Bien que je n'aie pas mentionné les collectivités locales, ce que j'ai dit précédemment peut leur être appliqué dans une large mesure puisque les problèmes, sinon les solutions, sont communs à tous les niveaux d'administration : local, national, européen.
L'Europe est-elle la bonne échelle pour une taxe CO2 sur le transport aérien et pour une autre sur les transactions financières ? Le dilemme est le suivant : l'Europe – voire la France s'agissant de la seconde, si l'on suit les déclarations du Président de la République – doit-elle être vertueuse et montrer l'exemple, ou bien s'abstenir de risquer des distorsions de concurrence et des détournements de trafic puisque l'on ignore si et quand les autres suivront. Il n'existe pas de réponse toute faite.
Je n'ai pas parlé de la taxe Tobin, même si j'ai eu l'occasion de réfléchir à ses avantages et ses inconvénients depuis que son concepteur l'a proposée en 1972. À l'époque, il s'agissait de taxer les opérations de change. Une des leçons de la crise financière de 2007, c'est bien que, pour combler les trous noirs de la finance mondiale et reprendre la main, il faut savoir ce qui se passe sur les marchés dérivés, en particulier sur les marchés de gré à gré, même s'ils sont par construction plus difficiles à contrôler que les marchés organisés. La Banque des règlements internationaux a calculé que les premiers brassent un volume d'affaires dix fois supérieur aux seconds. Exonérer les produits dérivés creuserait encore l'écart en incitant les opérateurs à fuir la taxation. Mais si l'Europe entend montrer la voie, il faut, dans le cadre du G20 et ailleurs, faire en sorte que les autres pays suivent rapidement.
Cette remarque vaut pour Bâle III. En ce moment, les États-Unis font plutôt de la surenchère au G20, mais le Comité de Bâle et le Conseil de stabilité financière ne peuvent faire que des recommandations. Nous allons imposer à nos plus grandes banques, à partir de juin prochain, un ratio de fonds propres durs à 9 % et je crains fort que les Américains ne nous abandonnent au milieu du gué. Quel moyen de pression nous resterait-il ? Aujourd'hui, les États-Unis appliquent unilatéralement le dispositif Bâle II à une vingtaine d'établissements new-yorkais, qui représentent certes 70 % des parts de marché, mais les 6 000 autres banques restent seulement sous le régime de Bâle I. Cela pose un problème de gouvernance : comment adopter des règles internationales, et les faire respecter ? Le G20 est obligé de se tourner vers le FMI ou l'ONU, qui eux ont des pouvoirs décisionnels à la différence du G20.
Cette interrogation nous renvoie au débat fiscal et social à l'échelle européenne. J'ai salué l'accord du 9 décembre en ce qu'il a contourné la règle de l'unanimité en s'appuyant sur certaines dispositions du traité de Lisbonne. L'élargissement de l'Union était indispensable mais, assorti de la règle de l'unanimité, il constituait un mélange explosif. Maintenant, rien n'empêche de mettre en place d'autres coopérations renforcées : c'est le meilleur moyen pour éviter de réduire l'Europe à l'impuissance. Le problème de l'Europe, c'est qu'elle est à géométrie variable selon les sujets : l'espace de Schengen ne recouvre pas la zone euro qui ne recouvre pas le marché unique, et ainsi de suite… Et la tendance risque de continuer pour déjouer la règle de l'unanimité. Comment faire fonctionner le tout ?
Dans mon esprit, la BEI doit participer à relancer aussi les infrastructures, et pas seulement l'innovation, la R&D ou l'essor des PME.
S'agissant de la gouvernance mondiale, le G20 c'est mieux que le G8 ou le G7. Mais ce n'est qu'une étape. Les pays qui n'y siègent pas s'estiment mal représentés par ceux qui y figurent ou par les instances internationales. Avec l'Afrique du Sud comme unique émissaire, les cinquante-quatre États de l'Union Africaine sont sous-représentés. Leur montée en puissance se fera au détriment de l'Occident, peut-être bien de l'Europe. Si l'intégration se poursuit dans l'Union européenne, sans doute pourrons-nous libérer quelques sièges. Mais cette perspective ne fait pas plaisir à tout le monde.
Je ne veux pas parler à la place de Jacques Attali, mais je rappelle que la commission qu'il a présidée, si elle a prôné la dérégulation de certaines professions comme les chauffeurs de taxi ou les pharmaciens, n'en a pas fait la colonne vertébrale de son rapport. Nous n'avons pas suffisamment insisté sur l'indemnisation des chauffeurs de taxi qui venaient d'acheter leur plaque 180 000 euros et qui n'auraient pas compris que sa valeur soit brusquement réduite à néant.
La fiscalité écologique me paraît être une tendance de fond. J'aimerais bien que l'Europe parvienne à un accord pour instaurer une taxe sur le CO2 car il faut éviter une concurrence intra-européenne. Le problème réside plutôt dans la position à tenir face aux pays émergents.
Les sommes consacrées aux investissements socialement responsables en France augmentent d'autant plus vite que les encours sont très faibles. Je n'ai pas de recette miracle. Certains réseaux bancaires, comme le Crédit agricole, avaient pris l'initiative de lancer des fonds dédiés. Pour les inciter à aller de l'avant, on pourrait agir sur la fiscalité de l'épargne… Mais je n'ose vous suggérer de créer une nouvelle niche fiscale quand on s'efforce d'en supprimer ! Cela étant, leur remise en cause offre aussi l'occasion d'en créer une de façon à drainer l'épargne vers le développement durable. Les produits tels que les fonds d'investissement de proximité, les fonds communs de placement dans l'innovation, les fonds communs de placement à risque, affichent un bilan éloigné de leurs ambitions. Pourtant, l'idée était bonne d'orienter l'épargne de proximité vers l'investissement de proximité en liaison avec les pôles de compétitivité. Le toilettage des niches fiscales ne doit pas interdire la réflexion sur la façon d'attirer l'épargne vers le financement à long terme.
Si on arrive à mettre en place la taxe sur les transactions financières, pourquoi ne pas en affecter le produit aux transferts Nord-Sud, surtout que les budgets nationaux vont être contraints ? L'objectif de 0,7 % pour l'aide publique au développement, dont on parle depuis trente ans au moins, n'a jamais été atteint.
Pour généraliser les indicateurs allant au-delà du PIB, le Parlement pourrait jouer tout son rôle. Des rapports ont été publiés – je pense notamment à celui de l'OCDE sur les suites du rapport Stiglitz-Sen, qui date de l'automne dernier. Une action coordonnée des Parlements nationaux peut être envisagée. Tout le monde est d'accord pour aller au-delà du PIB ; il faut maintenant passer aux choses concrètes : revoir les systèmes de comptabilité nationale, et même de comptabilité privée. Les économistes n'ont pas le pouvoir de décision.
Les achats de dette souveraine par la BCE n'ont pas eu d'incidence significative sur la création monétaire parce que, lors du premier plan de sauvetage de la Grèce en mai 2010, Jean-Claude Trichet s'est engagé à réduire d'autres postes du bilan de la BCE pour stériliser l'impact de l'achat de dettes publiques grecques, irlandaises, portugaises… C'était la contrepartie du feu vert allemand. Le bilan de la BCE a donc augmenté dans des proportions bien moindres que celui de la Réserve fédérale.
Je suis partisan d'une banque centrale de plein exercice, exerçant pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort. Les Allemands redoutent les conséquences en termes d'inflation, mais je pense qu'ils se trompent de période. Le risque dans les pays développés aujourd'hui, c'est le chômage. L'inflation se cantonne aux pays émergents et nos pays ne l'ont pas importée. Chez nous, les liquidités alimentent des bulles sur les marchés d'actifs plutôt que l'inflation au sens habituel. La liaison entre création monétaire et inflation, dans le sens d'une augmentation continue et généralisée des prix, est moins mécanique que ne le pensait Milton Friedman. Je n'étais pas monétariste quand c'était à la mode de l'être, je ne vais pas le devenir quand la mode est passée.
Nous pouvons nous retrouver sur le rôle de la BEI, monsieur Chassaigne, mais pas sur celui de la BCE. Elle n'a pas vocation à accorder des financements à long terme, mais à refinancer les banques. Elle ne peut pas devenir une banque de développement, à moins de vouloir un grave conflit avec l'Allemagne qui a déjà du mal à envisager d'étendre ses pouvoirs au-delà de la surveillance de la stabilité des prix.
J'ai été membre de la Commission du grand emprunt qui a décidé le doublement des dotations d'Oséo. C'était nécessaire, ce n'est pas suffisant ; aussi vous ai-je suggéré de trouver d'autres financements pour les PME. Et deux des principaux candidats à l'élection présidentielle sont sur la même ligne : ils veulent créer une banque de l'industrie. Un grand pôle de financement permettrait sans doute de faire des économies d'échelle et d'éviter des doublons, mais il ne faudrait pas qu'il se transforme en superstructure rigide incapable de bien dépenser.
Monsieur Bossé, je ne suis pas un spécialiste de la méthanisation. Globalement, la tendance aux énergies renouvelables est inéluctable. On parle un peu moins (à tort !) de la biomasse en ce moment mais la deuxième génération de biocarburants est beaucoup plus intéressante que la première, dont la plantation concurrençait celle des productions alimentaires. Vous avez insisté à juste titre sur l'expérience et l'importance de l'évaluation. La France, en dépit de ses efforts, notamment pour la mise en place du RSA, expérimente insuffisamment.
J'ai peu parlé de l'économie solidaire et sociale, mais je préside le conseil scientifique de l'Association pour le droit à l'initiative économique. Je m'intéresse donc à la microfinance. Or elle a un lien avec le développement durable. L'économie sociale et solidaire recouvre à la fois de grosses entités, comme les mutuelles d'assurance, et des petites. Les économistes, vous avez raison, n'ont sans doute pas développé suffisamment d'outils spécifiques pour mesurer leur activité.
Les entreprises considèrent les indicateurs à long terme comme des coûts. Si le monde fonctionnait mieux, elles en verraient aussi les avantages. Elles développeront ces outils quand les gains escomptés dépasseront les coûts de mise en oeuvre. Et si elles risquaient la sanction de leurs actionnaires au titre de leur responsabilité sociale, elles consentiraient plus facilement des efforts. Tout est une question de bilan entre coûts et avantages.
Monsieur Bignon, vous posez la question du lien entre les services rendus et le financement, qu'il s'agisse de son montant ou de ses modalités, mais vous connaissez mieux que moi les travaux de M. Chevassus-au-Louis. Je ne peux aller au-delà.
Le concept de durabilité doit être pris dans toutes ses dimensions : financière, économique, et sociale. Nous sommes donc d'accord, madame Pérol-Dumont.
Les besoins de financement du transport ferroviaire sont énormes, et je n'ai pas de solution à livrer. Les PPP sont moins à l'ordre du jour, je le constate et il doit y avoir quelques bonnes raisons. À titre d'exemple, le grand emprunt qui doit répartir 35 milliards d'euros compte sur un effet de levier pour lever une somme élevée auprès du secteur privé et mobiliser au total près de 60 milliards. J'ignore où nous en sommes exactement par rapport à l'ampleur de cet effet de levier, mais, pour engager des sommes aussi massives, il faut explorer la voie des cofinancements entre le national et l'international, entre le public et le privé. Au-delà, votre question renvoie aux modalités d'orientation de l'épargne.
Le financement des PME, sera l'un des sujets majeurs des toutes prochaines années en Europe. Le potentiel de croissance et d'emploi se trouve dans notre tissu de PME. Je ne pense pas qu'une restriction drastique du crédit (credit crunch) soit à l'ordre du jour : les banques ne vont pas arrêter de prêter, elles vont être plus sélectives. Je crains le risque d'un biais défavorable aux PME, aussi le grand sujet politique est-il de trouver les moyens de relancer l'activité dans le monde de Bâle III en se préoccupant du financement des PME. Comme tous les pays d'Europe sont logés à la même enseigne, le sujet peut être envisagé dans les sommets européens. Certes pour le moment, ils se préoccupent surtout de colmater les brèches, mais ils vont devoir prendre un peu de recul et se consacrer aux sujets structurels relatifs à la croissance et à l'emploi.
Si l'on veut que la zone euro vive, il faut tirer des leçons de la crise en termes de gouvernance économique et politique. Le problème ne se limite pas à la dette souveraine. La compétitivité est également au coeur des difficultés. En tout cas, le statu quo nous condamnerait à des crises à répétition qui finiraient par miner la crédibilité de l'euro. Pour conjurer ce scénario, il faut certes resserrer la discipline budgétaire, mais nous avons deux jambes. Tant que nous serons dans une phase de faible croissance et de fort chômage, il sera difficile de réconcilier les opinions publiques avec l'euro. Pour améliorer les conditions de fonctionnement de la zone, il faut, à côté de la discipline budgétaire, une banque centrale de plein exercice, une mutualisation partielle des dettes souveraines par le biais d'obligations communes (eurobonds) et des mécanismes de soutien efficaces. À cet égard, depuis le début, je considère comme une erreur d'avoir communiqué aux marchés les plafonds d'intervention du FESF puis du MES, car les opérateurs ont toujours envie de tester les limites. L'Europe aurait pu économiser de l'argent en ne donnant pas d'information précise aux spéculateurs. De toute façon, si l'Italie et l'Espagne rencontrent des difficultés, les montants annoncés ne suffiront pas. (Applaudissements)