Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, la proposition de résolution européenne présentée par le groupe socialiste est, comme l'a souligné Pascal Brindeau, une proposition politique. Ce n'est d'ailleurs pas usuel, mais, à l'approche des présidentielles, on peut le comprendre ! Elle est un mélange hétéroclite de dispositions superflues, parce que certaines sont déjà réalisées, d'autres sont trop vagues pour être valables et, enfin, d'autres encore sont électoralistes et manifestement contraires aux propositions défendues par la France auprès de ses partenaires européens dans le contexte de crise que nous connaissons, vous l'avez souligné, monsieur le ministre. J'ose espérer que le programme électoral du parti socialiste ne se réduit pas à cette proposition de résolution en ce qui concerne les questions européennes !
J'évoquerai tout d'abord la participation des parlements nationaux au processus de gouvernance économique européenne et les propositions sur le contenu que doit avoir cette gouvernance. Une telle proposition ne peut être d'aucune façon approuvée, en dépit des objectifs qu'elle met en avant et auxquels on ne peut que souscrire puisqu'elle s'intitule «Proposition de résolution pour la relance européenne et le renforcement du contrôle démocratique ».
S'il y avait un doute sur le caractère partisan de cette motion, il serait immédiatement levé par la phrase scandaleuse et sectaire qui bafoue le respect de la démocratie dans l'exposé des motifs de cette proposition de résolution. Je cite la phrase : « Les dirigeants actuels n'ont plus la légitimité pour imposer cet indispensable changement de cap. » Je ne peux pas croire, monsieur Caresche que ce soit vous qui l'ayez écrite ! Nous nous demandons, avec Michel Diefenbacher qui l'a fait remarquer en commission des affaires européennes, ce que cela signifie ! Cela veut-il dire que le Président de la République, Nicolas Sarkozy, élu à 53 % par le peuple français, et le gouvernement Fillon, soutenu par sa majorité victorieuse en 2007, ne sont plus légitimes ou que les sondages provisoires les rendent illégitimes ? Je rappelle un principe élémentaire de la démocratie : le Président de la République a toute légitimité pour agir jusqu'à la fin de son mandat. Ce ne sont pas les sondages provisoires d'aujourd'hui, mais le peuple français qui, nous n'en doutons pas, lui donnera à nouveau sa légitimité pour poursuivre sa tâche européenne remarquable. Si ce sont les dirigeants européens qui sont visés, cette phrase est aussi scandaleuse : le président Van Rompuy et le président Barroso, ont été désignés, vous le savez très bien, de façon totalement démocratique, selon les procédures prévues par le traité. Leur légitimité pleine et entière ne saurait, elle non plus, être contestée.
Votre proposition de résolution «invite le Gouvernement à soutenir l'institutionnalisation d'une conférence interparlementaire ». Vous y consacrez d'ailleurs pas moins de trois alinéas. Or, comme l'ont très justement souligné Christophe Caresche et M. le ministre, c'est déjà fait ! Vos observations et recommandations sont donc totalement superflues, parce que tout simplement dépassées. En accord avec le président de l'Assemblée, je me suis beaucoup investi, en liaison avec notre excellent représentant permanent à Bruxelles, pour introduire cette conférence interparlementaire dans le traité de stabilité. Le projet de traité « sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » qui sera signé dans quelques jours par vingt-cinq États membres de l'Union européenne prévoit expressément une telle conférence à l'article 13, dans une rédaction directement inspirée par la France, comme a bien voulu le souligner Christophe Caresche. Nous menions d'ailleurs ce combat ensemble. Les parlements n'ont nul besoin d'une « autorisation » ou d'un soutien des gouvernements pour organiser des échanges entre eux. Nous partageons ce constat avec nos collègues allemands du Bundestag, avec lesquels nous avons formé, sous la coprésidence de M. Accoyer et de M. Lammert, un groupe de travail qui a tenu sa dernière réunion il y a quelques jours à Paris.
Les échanges se déroulent déjà de manière active, avant même l'entrée en vigueur des nouveaux traités, et une rencontre interparlementaire aura lieu à la fin du mois à Bruxelles sur le thème du semestre européen. Vous avez été témoin, monsieur Caresche, des réserves de M. Lammert et du Bundestag quant à l'instauration de cette conférence interparlementaire. Nous avons donc su, au niveau de l'exécutif comme au niveau parlementaire, convaincre nos partenaires allemands.
De façon continue, le renforcement du contrôle démocratique exercé par les Parlements nationaux sur le processus décisionnel européen est un objectif auquel nous travaillons sans relâche. L'Europe a aujourd'hui une beaucoup plus grande place dans cette assemblée, vous le savez, et je m'élève contre les assertions selon lesquelles le contrôle du Parlement ne serait pas opportun ou suffisant. Nous avons fait beaucoup pour qu'il en soit ainsi. C'était l'un des objectifs de la dernière réforme de la Constitution et du règlement intérieur de notre assemblée, que j'ai âprement défendue et que l'opposition utilise d'ailleurs régulièrement lors des séances de contrôle ou par les propositions de résolution comme celle que vous présentez aujourd'hui. Tous ceux qui participent régulièrement à nos travaux savent quels progrès considérables ont été réalisés. Tout est perfectible, mais les progrès ont été remarquables et je vous remercie de l'avoir souligné dans votre propos.
Dans l'exercice de mes fonctions de président de la commission des affaires européennes de notre assemblée – excusez-moi d'insister mais j'ai été piqué par les critiques –, et en lien étroit avec le président Accoyer, j'ai pris en permanence l'initiative d'organiser des auditions et des débats en séance avant les Conseils européens. Ces débats dans l'hémicycle se substituent aux questions d'actualité, et sont donc télévisés, en présence du Premier ministre, du ministre d'État et du ministre des affaires européennes. Un débat a lieu aussi après le Conseil au sein de notre commission, avec le ministre des affaires européennes, et il y a eu encore récemment deux auditions conjointes avec la commission des finances des ministres des finances et du budget.
J'ai pris l'initiative d'ouvrir toutes nos réunions de commission à nos collègues du Parlement européen, qui viennent assez régulièrement, et d'organiser des réunions spécialement consacrées à les rencontrer, lors de leur semaine de circonscription, avec le Sénat d'ailleurs. L'accroissement de l'implication des Parlements dans la conduite de l'Europe doit en effet se faire dans une relation étroite de partenariat entre Parlements nationaux et Parlement européen. Dans cet esprit, nous avons pris une initiative unique en Europe, une réunion plénière, en visioconférence, de la commission des affaires européennes avec la commission IMCO du Parlement européen. Il faudra renouveler l'expérience. Dans le même esprit, nous avons lancé avec le président Accoyer une étude de France Telecom et de Deutsche Telekom sur la mise en place d'un réseau permanent reliant les Parlements nationaux en visioconférence.
Je pourrais poursuivre la longue liste des débats, rencontres, et travaux parlementaires sur l'Europe au sein de notre assemblée, qui n'ont jamais été aussi intenses.
Certes, et nous avons accueilli l'ambassadrice du Danemark il y a quelques jours, nous n'en sommes pas au système danois, avec un mandat impératif liant le Gouvernement, mais un tel système serait totalement contraire à l'esprit de nos institutions, et d'ailleurs contraire à l'intérêt de l'Europe, qui a profité de la latitude d'initiative de la France.
Obtenir une association toujours plus étroite des Parlements nationaux à la gouvernance européenne me tient à coeur, et je suis favorable à ce que le débat se poursuive sereinement sur cette question au sein de notre assemblée. Il nous appartient, mes chers collègues, de nous approprier en particulier l'exercice du semestre européen, qui porte non seulement sur les politiques budgétaires mais sur l'ensemble des politiques économiques et devrait donc être intégré à nos travaux législatifs.
Selon vous, monsieur Caresche, il aurait fallu, pour réaliser le traité, organiser une convention. J'ai participé à la convention sur l'avenir de l'Europe, qui a duré un an et demi. Imaginez les négociations auxquelles on aurait assisté alors que nous sommes en pleine crise et qu'il fallait réaliser ce traité dans les délais les plus brefs. Je n'approuve donc absolument pas cette proposition. Elle va certes dans le sens de la participation des Parlements européens, mais nous étions dans l'urgence, face à une crise majeure sans précédent depuis celle de 1929.
Vous avez expliqué aussi que nous étions à la traîne de l'Allemagne. Je souscris totalement à ce qu'a dit le ministre, et l'on voit bien d'ailleurs que toutes les propositions, toutes les initiatives fortes, comme la gouvernance économique ou la solidarité à l'intérieur de l'Europe, sont des mesures qui ont été inspirées, poussées par la France, et auxquelles l'Allemagne s'est ralliée. Souvenez-vous, lorsque nous nous rendions dans ce pays, les Allemands ne voulaient ni de la gouvernance économique, mot tabou pour eux, ni de la solidarité, qui, selon eux, n'était pas conforme aux traités. Nous en sommes arrivés à faire adopter un Mécanisme européen de stabilité de 500 milliards d'euros, auxquels l'Allemagne va évidemment participer en tout premier lieu.
Vous nous avez ensuite reproché la façon dont fonctionne le couple franco-allemand par rapport aux autres pays européens. Je vais reprendre une anecdote que vous connaissez déjà puisque je l'ai racontée en commission des affaires européennes. Lorsque j'étais à la convention, j'ai été invité un jour par le président Prodi à venir dans son bureau. À l'époque, les relations entre Schröder et Chirac étaient très mauvaises. Pour lui, si les relations franco-allemandes ne fonctionnaient pas, il ne sortirait rien de la convention et il m'a demandé d'expliquer à Paris qu'elles devaient absolument s'améliorer. J'ai évidemment obtempéré. Ce n'est pas mon intervention qui a joué, mais les relations entre Schröder et Chirac se sont alors fortement améliorées et le couple franco-allemand s'est mis à faire ensemble à la convention des propositions convergentes. J'ai alors été invité dans son bureau par M. Prodi pour un petit-déjeuner. Il m'a demandé ce que c'était que ce couple franco-allemand qui ignorait les autres. Le même qui souhaitait un bon fonctionnement du couple franco-allemand lui reprochait quinze jours plus tard d'écraser les autres.
C'est un exercice évidemment difficile mais, sans le couple franco-allemand, le ministre l'a souligné, rien ne se serait fait, ni sur la gouvernance économique, ni sur la solidarité, ni, évidemment, sur le pacte de stabilité. C'est un couple équilibré et, dans les diverses propositions, on voit bien qu'il y a des initiatives de la France et d'autres de l'Allemagne. C'est ainsi que doit fonctionner le couple franco-allemand.
Pour revenir au texte de la proposition du groupe socialiste, s'il faut incontestablement améliorer le fonctionnement démocratique du gouvernement économique européen, je pense dangereux de transformer l'examen annuel de croissance en acte législatif européen. Il faut au contraire faire bien fonctionner le semestre européen, qui organise la coordination des politiques économiques, en préservant toutefois la souveraineté nationale en matière budgétaire.
Quant à l'argument selon lequel transformer ce rapport de la Commission européenne en acte législatif permettrait aux Parlements nationaux de s'en saisir, nous avons déjà la possibilité, en l'état actuel du droit, grâce au traité de Lisbonne, de nous saisir de tout document émanant des institutions communautaires.
Le second objectif que la proposition de résolution met en avant est la relance de l'activité économique en Europe, à travers une véritable politique de croissance et d'investissement ; mais en quoi consisterait une telle politique ? Vous passez sous silence les décisions prises par le sommet européen du 30 janvier pour accroître la relance européenne, à hauteur de 82 milliards d'euros, ainsi que les initiatives courageuses et ambitieuses prises par Mario Draghi à la tête de la BCE, avec près de 500 milliards de prêts aux banques.
Votre résolution consiste en fait en une liste de mesures qui aggraveront encore la spirale de la dette publique en Europe : mutualisation des dettes publiques nationales, refinancement du Mécanisme européen de stabilité auprès de la Banque centrale européenne, introduction de la possibilité pour le budget de l'Union d'être en déficit. Une telle proposition est d'ailleurs totalement contraire aux traités, qu'il faudrait réviser. En êtes-vous conscients, mesdames, messieurs ? Est-ce pour ce motif que vous envisagez ouvertement, de façon arrogante et méprisante envers nos vingt-quatre partenaires, une renégociation des traités déjà conclus ? On voit l'effet que cela produit chez nos partenaires européens, qu'ils soient de droite ou de gauche, ce qui explique d'ailleurs que certains d'entre eux apportent d'ores et déjà leur soutien à Nicolas Sarkozy, comme M. Schröder, Mme Merkel ou, hier, M. Monti.
On trouve pêle-mêle dans cette liste l'attribution d'un rôle accru à la Banque européenne d'investissement. Il faut saluer, j'en conviens, l'activité remarquable de la BEI, mais quel serait donc ce rôle accru ? On trouve aussi l'augmentation du volume du budget de l'Union européenne, hypothèse évidemment irréaliste dans le contexte actuel, qu'il est donc dangereux de présenter comme possible. Telle n'est pas la position de la France. On y trouve également le recours aux euro-obligations. Ce n'est pas non plus notre position. Ce n'est qu'au terme du processus de convergence économique et financière qui a été engagé que l'on pourra mettre en place des obligations européennes.
Vous parlez aussi de l'instauration de la taxe sur les transactions financières. Très bien, mais qu'y a-t-il de nouveau ? Le Président de la République et Mme Merkel n'ont cessé de défendre cette question au sein du G20, au sein de l'Union européenne, et notre assemblée a voté à l'unanimité il y a quelques mois une proposition de résolution émanant du groupe socialiste soutenant l'instauration d'une taxe. La commission des affaires européennes a examiné à nouveau la question et adopté le 1er février une proposition de résolution dans ce sens, saluant notamment l'initiative française visant à créer une dynamique européenne autour d'un groupe pionnier, et cela a été voté ce matin à l'aube par l'Assemblée nationale. Je salue la position de la France car, si elle ne s'était pas lancée, d'abord de façon spontanée, mais ensuite en convainquant huit autres pays, comment aurait-on pu constituer le groupe pionnier auquel nous aspirons les uns et les autres ?
Enfin, votre proposition formule une invitation adressée au Gouvernement pour envisager la mise en oeuvre d'une séparation des activités de dépôt et des activités d'investissement des banques. On cherche vainement à comprendre en quoi il s'agit d'une mesure de relance de l'activité économique ou de renforcement du contrôle démocratique, mais, surtout, une telle proposition ne relève pas de l'Europe. C'est une proposition d'ordre interne et je ne vois pas ce qu'elle vient faire dans votre proposition de résolution.
Ce sont autant de débats qui méritent d'être lancés, sur les euro-obligations, la réforme du budget de l'Union, l'association des Parlements à la gouvernance, même si, sur ces sujets, nous avons fait de grands progrès ; mais vous les posez dans des termes inopérants. Le groupe UMP votera donc contre cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)