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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 20 février 2012 à 21h30
Exécution des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

…qu'ils ont trouvé le moyen, même sur ce texte, de parler de François Hollande et de son projet, inscrivant sa possible victoire au rang de la onzième plaie d'Égypte, après les eaux qui se gorgent de sang, l'invasion des sauterelles et autres calamités !

Au risque de lasser, je vais en venir à l'objet de notre discussion de ce soir, c'est-à-dire une loi de programmation, qui n'est d'ailleurs, en réalité, qu'une loi de construction.

Pour la seconde fois, en effet, nous débattons d'un texte qui, moins que de l'exécution des peines, nous parle surtout de la façon d'organiser et d'encourager la passation de futurs marchés de travaux publics.

Le seul point concret de ce projet, monsieur le ministre, est d'acter et d'accélérer un programme de construction des prisons en privilégiant une seule forme de contrat administratif, le partenariat public-privé, qui sera le coeur de mon propos.

Vous ne pouvez pourtant pas ignorer les travers d'un tel outil.

Dès janvier 2006, un rapport thématique de la Cour des comptes, intitulé « Garde et réinsertion : la gestion des prisons », alertait sur le risque d'impéritie budgétaire contenu par essence dans le partenariat public-privé.

En juillet 2008, c'est un référé au garde des sceaux, consécutif au contrôle de l'Agence de la maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice, qui pointait le coût élevé des prestataires extérieurs recrutés par l'agence pour mener les négociations relatives à la conclusion des partenariats public-privé.

Deux ans plus tard, en juin 2010, la juridiction financière répétait ses alertes dans un second rapport public intitulé « Le service public pénitentiaire : prévenir la récidive, gérer la vie carcérale ». Les conclusions étaient les mêmes qu'en 2006, les magistrats mettant en évidence les lacunes relatives à la comparaison des coûts entre gestion publique et gestion privée des prisons.

Je peux encore citer les notes sur l'exécution du budget de la mission « Justice » pour les exercices 2007 à 2010, qui soulignent la rigidité croissante du budget de l'administration pénitentiaire.

En octobre 2011, la Cour des comptes, dans un rapport consacré aux partenariats public-privé pénitentiaires, revient à la charge et se livre à une critique aussi virulente que détaillée puisqu'elle estime qu'en euros constants, les dépenses de loyers correspondant aux investissements passeront de 35 millions d'euros en 2010 à plus de 263 millions en 2017.

L'inquiétude des conseillers ne se limite pas à ce point puisqu'ils évoquent la soutenabilité budgétaire de ces loyers cumulés pour des décennies, qui vont passer de 95 millions d'euros en 2010 à 567 millions en 2017, asséchant ainsi les crédits publics.

Enfin, dans cet hémicycle, le 2 février dernier, à l'initiative du groupe GDR, était organisé un débat sur le même sujet. Avec d'autres, ce fut pour moi l'occasion de dénoncer la dérive à laquelle nous assistons depuis la loi du 28 juillet 2008 sur les partenariats public-privé.

Sur le principe, l'appel au partenariat public-privé, contrat dérogatoire du droit commun, doit être exceptionnel. Or, depuis la loi de 2008, l'État ne cesse de le considérer comme un moyen habituel de construction, ce qui est un détournement de la loi.

En sus, et sans doute est-ce encore plus grave, le PPP constitue, sur le plan budgétaire, un choix particulièrement nocif pour les finances publiques. En effet, l'intérêt de passer par cette formule de manière quasi systématique n'est pas démontré par rapport au recours à la maîtrise d'ouvrage publique. Rien d'ailleurs dans l'étude d'impact que vous avez délivrée à l'Assemblée nationale et au Sénat ne vient étayer ce recours au partenariat public-privé.

Chacun sait en outre que sa principale caractéristique, dangereuse, est de reporter le poids de la dépense sur le moyen terme. Comme le dit la commission des lois du Sénat, le partenariat public-privé conduit au paiement obligé de loyers sur de longues périodes, rigidifiant de manière structurelle le budget du ministère de la justice, avec le risque d'entraîner un effet d'éviction sur les autres dépenses, notamment celles de fonctionnement.

Quand on lit toutes ces alertes depuis 2006 jusqu'à cette année, comment comprendre l'entêtement du Gouvernement ?

Vous ne vous placez d'ailleurs pas pour le justifier sur le terrain financier, et vous cherchez d'abord à nous expliquer que le partenariat public-privé est indispensable en raison de la surpopulation pénale. Personne ne nie cette réalité, mais la Cour des comptes vous répond par anticipation : « Si l'insuffisante capacité d'accueil des prisons est une difficulté majeure, la démonstration que cette difficulté soit le résultat d'une incapacité de l'administration à la résoudre sans le recours aux PPP ne paraît pas avérée ».

Ensuite, vous arguez de la complexité des projets mais, là encore, la Cour fait mouche quand elle relève que, « face à la complexité réelle et croissante des projets pénitentiaires, l'administration a privilégié la solution de facilité qui consiste à externaliser cette complexité, sans préjudice du coût de cette prestation ».

Vous avancez, autre argument plus étonnant, la qualité du service rendu grâce au partenariat public-privé. Vous êtes un connaisseur de la chose judiciaire, monsieur le garde des sceaux, et l'argument est cocasse, si l'on veut bien se rappeler les malfaçons de la prison de Roanne, construite par le groupe Eiffage, celles de la prison de Mont-de-Marsan, 64 millions d'euros, construite par le groupe Bouygues, ou celles de la prison Saint-Denis de la Réunion. Affirmer que le PPP garantit la qualité de service, c'est se moquer de ceux qui doivent travailler dans ces équipements.

Vous finissez alors par arriver à l'argument financier, évidemment le plus contestable. D'ailleurs, la Cour des comptes en fait litière, titrant même l'un de ses paragraphes, page 68, sur le fait que le « postulat de surcoût de la gestion publique ne résiste pas à l'examen ».

On sait par contre avec précision le poids que va représenter pour les finances publiques le fait qu'au 1er janvier 2011, sur 189 prisons, quarante-cinq étaient déjà en gestion déléguée sous diverses formes. Ce poids est de plus en plus lourd puisque la place de détenu, si l'on peut parler ainsi, coûtait en 2008 145 500 euros en gestion déléguée, contre 108 300 euros en simple contrat de conception-réalisation. De 2009 à aujourd'hui, le coût des loyers a augmenté de 86 %. Les loyers sont passés de 80 millions de crédits de paiement en 2011 à 114 millions en 2012, soit une augmentation de 42 % en un an. Pour la gestion déléguée, ils passeront de 291 à 295 millions en 2012, soit 14 % de l'ensemble des crédits de paiement de l'administration pénitentiaire.

Ces simples rappels comptables devraient suffire à doucher les enthousiasmes. Ils démontrent en effet que le recours intensif aux PPP est une fuite en avant. Ils devraient donc conduire le Gouvernement à faire preuve de plus de tempérance, plus de sobriété, d'autant qu'avec les décisions prises pour la fin de cette année, les dépenses seront encore plus lourdes puisque 51 % des places de prison seront peu ou prou gérées par un partenaire privé, mais je doute que cet appel à la modération soit entendu et que le voeu soit exaucé.

Je souhaite alors attirer votre attention sur le fait que construire de nouvelles prisons sous le régime du partenariat public-privé est aussi un choix dangereux humainement, dangereux pour la qualité du travail des personnels pénitentiaires, dont il faut rappeler l'utilité sociale indéniable de leur tâche, dangereux aussi pour les personnes en détention.

Les prisons dites modernes sont en réalité des usines carcérales dans lesquelles la présence humaine disparaît au profit d'une sécurité dite passive, dont la vidéo est l'élément central. Écoutez les alertes des organisations syndicales et, notamment, de la CGT pénitentiaire. À l'isolement des personnels s'ajoute leur enclavement dans des couloirs immenses, fermés par des grilles.

Ce choix architectural n'est pas neutre pour les personnes détenues ainsi que pour les personnes qui y travaillent. Ces usines carcérales de 700 ou 800 places ne permettent pas un suivi des parcours de détention. La taille des établissements, dénoncée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, anonymise et déshumanise la détention. Les personnels ne peuvent plus se voir bien souvent, voire ne se parlent plus. Ils ne peuvent plus s'entraider rapidement en cas de problème. C'est d'ailleurs ce que montre avec précision le documentaire « Le déménagement », dont l'administration pénitentiaire, avec votre assentiment, s'évertue à vouloir interdire la diffusion. Il met en lumière bien mieux que ne saurait le faire un rapport parlementaire que la taille des nouvelles prisons et la fuite en avant technologique qui les caractérise ne constituent en rien un progrès ou une avancée vers une détention plus utile.

En réalité, ces nouvelles prisons n'ont rien de moderne : elles dégradent les conditions de travail des personnels tout autant que les conditions de détention des personnes incarcérées.

Monsieur le ministre, notre groupe est opposé à ce vaste programme de construction de places de prison, qui va peser lourdement sur les finances publiques, et en particulier sur celles, pourtant objectivement très faibles, du ministère de la justice, pour un coût social encore plus élevé.

Ce n'est pas en soi une condamnation du PPP que nous prononçons. Il est bon que de tels outils existent pour des circonstances exceptionnelles, mais il n'est pas opportun que leur utilisation soit généralisée au point de devenir en quelque sorte le droit commun de la commande publique.

Continuer à privatiser les établissements pénitentiaires ne peut que nous inquiéter, s'agissant de domaines où doivent primer le respect des droits de l'homme et la fonction de réinsertion de la peine, bien loin de considérations mercantiles.

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