Monsieur le président, mes chers collègues, l'Assemblée nationale examine aujourd'hui une proposition de loi déposée, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, par le sénateur Raymond Couderc en février 2010 et qui a été adoptée par le Sénat le 19 janvier 2012. Ce texte vise à réprimer pénalement les injures et les diffamations publiques commises contre les harkis et, plus généralement, contre l'ensemble des anciens membres des formations supplétives de l'armée française. Il vise donc à répondre aux difficultés qu'ont rencontrées nombre de harkis pour faire face à des mises en cause publiques. Nous nous souvenons tous ici des propos tenus, il y a quelques années, par un président de région. Nombre de mes collègues qui ne partagent pas forcément mon logiciel politique les ont d'ailleurs courageusement désapprouvés – je pense en particulier au député de l'Hérault, Kléber Mesquida ici présent.
Le cas de ce président de région n'est malheureusement pas un cas isolé. Plusieurs décisions de justice ont, ces dernières années, montré les lacunes de notre droit pénal en matière de protection des harkis et des autres supplétifs.
Tout d'abord, lorsqu'une injure est proférée à l'encontre d'un groupe, un particulier n'est recevable à agir qu'à la condition de pouvoir prouver qu'il a été lui-même personnellement visé, ce qui est loin d'être évident en pratique.
Ensuite, les harkis ne constituent pas un groupe bénéficiant d'une protection pénale renforcée, telle que celle permettant de réprimer les injures ou les diffamations commises à raison de l'ethnie, de la race ou de la religion notamment. Des associations de défense des harkis, se fondant sur ces dispositions pénales, ont donc vu, à plusieurs reprises, leurs recours rejetés par la Cour de cassation. C'est ce qui s'est passé dans un arrêt rendu en 2009 à propos des insultes proférées par le président de la région Languedoc-Roussillon que j'ai évoqué.
Enfin, s'il existe bien, dans la loi du 23 février 2005 sur les rapatriés, une interdiction d'injurier ou de diffamer des personnes « à raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés », cette interdiction n'est assortie d'aucune sanction pénale.
Le 26 janvier dernier, saisi par une association de défense des harkis, le Conseil d'État a jugé que cette absence de sanction n'était pas contraire au principe d'égalité devant la loi et qu'elle ne justifiait donc pas qu'une question prioritaire de constitutionnalité soit posée au Conseil constitutionnel.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à remédier à l'ensemble de ces lacunes, en apportant deux innovations.
Première innovation, la plus essentielle : pour la répression de l'injure et de la diffamation publiques, telle qu'elle est prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les formations supplétives seront dorénavant assimilées à l'armée régulière. Il s'agit là d'une avancée majeure pour nos amis harkis. C'est d'abord une reconnaissance symbolique assez forte de l'engagement de tous ceux qui ont fait le choix de se battre pour la France. Mais surtout, cela a des conséquences pénales très précises : à l'instar des délits commis envers les armées et, plus généralement, envers les administrations publiques, la diffamation contre les harkis et les formations supplétives sera désormais punissable de 45 000 euros d'amende, tandis que l'injure sera punie de 12 000 euros d'amende.
Ces dispositions résultent de l'adoption par le Sénat, en séance publique, d'un amendement de Raymond Couderc, sous-amendé par la commission des lois du Sénat. Initialement, seuls les harkis et les anciens supplétifs ayant servi en Algérie étaient mentionnés dans la proposition de loi, ce qui pouvait poser un problème d'égalité devant la loi : sur le plan de la constitutionnalité du texte, il aurait été difficile de justifier un traitement pénal particulier pour les seuls harkis.
De surcroît, le texte initial de la proposition de loi était discutable car il alignait la protection pénale dont auraient bénéficié les harkis sur les règles qui répriment actuellement les insultes ou la diffamation fondées sur l'ethnie, la race, la religion ou le handicap. Au contraire, le texte finalement adopté par le Sénat que nous examinons aujourd'hui dispose d'un fondement beaucoup plus solide. C'est parce que les harkis et l'ensemble des autres supplétifs se sont engagés pour la France qu'ils méritent, à l'instar de l'armée régulière, d'être spécialement protégés contre les injures et les diffamations publiques. C'est donc cet engagement qui servira de fondement à la protection pénale renforcée dont bénéficieront les harkis.
Tirant les conséquences de l'évolution du texte au Sénat, notre commission des lois a, sur ma proposition, adopté deux amendements déconnectant le nouveau dispositif législatif de la loi du 23 février 2005 sur les rapatriés, ce qui conduit donc à modifier le titre de la proposition de loi. Tout en continuant évidemment à s'appliquer aux harkis, puisqu'elle est faite pour eux, la proposition de loi est désormais, plus largement, « relative aux formations supplétives des forces armées ».
Deuxième innovation apportée par la proposition de loi : les associations de défense des anciens supplétifs pourront se constituer partie civile en cas de diffamation ou d'injure publique. Sur ce point, la proposition de loi prend modèle sur l'actuel article 48-3 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Une association de défense des anciens combattants, des victimes de guerre et des morts pour la France devra, pour pouvoir se constituer partie civile, avoir au moins cinq ans d'existence et, si des personnes ont été individuellement visées, elle devra recueillir leur accord préalable pour exercer l'action civile.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite, à voter pour cette proposition de loi, dans le texte de notre commission de lois. Une fois adopté par notre assemblée, le texte devrait être transmis au Sénat pour une deuxième lecture qui est inscrite à son ordre du jour du lundi 27 février. La loi pourra donc entrer en vigueur très rapidement.
Ainsi, nos amis harkis et les autres anciens supplétifs ne pourront plus être publiquement injuriés ou diffamés sans que de tels propos soient pénalement sanctionnés. Ce n'était pas le cas par le passé, même si de tels propos étaient moralement et éthiquement sanctionnés. En adoptant ce texte, nous rétablissons ainsi l'équité et faisons oeuvre de justice républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)