L'absence de vision stratégique de nos collègues sénateurs pour donner à la politique d'exécution des peines une impulsion décisive s'observe dans toutes les modifications que le Sénat a apportées au rapport annexé. Sans revenir sur chacune de ces divergences, je présenterai les trois principales d'entre elles.
En premier lieu, le refus du Sénat de porter à 80 000 places la capacité d'accueil du parc carcéral français témoigne d'un certain biais dans la perception de la réalité de l'exécution des peines en France : d'abord, une augmentation du nombre de places de prison disponibles est nécessaire, ne serait-ce que pour mettre fin au phénomène de surpopulation carcérale dénoncé avec constance par tous les parlementaires depuis de nombreuses années ; ensuite il est aussi nécessaire d'anticiper les besoins de demain.
En deuxième lieu, le Sénat s'est opposé à la mise en place de structures adaptées à l'exécution des courtes peines, au motif que la création de telles structures serait incompatible avec le principe d'aménagement des peines posé par la loi pénitentiaire. Une telle affirmation dénote une certaine méconnaissance des réalités juridiques et pratiques en matière d'exécution des peines.
En effet, le Sénat méconnaît la portée effective de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, alors qu'il prétend pourtant lui donner les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre. Il y a là une certaine incohérence.
La loi pénitentiaire n'a en aucun cas rendu automatiques les aménagements de peines pour toutes les peines d'emprisonnement inférieures ou égales à deux ans : elle a seulement entendu limiter autant que possible l'incarcération d'une personne en lui substituant des mesures de contrôle en milieu ouvert, lorsque cela est possible au regard de la situation de l'intéressé.
Malgré cela, certaines courtes peines doivent s'exécuter en prison. Refuser d'admettre que notre pays manque de structures adaptées aux courtes peines, c'est s'interdire d'apporter des solutions adaptées pour permettre la mise à exécution de ces courtes peines qui ne peuvent pas être aménagées mais qu'il faut bien exécuter.
En troisième lieu, le Sénat a rejeté la création de vingt nouveaux centres éducatifs fermés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Cette opposition au projet d'extension du dispositif des centres éducatifs fermés, pourtant prônée par le candidat socialiste à l'élection présidentielle, est d'autant plus injustifiée que ces derniers ont largement atteint les deux objectifs qui leur étaient assignés, à savoir proposer aux magistrats une alternative à l'incarcération en vue de réduire la détention provisoire des mineurs, et offrir un outil efficace de lutte contre la récidive.
Enfin, le Sénat a complété le projet de loi par neuf nouveaux articles qui, à l'exception de l'article 7 ter, sont totalement incompatibles avec la philosophie et les objectifs du projet.
Tel est le cas, en premier lieu, des articles qui, en prévoyant des modalités déraisonnables d'aménagement de certaines peines et des remises ou réductions de peine injustifiées, témoignent d'une conception de l'exécution des peines empreinte d'angélisme (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) et marquée par un inquiétant désintérêt pour la sécurité de nos concitoyens.
Ainsi, l'article 4 A, qui prévoyait l'aménagement systématique de toutes les peines d'emprisonnement d'une durée inférieure à trois mois, présentait un réel danger pour la sécurité publique en interdisant de façon absolue la mise à exécution immédiate de peines d'emprisonnement qui, bien qu'étant prononcées pour une durée courte, peuvent être nécessaires, notamment pour mettre fin à un trouble à l'ordre public.
L'article 4 B, qui instaurait une règle d'interdiction de dépassement de la capacité maximale d'accueil des établissements pénitentiaires, le fameux numerus clausus, aurait abouti à permettre à certains condamnés de bénéficier de remises de peines non justifiées par leurs efforts de réinsertion, et à anticiper certaines libérations, au risque de placer les personnes libérées elles-mêmes dans des situations précaires et propices à la commission de nouvelles infractions.
Enfin, l'article 4 E, qui prévoyait que les personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits bénéficient d'une réduction d'un tiers de la peine maximale encourue, méconnaissait la diversité des troubles mentaux et la nécessité de permettre aux juridictions d'individualiser la peine en fonction des circonstances.
D'autres articles ajoutés par le Sénat apparaissent incompatibles avec la philosophie du projet de loi.