adoption internationale, la convention constitutive de l'Agence française de l'adoption – dont je salue la présidente ici présente –, renouvelée en décembre dernier, comporte des innovations importantes, comme l'instauration du dossier unique ou la possibilité d'écarter les dossiers ne répondant pas aux exigences du pays choisi ou tout simplement au profil des enfants, qui permettront une meilleure adéquation entre les demandes des pays partenaires et les dossiers de candidature envoyés dans ces pays.
Plus largement, nous devons aussi améliorer nos procédures et les moderniser pour mieux répondre à cette nouvelle réalité de l'adoption. Votre proposition de loi, madame la rapporteure, répond à ces préoccupations et présente des avancées certaines.
Elle s'inscrit dans la continuité des travaux conduits depuis 2008 sur le sujet, notamment le rapport sur l'adoption de M. Colombani, celui de l'IGAS sur le délaissement parental ou encore celui de l'Académie de médecine. Elle reprend également certaines des dispositions du projet de loi sur l'adoption que le Gouvernement avait déposé en avril 2009 au Sénat et qui n'a pu prospérer. Enfin, elle intègre certaines propositions du Conseil supérieur de l'adoption, que vous connaissez bien, madame la rapporteure, pour en être la présidente.
Ainsi, l'article 1er récrit en profondeur la déclaration judiciaire d'abandon, dans la continuité des réflexions conduites depuis plusieurs années, notamment par l'inspection générale des affaires sociales. Vous proposez fort opportunément de clarifier tant l'objectif poursuivi par celle-ci que sa définition et ses modalités de mise en oeuvre.
Tout d'abord, vous avez souhaité substituer à la notion actuelle de désintérêt manifeste celle de délaissement parental, à laquelle, vous le savez, je suis particulièrement attachée. Un certain nombre d'enfants pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance pourraient, parce qu'ils sont délaissés par leurs parents, accéder au statut protecteur de pupille de l'État dans le cadre de cette procédure de déclaration judiciaire d'abandon. Votre démarche, permettant de centrer l'appréciation à partir de la situation de l'enfant et non plus de celle des parents, est tout à fait nouvelle et fondatrice.
La définition que vous donnez du délaissement parental, caractérisée par des critères objectifs résultant de la carence des parents, qui devront n'avoir contribué par aucun acte à l'éducation ou au développement de l'enfant pendant un an, doit être bien sûr approuvée. Il n'est bien évidemment pas question de stigmatiser ni de sanctionner des parents qui se retrouveraient malgré eux dans une situation les empêchant d'exercer leur autorité parentale : je pense notamment aux cas d'hospitalisation ou à ceux qui sont dans l'incapacité temporaire de remplir leur rôle. L'abstention des parents doit être volontaire et continue, et depuis au moins un an. Les enfants admis en qualité de pupille de l'État à la suite de cette procédure pourront ensuite, si tel est leur intérêt et si cela s'inscrit dans leur projet de vie, faire évidemment l'objet d'une adoption.
La dissociation de ces deux temps m'apparaît fondamentale, madame la rapporteure, et vous y répondez parfaitement en séparant symboliquement l'adoption de la déclaration judiciaire d'abandon, et en plaçant dorénavant celle-ci dans le titre du code civil relatif à l'autorité parentale, ce qui contribue à l'intérêt de l'enfant. Ainsi, vous inscrivez pleinement cette mesure comme une mesure de protection de l'enfant, notion qui doit revenir en permanence dans ce débat.
Vous prévoyez également que le tribunal de grande instance pourra être saisi par le parquet d'une demande de déclaration judiciaire d'abandon, et non plus seulement par le service social ou le particulier qui a recueilli en son temps l'enfant. Cette évolution est tout à fait bienvenue car le ministère public peut être amené, notamment par le biais de ses relations avec le juge des enfants, à connaître d'une situation de délaissement. Il était dès lors peu compréhensible de ne pas lui permettre de saisir directement le juge. Ce sera donc, grâce à vous, chose faite. Certains freins existent pour engager cette procédure, le rapport de l'IGAS l'a montré : c'est pourquoi je suis favorable à ce que le rapport annuel de situation, qui doit être élaboré par le service de l'aide sociale à l'enfance pour tous les enfants qu'il prend en charge, soit l'occasion pour les responsables départementaux de se poser des questions, en l'occurrence sur l'état de l'enfant, sa santé, sa scolarité et ses relations familiales, et, s'il s'avère que les parents se sont abstenus d'effectuer les actes contribuant à l'éducation et au développement de l'enfant, d'en tirer les conséquences. Tel est l'objet de l'article 2.
En effet, la loi en vigueur dispose que le rapport du service d'aide sociale à l'enfance est élaboré « au moins une fois par an », ce qui permet par essence la rédaction de plus d'un rapport par an. Un guide de bonnes pratiques largement diffusé peut répondre à cet objectif, sans que cela crée une charge obligatoire pour les départements.
L'article 3 comporte des dispositions intéressantes sur l'agrément qui vont dans le bon sens. La définition que vous donnez de l'agrément, dont la finalité doit être de répondre à l'intérêt de l'enfant – nous y revenons toujours – et à la prise en compte de ses besoins m'apparaît essentielle. Elle permettra aux candidats à l'adoption de mieux comprendre les enjeux de cette étape, et peut être de ne plus concevoir l'agrément comme une sorte de permis d'adopter mais comme une mesure tournée vers la satisfaction de l'intérêt de l'enfant qui pourra ensuite leur être confié.
Avec les départements, je suis particulièrement soucieuse de l'information et de la préparation des candidats à l'adoption, qui sontt au coeur des préoccupations des pouvoirs publics : la réussite de l'adoption passe par une préparation de qualité, s'agissant à la fois des dimensions que revêt la parentalité adoptive et de l'adéquation du projet lui-même au profil des enfants adoptables. Mais je ne souhaite pas générer de charges nouvelles pour les départements. Les associations sur le terrain assurent au quotidien un travail remarquable d'information et de préparation, et je veux ici les saluer. Prévoir que le défaut de confirmation annuelle de l'agrément entraîne la caducité de celui-ci m'apparaît tout à fait bienvenu, tout comme la possibilité de proroger l'agrément en cas de proposition d'enfant adoptable. Cela s'appelle du bon sens, et le Parlement en a beaucoup.
Je me suis déjà exprimée sur l'article 4 bis, dont l'objectif, je tiens à vous le rappeler, est déjà rempli puisque les référentiels proposés ont été rédigés et diffusés auprès de l'ensemble des professionnels des conseils généraux l'année dernière.
J'en viens à l'article 5, et c'est un moment important parce qu'il propose de limiter les possibilités de révocation de l'adoption simple durant la minorité de l'enfant. Il s'agit là d'un sujet complexe. Si je comprends et partage avec vous le souci de développer l'adoption simple – nous entendons vous comme moi cette demande sur le terrain – parce que c'est une réponse qui paraît adaptée dans certaines situations, il me semble inopportun de modifier l'équilibre qui existe aujourd'hui entre l'adoption simple et l'adoption plénière, même s'il est difficilement compréhensible pour les parents. On risquerait de les amener à confondre ces deux notions. La possibilité de révocation qui existe aujourd'hui est une spécificité de l'adoption simple. Le droit de la famille biologique de saisir directement le juge, notamment lorsqu'elle constate des maltraitances, est la contrepartie naturelle et légitime des devoirs du parent biologique. Celui-ci est bien dans son rôle puisque, à la différence de la relation, le fameux lien de filiation subsiste et que la famille biologique est même tenue à une obligation alimentaire à l'égard de l'enfant. Avec l'article 5, on créerait donc, je le crains vraiment, un déséquilibre majeur entre les droits et les devoirs des parents biologiques.
La possibilité de révocation est très encadrée aujourd'hui par la loi puisqu'elle ne peut être prononcée par le tribunal de grande instance, statuant en formation collégiale composée de trois juges, que si « des motifs graves » existent, et par un jugement motivé. Elle n'a donné lieu à aucun abus. Puis-je rappeler qu'il n'y a eu en 2010 que dix-sept révocations pour une cinquantaine de demandes ? Il n'est donc pas démontré que des familles d'accueil renoncent à l'adoption simple en raison des règles de révocation. J'ajoute que le rapport Colombani n'a jamais évoqué ce problème ni suggéré une telle évolution. C'est pourquoi je tiens à vous alerter : la mesure proposée risque même d'être contreproductive. Beaucoup de familles pourraient décider de renoncer à l'adoption simple, sachant qu'elles ne pourront plus saisir directement le juge d'une demande de révocation pour protéger leur enfant. Nous risquons d'assister de ce fait à une baisse du nombre des adoptions simples, ce qui irait totalement à rebours de l'objectif tout à fait louable que vous poursuivez. Enfin, dans la très grande majorité des cas, l'adoption simple est le fait du nouveau conjoint de la mère ou du père. Car la situation évolue : les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses, et lorsqu'un couple s'est séparé, il faut pouvoir remettre en cause l'adoption simple par l'ancien conjoint, le lien de filiation ainsi créé n'ayant plus aucun sens du fait de la rupture. Toute mon argumentation est évidemment tournée vers l'intérêt de l'enfant.