Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 20 février 2012 à 21h30
Exécution des peines — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg :

Vous avez raison : c'est fantaisiste et cela s'apparente même à de la magie. Malheureusement, nous sommes à l'Assemblée nationale et nous traitons de sujets tout à fait sérieux.

Monsieur le ministre, vous aviez raison de dire que nous sommes très attachés à l'exécution des peines et à la construction d'une chaîne pénale efficace et rapide qui fait défaut aujourd'hui. Cette chaîne doit fonctionner sans accroc depuis l'interpellation jusqu'à l'exécution de la peine qui peut se faire, au choix, soit derrière des murs, soit en peine aménagée. Une peine aménagée est aussi une peine exécutée ; sur ce plan, nous proposons une philosophie de la peine qui est totalement différente de la vôtre.

J'ai parlé de prisonniers qui n'existent pas. Je pensais aux 80 000 peines prétendument en attente que vous évoquez. Ces peines ne sont pas tout à fait non exécutées ; elles sont en attente. Pour la plus grande partie d'entre elles, elles peuvent être aménagées : il est donc possible qu'elles soient exécutées autrement qu'en procédant à des incarcérations.

Nous avons affaire en outre à un projet de loi de dernière minute. L'idée de créer 24 000 places de prison supplémentaire est apparue le 13 septembre 2011, à Réau, dans le discours du Président la République. Ce projet n'existait pas auparavant, il n'avait fait l'objet d'aucun travail préalable, et nous en étions restés – avec une relative sagesse, je dois le dire – au projet de terminer la construction de 13 000 nouvelles places, ce qui aurait porté notre parc total à 65 000 places, sachant que l'on compte à l'heure actuelle 65 000 détenus.

Pour justifier le fait qu'il faille porter le nombre de places de notre parc pénitentiaire à 80 000 à l'horizon 2017, on est allé chercher 24 000 peines prétendument non exécutées dans un rapport de l'inspection des services judiciaires. Ces peines n'existent pas vraiment ; elles font partie du stock ordinaire des peines devant être exécutées parmi les 120 000 peines de prison ferme prononcées chaque année.

Les murs que l'on ne paie pas, ai-je dit. Je pensais à la procédure de partenariat public-privé. Le projet de loi ne précise pas le nombre de peines qui seront confiées au privé. Il prévoit seulement que 3,5 milliards d'euros seront affectés à ce programme pénitentiaire. Or nous savons que cette somme représente la moitié du budget annuel de l'administration pénitentiaire.

Je constate qu'à deux mois d'une élection présidentielle majeure, qui permettra de trancher sur ces questions de philosophie pénale, vous nous demandez d'engager notre pays pour cinq ans. Cela ne me semble pas bien sérieux.

Il y a aussi les loyers que l'on ne comptabilise pas. Aujourd'hui, leur montant reste inconnu. Quel coût cela aura-t-il de confier un certain nombre de ces 24 000 nouvelles places à des partenaires privés ? Ces derniers devront construire les prisons, mais ils seront aussi chargés de la maintenance immobilière – électricité, plomberie, gestion des malfaçons… – et de l'hôtellerie, c'est-à-dire de toutes les prestations à l'exception de la surveillance. Sans que l'on sache combien cela coûtera, on est certain que ce sera cher. On ne sait pas non plus comment cela sera gérable à l'horizon 2017. D'autant que les concessionnaires s'engagent sur une longue durée, comme les concessionnaires d'autoroutes, et qu'ils attendent évidemment un retour sur investissement dont nous ne savons absolument pas s'il sera compatible avec la politique pénitentiaire ou avec la politique pénale qui sera en vigueur dans plusieurs années. Nous n'avons aucune réponse à cette question essentielle.

J'ai encore évoqué les prestataires que nous ne connaissons pas. Nous ne savons pas qui sera contacté ; nous subodorons qu'il s'agira des trois grands groupes de BTP ayant des filiales spécialisées susceptibles de répondre à ce type de demande. Eiffage, Vinci et Bouygues se trouvent, en quelque sorte, en situation d'oligopole sur ce marché. Ces groupes ne sont évidemment pas encore désignés, ils le seront au terme d'une procédure, mais on peut se demander si nous avons intérêt à nous mettre entièrement entre leurs mains et à les laisser devenir les gestionnaires de la totalité de la politique pénale.

J'ai enfin parlé de prestations que l'on ne mesure pas aujourd'hui. Les concessionnaires qui seront chargés de l'hôtellerie devront également fournir un certain nombre de prestations. Pour citer deux exemples, ils procureront du travail aux détenus ou ils interviendront en matière d'enseignement, même si cela relève des services pénitentiaires d'insertion et de probation, les SPIP. Or, à ce jour, aucun détail ne nous a été communiqué sur des sujets aussi essentiels. Décidément, il s'agit d'engagements bien trop importants pour que nous nous lancions ainsi dans une telle aventure.

Nous sommes d'accord avec M. le rapporteur sur un point, et sur un seul. Comme lui, nous disons qu'une autre politique est possible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion