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Intervention de Frank Esser

Réunion du 22 février 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Frank Esser, président-directeur général de SFR :

S'agissant des infrastructures, il est très important de distinguer entre la téléphonie mobile et la téléphonie fixe. Une fois déployé le réseau de téléphonie fixe, la concurrence porte sur les services : ainsi, les boucles locales de cuivre sont partagées par tous les opérateurs. En matière de téléphonie mobile, en revanche, la concurrence porte sur la qualité et le taux de la couverture, éléments étroitement dépendants du niveau d'investissement ; et c'est la raison pour laquelle aux États-Unis, certains opérateurs investissent dans la technologie 4G.

Ce sont nos investissements dans les infrastructures qui ont permis à notre réseau d'assurer un taux de couverture en 3G dépassant 98 % de la population. Si nous avons refusé de passer un accord d'itinérance 3G avec Free Mobile, c'est d'abord parce que celui-ci a fait le choix stratégique de se positionner comme un opérateur réseau : à nos yeux, un tel choix impose d'investir dans le réseau. En revanche, nous sommes prêts à mettre toute la qualité de notre réseau à la disposition de tout opérateur virtuel, tel La Poste mobile ou Le Crédit mutuel mobile, qui nous le demande.

En tout état de cause, notre réseau 3G n'avait pas la capacité suffisante pour accueillir Free Mobile, puisque nous devons déjà faire face à un doublement du trafic – on voit aujourd'hui l'impact négatif du transit de Free Mobile sur la qualité du réseau de France Télécom. C'est pourquoi nous avions proposé à ce nouvel opérateur un accord d'itinérance en 2G, comme notre contrat de licence nous en fait obligation.

À propos du contrat d'itinérance passé entre Free et Orange, j'ai simplement exprimé ma surprise de voir un opérateur donner l'accès à son réseau 3G, d'autant que celui-ci est très vulnérable à toute augmentation de trafic non maîtrisée.

La question que nous avons soumise à l'ARCEP est une question de principe. De notre point de vue, quelqu'un qui se présente comme un opérateur réseau a l'obligation d'investir dans le réseau. Nous ignorons totalement le contenu du contrat d'itinérance. Mais il est important de savoir si l'itinérance prévue par cet accord vient en substitut ou en complément, car ce sont là deux situations différentes.

S'agissant du taux de couverture de Free Mobile, nous avons réalisé nos propres relevés à partir de janvier, au moment où cet opérateur a ouvert son réseau. Les 3 000 mesures que nous avons relevées dans des agglomérations pourtant réputées couvertes infirment le taux de couverture de 27 % pourtant validé par l'ARCEP. Ainsi nous avons trouvé un taux d'accessibilité en semaine 3, de 9 % à Paris – et même moins la semaine suivante –, 3 % à Nantes, 68 % au Havre, 12 % à Montpellier, 21 % à Caen, 19 % à Vitré. De tels chiffres laissent supposer que c'est le réseau d'Orange qui est utilisé et non celui de Free. C'est pourquoi nous avons demandé à l'ARCEP de clarifier la règle du jeu et de dire quelles sont les obligations qui pèsent sur les opérateurs empruntant des fréquences rares. En effet, si nous avons dû payer 1,2 milliard d'euros notre licence 4G, c'est parce qu'il s'agit d'une ressource très rare, et cette rareté impose à qui en use l'obligation de déployer un véritable service.

La situation française est unique par rapport à celle des autres pays européens, puisque nous avons assisté à l'entrée d'un quatrième opérateur sur un marché en pleine maturité.

En matière de partage des infrastructures, il n'existe pas de droit à l'itinérance sur la 3G – la loi ne l'impose que pour la 2G. Dans notre idée, le contrat doit être d'une durée très courte.

Notre intérêt stratégique est d'investir dans la fibre du fait que nous versons chaque année un milliard d'euros à France Télécom pour louer ses réseaux cuivre. Nous avons déjà déployé notre propre réseau fibre dans les zones très denses.

Notre stratégie est de nous répartir sur trois segments. Le premier est constitué des zones très denses – 6 millions de logements –, pour lesquelles le régulateur a prévu la concurrence des infrastructures. Le deuxième segment – les zones moins denses – rassemble 11 millions de logements supplémentaires. SFR a décidé d'y investir avec France Télécom dans la durée. Pour le troisième segment, celui des zones encore moins denses, qui rassemblent 14 millions de logements supplémentaires, nous avons besoin de trouver des technologies différentes. Ce dernier segment n'est pas rentable pour un opérateur, même en cas de monopole. Différentes technologies sont possibles : la 4G LTE est une solution envisageable pour les zones rurales – des tests sont actuellement pratiqués en Allemagne. Il existe également la technologie satellitaire : nous offrons sur toute la France la TV par satellite pour le triple play. Il y a aussi la montée en débit du réseau cuivre. Les investissements dans la fibre exigent, quant à eux, des moyens publics pour pallier l'absence de retour sur investissement.

SFR et les MVNO – opérateurs mobiles virtuels – subissent évidemment l'impact économique de la baisse des prix mais nous n'avons pas encore de recul suffisant pour le mesurer. Certains de nos clients ont demandé à changer d'opérateur mais nous avons réagi en proposant à notre tour de nouvelles offres. Nous sommes dans une démarche de segmentation de nos tarifs : les offres Red, disponibles uniquement sur internet, et les offres Carré qui garantissent à nos clients le maximum de service et de transparence. Ces offres Carrées, avec ou sans mobile, sont également soit sans engagement soit avec des engagements à douze ou vingt-quatre mois : il appartient au client de choisir. Un client qui a opté pour un engagement de vingt-quatre mois bascule automatiquement sur le tarif le plus bas après vingt-quatre mois s'il ne change pas son mobile.

Comme nous n'avions pas pensé que Free propose des offres à 2 euros ou à 19,99 euros, nous avons décidé réagir. De telles offres, du reste, seront-elles pérennes ? J'ai été étonné par l'agressivité de Free, dont les « innovations » ne concernent que les tarifs et non les services. La question du contrat de Free avec France Télécom est primordiale : si ce contrat ne permet pas des tarifs aussi bas, alors ces offres ne seront pas pérennes. Dans ces conditions, que se passera-t-il ? Free demande une asymétrie des terminaisons d'appel sur les SMS assez lourde. Alors que les terminaisons SMS des opérateurs actuels – Orange, SFR, Bouygues Télécom – sont à 1,5 centime, Free demande 2,85 centimes : la différence, énorme – presque 100 % –, aboutit à une subvention artificielle des offres de Free. Stéphane Richard, le PDG de France Télécom, a souligné que cela représentait entre 7 et 10 euros par client, si on prend en compte le nombre mensuel moyen de SMS envoyés aujourd'hui – autour de 700 SMS pour un client d'un forfait illimité. C'est d'autant plus inacceptable que Bouygues Télécom n'a jamais bénéficié d'une telle asymétrie de terminaisons d'appel. De plus, alors que le client final paie son abonnement 19,99 euros, les offres de gros de Free coûtent de l'ordre de 75 euros aux opérateurs virtuels. C'est une question de transparence : demande-t-on, oui ou non, à un opérateur de construire un réseau ? Exige-t-on de lui, oui ou non, des offres pérennes ? Je n'arrive pas à faire un réseau à 2 euros par mois, je ne finance même pas une fréquence 4G à ce prix-là, cela m'est impossible. Peut-on construire en France de cette manière un réseau de qualité avec une couverture à 98 % ? Il faut rappeler que la densité de la population française est deux fois inférieure à celle des populations allemande ou italienne . SFR a investi dans 18 000 sites en France : c'est énorme et ce n'est pas fini. Nous avons encore ouvert 3 500 sites en 2011 pour la 3G – mais il reste des zones blanches : moins de 1% de la population. Nous avons pris des engagements avec les autres opérateurs pour partager le réseau dans les zones blanches. Nous faisons tout pour couvrir l'ensemble du territoire.

Toutefois, il faut savoir qu'en matière de mobile, un réseau partagé propose les mêmes services pour tous les opérateurs. C'est pourquoi chaque opérateur a intérêt à investir lui-même au maximum. Il faut simplement se demander jusqu'où aller et quand commencer à partager le réseau.

Nous avons pris des engagements très forts en matière de couverture pour la 4G, notamment pour les zones de déploiement prioritaires.

J'ignore si Bouygues Télécom est l'opérateur le plus fragile. Le partage du réseau répond chez nous à une démarche pragmatique : nous avons signé un contrat avec Bouygues pour partager nos investissements dans la fibre dans les zones très denses. Nous continuerons en ce sens également avec les autres opérateurs, avec lesquels nous conservons un contact permanent. Nous partageons déjà des milliers de sites avec Orange et Bouygues.

Free a déclaré ne pas avoir accès à nos sites. Or nous avons proposé à cet opérateur 1 800 sites dont nous sommes propriétaire: il est intéressé par 129 et n'a signé, à l'heure actuelle, que pour trois. Nous avons respecté nos obligations en ce qui concerne le déploiement d'un vrai réseau.

SFR a une véritable politique de relations sociales. L'âge moyen de nos collaborateurs s'élève à 38 ans ; les femmes, elles, représentent 41 % du personnel. Par ailleurs, comme je suis allemand, la question de l'apprentissage est pour moi très importante : plus de 5 % des collaborateurs de SFR sont des apprentis. Nous avons également pris des engagements dans la durée, comme c'est le cas dans le cadre de notre fondation. À nos yeux, donner de l'argent ne suffit pas : nos collaborateurs s'engagent. Nous avons créé il y a quelques années le programme Passeport Télécoms pour accompagner les jeunes issus des milieux défavorisés dans leurs études. Nous n'attendons pas le législateur pour avancer : nous pensons que l'initiative privée est tout aussi importante.

Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir en matière de sécurité. La nouvelle adresse IPv6 – Internet Protocol version 6 – est présente dans notre offre fixe destinée aux entreprises et elle est prévue pour le mobile en 2013 ou 2014, mais il y a encore peu de terminaux capables de gérer ce type d'adresse.

Dans le cadre d'une politique active d'investissement dans le très haut débit, SFR a signé un contrat avec Orange pour déployer la fibre optique dans les zones peu denses. L'accord est accompagné par les autorités – le Commissariat général à l'investissement et l'Autorité de la concurrence. Nous sommes désormais en contact avec les collectivités territoriales pour préciser avec elles le calendrier du déploiement, notamment à Lyon, à Lille et dans le Loiret. Cette démarche stratégique dans la durée permet à SFR de devenir l'opérateur principal du réseau. En revanche, nous regrettons le poids de cet élément nouveau que seraient les pénalités, alors que l'engagement de couvrir 17 millions de logements en fibre optique avec de l'argent privé est unique en Europe. Ces pénalités constitueraient un risque économique trop élevé, le retour sur investissement étant très lent. Même celui sur la 4G est moins long !

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