L'aménagement des territoires ruraux est un sujet vaste et complexe. Il se situe à l'intersection de nombreuses politiques publiques dont l'objectif est d'éviter la formation de la « fracture territoriale ». Les territoires ruraux sont confrontés à des enjeux importants pour lesquels les attentes sont fortes : haut débit et téléphonie mobile, offre de soins, transports, présence des services publics ou développement économique.
Je me concentrerai sur les deux premiers enjeux : la fracture numérique et l'accès aux soins. Ce sont des thèmes éloignés des notions intellectuelles que sont les SCOT et les pays, mais aussi des proclamations purement politiciennes de certains qui essaient de nous faire croire que, demain, ils rouvriront les bureaux de poste, les perceptions, les services de chirurgie, les maternités et les tribunaux. Je ne demande qu'à voir !
En ce qui concerne la téléphonie mobile et le haut débit, comme sans doute nombre de mes collègues, j'entends régulièrement les élus locaux se plaindre que les belles promesses cent fois réitérées des opérateurs n'empêchent pas que perdurent les zones mal couvertes. La situation n'est pas satisfaisante, et les chiffres annoncés me semblent pour le moins trompeurs. Par exemple, si 98 % des foyers français bénéficient d'un accès à l'ADSL, le seuil retenu dans la définition du haut débit se monte à 512 kilobitsseconde seulement. Si l'on prend pour référence un flux de 2 mégabitsseconde – ce qui est aujourd'hui un minimum – cet indicateur descend à 77 %. Et la moitié seulement de la population peut prétendre à une connexion de 8 mégabitsseconde permettant de souscrire une offre combinée couvrant la télévision, le téléphone et internet. En outre, seulement un million et demi de foyers sont raccordables à la fibre optique, et 550 000 effectivement abonnés. Au rythme de déploiement actuel, il faudrait tout un siècle pour desservir l'ensemble de la population. Le dispositif retenu par les pouvoirs publics ne semble pas satisfaisant : il repose sur l'engagement des opérateurs privés qui ne déploient leur réseau que dans les zones rentables, c'est-à-dire urbaines.
En matière de téléphonie mobile, le taux de couverture officiel – 99,8 % de la population – m'apparaît également trompeur, car le référentiel se borne aux zones habitées, à l'extérieur des bâtiments et en situation fixe. Quant au programme d'extension de couverture, lancé en 2003 et renforcé en 2008, il est loin d'être achevé et encore moins pertinent : une commune est considérée couverte dès lors que son centre-ville est desservi. En tout état de cause, si un rural souhaite toujours pouvoir passer des appels, il lui faudrait être abonné auprès des trois opérateurs que sont SFR, Bouygues et Orange : les pouvoirs publics n'ont pas été capables d'imposer la mutualisation des antennes.
J'en viens à l'offre de soins. Nous assistons à l'apparition de véritables déserts médicaux, non seulement dans les zones rurales, mais aussi dans les territoires semi-urbains. La Picardie connaît une pénurie de praticiens hospitaliers : 500 postes à temps plein sont actuellement vacants. De même, et c'est alarmant, nombre de médecins généralistes partent en retraite sans installer leur successeur. Je ne parle même pas des spécialistes : obtenir un rendez-vous chez un dentiste ou un ophtalmologiste relève du parcours du combattant. Une telle situation n'est pas acceptable ; notre monde rural ne constitue pas des « réserves d'Indiens ». Je reste persuadé que les incitations ne sont pas suffisantes. Nous devons renoncer au saupoudrage de primes et nous montrer plus incisifs, par exemple avec un numerus clausus à l'échelle régionale qui bloquerait les installations dans les zones surdenses au profit de celles où règne la pénurie. Je sais l'impopularité d'une telle mesure chez certains parlementaires comme dans le corps médical libéral, mais il faut en passer par là, sans quoi nous ne parviendrons pas à arrêter la désertification médicale.