Monsieur le ministre, on pourrait à première vue se réjouir de voir apparaître dans le paysage européen, avec le mécanisme de solidarité, un rééquilibrage institutionnel en faveur des procédures intergouvernementales, c'est-à-dire de la coopération entre démocraties nationales.
Le mécanisme européen de solidarité est une structure intergouvernementale. La procédure communautarisée de la coopération renforcée, recommandée par le Parlement européen, a été écartée. Le MES n'est pas une union de transferts, comme le réclamaient certains États membres, favorables à un « grand bond fédéraliste ».
Nous devons cependant constater que le régime juridique du MES fait le grand écart entre sa conception de principe, intergouvernementale, et certaines modalités de fonctionnement qui empruntent leurs traits au système communautaire. C'est comme si les États membres n'avaient pas osé aller jusqu'au bout de leur volonté d'émancipation.
Toutefois, lorsqu'ils ont donné mandat à la Commission, les États ont veillé à ce que celle-ci reste dans un rôle subordonné, n'ait pas à la place des États le pouvoir d'initiative, et qu'elle joue le rôle d'un secrétariat administratif au service du Conseil des gouverneurs.
Trois dispositions apparaissent cependant particulièrement préoccupantes.
La première est la possibilité donnée à un membre du MES de faire appel de la décision du Conseil des gouverneurs devant la Cour de justice de l'Union. On connaît l'âpre vigilance avec laquelle les institutions supranationales veillent sur leurs compétences et cherchent sans cesse à les accroître en s'efforçant de neutraliser l'inspiration intergouvernementale, lorsqu'elle est présente, pour imposer le communautarisme des procédures.
La deuxième disposition introduit curieusement une certaine mondialisation des pouvoirs au sein du MES, avec un rôle particulièrement important donné au FMI, investi de véritables pouvoirs de co-décision. Le FMI, organisme non européen, se voit ainsi placé au premier plan de la procédure du MES.
La troisième disposition n'existe pas mais devrait exister. Son absence met en relief le caractère antidémocratique des procédures du MES, qui ne comportent aucune consultation des parlements nationaux, alors que les questions financières et budgétaires sont par excellence de leur compétence, et alors même que le tribunal constitutionnel de Karlsruhe a renforcé, en septembre dernier, le droit de regard des députés du Bundestag sur le fonctionnement du mécanisme européen de stabilité financière auquel le MES va se substituer.
Au-delà de ces dispositions inquiétantes, on est amené à s'interroger sur la cohérence d'ensemble du double traité. Une contradiction manifeste apparaît entre la volonté de créer, avec le MES, une institution intergouvernementale, et la volonté de renforcer fortement, avec le TSCG, l'intégration communautaire, même si nous avons échappé pour le moment au pire, c'est-à-dire à la demande allemande de judiciariser la gestion des budgets nationaux en les plaçant sous le contrôle de la Cour de justice.
Enfin, et c'est la question fondamentale que nous devons nous poser, le MES permettra-t-il réellement de faire face à la crise qui ébranle la zone euro ?