Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous regrettons que la commission des lois de notre assemblée n'ait pas adopté le projet de loi modifié par le Sénat. Cela nous aurait permis de débattre, dans notre hémicycle, d'un projet de loi aux orientations diamétralement opposées à celles choisies par le Gouvernement.
À cet égard, les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche se félicitent que la commission des lois du Sénat se soit ralliée à la position défendue par la rapporteure, Mme Nicole Borvo, consistant à récrire complètement le projet de loi relatif à l'exécution des peines. Si le texte adopté par le Sénat améliorait grandement le texte initial, il était encore perfectible et ne prétendait pas à l'exhaustivité. D'abord parce que les parlementaires n'ont pas la possibilité d'engager des dépenses supplémentaires, ensuite, parce que ce sujet mérite une réflexion approfondie – ce que, de toute évidence, ne permet pas la procédure d'urgence imposée, de façon injustifiée, pour la discussion de ce texte.
Reste que le projet de loi, modifié par le Sénat à rebours de la politique du Gouvernement, entendait mettre un terme à l'accroissement continu du parc pénitentiaire, en abrogeant des dispositions relatives aux peines planchers, en posant le principe de l'aménagement systématique des peines d'emprisonnement d'une durée égale ou inférieure à trois mois, en intégrant un mécanisme destiné à prévenir la surpopulation pénale et en posant le principe de l'atténuation de la responsabilité pénale des auteurs d'infractions dont le discernement est altéré au moment des faits.
L'esprit qui animait ce texte résidait dans la conviction que, dans l'intérêt de tous, la peine d'emprisonnement ne doit se concevoir que comme une sanction de dernier recours. Il s'agissait d'un texte progressiste et respectueux des droits des personnes détenues, qui prenait le contre-pied du projet de loi du Gouvernement que nous réexaminons aujourd'hui.
En première lecture, mon collègue Marc Dolez avait dénoncé un projet de loi imprégné d'une logique sécuritaire inefficace. Je rappellerai nos principales objections. Tout d'abord, la réalisation d'un parc pénitentiaire de 80 000 places traduit une priorité donnée à l'incarcération par rapport aux aménagements de peine. Les raisons que vous avez avancées sont, d'une part, la nécessité de résorber le « stock » de peines d'emprisonnement en attente d'exécution et, d'autre part, l'augmentation régulière du nombre des condamnations à des peines privatives de liberté.
Pour ce qui est du problème de l'inexécution des peines d'emprisonnement ferme, une double ambiguïté doit être levée quant au stock : les peines d'emprisonnement ferme ne doivent pas nécessairement, ni même principalement, donner lieu à une détention effective. Sur ce stock, 95 % des peines sont aménageables – les peines inférieures à deux ans, ou à un an en cas de récidive – par le juge de l'application des peines. Or, une peine aménagée est bien une peine exécutée. Les retards dans l'exécution des peines n'ont donc pas nécessairement de lien avec les disponibilités du parc pénitentiaire, mais résultent de la conjonction de plusieurs facteurs, qu'il s'agisse du manque d'effectifs à l'exécution des peines ou encore de retards aux différents maillons de la chaîne pénale.
En ce qui concerne l'augmentation supposée de la population pénitentiaire, les projections du Gouvernement se fondent sur des bases de calcul choisies de manière arbitraire. Ainsi, le Gouvernement prend comme unique référence le nombre des condamnations à des peines d'emprisonnement. D'autres chiffres auraient tout aussi bien pu être pris en compte sur les années 2003-2011, notamment celui du nombre des poursuites, celui des entrées en détention ou encore celui des personnes écrouées. Chacun de ces chiffres aurait donné lieu à des prévisions différentes, et souvent inférieures à celles retenues par l'étude d'impact.
En outre, force est de constater que, durant la période 2003-2011, prise pour référence, le nombre de peines privatives n'a pas augmenté de manière continue. Si ce nombre a bien augmenté entre 2003 et 2007, il a connu ensuite un infléchissement – moins 2,5 % en 2009 par rapport à 2008 et moins 1,8 % en 2010 par rapport à 2009 – avant de remonter en 2010. Construire une moyenne sur une évolution aussi disparate paraît pour le moins hasardeux !
Vous ne pouvez feindre d'ignorer que le taux de détention résulte de plusieurs facteurs, parmi lesquels les choix de législation pénale, la longueur des peines prononcées, ou encore les alternatives à l'emprisonnement. Ces facteurs sont, vous le savez, largement plus décisifs que la capacité du parc pénitentiaire.
Pour notre part, si nous considérons nécessaire d'augmenter le nombre de cellules individuelles et d'améliorer les conditions matérielles de détention, nous contestons, en revanche, votre obsession visant à l'accroissement constant des places de prison. Nous y sommes d'autant plus opposés que vous faites peu de cas des conditions de détention, donc de la réinsertion. Pour vous, le rôle de l'État en matière pénitentiaire consiste à gérer des flux et des stocks, et c'est encore selon cette logique gestionnaire que votre texte propose une diversification du parc carcéral.
Or, la mise en place de structures spécifiques pour les courtes peines n'est pas compatible avec le principe de l'aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d'emprisonnement, principe posé par la loi pénitentiaire de 2009.
Comme le souligne l'OIP dans une lettre ouverte aux parlementaires datée du 2 décembre dernier, si des condamnés ne présentent pas de dangerosité particulière, il est permis de se demander pour quelles raisons ils doivent nécessairement purger leur peine en prison. Toutes les études montrent qu'il est préférable, pour mieux prévenir la récidive, d'exécuter ces peines en milieu ouvert.
Par ailleurs, nous réfutons le choix de mener le programme de construction en partenariat public-privé. Ce choix reporte le poids de la dépense sur le moyen terme et conduit au paiement obligé de loyers sur de longues périodes, rigidifiant de manière structurelle le budget du ministère de la justice, avec le risque d'entraîner un effet d'éviction sur les autres dépenses, notamment celles de fonctionnement. Ce choix traduit la logique managériale du Gouvernement, qui n'hésite pas à recourir à des procédures dérogatoires pour « stocker » la population carcérale.
La trilogie efficacité, efficience et performance devient ainsi la nouvelle légitimation de l'institution carcérale, qu'elle soit promue par le secteur privé ou par le secteur public. Or, en traitant le secteur carcéral comme n'importe quel service public privatisable, vous méconnaissez l'objectif spécifique de la prison.
S'agissant de la lutte contre la récidive, qui constitue le deuxième volet du projet de loi, elle risque de demeurer, une fois plus, sans effet. Les effectifs des conseillers d'insertion et de probation demeurent inchangés, alors que leurs missions n'ont cessé de croître et que les efforts minimes consentis se concentrent sur les seuls emplois de surveillants pour les nouveaux établissements pénitentiaires.
Enfin, le volet sur la prise en charge des mineurs délinquants se focalise une fois encore sur le pénal. L'accroissement du nombre de centres éducatifs fermés au détriment des autres structures d'hébergement risque pourtant de diminuer significativement l'éventail de solutions dont disposent les juges des enfants pour adapter la réponse pénale à la personnalité de chaque mineur délinquant. Nous considérons au contraire que les centres éducatifs fermés ne doivent pas être banalisés et qu'ils ne peuvent constituer la seule réponse au problème de la prise en charge des mineurs délinquants.
De même, ce n'est pas la prise en charge par le service éducatif dans un délai impératif de cinq jours à compter de la date de jugement qui permettra de diminuer les délais entre les jugements prononcés et leur exécution. Seule une augmentation significative du nombre d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse…